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Renaissance

I. Ether

Une explosion de couleurs me réveille, je reviens peu à peu à moi.
J'ai mal à la tête, je ne sais pas où je suis. La langueur me reprend et je suis sur le point de sombrer de nouveau dans l'inconscience lorsque le froid me saisit et me réveille complètement.

J'ouvre les yeux. Je ne vois que de profondes ténèbres. J'essaye de bouger, mes muscles engourdis répondent à peine.
Soudain je sens les liens rêches et humides qui m'entravent, l'étreinte glacée de l'eau qui vient enserrer mes pieds et mes chevilles, le contact douloureux de la roche contre la peau de mon dos.
Je parviens à relever la tête, je regarde autour de moi... la mer à perte de vue ; le ressac contre le récif sur lequel je suis attachée, me nimbe d'une myriade de gouttelettes d'eau ; des étoiles dans le ciel,... par milliers.
Je crie.
De ma gorge ne s'échappe qu'un soupir étranglé et en mon sein je ressens la morsure de milliers de petites lames acérées.
Mon esprit est vide, douloureusement vide, un sanglot silencieux m'étreint et je sens des larmes s'échapper de mes paupières et rouler sur mes joues puis s'arrêter, gelées.
Ma tête retombe lourdement sur le roc mais je ne ressens aucune douleur.

Une éternité passe, je contemple le ciel au rythme de ma respiration sifflante.
L'eau monte, je le sais, je ne sens déjà plus mes jambes ni mes pieds.
Le vent s'est levé et son hurlement rauque berce doucement mes sens, ébouriffant mes cheveux et faisant tinter les petits cristaux de glaces qui s'y sont formés. Je laisse les bourrasques caresser mon visage et ferme les yeux.

Autrefois, j'avais un nom...
Il est sorti de ma mémoire...
Un visage familier m'apparaît ; une grande et belle jeune femme me regarde en souriant, et prononce un nom : Ashane... Oui... cela doit être mon nom.
J'essaye de sourire, reconnaissante, à cette inconnue qui me semble si familière. Son image s'éloigne peu à peu et disparaît sur un dernier clin d'oeil, alors que j'entrouvre à nouveau les paupières.
Une petite pupille noire me fixe.
Un oiseau de mer, posé sur le récif. Il détourne son regard de moi et commence à lisser ses plumes, ignorant de mon sort, attendant le moment où il pourra se repaître de mes yeux, à l'heure où mon âme aura rejoint le firmament.
Je l'observe, abandonnée à mon ataraxie morbide.
Il s'envole finalement, poussant un cri perçant et me laissant à nouveau seule. Je le suis quelques instants du regard, petite forme blanche tourbillonnant au gré des vents, puis mes yeux se troublent.
L'eau a maintenant englouti mes mains, mordant cruellement la chair de mes poignets mise à vif par les liens. Le vent emporte mes soupirs, les minutes qui passent atténuent ma douleur d'un voile d'oubli, engourdissant mes sens,... et inexorablement, monte la marée.

J'ai trouvé une étoile, elle est très jolie, ses nuances bleues et rouges me fascinent...
Feu et glace, le froid qui engourdit mon corps, le brasier qui se ravive en mon âme, car le vent a tourné ... et son mugissement s'est changé en cris ... Cris de douleur et de désespoir. Une voix que je chéris et que je reconnais entre toutes. Un cri qui déchire mes tympans et mon âme.
L'eau vient d'atteindre ma poitrine. Je me mets à trembler de manière incontrôlée, mes dents s'entrechoquent dans un claquement sinistre. Je sens de nouveau mes jambes, mes mains, mes pieds. La mémoire m'est revenue et je tremble non de froid mais de désespoir et de colère.

II. Spirale

Elle n'a que treize lunes de plus que moi, c'est aujourd'hui son anniversaire.
Ce matin, je me suis levée avant les aurores pour lui trouver un présent. Elle qui me protège depuis toujours, elle si forte et courageuse depuis la mort de nos parents et le début de notre captivité, j'aimerais pouvoir lui trouver les fruits du bonheur et de l'oubli, mais ceux-ci n'existent que dans mon imagination ; pourtant, derrière un rocher, échoué par la marée, j'ai découvert un coquillage que je ne connaissais pas, aux reflets nacrés et à la forme parfaite.
Dans sa coquille, j'ai enchâssé une petite aigue-marine. Puis je me suis hâtée pour rentrer au village, attendant le soir avec impatience, moment où les esclaves peuvent se retrouver dans leur enclos commun.
Peu avant la mi-journée, je l'ai croisée portant à bout de bras un lourd bac d'eaux usées.
Elle était radieuse et chantonnait pour elle-même un air que notre mère nous avait appris.
Lorsque je suis passée à sa hauteur, elle m'a lancé un clin d'oeil complice et s'est éloignée, tanguant sous le poids de sa charge...
J'ai passé le reste de l'après-midi, joyeuse, m'acquittant de mes tâches de manière mécanique, l'esprit ailleurs, loin vers le Nord, dans le village de notre enfance.

Le soir est arrivé comme une apothéose de lumières et de couleurs, baignant le fjord et les falaises dans un halo pourpre.
Je posai mon dernier seau de coquillages près de la maison commune quand j'entendis un cri, provenant de la hutte d'Olaf, le chef. C'était chose courante et je n'y prêtais plus attention depuis les premières semaines de notre captivité, mais ce cri-là me secoua aux tréfonds de mon âme...c'était Hilda qui hurlait.
Le seau m'échappa des mains, répandant son contenu sur le sol, les coquillages et l'eau de mer se mêlant à la boue et aux graviers.
Je restai quelques instants immobile, pantelante, me demandant si un esprit m'avait joué un mauvais tour. Puis le deuxième cri retentit, perçant, il me fit l'effet de mille coups de fouet. Je m'effondrai sur les genoux, me blessant sur les éclats de coquillages, mais mon esprit était ailleurs. L'instant d'après, je me lançai dans une course folle, en hurlant le nom de ma soeur au milieu des sanglots qui me secouaient des pieds à la tête.

A l'entrée de la hutte un garde tenta de m'empêcher d'entrer. Je glissai sous lui sans le voir, emportée par ma rage et pénétrai dans la hutte, les pieds en sang, traînant derrière moi les pans de ma robe déchirée.

Ce que j'ai vu là-bas est gravé à tout jamais dans ma mémoire. Ses grands yeux bleus emplis de larmes, son corps nu ensanglanté, sa bouche s'ouvrant dans un hurlement strident, les mains des hommes qui la maintenaient couchée sur la table, Olaf penché sur elle, poussant des petits cris de porc. Les yeux d'Hilda s'étaient posés un instant sur moi, petits oiseaux affolés cherchant à sortir de leur cage, elle avait essayé de me crier quelque chose, je n'ai pas compris. Je me suis jeté sur Lui, échappant à la main du garde qui m'avait suivie dans la tente.
Le coquillage tranchant dont je me sers comme couteau s'est enfoncé dans son flanc comme dans du beurre. Je me souviens du bruit écoeurant, du sang gouttant sur ma main, de son beuglement. Une main s'est posée sur mon bras, le tordant. Je n'ai pas quitté des yeux le corps inerte de ma soeur, jusqu'à ce qu'un coup derrière ma nuque fasse tomber un voile noir devant mes yeux...
Et tombe la nuit sur le monde des hommes.

III. Naissance

De l'eau salée vient de s'infiltrer entre mes paupières closes, me brûlant les yeux. Je cligne des yeux avec difficulté, la tête immobilisée par un carcan glacial. La mer a presque entièrement recouvert le récif. L'eau arrive au niveau de mon menton, la mer semble agitée et je vois une vague arriver dans ma direction. J'ai juste le temps de retenir ma respiration avant de me retrouver immergée l'espace de quelques longues secondes. Mes poumons sont sur le point d'exploser, je n'ai plus de force et pourtant je veux vivre, vivre pour le tuer, vivre pour rendre l'innocence aux yeux d'Hilda, vivre pour venger mon enfance à jamais envolée.

Le temps d'une éternité, je lutte pour garder la tête hors de l'eau, je lutte contre l'engourdissement et la fatigue, contre le sommeil qui menace de me terrasser. Ma tête est maintenant ballottée au gré des vagues, j'ai juste assez de force pour retenir ma respiration quand la vague arrive, mon esprit est vide, concentré sur une seule chose : respirer, retenir sa respiration, ne pas se laisser aller au sommeil.
Enfin la mer, clémente, commence à se retirer. Ma tête retombe, inerte, sur le rocher trempé.
Je reste de longues minutes, fixant le ciel, inspirant l'air par à-coups. A l'horizon, le ciel s'est éclairci, les nuits ne sont guère longues en cette période de l'année. L'eau vient d'abandonner à regret mes chevilles, et je n'entends plus qu'un faible clapotis contre la base du récif.
J'ai froid, indiciblement froid, mon corps semble avoir été changé en un marbre frémissant, veiné de bleu. Je sens mon coeur battre faiblement dans ma poitrine, je suis incapable de penser, je reste à contempler le lever du soleil, dans un état de complète ataraxie.

Le ciel à l'horizon s'est teinté de pourpre. La mer, au loin, semble zébrée d'orange, comme si de grands poissons multicolores saluaient le jour naissant. Les minutes passent, au rythme du ciel changeant. Enfin, un premier rayon de soleil, émerge, triomphant et semble vouloir percer le ciel de son trait brûlant. Puis le disque solaire apparaît, aveuglant, et me baigne dans un halo rougeâtre. Je sens un feu brûlant parcourir mes veines, mon corps est agité de frissons, tandis que les nattes de glace qui s'étaient formées dans mes cheveux fondent et se répandent sur mon visage en petites gouttelettes, qui disparaissent rapidement. Je sens mon corps doucement revenir à la vie, au rythme de mes tremblements. Un hoquet me tord, tendant mes liens, alors que la pression de la lutte s'évacue. Je sens des larmes monter, lavant le sel et noyant mes yeux dans le réconfort du chagrin. Je reste ainsi de longues minutes, les yeux clos, les joues ruisselantes de larmes salées, le corps traversé d'élancements tandis que le sang en reprend possession . Je sens de nouveau la douleur de mes mains et de mes chevilles, mises à vif par les liens et la lutte que j'ai menée, celle de mon dos déchiré par le roc et partout, le feu du sel sur ma peau.

Lorsque j'ouvre de nouveau les yeux, l'oiseau est là. Comme si il l'avait toujours été. Je tourne la tête vers lui et le regarde dans les yeux. L'oiseau penche la tête de côté, semblant attendre quelque chose...J'ai peine à articuler et ma voix s'élève, à peine audible ...
" Oiseau, messager des Dieux, va leur dire que j'ai vaincu. Adresse leur ma supplique, s'il te plaît... Que ma soeur me soit rendue et qu'ils nous accordent l'oubli. " L'oiseau me regarde une dernière fois, puis s'envole et file droit vers le ciel, disparaissant à ma vue.
Des bruits de voix derrière moi, s'approchent. Un fin sourire illumine mon visage...

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© Amberle, mai 2002



Publication : mai 2002
Dernière modification : 07 novembre 2006


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1 Commentaire :

Elemmirë Ecrire à Elemmirë 
le 13-04-2006 à 18h32
Pas gai...
...mais de très grande qualité. Hargh, je serais incapable d'écrire quelque chose d'aussi noir, j'ai déjà du mal à supporter de le lire (Elemmirë, âme sensible!!), mais j'en félicite, avec deux ans de retard (vieux motard que j'aimais...), l'auteur pour son style impeccable. C'est bougrement efficace. Quant à moi, je m'en vais regarder un Disney pour me réconforter...


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