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De : Clémence Date : Mercredi 12 septembre 2007 à 20:43:32 | ||
C'était l'aube. Dans la cuisine, tous sortaient des limbes du sommeil: les appareils electro-ménagers, le vaisselier et ses résidents, la table, les chaises ainsi que toute la nourriture. Le refrigérateur ronronna un peu plus fort, s'étira, et comme si cela avait été un signal, les habitants de la pièce prononçèrent leurs premiers cotonneux bonjours. Les volets étaient entrebaillés; filtrait au travers un timide mais chaleureux rayon de soleil qui caressait le pot de miel, dans un placard resté ouvert. Tous les matins, le regard de tous suivait irresistiblement le tracé lumineux, s'attardait sur ses hypnotiques grains de poussière ainsi révélés, et se posait finallement sur le consistant liquide. Sa couleur, alors, douce, ambrée, resplendissante, leur promettait que la journée s'annonçait belle. Mais ce n'était pas un jour ordinaire. Tous furent surpris par le désordre inhabituel. Des stylos, vivant paisiblement dans le gobelet jauni du buffet étaient sidérés de se retrouver allongés sur le meuble, en désordre. Dans le placard, le miel ne se trouvait pas dans le trajet du rayon lumineux; la pâte à tartiner avait été reléguée entre un poussièreux pot de verre contenant des feuilles de tilleuil et le fond du meuble. Quelques ustensiles se retrouvèrent également déplacés, retournés et s'en offusquèrent avant même de s'en étonner. Personne n'avait entendu quoi que ce soit cette nuit-là; l'incompréhension se mêlait aux reflexions et hypothèses que menaient déja certains. Cela aurait pu être l'un des humains, s'ils avaient su être silencieux... Une bourrasque, inconcevable idée vis-à-vis des dommages et de leurs étranges répartitions dans la pièce, avait été quelques instants le sujet d'un colèreuse discussion, le moulin à poivre y croyant dur comme fer. A la vérité, une hypothèse était dans tous les esprits, mais l'on n'osait l'énnoncer. Cependant...cela paraissait la seule cause réaliste... Fatiguée de ce remu-ménage inutile, l'huile d'olive s'avança de sa démarche chaloupée. Le réfrigérateur ouvrit sa porte, la pâte à tartiner et le pot de tilleuil s'extripèrent du fond du placard, les stylos se relevèrent promptement. Le miel n'osa passer sous le rayon, de peur, certainement, de troubler l'attente générale des propos de l'huile. Ce fut sa voix grave, embaumée, presque tendre qui déclara fermement: "Il y a eu vol." Le silence s'installa. Soudain un fracas de paroles y succéda: ce n'était pas possible...cela ne se pouvait...l'on se connaissait...tous...honnêtes gens...honteux de dire ça! Mais, alors que les bouches s'esclaffaient, s'indignaient, déja les regards se tournaient soupçonneusement vers les voisins. Au pot de chocolat se joignirent les confitures, qui, effrayées, s'agitaient en tout sens. Tout de même, à force de glisser leurs regards inquisiteurs partout, ils remarquèrent enfin qu'il manquait quelqu'un. Un habitant qui, par sa sagesse, aurait pu les calmer et clarifier la situation... Ils restèrent sans voix. Il n'était plus là. Lui, l'Ancien, celui grâce auquel se transmettaient les ancestrales histoires du passé, celui pour qui la chandelle, aux veillées, s'embrasaient, révélant sa surface rugueuse et ses durs défauts: Le Vieux Quignon de Pain. Le soleil pénétra en cet instant dans toute la cuisine et l'on vit quelques antiques miettes, dernières preuves de l'existence de l'aïeul, échouées au sol. Déja les fourmis commençaient leur besogne. Ce message a été lu 7049 fois | ||
Réponses à ce message : |
6 C'est tout de suite plus agréable à lire... - z653z (Jeu 20 sep 2007 à 17:43) 7 merci. - Clémence (Jeu 20 sep 2007 à 18:17) |