Les ennemis approchaient, toujours plus nombreux. Un flot incessant se déversant sur la plaine, vague après vague, l'éclat de leurs lances brillant comme l'écume. Ils étaient des milliers ce jour-là et pourtant, seul au milieu de la plaine, affrontant l'assaut, se dressait un homme. Droit et fier il attendait. Ses cheveux noir de jais étaient battus par le vent contre son visage, les rafales faisaient valser sa longue robe pourpre autour de lui en d'étranges tournoiements. Mais rien, rien malgré la tempête et l'assaut des guerriers ne semblait pouvoir le faire vaciller. Immobile, il regardait droit devant, ses yeux affichant une mortelle détermination.
Les lignes ennemies se faisaient plus proches et redoutables à chaque instant, des milliers de casques burinés par la pluie, des milliers de cris annonçant un combat sans merci. Loin derrière l'homme au manteau pourpre, se dessinaient les silhouettes immobiles de l'armée alliée, attendant à son tour le signal pour charger. Alors, lorsque fut venu le moment, l'homme éleva lentement les mains, tourna son visage vers le ciel, et commença à prononcer des paroles dans une langue aux sonorités étranges. Ainsi il se tenait, semblable à un fou ne voyant pas la mort arriver. Pourtant cet homme était loin de l'être...
Lorsque les premières lignes adverses furent assez proches, le son des cors retentit enfin, et l'assaut fut donné. Les guerriers qui s'étaient tenus jusqu'alors immobiles, s'élancèrent vers la bataille. Le choc fut terrible. Les lances se brisèrent dans un fracas épouvantable, les chevaux se retournèrent sur leurs cavaliers, le bruit du combat couvrit celui de la pluie et du vent.
L'homme en pourpre était toujours là, mais n'avait pas l'air d'être affecté par la bataille qui faisait rage autour de lui. Nombreux étaient ceux qui se battaient à ses côtés, mais aucun ne l'approchait ni même le remarquait. Sa voix s'était peu à peu élevée, il regardait de nouveau devant lui, les yeux dans le vague, et son esprit semblait se trouver ailleurs, comme égaré, dans un autre lieu ou bien un autre temps.
Plusieurs heures avaient passé, des centaines de corps jonchaient le sol et les deux armées avaient subi de lourdes pertes, mais l'horizon demeurait désespérément couvert de silhouettes cliquetantes. L'espoir peu à peu faiblissait lorsque soudain, une ombre s'étendit au-dessus des combattants. Mais ce n'était ni la tempête ni le crépuscule qui couvrait le ciel en cet instant. Les cris des quelques hommes qui s'en étaient aperçu se mêlèrent à ceux du combat, et lorsque vingt guerriers se retrouvèrent soulevés du sol, et cinquante autres submergés par un torrent de flammes, la terreur s'empara de tous. Mais déjà, les immenses griffes redescendaient sur l'ennemi, ravageant tout sur leur passage, brisant les os comme les armes.
Si les victimes en avaient eu le temps, elles auraient aperçu une grande bête ailée, couverte de brillantes écailles pourpres. Son long cou gracieux ondulait d'un côté et de l'autre, crachant un feu d'or sur les assaillants, et semant la terreur et la mort sur le champ de bataille.
Les hommes de l'armée adverse, devant ce secours inespéré, s'étaient reculés pour laisser place au dragon, subjugués par sa beauté et terrifiés par sa rage meurtrière. A chaque exploit de l'immense bête, ils poussaient des cris de joie et de victoire. Le dragon virevoltait, alliant grâce et puissance dans un mélange de pourpre et d'or, et jusqu'à ce que la dernière lance soit brisée, il continua sa danse mortelle.
Ainsi finit la bataille. Ceux qui n'avaient pas eu le temps de fuir avaient péri entre les griffes du légendaire animal. Alors les hommes entonnèrent le chant de la victoire et se rassemblèrent afin de revenir en héros du combat.
Derrière les collines, là où un instant auparavant avait disparu la grande silhouette ailée, reposait le corps d'un homme. Son manteau, de couleur pourpre, était déchiré en maints endroits mais il vivait encore. Bientôt, lorsqu'il aurait retrouvé assez d'énergie pour le faire, il se relèverait et rentrerait, solitaire, là où personne ne l'attendrait avec des baisers ou des fleurs, parce que c'était mieux ainsi, et parce que certains secrets méritent de le rester.
Endoriël | L'homme au manteau pourpre | ||
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