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De : Elemmirë Page web : http://lemondedelemm.canalblog.com Date : Dimanche 11 novembre 2007 à 23:22:33 | ||
« Tu te rappelles de ce jour-là, Faustin? » Allongé sur le lit, Faustin ne trouvait pas le sommeil. Il fit la moue devant l'image mentale que je lui envoyais. « Et comment! ... Mais je n'y tiens pas, tu sais... C'est... c'est un moment... - Justement. C'est parfois bon de voir le chemin parcouru, tu ne crois pas? » Faustin soupira. Il ferma les yeux et les images, surplombées de sa voix-off, défilèrent dans mon imaginaire. « Maman était dans son fauteuil, les jambes surélevées par la pile de coussins que je lui avais installé en début d'après-midi, comme chaque jour. La télévision criait et crachait sa lumière, mais Maman somnolait. Elle m'avait entendu rentrer, bien-sûr, mais elle faisait semblant de rien. Pour que j'angoisse un peu. Quand je ne venais pas l'embrasser, elle quittait son immobilité pour s'offusquer: ''Eh bien! Je pourrais être morte que mon fils ne s'en rendrait même pas compte! Tu n'es donc même pas inquiet? Seigneur, j'ai bien failli y passer aujourd'hui. Relève-moi que je te raconte...''. Et quand je venais l'embrasser dès mon arrivée, je devenais le sans-coeur qui la tirait sans vergogne d'un sommeil enfin un peu réparateur: ''...Mh, poussin, ta vieille mère est épuisée... Tu aurais pu me laisser dormir un peu, tu n'as donc pas conscience de la difficulté que j'ai à trouver un peu le repos?'' Ce jour-là, la culpabilité du mal que je m'apprêtais à lui faire m'avait fait prendre toutes les précautions. Je refermai la porte sans bruit, m'approchai sur la pointe des pieds, et déposai sur son front un baiser du bout des lèvres. Elle fit un bond exagérément brusque, envoyant valser l'un des coussins du fauteuil. ''Mon Dieu! Faustin! Tu veux me tuer!! J'ai le coeur fragile, et toi tu entres comme un voleur!'' Je ramassai le coussin et le replaçai derrière son dos, me gardant bien de lui répondre que les voleurs n'embrassaient pas leurs victimes endormies sur le front. ''Maman, je, j'ai... - Alors mon chéri, ça s'est bien passé ta journée? - Oui, j'ai été au... - Tu as posté ma lettre? - Oui Maman, et j'ai regardé les.. - Oui les annonces, et il faudra bien que tu trouves un vrai travail, c'est pas avec cette misère... Ah... Et mon dos qui me fait souffrir... Heureusement que tu es là, mon poussin, parce qu'il n'y a personne pour s'occuper de ta pauvre mère...'' J'avais baissé les yeux et je me souviens que j'ai failli abandonner à ce moment-là. Renoncer, juste me taire, ne plus y croire. Maman poursuivait sa longue plainte, et j'aurais voulu être sourd pour ne pas sentir le grappin qu'elle plantait au fond de moi à chaque soupir, la glu dans laquelle elle m'embourbait à chaque gémissement. Je pris mon inspiration, et juste quand j'allais parler, comme si elle l'avait senti, elle avait pris ma main dans les siennes et l'avait posée sur sa joue. ''Ah, mon fils...'' Je retirai ma main comme brûlée, et je lus la surprise dans ses yeux, puis l'accusation. Je ne la laissai pas reprendre, il fallait que je parle avant elle, avant qu'elle ne m'étouffe encore. ''Maman, j'ai trouvé un appartement.'' Et puis, j'ai bafouillé : ''Je, j'ai...''. Toute l'assurance de ma première phrase s'était évanouie, et je me sentais comme un fou qui avait prononcé une insanité devant une assemblée figée. Le regard de ma mère... s'ancra en moi avec une violence... J'essayai bien de détourner le mien, mais je l'avais vu, le temps d'un éclair, et ça avait anéanti mes désirs. La... la suite, c'est confus... C'est trop difficile. - Essaie, s'il te plaît. Continue. » Je lui envoyai une énergie rassurante, et il reprit: « Je crois lui avoir dit... que mon petit salaire suffisait, que l'appartement était modeste, que je viendrais la voir souvent... C 'est embrouillé, c'est... Son regard, surtout. Je me noyais dans mes explications, elle restait là à me regarder et je sentais le poids de son regard sur mon dos, j'étais accroupi près de son fauteuil, les yeux à terre, recroquevillé, coupable... Et puis, elle m'a jeté ce mot. » Faustin se tourna sur le flanc, et ramena ses genoux sous son menton. Je l'apaisai mentalement. « C'est du passé, tu sais... - ''Traître.'', dit-il très vite. Voilà ce qu'elle m'a dit. ''Traître'', comme un bloc de glace brutalement largué sur moi. ''Maman... - Tais-toi. Comment peux tu... Ta mère mourante... M'abandonner! - Maman, tu, tu n'es pas du tout... - Tais-toi! Vas-t-en, vas-t-en, imbécile! Moins que rien! Laisse-moi, va dans ta chambre!!'' Elle hurlait et je me suis enfui, presque soulagé d'échapper à son désespoir rageur. J'entendis encore ces mots: ''Tu ne partiras pas, tu m'entends! Tu es mon fils! Mon fils!!''. Une fois dans la chambre, la culpabilité m'écrasa comme une vague trop lourde, broyant mes os, asphyxiant mon cerveau. Je suis resté prostré là jusqu'à ce que le sommeil me prenne. Le lendemain matin, elle m'apportait mon petit déjeuner, avec le même sourire tendre, la même attention que d'habitude. Comme si rien ne s'était passé. » Faustin rouvrit les yeux, et fixa le mur face à lui avec une expression bizarre. « À quoi tu penses? - Tu le sais bien, me sourit-il intérieurement. Après ça... Tu m'as donné Camille. - C'est toi qui l'a trouvée. Elle t'attendait et tu l'attendais. Regarde-la dormir... » Faustin se retourna et le visage détendu de Camille radoucit ses pensées. Il la regarda un instant, puis ferma les yeux et s'endormit sans peine. Elemm', qui prens soin de ses ailes, quand-même... On peut pas tuer des bisounours tous les jours! Ce message a été lu 7094 fois | ||
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