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Le maître des pluies

Madame Anna, mon professeur, distribue les copies d'examens. Depuis que nous sommes entrés en classe, le tonnerre se fait entendre. Il pleut à boire debout. Je déteste les orages. Ils me font peur. Ne le dites à personne. Je ne veux pas que l'on se moque de moi. Je suis tout de même en troisième année. Je ne veux pas être la risée de toute l'école. Je compte sur vous pour garder le secret.

Au début de l'année scolaire, mon enseignante m'a désigné une place tout au fond de la classe. Elle a simplement ajouté :

- François, tu sembles être un enfant bien sage, voilà pourquoi je n'hésite pas à te laisser t'asseoir tout au fond. N'ai crainte, je t'aurai tout de même à l'oeil.
L'année scolaire s'achève et je suis toujours là. Certains trop turbulents ont du changer de place mais ce n'est pas mon cas.

Le tonnerre retentit plus fort que les fois précédentes. Je sursaute apeuré cassant involontairement la mine de mon crayon. Mon professeur dépose la dernière copie sur mon bureau, sans se rendre compte de mon air terrifié et sans remarquer les débris de mine. Le silence s'installe. Mon copain Félix aiguise son crayon. On l'entend à peine car l'orage couvre tous les bruits.

Le signal est donné. Chacun essaie de se concentrer sur sa feuille. Je frissonne de la tête aux pieds. Je suis incapable de réfléchir. J'ai peur. En regardant craintivement par la fenêtre, je perçois clairement les éclairs qui percent de gros nuages gris. Si je n'étais pas en classe, je crois que je me mettrais à pleurer. La pluie tambourine à toute allure sur les fenêtres de la classe. Je me bouche les oreilles et je ferme les yeux. J'ai la trouille.

Une idée me traverse soudain l'esprit, et si je feignais une soif abominable ? Peut-être que Madame Anna me laisserait sortir pour aller boire aux fontaines. J'aurais ainsi le temps de me calmer puisque les murs couvriraient un peu le bruit de l'orage... Je suis un génie !

Je me dirige d'un pas décidé vers le bureau du professeur. Quelque chose me semble bizarre. Je suis debout devant Madame Anna, mais elle ne semble pas me voir. Je lui parle et elle ne me répond pas. Elle regarde droit devant elle sans aucune réaction. Mon regard se tourne vers la classe cherchant une réponse, mais je constate avec angoisse que tous mes camarades sont dans le même état. Ils semblent tous hypnotisés. Je hurle, je crie, je saute sur les bureaux, rien à faire. Personne ne réagit. Dehors le vent souffle si fort que j'ai l'impression qu'il parle. Le tonnerre retentit à nouveau. J'ai une frousse terrible. Je sens mes larmes qui montent. Je me précipite dans le couloir avec une seule idée en tête, m'enfuir !

Je cours dans l'école cherchant de l'aide, mais en vain. Mon coeur bat la chamade. Je suis le seul à ne pas être sous l'emprise de je ne sais quoi. Je me dirige vers les bureaux de la direction. Il faut que je trouve de l'aide.

Je suis immobile au milieu du bureau de la directrice, cherchant une solution. J'ai envie de pleurer, mais je sais que cela n'arrangera rien. Il faut que je nous sorte de ce pétrin. Je ne veux pas rester seul. La secrétaire ressemble à une statue de cire. Je crois qu'elle a été stoppée en pleine conversation téléphonique. Je retire le combiné de sa main afin de vérifier la tonalité. Rien à faire, le téléphone ne fonctionne pas. Je ne peux pas appeler mes parents. Voilà ce que je vais faire; je vais mettre mon manteau et me rendre chez moi. Je retourne dans le couloir au pas de course, me retournant sans cesse, les sens à l'affût du moindre signe de vie.

J'ouvre toute grande la porte de mon casier. Quelqu'un a épinglé une note sur mon manteau. Il est écrit :

- Si tu veux retrouver tes camarades et le personnel de l'école, tu devras m'affronter en duel !
Et c'est signé : Le maître des pluies.

La frousse me reprend de plus belle. Que vais-je devenir ? Et qui est cet homme ? Je sens soudain une présence derrière moi. Je me retourne et me retrouve nez à nez avec ... UN ANGE ! Je sursaute en poussant un cri. Il s'adresse à moi d'une voix douce.

- N'ai pas peur. Je suis là pour t'aider. Je me nomme David.
C'est un ange magnifique comme ceux dans les livres d'images. Il a deux ailes immenses et un visage très gentil. Il me tend un coffre.

- Tiens, prends ceci. Tu en auras besoin pour affronter le maître des pluies.
C'est un coffre en bois qui semble très ancien. Je soulève le couvercle pour y découvrir un objet bien étrange. A première vue, cela ressemble à un petit aspirateur portatif. Je regarde l'ange en fronçant les sourcils. Il hoche la tête pour me signifier que c'est bien ce que je crois. Il m'explique :

- Ceci n'est pas tout à fait ce que tu penses, c'est un Solèssy. Afin de te faciliter la tâche, il sera un simple objet domestique aux yeux de l'ennemi, puisqu'il a plus ou moins la même forme et la même fonction. Si tu le tiens au-dessus de ta tête, un rayon de soleil très puissant s'en dégagera. Seul les anges peuvent capturer ces rayons. C'est en appuyant sur le bouton rouge, lorsqu'il ne sera que vapeur, que tu pourras l'aspirer. Il sera ainsi hors d'état de nuire jusqu'à la fin des temps. Mais, attention ! Si cette créature se met à cracher, tu seras submergé d'eau et incapable de respirer. Il faudra que tu sois rapide et que tu prévois ce coup en portant le Solèssy sur ton coeur. Tu auras alors la capacité pendant quelques minutes de respirer sous l'eau comme les poissons.

La terre se met soudainement à trembler sous nos pieds. Le fond de mon casier devient subitement une porte coulissante qui glisse vers la gauche pour laisser apparaître ce qui semble être un long couloir très peu éclairé. Je recule d'un pas et examine craintivement l'entrée. Non ! Je ne peux pas ! J'ai trop peur ! Pourquoi moi ?

David pose sa main sur mon épaule. Un courant chaud et apaisant me traverse. Cela me calme instantanément, comme s'il me communiquait quelque chose que je ne peux expliquer.

- François, si tous ceux qui sont dans ton école aujourd'hui sont inconscients, c'est que le maître des pluies les a hypnotisés par ses grondements, afin que personne ne puisse t'aider. Je veille sur toi depuis que tu es tout petit. Je sais des choses que personne d'autre ne sait. Tu te rappelles ce soir d'orage lorsque tu avais six ans et que tes parents t'avaient emmené en camping ?
- oui...
- Tu avais fais croire à tes parents que tu étais tombé dans une flaque d'eau, alors que tu avais uriné dans ton pantalon, tellement que tu étais effrayé. J'étais là et je t'ai vu t'asseoir dans l'eau après avoir senti ta vessie se vider de peur. J'ai été témoin de ces larmes sur ton visage et de l'humiliation que tu as ressentie. Tu attendais de pouvoir entrer dans la tente, pendant que tes parents organisaient les lits et réparaient un trou au plafond. Le vent hurlait et le tonnerre grondait, la pluie n'allait pas tarder. C'est là que j'ai vu le maître des pluies pour la première fois. On m'en avait souvent parlé. J'ai su ce soir là qu'il t'avait choisi. Je ne peux me battre, seulement t'aider et te protéger, là s'arrête mon pouvoir. Tu peux y arriver si tu transformes ta peur en courage, elle deviendra alors l'arme la plus redoutable pour cette immonde créature. Si tu refuses ce duel, tous ces gens et tous tes camarades resteront éternellement dans cet état. Je dois partir. Va, et sois courageux. Aie confiance en toi. Mes pensées t'accompagnent.

Il disparut sur-le-champ. J'ai envie de lui crier de rester, mais je prends peu à peu conscience que l'on compte sur moi. Je ne veux pas rester seul pour le reste de ma vie, je serais condamné à être encore plus effrayé. Et puis, je ne peux que croire David.

J'entre dans mon casier et m'enfonce tremblotant dans le couloir sombre. Au fur et à mesure que j'avance, l'eau ruissèle des plafonds et des murs. J'enjambe d'énormes flaques avec le Solèssy en main.

Je suis à quelques pas de deux immenses portes d'acier. A ma grande surprise, sans que je fasse le moindre geste, dans un grincement strident, les portes s'ouvrent d'elles-mêmes. Des torches éclairent l'endroit, qui à première vue semble complètement vide. Les murs sont en pierres et le sol de glaise. J'ai du mal à avancer dans cette espèce de boue. J'ai de l'eau jusqu'aux chevilles. La trouille me reprend de plus belle. Je rebrousse chemin prêt à m'enfuir, mais les portes se referment et se verrouillent, me laissant impuissant et paniqué.

Je sens brusquement l'eau qui se retire dans un grognement infernal. Elle forme un tourbillon qui se dirige au centre de la pièce, puis s'élève vers le plafond tel une tornade. Peu à peu une silhouette se distingue. Le tourbillon se transforme et adopte une forme quasi humaine. Quelques secondes passent, puis je me retrouve pétrifié devant une créature que je suppose sans aucun doute être le maître des pluies. Son corps est transparent et couleur de mer. Sa longue chevelure est faite de milliers de gouttelettes. Ses yeux sont vides, sans pupilles et sans fond.
Sur mes bras, mes poils se hérissent. Il s'adresse à moi :

- Petit avorton ! Je ne ferai de toi qu'une bouchée. Si je t'ai choisi, c'est que je sais que tu n'as aucune chance de me battre. Tu es si peureux qu'il me suffirait de crier BOO ! pour que tu prennes tes jambes à ton cou, AH ! AH ! AH ! Il y a bien longtemps que je ne me suis pas amusé, cela commençait à me manquer. Dis-moi petit monstre, que fais-tu avec cet aspirateur ? Tu aurais aimé faire un peu de nettoyage ? Désolé la bonne est passée. Ce sera pour une autre fois, si tu es en mesure bien entendu...

J'ai envie de disparaître. Il me fait peur et en plus il m'insulte. Je ne suis pas un monstre, c'est lui le monstre. Attendez de voir. Maître des pluies, mon oeil ! Maître de mes fesses, oui ! Je ne me laisserai pas faire, même si je meurs de trouille.

Sans que je ne puisse ajouter quoi que ce soit, la créature prend la forme d'une énorme vague et me projette au mur. Je suis étourdi et mon dos me fait mal. J'ai avalé quelques gorgées d'eau en cours de route. Je tousse sous les ricanements du monstre qui a repris sa silhouette initiale. Je suis en colère. Je me relève et élève au-dessus de ma tête le Solèssy afin de répliquer à ce méchant personnage. Un rayon aveuglant et chaud sort de l'engin. Le maître des pluies recule de quelques pas, le visage décomposé par la surprise. J'esquisse un sourire. La confiance commence à m'habiter. Je crois que je peux le battre. Il le faut. Je dirige le rayon sur lui. Il esquive et crache un jet d'eau dans ma direction. J'active rapidement la fonction qui me permet de respirer sous l'eau en le mettant près de mon coeur. Son jet fait monter le niveau d'eau dans la pièce. Je dirige à nouveau le rayon sur lui. Je réussis cette fois à l'atteindre. Il ne peut plus bouger. Je ne le lâche pas. Un épais brouillard commence à poindre autour de lui. L'eau a dangereusement monté, mais j'ai presque anéanti cette créature. Je ne dois pas arrêter maintenant. Encore un peu et ça y est.

Un bruit de tempête traverse mes tympans. J'appuie sur le gros bouton rouge, activant ainsi la fonction finale. Le maître des pluies se retrouve en quelques minutes complètement aspiré et incapable pour toujours de faire du mal à qui que ce soit.

A mon grand soulagement, les portes s'ouvrent d'elles-mêmes. Je coince l'aspirateur sous ma ceinture, à peine conscient de ma victoire. Je suis prêt à retourner dans l'école. Je vais devoir nager sous l'eau pour retrouver mon casier. J'ai un peu froid et très peur de ne pouvoir respirer plusieurs minutes sous l'eau comme l'affirmait l'ange. Tout à l'heure ça allait, ce n'était que quelques secondes, mais là...

Advienne que pourra, je fonce. Je réussis effectivement et arrive sain et sauf à mon casier, heureux de retrouver mon école et c'est bien la première fois que cela m'arrive.

Je suis trempé jusqu'aux os, mais fier d'avoir remporté ce duel. Je ne m'en croyais pas capable.

Une voix m'interpelle. Je me tourne vers elle. C'est David, l'ange au doux visage.

- Je suis fier de toi François. Je savais que je pouvais te faire confiance et que tu en avais la force. Maintenant je dois partir.

Il me sourit, bat un, deux, et trois fois des ailes et hop ! Je suis sec de la tête aux pieds. Je lui remets le Solèssy soulagé de m'en débarrasser. A peine aie-je le temps de me retourner, qu'il a disparu.

Je cours vers ma salle de classe sans perdre une minute. J'entre tout essoufflé. Madame Anna me regarde en fronçant les sourcils.

- Tu en as mis du temps pour une gorgée d'eau !
Je lui réponds le coeur gonflé de joie :

- C'est que j'avais très soif Madame.

Et sur ces mots, je reprends ma place, sachant que pour la première fois de ma vie, plus aucun orage ne pourra me faire peur.

Vous êtes les seuls à connaître mon secret. De toute façon, si je le raconte, personne ne me croira.

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Publication : 23 octobre 2004
Dernière modification : 07 novembre 2006


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