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 WA - Participation exercice n°43 Voir la page du message Afficher le message parent
De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Mercredi 3 septembre 2008 à 19:08:05
Allons, je vais encore illustrer mon goût immodéré pour le viol des consignes. C'est une petite chose qui m'est venue très vite... une sorte d'image qui a conduit les mots. Il y a bien un couple... c'est bien le personnage secondaire qui intervient (mais est-il vraiment secondaire?), pour le reste je vous en laisse juge. C'est une perspective inhabituelle, loin des miroirs et des serial killers... c'est une sorte équilibre à l'approche de l'équinoxe d'automne...

_________
LA RANCUNE DE ZEUS


Le temps s’annonce maussade. Au loin, dans le ciel, des nuages inattendus montent à l’assaut des Pyrénées qui barrent l’horizon comme un rempart couleur pluie. L’automne s’installe. C’est bien ma veine, ce deuxième jour sera déterminant pour nous, pour lui et pour moi. Même s’il n’en laisse rien paraître. Je le connais que trop bien, depuis trop longtemps. Il veut que notre retour marque les esprits. Il fera tout pour que les autres soient derrière nous demain. A la fin du dernier jour !

Je ne l’ai pas encore dit, mais nous formons peut-être la meilleure équipe. Enfin, nous formions la meilleure équipe. Avant l’accident. Mon accident. Quand nous apparaissions, les autres nous regardaient en coin. Les plus dédaigneux étaient les anglais qui imaginent qu’ils sont de toutes façons les meilleurs, les plus décontractés les américains qui bousculent toujours la tradition et les plus rigides, les allemands... sûrement leur côté prussien ! Nous étions au firmament. Maintenant, après ce qui m’est arrivé, les choses ne seront plus les mêmes et il faudra prouver que nous sommes restés à notre niveau. C’est à dire au-dessus. C’est là qu’ils m’attendent. Tous. Hier, nous avons réussi de la plus belle des façons notre entrée en matière. Ma robe étincelait sous le soleil et lui était fringant et assuré dans un frac irréprochable, tenant fièrement son haut de forme à la main. Tout fut une question de rigueur et d’application. J’ai donné le meilleur de moi, mes mouvements furent fluides et précis. J’ai retrouvé mes sensations, celles que j’avais avant l’accident. Ma technique de haute école a été exemplaire, toute en équilibre et en grâce aérienne. Volte et appuyer à en faire pleurer les anges. Je savais que j’avais bien travaillé durant ma convalescence mais il fallait passer l’épreuve du feu, le juge de paix. Nous avons été peut-être meilleurs qu’avant, atteignant une précision qui a écoeuré nos rivaux. Le soleil brillait hier sur le domaine de Sers. Pour nous !

Pourtant, après la chute, j’ai bien cru que tout s’écroulait ! J’ai même pensé retourner chez moi, en Normandie, me mettre au vert. Définitivement. La Normandie. C’est là que je suis née. Au milieu des pommiers en fleurs, au coeur des bocages. Je me rappelle cette merveilleuse sensation, au petit matin, avec ma mère ! Les parfums de la campagne normande le long des chemins assoupis entre les talus bordés de haies. C’est à Deauville qu’il m’a rencontrée et nous ne sommes plus quittés depuis. Nous avons travaillé dur et longtemps ensemble pour parvenir au sommet. Nous étions tellement différents et pourtant nous nous connaissons maintenant à la perfection. Bien sûr, c’est lui qui commande, qui dirige mais quelque part, il est aussi à mon écoute et réagit en fonction des réponses que je lui apporte. C’est un lien subtil qui nous unit, une relation à la fois physique et psychique. Emotionnelle, devrais-je dire. Quand je suis tombée, le temps s’est arrêté. Une sensation étrange, un équilibre qui se rompt., une magie évanescente. Avant, je pensais que rien de grave ne pourrait nous arriver. Avant...

Je ne suis plus certaine des circonstances exactes de l’accident. C’était une journée de septembre. Une de ces journées anglaises typiques. Nous étions non loin de Stamford, dans le Comté de Lincoln, à l’est de l’Angleterre. Une journée terne dans un été étouffant. L’année dernière. Le troisième et dernier jour. Il ne restait rien pour terminer devant les autres. Il était content et confiant. Je pouvais le sentir aux intonations de sa voix et à la douceur de ses gestes. Malgré les efforts, la distance et l’accumulation de fatigue, j’avais été à la hauteur, tâchant de l’écouter fidèlement, anticipant même certaines fois sa prise de décision. Le plus dur avait été franchi. Il suffisait de revenir au manoir le plus rapidement possible en respectant le temps pour conserver la couronne. Le bac à fleurs n’était pas un problème malgré ses respectables proportions. Le trentième sur trente deux. Soudain le ciel et les arbres parfaitement entretenus ont basculé autour de moi. La douleur est venue après. Une douleur irradiante. Cela n’était pas important. Non. C’était terminé, nous avions perdu. Malgré la souffrance, ce que j’ai craint par-dessus tout, c’était de l’avoir perdu à jamais, lui !

Mais il m’a fait comprendre, après l’accident qu’il croyait toujours en moi, qu’il saurait m’attendre, qu’il voulait m’attendre. Cela a été pour moi une véritable motivation, bien plus efficace que tous les remèdes du monde. Et les longueurs de piscine. J’ai supporté la longue et douloureuse rééducation, l’amertume de devoir repartir de zéro car il venait me voir presque tous les jours. Avec son bras en écharpe, il avait une drôle d’allure. Plus juvénile, plus touchant, plus émouvant aussi. Il me parlait à voix basse, les yeux fichés dans les miens Je crois que c’est là que le lien a été plus fort encore et que mon coeur a battu plus vite. L’accident ne nous avait pas éloignés comme on pouvait le craindre mais indiciblement rapprochés. Cela n’a rien avoir avec l’amour. Impensable. C’est au-delà de l’amour.

Comment dire ? L’image la plus banale serait de dire que c’est lui la tête et moi les jambes. C’est réducteur. Mon intelligence peut faire la différence et son physique peut pallier mes dérobades. Il est passé maître dans l’art de trouver les bonnes trajectoires, les meilleurs angles et les appuis les plus sûrs. Quand nous partons reconnaître le terrain et ses pièges, il est vigilant au moindre détail, ces branchages qui gênent un dégagement ou ce talus herbeux qui incite à un coupable relâchement. Il repère infailliblement les signes trop évidents qui poussent à faire le mauvais choix. Je sais que le moment venu, il décidera exactement de la meilleure trace, de la trajectoire la plus sobre. S’il est confiant, c’est aussi parce qu’il a confiance en moi, certain de mon travail qui sera propre et efficace. Ce sont ces qualités qui font vraiment la différence. Les juges ne se trompent pas. Moi, je suis beaucoup plus intuitive, avec un rapport particulier avec ce qui m’entoure. Le rapport à la terre certainement. Je puise là ma force et ma détermination. Les qualités de mon père paraît-il ! Je n ai pas connu mon père. Il est quelque part en Amérique, retiré du circuit.

J’aime le contact de sa main lorsque cela devient imminent. Il se penche vers moi et ce que j’entends est bien loin du verbe, trop trivial. C’est une forme de communion. Nous savons qu’il y a devant nous un long chemin semé d’embûches qu’il faudra apprivoiser le plus vite possible. J’aime cette excitation qui nous gagne, cette tension attentive, cette crispation des muscles qui annoncent la montée de l’adrénaline. Sans doute aussi parce que nous allons ne faire qu’un, comme cet animal légendaire. Une unité qui ne veut pas s’appeler union. Il y a nous, l’espace et le temps. Uniquement nous, l’espace et le temps. Et nous évoluons comme une étincelle de vie entre le ciel et la terre. Je tourne en rond et ronge mon frein. Alors il me calme, toujours avec cette même prévenance, ce souci permanent de ne pas rompre le lien. L’air est chargé d’électricité et malgré la distance qui nous sépare je peux sentir l’océan. La chaleur d’hier est retombée. Il règne une tiédeur lourde et moite qui affole mes sens. Il faut que cela commence, je contiens difficilement mon envie de dévorer l’espace ouvert devant nous.

C’est parti. Il sera comptable de mes efforts le long des six kilomètres à parcourir. J’ai confiance, il a pris les rênes. Il y aura trente deux difficultés à surmonter. Aucune ne m’impressionne. Même les combinaisons les plus vicieuses ne peuvent altérer ma sérénité. Sous sa conduite, nous filons sur le chemin idéal, ce ruban magique qui se déroule entre le vert des arbres et le blanc du ciel, entre les colonnes de bois et le tapis forestier. Je hume les odeurs familières des sous-bois et des taillis tandis que j’escamote les peccadilles sensées ralentir notre course. Les rondins de bois sont une aimable plaisanterie. Je me moque des buttes et des passages de gué négociés au plus près. J’épouse sa volonté sans protester ni opposer de refus. Cette sensation de voler est grisante. Il y a toujours sa voix qui m’accompagne, avec des mots qui ne sont pas des mots, qui ne sont plus des mots mais des vecteurs d’émotion qui établissent une communication sur un plan différent. Nous sommes passés plus vite que tous les autres. Je le ressens ainsi. Son regard fixe le cap et je vais droit vers lui. Il n’y a pas l’épaisseur d’une ombre entre ce qu’il pense et ce que je fais. Je ressens cette plénitude qui nous envahissait avant. Avant l’accident. Cette impression que nous sommes intouchables. Invincibles. Je me sens belle et désirable. Il m’aime toujours de la même façon. A présent, j’en suis intimement convaincue. Rien n’a changé.

Je l’ai rêvé sur moi et le rêve est devenu réalité. Tout est mouvant autour de nous, confusion de couleurs, d’images et de sons. Nous sommes plus rapides que jamais. Je ne touche plus terre, tel Pégase quand il s’élançait dans l’azur, s’affranchissant de la gravité pour fouler les prairies célestes. Mon Bellérophon est là, tout près, ses mains fermes et souples rythmant mes foulées. Athéna n’a pas eu besoin de lui offrir une bride en or pour que je sois à lui. Pourquoi ne pas rejoindre l’Olympe? Il caresse mes flancs pour le dernier saut majeur. La piqûre d’un insecte contrarie mon appui. Trop court. Trop vite. Trop bas. La barre casse mon élan et, désarticulés, nous culbutons dans les buissons qui bordent l’obstacle. Je sens mes os se briser quand je cogne violemment de grosses pierres en contrebas. Je ne peux me relever! Où est-il ? Où est-il ? Je discerne une forme immobile dans l’ombre d’un fourré. C’est lui. Je voudrais m’élancer le rejoindre, mais je retombe pitoyablement, incapable de me redresser. Sauvez-le ! Laissez-moi mais sauvez-le.

Ah Zeus! Pourquoi t’acharnes-tu donc ainsi sur moi ?


M


  
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Réponses à ce message :
Onirian  Ecrire à Onirian

2008-09-04 10:05:45 

 Le clap final.Détails
Un homme sage (je ne saurai plus dire qui) a dit un jour, "La difference entre une histoire qui finit bien et une histoire qui finit mal, c'est simplement le moment où le réalisateur décide du clap final".
Je crois que j'aurai probablement préféré un clap dix lignes avant. C'est vrai quoi ! J'arrive, tranquille, je lis un super texte et vlan, me voilà tout déprimé !

Bon, ceci étant c'est un texte absolument magnifique. J'aime beaucoup ta façon de ne pas dire qui est qui. J'ai tour à tour pensé à un couple de danseurs, des conducteurs de rallye (pilote et co-pilote), puis danseurs à nouveau, sans que cela ne puisse jamais coller, avant de comprendre d'un coup au moment des "rènes".

Pense juste à corriger une petite faute de frappe "Je l’a rêvé".

--
Onirian, trop triste.

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2008-09-05 19:25:42 

 Commentaire Maedhros, exercice n°43Détails
Je vois avec plaisir que je n’ai pas été la seule à galérer avec cette consigne !
Je ne m’attendais pas du tout à ça ! Autant j’ai identifié le couple assez vite (volte et appuyer, c’est clair !), autant j’ai eu beaucoup plus de mal à savoir qui était qui et qui faisait quoi. Preuve que ton écriture ambiguë est une réussite...
Semblable à ta fière monture, tu as allègrement sauté par-dessus la consigne, car dans cette histoire de couple on peut difficilement dire que l’un des deux soit secondaire...
Tu décris avec brio ce lien intense, cette communion au-delà des mots (« nous évoluons comme une étincelle de vie entre le ciel et la terre », « il n’y a pas l’épaisseur d’une ombre entre ce qu’il pense et ce que je fais ») ; c’est le rêve accompli de tout cavalier, et qui sait, de tout cheval ? C’est le moment idéal pour lequel tant d’années d’effort sont nécessaires, et qui, s’il survient, se mesure en toutes petites minutes...
Sur le plan technique, tu décris le CCI (Concours Complet International) de Pau, qui comprend une épreuve de dressage, un parcours de cross et une épreuve de saut d’obstacle. En 2007 c’était la première fois que ce CCI était un 4 étoiles , c'est-à-dire une épreuve monstrueuse de niveau olympique ! On comprend bien que ton couple évolue à haut niveau, mais même là, l’épreuve de dressage d’un CCI ne comporte que des figures de basse école (appuyer, changement de pied isolé, allongements d’allures...) ; la haute école (piaffer, passage, pirouette au galop, changements de pied au temps...) est réservée au dressage pur.
De plus, pour le parcours de cross, c’est le cavalier seul qui fait la reconnaissance du parcours, à pied (comme pour le parcours d’obstacle, d’ailleurs), en général accompagné d’un coach.

Ta conception du cheval, dans ce récit, est totalement anthropomorphique. Pourquoi pas ? Qu’elle s’exprime comme une intellectuelle férue de mythologie ne me gêne pas ; mais à mon sens il manque un peu de charnel... d’animal ! Le cheval est un être profondément sensuel, pour qui le corps est le principal vecteur des émotions. Ainsi elle aurait pu parler de ses muscles, de la cession de la nuque ( en dressage surtout), de la salivation sur le mors, de la poussée des postérieurs, du gonflement des muscles du garrot, de l’engagement des postérieurs pour se remettre en équilibre, en particulier quand l’obstacle de cross se trouve en bas d’une longue descente au galop (l’horreur !), et que, si le cheval est trop sur les épaules, il ne pourra jamais faire l’effort de saut, de la sueur partagée, des deux coeurs qui battent vite, de la légèreté du cavalier sur la selle, du dialogue avec la main, de la caresse ( du bout du majeur à travers le gant blanc sur le garrot pendant le dressage), du contact plus ou moins appuyé des jambes, voire du toucher léger de l’éperon... Je ne te fais pas de reproche, je te donne des pistes pour ça ait l’air plus vécu.
Je ne parlerai pas de la fin, pendant laquelle j’ai touché du bois, croisé doigts et orteils etc... en me répétant que, pfui, c’est une fiction...
Une très jolie fiction quand même...
Narwa Roquen, avec les salutations hennissantes de Rolanya

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z653z  Ecrire à z653z

2008-09-10 10:38:12 

 Toujours aussi bienDétails
Les indices qui m'ont fait deviner :
"le manoir" et juste après "Le bac à fleurs n’était pas un problème malgré ses respectables proportions. Le trentième sur trente deux."

On dirait un magicien qui, avec les ondulations de sa baguette, fait lentement disparaître le brouillard ;)

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2008-11-16 15:55:32 

 Exercice 43 : Maedhros => CommentaireDétails
La construction qui garde longtemps cachée l’activité des protagonistes et la nature de l’accident est curieuse mais la nouvelle va probablement se terminer sur cette révélation.
Voyons voyons... Il s’agit d’un concours et il ne faut pas qu’il pleuve... Bizarrement, je parierais pour un concours hippique et le personnage qui parle serait une jument ! D’où la robe du début. En effet, il serait facile d’imaginer un couple d’humains. Hors ton suspens laisse présager qu’il ne s’agit pas de cela.
Belle description de l’adoration du narrateur pour l’homme, de la communion lors de la course.
Le choix de mots « ronge mon frein » et « il a pris les rênes » confirme mon intuition, même si ces expressions peuvent être utilisées métaphoriquement.
Manque un ptit mot au début : « Je NE le connais que trop bien ».
Sympa la fin avec la jument qui s’imagine en figure mythologique ! J'aime quand ça fait finit mal... Pis c'est romantique.

Est', en pleine lecture.

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