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De : Maedhros Date : Jeudi 20 septembre 2007 à 00:18:30 | ||
La fin de l'histoire... __________ Cette évocation trouble le moment présent comme l’air saturé de chaleur danse au-dessus de la terre, comme la chandelle vacille dans un courant d’air inopportun. Un voile impalpable enveloppe la pièce. Toute retraite est désormais interdite. Le contour des objets s’estompe légèrement tandis que les lignes de fuite obéissent à une perspective étrangère. Un silence se forme au coeur même du silence, plus dense, absorbant le moindre bruit extérieur. De l’autre côté de la fenêtre, la placette a disparu sous un barbouillage de couleurs délavées. Les morts ont pris possession des lieux, étendant leur ombre par-dessus les eaux noires du Styx. Ils ne vous voient pas, rejouant une scène en boucle, le dernier acte, la pièce manquante du puzzle. Ne dites rien, ne vous manifestez en aucune façon. Si leurs yeux vides se tournent vers vous, les morts remonteront avidement le temps pour s’abreuver à la fontaine de votre vie, votre âme qui brille comme une flamme claire dans l’obscurité où ils sont plongés. Une forme hésitante naît progressivement au creux du fauteuil. Une forme qui devient une silhouette diaphane, à peine consistante. C’est un vieil homme. Il a les yeux mi-clos. Sur son front, une couronne de cheveux de neige. Son visage est creusé par une immense fatigue, cette fatigue qu’il a toujours combattue mais qui a gagné à la fin. Ses traits sont d’une finesse remarquable, ceux d'un artiste que souligne la délicatesse de la ligne de ses sourcils. Mais ses mains... oh, ses mains...ces grosses veines qui saillent et qui roulent sous la peau, qui font des noeuds...ces mains ont connu l’âpre morsure du froid et les blessures de toute une vie de labeur. Sa bouche reste entr’ouverte, un faible râle s’en échappe à chaque inspiration. Il semble éprouver de plus en plus de difficulté à trouver le réflexe respiratoire. Dans le coin de la pièce, la grande horloge égrène le temps qui passe, le temps qui s’écoule, le temps qui fuit entre les doigts de ce vieillard immobile dans un vieux fauteuil usé. Qu’attend-il sinon une délivrance attendue et espérée. Personne ne s’inquiète de son état. Un gros album est ouvert sur le guéridon à côté de lui. Sur une page toute blanche, il y a une photographie, une photographie en noir et blanc. C’est un portrait, le portrait d’un homme. Un large front découvert, un regard amusé, un regard narquois qui semble vous dire « Vous pouvez bien courir après moi, jamais vous ne m’attraperez ! ». Une grosse moustache lui donne un faux air de Staline. Et à nouveau, vous ressentez ce souffle glacial sur votre nuque, qui hérisse votre peau découverte en ce bel après-midi d’été. Une haleine fétide frôle vos narines. Il est là.... « Comment vas-tu mon vieil ami ? » La voix désincarnée semble jaillir du néant. Puis le vide se fait matière, une matière aussi légère que l’air, une densité particulière qui se concentre non loin du fauteuil. Le vieil homme se raidit brusquement, rejetant son corps en arrière, tout contre le dossier, fixant l’endroit où se focalise l’apparition. Celle-ci se révèle être un homme dans la force de l’âge, au visage banalement harmonieux et glabre, un fin sourire flottant sur ses lèvres. Ce visage vous en rappelle un autre non? Un visage beaucoup plus jeune que celui de la photo, dans l’album. L’homme est sanglé dans un uniforme allemand de la seconde guerre mondiale, aux plis impeccables. Coiffé cavalièrement d’une casquette d’officier, il possède cette prestance altière et raffinée des hommes sûrs de leur charme ou de leur puissance. Il tapote ses bottes noires au lustre surnaturel avec une badine souple qu’il tient d’une main gantée de blanc. Le vieil homme ne répond pas, une pâleur mortelle au fond des yeux, une pâleur qui s’étend sur ses joues, son cou, son front, le transformant en un fantôme blanc et silencieux. « Tu me reconnais n’est-ce pas? Cela fait si longtemps que nous nous sommes perdus de vue. Combien d’années? Presque soixante. Tu te souviens du zoo n’est-ce pas ? Oui, je vois que tu t’en souviens. Le zoo, là où vivaient mes enfants. Elles ont vécu là aussi. Un court séjour. Tu entends toujours les cris et les râles? Comment oublier les cris et les râles? Comment oublier leurs cris et leurs râles? Je suis venu pour toi mon ami car il y a un pacte entre nous n’est-ce pas Un pacte que tu as signé avec une plume, une plume plongée dans ta veine. Je t’avais dit que je viendrais chercher ton âme, lorsque ton heure aurait sonné... Elles étaient si jolies Anna et Elsa. C’est comme ça qu’elles s’appelaient n’est-ce pas? Elsa et Anna, les deux jolies jumelles françaises. Deux adorables enfants... - Tu es un monstre, tu es mort. Tu es un monstre et je te maudis...quoi que tu sois devenu.... - Je suis devenu celui qu’ils ont voulu que je sois. L’Ange de la Mort, c’est comme ça qu’ils m’ont appelé, l’Ange de la Mort. Mais je n’étais pas vraiment un monstre. Je poursuivais des recherches au nom de la science et de la race supérieure. Mes enfants n’ont pas été à plaindre...surtout les jumeaux ...j’ai fait en sorte qu’ils bénéficient d’un régime plus...comment dire...confortable. Ils dormaient dans de vrais lits, ils mangeaient généralement à leur faim et jamais les gardes ne les frappaient, j’y veillais. Compte tenu des circonstances, c’était appréciable non ? - C’est faux...tu mens...combien ont survécu à tes bons traitements. Sur les 1.500 qui ont franchi les grilles de ton zoo, 200 en sont ressortis. Après tes horribles expériences, tu assassinais ceux qui avaient survécu, pour mieux outrager leurs pauvres corps suppliciés ! Tu es un monstre froid et ignoble. -Tu ne peux comprendre. Tu sais, quand j’étais jeune, j’étais aimé des femmes. Elles m’appelaient affectueusement Beppo. Ensuite, tout a changé...la maladie, la guerre et tout le reste...Alors ils m’ont pourchassé...en Allemagne, en Italie, en Argentine, au Paraguay et jusqu’au Brésil enfin. Ils ne m’ont jamais rattrapé. Jamais. Mes restes reposent à Embu, non loin de Sao Paulo. Je ne suis pas là pour me justifier, je te le répète. Si je suis venu aujourd’hui pour réclamer mon bien, ton âme. Cette âme que tu m’as vendue là-bas en Pologne. Pour sauver Elsa et Anna, tu te rappelles. Elles n’ont pas souffert. Elles n’ont pas trop souffert. C’étaient leurs yeux qui me fascinaient, leurs beaux yeux clairs et vifs. Juste leurs yeux. - Je dois délirer...Tu n’es que le fruit de la décomposition chimique de mes cellules nerveuses. En fait, je glisse vers la mort...il fait si chaud...si chaud cette année...et personne à appeler...toute l’eau de mon corps s’est évaporée, petit à petit...je suis complètement déshydraté...Oui, tu n’es qu’un fantasme qui se nourrit de mon agonie. - Mon vieil ami! Combien il serait rassurant de croire en ces explications si rationnelles. Hélas, tu n’iras pas bien loin sur ce chemin. Juste un petit tour et puis tu me retrouveras devant toi. Attendant patiemment mon dû. Je suis l’Ange de la Mort. Savoure l’ironie du sort, je suis mort noyé et toi tu vas mourir déshydraté! Ce pays que tu aimes tant n’a pas mesuré l’ampleur du drame qui se joue ici et maintenant. Trop occupé à combattre les incendies de forêts pour prendre conscience de cette tragédie silencieuse. La Mort, ma maîtresse, aura du travail devant elle. Mais les corps qu’elle emportera seront si légers! Il faudra attendre encore un peu pour que les alarmes ébranlent enfin la torpeur qui règne dans cet été caniculaire. Malheureusement, il est déjà trop tard pour toi. Je le sais, c’est pourquoi je suis là » A cet instant, un aboiement éclate dans le silence de l’instant. L’apparition, surprise, tourne la tête vers le chien qui se tient dans l’encadrement de la porte. Le chien gronde sourdement, fixant l’Ange de la Mort, soudain moins invincible, moins inéluctable. Pourtant qu’a-t-il à craindre de cette bête? Regardez bien, le chien semble grandir, se redresser majestueusement. Il se dresse à présent comme un homme de haute taille, au teint rouge et vêtu d’une toge. Dans une main, il tient une croix ansée, signe de la vie, et de l’autre, le sceptre dont il tire un grand pouvoir. L’Ange de la Mort s’adresse à lui : - Anubis! Ô noble divinité, pourquoi interviens-tu? Un pacte a été scellé, son âme m’appartient...depuis si longtemps déjà ? - Je te regarde, bête malfaisante, et je te mets en garde. Je suis le gardien et le guide des défunts, celui qui les conduit à travers le royaume des morts jusqu'à la salle de la déesse de l’Ordre et de l’Equité. Je suis le vent qui apporte la pluie, l’eau qui irrigue la terre et le désert qui sépare le bon grain de l’ivraie. Tu t’apprêtes à commettre un sacrilège et cela je ne le permettrai pas. Aussi, écoute moi attentivement. Si tu persévères sur la voie que tu as choisie, apprêtes-toi à comparaître devant moi sous peu. Je te toucherai la bouche, les narines, les yeux et les oreilles pour que tu recouvres tes sens. Le ka et le ba réintègreront ton corps. Tu seras alors vivant quand j’enfoncerai le crochet de fer dans tes narines pour extraire ton cerveau. Je t’injecterai les drogues consacrées avant que ma lame, longue et brillante, ne t’ouvre le flanc de haut en bas, pour te vider comme un animal. Je jetterai tes entrailles aux chiens et aux corbeaux. Mais tu seras encore vivant. Je remplirai ton ventre flasque de myrrhe broyée et de cannelle avant que de recoudre ta peau avec une fine aiguille d’os. Tu seras toujours vivant. Je t’envelopperai de fines bandelettes pour te placer dans le sarcophage. Je veillerai à te maintenir conscient tout au long de cette cérémonie, quelle que soit la douleur que tu éprouveras. Tes dents déchireront ta langue, tes cordes vocales se briseront à force de crier mais je continuerai. Je te garderai à mes côtés car malgré ta langue arrachée, tu hurleras pour mon plus grand contentement jusqu’à la fin des temps. Ainsi, tu revivras encore et encore les supplices que tu as infligés à des créatures innocentes. Maintenant choisis ! » Le Dieu paraît immense, dominant le nazi de toute sa taille. Le combat est par trop inégal. L’Ange de la Mort crispe la mâchoire et crache finalement : « Garde son âme...je te la laisse...il y a tant à faire ailleurs...alors une de plus ou une de moins! » Il disparaît laissant derrière lui son odeur fétide. Le Dieu sourit et porte son regard bienveillant sur le vieil homme qui paraît dormir. En fait, il ne se réveillera plus. Alors le Dieu dessine un symbole avec la croix ansée et dit simplement : « Dors Caleb...ton Dieu ouvrira bientôt le ciel pour que tu puisses le rejoindre comme c’est écrit sur les tables des hommes. Elsa et Anna t’attendent déjà ainsi que tous ceux que tu as aimés. Tu es un juste. Dors Caleb ! » La présence divine s’estompe et ne reste plus que le vieux cabot qui a poussé la porte mal fermée. Il ne cesse d’aboyer jusqu’à ce qu’un voisin, excédé par le bruit, pénètre enfin dans l’appartement. Le chien le surveille tandis qu’il appelle les secours. Il déguerpit quand la sirène de l’ambulance du SAMU retentit au dehors. Il est trop tard pour le vieux monsieur. Oh, remarquez le sourire apaisé qui illumine son visage. Un des urgentistes, étonné par cette sérénité miraculeuse, retire son gant pour toucher instinctivement le front de Caleb. Ensuite, il ne pense pas à ramasser le gant tombé à terre. Les enfants de l'Ange M Ce message a été lu 6407 fois | ||
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3 Exercice 22 : Maedhros => Commentaire texte 1 - Estellanara (Jeu 11 oct 2007 à 17:33) 4 Recherches.... - Maedhros (Jeu 11 oct 2007 à 17:56) 5 ... - Clémence (Jeu 11 oct 2007 à 18:19) 3 Commentaire Maedhros, exercice n°22, H1 - Narwa Roquen (Ven 28 sep 2007 à 16:41) 3 Superbe ! - z653z (Lun 24 sep 2007 à 17:44) 3 Le titre a changé... - Maedhros (Ven 21 sep 2007 à 12:13) |