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Maeglin
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Prés en bulles...

Les images défilent. Kaléidoscope : étymologiquement " Regarder le beau ", tout un programme...
Je connais peu Tolkien, je n'en ai lu que ce qui se fait de plus commun, soit bien au-dessus de tout ce que je ne pourrai jamais écrire. De Tolkien, je retiens surtout le travail d'une vie, la laborieuse jubilation de pouvoir lire des histoires à ses petits-enfants, et de savoir d'où ces histoires viennent. Et tant pis si c'est là une légende, après tout nous sommes ici entre amateurs !
Le pseudonyme de Maeglin obéit au même illogisme de ne retenir que des aspects fugaces de certains personnages. Maeglin, pour mon compte, c'est avant-tout celui qui a trahi par amour. Y a-t-il seulement une manière moins honorable de trahir ?

Des elfes et de l'amour

"Mais de l'amour, je ne connais que ce mélange de désir, de tendresse et d'intelligence qui me lie à tel être."
Albert CAMUS, le mythe de Sisyphe
"Ne sacrifient à l'ennui que les natures érotiques, déçues d'avance par l'amour."
E.CIORAN


Il pleuvait à Rennes. Une pluie fine comme dans une chanson de Simon et Garfunkel. Les quelques voitures qui s'étaient aventurées ce dimanche soir filaient plein phares en éclaboussant leur lumière sur l'asphalte. La ville s'était endormie sur moi et j'aurais voulu la réveiller, lui payer une bière et discuter avec elle. Mais seule la pluie me tenait compagnie, feutrée et timide, et voulait me bercer comme elle avait bercé les autres. Les rideaux éclairés me renvoyaient l'ombre de couples enfouis dans leur intimité, torturant ma solitude jusqu'au moment où je pus m'asseoir sur mon lit et allumer la télévision. Apitoiement. Sommeil.

J'ai passé tant de bonnes nuits sur ce matelas à même le sol de ma chambre étroite... Mais je préférais avant tout les petits matins, où en m'étirant pour soulever le rideau, je me faisait surprendre par le ciel. Qu'il soit clair et bleu, ou grisonnant comme ce matin, je restais ainsi quelques minutes à regarder la croix de l'église se détacher dans l'espace comme un oiseau de pierre. L'Eglise Saint Germain s'habillait de tenues roses et ambres pour la journée.

Ce fut une journée pour rien. Le mois qui la suivit également. Toute une parodie d'existence avec son maquillage, ses déguisements, ses répliques. Je dus attendre Alice pour sentir que quelque chose était en train d'émerger. Elle débarqua une autre nuit pluvieuse, avec son sac à dos et son visage de gosse, et me dévisagea lentement, avec cette grâce si vaporeuse qu'elle sait inspirer aux instants simples de la vie.

-You can talk to me.

Le tremblement subtil de sa voix trahit son inquiétude. Elle baissa les yeux d'une manière coupable, prête à recevoir un châtiment féroce. Je laissais s'emplir le silence d'une humeur d'incertitude et attendis qu'elle lève à nouveau le regard vers moi.

- I've been admiring you for such a long time. You can not deceive me.
- I'm not perfect you know, lacha-t-elle dans un sanglot enroué.
- There's far from perfection to admiration. I admire prostitutes and priests. And also you.
- I do not need to justify myself.
- Maybe you need to live in harmony with yourself.
- What do you want? Good day? Sunshine? Life's a bitch my poor guy.

La vie était une salope. Aguichante et dérisoire. Je n'avais pas attendu Alice pour que ce genre d'évidence me saute à la gueule. Je n'éprouvais rien à la voir se décomposer devant moi. Même pas cette once de plaisir sadique que mes précédentes amies avaient découvertes lors de nos multiples ruptures et reconquêtes. Je savais chialer devant elles. Si cela pouvait m'aider à dramatiser la situation, à culpabiliser notre situation.
Aujourd'hui rien. Je n'avais pas embrayé sur la faiblesse momentanée d'Alice pour nous entraîner dans un tourbillon de justifications existentielles.
Je me dirigeai vers la cuisine pour préparer un café. Par la fenêtre j'entrevis les lueurs nocturnes des belvédères sur les pavés humides. La rue était silencieuse. Alice à laquelle je tournais maintenant le dos n'existait plus que par une respiration irrégulière et maladive.

- Do you take sugar in your coffee?
- Brown sugar please.
- Sophistication?
- No. Taste.

La cafetière commença son ronronnement en exhalant des vapeurs brûlantes. Je souris en me retournant. Alice avait posé son blouson mouillé sur le sofa et s'y était installée, la tête enfouie sous ses deux mains pâles.

- A bit of Rum for your cold would be a good idea.
- Whisky. I'm scottish if you can remember.
- What I do not remember is the importance you place in your roots.
- Nowhere man! Are you that blind to understand I wanted to give you my land, my roots !
- You cannot give roots. Roots take you.

Sa tête réapparut dans la lumière et mon sourire perdit en assurance tandis que ses yeux s'excusaient d'avoir été si cruels. Elle me défia tendrement.

- Tonight is time for big discussions I believe.
- I do not thing we lost our time around and around. When I look around I see you. It is often enough. Sometimes I need more than you, but I'm sure you feel the same.
- For sure I lost my days in other arms. But it is not that crucial. The point is that we still talk to each other. And what about your life?
- Despair and alcohol. Arms of loneliness... Usual stuff.
- Am I guilty?
- Certainly not. Guilty feelings are my daily company. Not yours.
- Coffee might be ready. Ready for whisky I mean.

Je m'ébouillantai en retirant le filtre et Alice eut un geste brusque vers moi pour me protéger.. Nous eûmes tous les deux un rire détendu à propos de ce geste inutile, presque maternel. Flagrant délit d'amour retrouvé. Un nouveau climat s'installa tandis que je préparai nos tasses avec le sucre roux et le whisky. Sa voix retrouva le chemin de notre complicité.

- The sound of silence.
- It sounds like we still have something in common.
- The need to talk maybe.

Le voyage d'Inverness à Rennes l'avait fatigué malgré les nombreux cafés que je lui avais servis, et elle avait pris une douche rapide pendant que je débarrassais ma petite table. Elle se glissa naturellement dans mon lit, ce qui m'évita toute ambiguïté sur la relation qu'elle envisageait avec moi, et pour l'heure cet état de fait m'arrangeait plus ou moins, en me laissant tout de même un léger sentiment d'insatisfaction.
Je me rappelais de cette Alice farouche qui ne connaissait que mes lettres, et que je séduisais par une phrase bien tournée, me persuadant au passage que je savais y faire avec les femmes.

Des escapades de minuit.

Clarté mauve de la brise nocturne, où l'attente se faisait spectacle, ironie du monde et de mon ego. Elle marchait d'un pas lent sur l'asphalte détrempé, feutrée dans la chaleur de son caban noir où deux attaches clinquantes cintraient sa taille en deux infinis courbes. Ses déhanchements sibyllins, à la frontière de l'obscénité et de la grâce me menèrent vers un escalier sombre qui conduisait à une cave voûtée. Un néon bleu traçait en lettres italiques le nom de la boîte. Jazz Night. Comme si mon esprit fatigué avait encore une fois besoin de se vautrer dans les coussins imbibés de mélancolie et d'alcools amers.

Je ne la vis pas à travers l'épais nuage de fumée qui faisait ressembler l'antre à un paradis déchu pour âmes torturées. Le serveur qui me servit une Piña Colada avait cet air absent qu'on tous les serveurs noirs des boîtes de jazz. Je m'enfonçais chaque seconde de plus dans un abîme de clichés que je passais ma vie à combattre. Je tournais les yeux vers la scène, où un vieux contrebassiste éclairé par un spot vacillant faisait languir le solo de Basin Street Blues. Une poutre de chêne me coupait la vue du reste de l'estrade, mais je n'avais pas besoin de distinguer le pianiste pour le cerner tout à fait. Il me rappelait ces musiciens de polar à 15 francs. C'était un pianiste qui n'avait pas percé. Pendant une douzaine de mesures, parfois une soirée entière, il était capable d'égaler un Brubeck, mais certains soirs ses doigts s'égaraient sur le clavier comme des enfants perdus. Il avait pris goût aux cigarettes brunes, à leur fumée sucrée, aux mégots de marijuana que l'on fume jusqu'à la dernière bouffée avec un bout de carton plié pincé entre les lèvres. Il plaçait une foi éphémère en l'instrument, une foi qui allait et venait au gré des soirs, des morceaux. Aussi lorsque la chanteuse s'avança, ayant troqué son caban pour une robe de velours vermillon, mon oreille ne fut pas surprise d'entendre les notes couler comme un fluide érotique, une drogue sensuelle. Il se dopait à ça aussi, le pianiste. A ces étreintes musicales entre lui et la chanteuse qui rendaient les nuits encore plus amères et coupables. Le jazz était la musique de la culpabilité, du dégoût et de l'amour de son ego. Le chant de sa propre perte, une musique dangereusement suffisante.
Et le plus absurde, c'est qu'elle l'aimait aussi. Quand il joue et qu'elle est à côté alors il se défend vraiment. Il aurait voulu la faire monter dans ce train qu'il ne prendra sans doute jamais. Mais en ce moment, dans les premières mesures de Moonlight in Vermont, il savait qu'elle l'aimait et qu'ils iraient ensemble au moins jusqu'au bout de la chanson. C'était sans doute ce qui comptait encore.

En rentrant, j'écrivis ce mot pour Alice :
I know I would find grace and beauty in other places. They are abstractions, and you can find them almost anywhere. You can create them too, because they are nothing but interpretations of our conscience. However it won't be you, and this is the reason of my sadness. It won't be you expressing them just like nobody is able to do it. I never saw so little distance between a sensitivity and a move, between a soul and its shapes. This is what I call grace : the rediscovered embrace of the body and the mind, the end of a stupid divorce.

I loved you for that, in my strange feelings which could have been difficult to understand. But you did.

Abîmes de l'instant.

Ils se regardèrent longtemps, leurs visages illuminés de ce sourire d'une sérénité parfaite qui reflétait l'harmonie de leurs âmes.

Ils se sentaient libres, mais ils luttaient encore. Ses yeux pétillaient de la contempler ainsi, heureuse et voluptueuse, son regard si plein de chaleur et de tendresse à son égard; et cette tête qui lui était si chère, dont il caressait l'immense douceur de ses mains alors sûres, retenant encore l'instant où leurs deux bouches allaient se lier dans l'éclat de leur union, ses mains qui arrêtaient le temps, faisant jaillir du paroxysme de l'émotion un paroxysme d'une dimension plus étendue, plus infinie, démultipliant les limites de la passion et du désir.

Ils sentaient dans les yeux de l'autre la puissance du moment qui désintégrait toute résistance intérieure. L'attente soumettait leur regard l'un à l'autre, et l'intensité s'accroissait au fur et à mesure que leur combat intérieur faisait rage. Chaque pulsation de cet instant éternel les rendait plus faibles et plus forts à la fois: faibles par l'anéantissement de leurs résistances psychiques, forts de l'avidité de maîtriser cette faiblesse et d'être soi-même possédé.

Leurs sens devenaient alors sensibles à de très fines variations, la communion atteignait la perfection dans l'infiniment subtil, et alors la moindre discordance, la moindre différence d'amplitude entraînait l'éclatement de l'apothéose.

Ce désaccord qui crée l'union...

Il y a un paradoxe au bout du plaisir, une farouche impossibilité au bonheur.

"-Seriez-vous cet espoir?
-Espérez-vous encore?
-Non.
-Alors je ne suis rien."

Vous pensiez lire pour me cerner, peut-être m'avez-vous déjà perdu.
Mais il n'y a pas de truc. En fait on ne peut pas tricher et c'est donc cette nuit que je termine ces pages. J'ai encore ton parfum sur moi.

Tout aurait pu s'arrêter là : la quête, le jeu, la flambe. Elle aurait pu dire oui, j'ai compris et je t'aime. Mais il n'y a pas le truc. Il n'y a que deux personnes maladroites en train de contempler l'injustice d'un monde sans but. Et bien tant pis pour la magie, les orgues et les baisers des Happy Ends, tant pis pour les histoires qui finissent par s'arranger et les certitudes partagées du bonheur. Ce soir il n'y aura pas d'amour, mais nous serons tout de même beaux. Je ne sais rien de plus mais je voulais vivre cela, me sentir beau, exalté et heureux d'être en vie. Heureux d'avoir cherché au fond de nous pourquoi nous étions encore là. Le reste, la flambe, le jeu, la quête, cela pourra attendre un peu.

Il faudra rendre ces musiques aux autres, ces instants au passé. Difficile épreuve de l'attachement... Cette vision du monde comme une gigantesque ludothèque où l'on emprunte des jeux et que l'on rend en plus ou moins bon état, mais avec lesquels on a passé des moments extraordinaires autour d'une bande de copains. Il faudra rendre l'imagination, ces fantasmes par défaut qui nous préoccupent lorsque l'ennui guette, ces amours arrachées au cynisme d'un monde définitivement incohérent. Quelle est l'amende pour tout garder, pour s'amuser encore un peu ? Pour échapper à cela ?

Souvenez-vous que je vous ai trahis par amour.

Et puis l'ogre...

Les histoires recommencent toujours. On ne sait jamais si l'ogre va réussir à manger les petits enfants, c'est ce qui fait le charme des histoires. Ne vous faîtes pas dévorer le vôtre, d'enfant, celui qui est en vous, celui qui tient le cristal. Chaque cristal brisé, c'est un elfe qui meurt. On me demande parfois si je suis un elfe. Je réponds que j'ai brisé mon cristal...



Participations aux concours :

Participations Libres :
    
  Chevelure Ondine de Maeglin
    
  Gabrielle de Maeglin
    
  Petite Elfe   de Maeglin
    
  Prélude au bonheur   de Maeglin


Participations au Cercle :
Fiches Livres réalisées par Maeglin
Fiches Auteurs réalisées par Maeglin

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