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 WA - Participation exercice n°36 Voir la page du message Afficher le message parent
De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Dimanche 20 avril 2008 à 19:37:16
La fin de l'histoire. C'était inéluctable.

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ANALOGON -Part 2


La porte s’ouvre et elle est là. Elle se dévêt rapidement, retirant sa carapace urbaine comme chaque soir. Elle ôte ses hauts talons d’un revers d’une main négligente, tout en examinant le courrier du jour. Puis elle retire les épingles qui maintiennent en place un chignon sobre et complexe, rendant leur liberté à ses longs cheveux qui s’ébrouent en sombres spirales sur ses épaules. Sa jupe droite glisse, vaincue, sur ses hanches et le long de ses cuisses gainées de nylon tandis qu’elle s’écroule sur le lit défait, en soupirant d’aise. Elle reste ainsi immobile, les bras tendus en arrière. Elle paraît si juvénile à cet instant. Adorable. Et ne suis-je pas celui qui adore les images ? Puis soudainement, elle se redresse et le rêve passe. Je comprends alors que ses pensées sont tendues vers l’Autre. Elle se précipite comme une gamine dans la salle de bain où je ne tarde pas à la rejoindre. Je suis là aussi.

Elle m’échappe. Je le sens comme une évidence douloureuse. Elle s’éloigne de moi. Un voile s’est imperceptiblement déposé sur la perfection de son reflet. C’est sa faute. Je le sens au plus profond de moi. Sa faute à Lui. Celui que je n’ai pas encore vu. Celui qui ensorcelle son coeur. Celui qui est de plus en plus présent en elle et autour d’elle. Son empreinte est invisible et pourtant inaltérable sur sa chair. Je suis jaloux. Irrémédiablement jaloux. Elle est à moi. Mais comment lutter contre un ennemi qui se camoufle, qui se dérobe, qui fuit sans cesse? Il tient son coeur entre ses mains et elle est heureuse. Comblée. Comme libérée. De moi ?

Elle a changé. Je ne saurais dire exactement quand mais cela doit coïncider avec le jour où elle l’a rencontré. J’enrage de ne pouvoir mettre un visage sur mon ennemi. Car, détenir son visage, c’est posséder la clé de son âme. Et je n’hésiterai pas à me servir de cette clé pour ouvrir la porte de son sommeil et griffer ses rêves bleus. Elle a changé. Elle choisit maintenant des fleurs vespérales pour composer d’inquiétants bouquets aux formes tourmentées. Elle a décroché les tableaux d’outre-mer, aux couleurs chaudes et vibrantes pour punaiser à la place d’immenses posters en noir et blanc. Des images crépusculaires. Des paysages urbains sinistres et glauques. Des grands arbres à contre-jour pris dans un brumeux matin d'hiver, élançant leurs branches dénudées vers un ciel blanc et absent. Des visages lointains et lugubres, longs et émaciés, aux yeux hautains et froids où jouent l’ennui et la solitude. Elle a remplacé les voilages clairs et aériens qui ornaient la grande baie vitrée par de lourdes tentures de velours cramoisi qui repoussent la lumière du monde extérieur.

Elle aime. Elle l’aime. Comme si c’était la première fois. Comme si c’était la dernière fois. Elle l’aime d’un amour absolu et étranger à ce monde, ce monde dont je suis le maître. Un maître bien impuissant. Jaloux et impuissant. Elle ne me dit pas un seul mot. Elle ne me parle pas de lui, à la différence des autres. A présent, je la vois difficilement à travers le brouillard qui s’est levé dans la salle de bain pendant sa douche. Chacun de ses gestes appartient à l’Autre désormais. Je sais qu’elle pense déjà à lui, à se précipiter dans ses bras, à tendre ses lèvres. Mobilisant tout mon art, je peux invoquer le spectre exsangue d’un futur proche. Oh, juste quelques secondes arrachées au Temps. Quelques précieuses secondes. C’est bien lui, silhouette confuse, qui l’enlace tendrement. Mais avant qu’il ne cueille ce qu’elle lui offre sans retenue, toujours caché dans l'ombre protectrice, il me lance un seul et fugitif regard, par delà l’espace et le temps. Et durant cette seconde, je lis dans ce regard sans visage, une ironie mordante et un sentiment de victoire sans appel. Malgré tous mes efforts, la vision se délite quand il se penche vers elle pour embrasser sa gorge délicate. Tout au plus, j’entends faiblement un rire moqueur qui me hantera longtemps. C’est mon ennemi. Mon plus mortel ennemi.

Mon désespoir est si poignant que mes larmes, en ruisselant, ont fini par me rendre aveugle. Un fantôme sans consistance s’approche de moi quand le jet de la douche s'arrête. Une main fraîche écarte les gouttes d’eau de mon rideau de larmes. Elle est là, devant moi, telle une déesse sortant de l’océan, peignant lentement ses longs cheveux. Elle est là, si proche et déjà inaccessible. Elle me sourit mais je sais bien que ce sourire prometteur lui est destiné. A lui, à l'Autre. Pas à moi.

Le soir tombe à peine de l’autre côté des tentures, mais ici, dans cet univers décomposé, j’ai l’impression d’être au fond d’un tombeau, dans un catafalque infernal, dans un mausolée où gît mon amour immolé. Aucun de mes artifices ne parvient plus à la séduire ou à l’inquiéter. Elle est devenue distante et insensible. Elle se maquille devant moi dans un silence indifférent. Fond de teint pâle et poudre libre blanche. Fard blanc pour les paupières. Mascara et fards noir et bleu nuit pour les yeux. Rouge à lèvres bleu noir. Eye-liner pour le contour des yeux et des lèvres. C’est une beauté nocturne qui se penche vers moi, sans aucune crainte dans son regard. La flamme que je voyais naguère en elle semble vaciller, entourée de ténèbres aux échos insolites. Elle ne m’accorde pas l’ombre d’un sourire quand elle se lève, se contentant de murmurer : « Cette nuit, je serai à lui ! ». Elle s’éloigne déjà pour le rejoindre, entièrement vêtue de noir. Comme chaque soir, pour ne rentrer qu'au petit matin, avant que le soleil ne se lève.

Le temps a passé. Si vite. Ce temps qui ne comptait pas pour moi. Ce temps qui n’était qu’une abstraction. Un jeu ésotérique. Une divine comédie. Un tour de plus dans mon grand sac à malices. Ce complice qui l’enfermait pour moi au coeur de la danse diabolique des reflets ensorcelés. Qui la soumettait à mon pouvoir. Elle était à moi. Qu’à moi. Mais je l’ai perdue au détour de ce chemin noyé d’ombres où elle a croisé, un soir de pleine lune, son prince de minuit. J’ai pourtant attendu. J'ai attendu longtemps. Jusqu'à ce que la poussière finisse par tout recouvrir. Le lit défait, le bouquet fané, les rideaux tirés. J’ai compté les secondes et les minutes. Les heures et les jours. Je n’ai aucune pudeur à dévoiler mon désarroi. J’ai attendu.

Mais tu n’es pas revenue. Tu me laisses en arrière, inutile et stérile. A jamais prisonnier de ce monde figé.

Alors que je ne t’espèrais plus, que je ne n'attends plus rien, la porte d'entrée s'ouvre enfin...

C’est toi. Tu n’allumes aucune lampe mais je sais que c’est toi. Ta présence emplit le vide de l'espace de façon aussi évidente que la dernière pièce complète idéalement le puzzle. Les lourds rideaux s’écartent pour laisser pénétrer la lumière cendrée d’une grosse lune ronde et blafarde, qui enveloppe les toits parisiens d’une clarté irréelle. Il fait nuit. J'avais perdu toute notion du temps. Pourquoi te tiens-tu ainsi hors de ma vue, dans la pénombre? Je ne peux t’apercevoir. Que puis-je te dire? Dis-moi ce que je suis sans toi? Juste une illusion. Une chimère incongrue. A quoi bon continuer sans toi?

Mais tout mon univers se brise en mille morceaux quand, invisible et proche à la fois, d’une voix aussi suave qu’un miel interdit, profonde et chaude, tu me murmures : « Je serai toujours la plus belle. Pour l’éternité! Avec lui!»

Et tu éclates de rire. Vous éclatez de rire. Tous les deux. Comme deux enfants fiers d’avoir joué un tour pendable, comme deux créatures de la nuit qui ont finalement abandonné leur humanité et leur soumission à la loi commune. C’en est trop pour moi. Alors, juste avant que les ténèbres ne m’envahissent à jamais, je fredonne doucement les dernières strophes d’une ancienne ritournelle :

"...J’ai entendu ta voix heureuse
ta voix déchirée et fragile
enfantine et désolée
venant de loin et qui m'appelait
et j'ai mis ma main sur mon coeur
où remuaient ensanglantés
les sept éclats de glace de ton rire étoilé.. " (1)


M

(1) Jacques Prévert. : le miroir brisé.


  
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Réponses à ce message :
3 Exercice 36 : Maedhros => Commentaire - Estellanara (Mar 5 aou 2008 à 16:06)
3 Commentaire Maedhros, exercice n°36 - Narwa Roquen (Ven 2 mai 2008 à 16:57)
3 Magnifique ! - Liette (Mar 22 avr 2008 à 23:46)


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