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  WA - Participation exercice n°63 (edit) Voir la page du message Afficher le message parent
De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Dimanche 28 juin 2009 à 20:30:22
Bon, un texte sombre... j'ai la bande-son sur laquelle il a été composé. Alors avant de commencer la lecture, appuyez sur PLAY
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NO WORLD FOR DEAD MAN



Je suis mort quand ma mère s’est mise à pleurer. Elle a pleuré en silence devant son miroir. Tout ce qui aurait fait de moi quelqu’un d’autre était enchâssé au coeur des larmes qui n’en finissaient pas de glisser sur ses joues. A la fin, il ne resta rien. Je suis mort quand mère s’est mise à pleurer. Lorsque les perles oblongues se sont taries, son visage est devenu dur et différent. Elle n’a pas reconnu la femme dans le miroir. J’ai dit que j’étais mort mais je n’étais pas encore né.

J’ai grandi. Ma taille n’était pas la bonne, ni la couleur de mes yeux. J’ai regardé ma mère se faner. Nous nous parlions peu. Elle voyait en moi l’ombre du passé, la silhouette d’un soldat impérial. Le soir elle priait devant le petit autel familial. Elle croyait que je dormais. Moi, je la regardais. C’est ce dont je me souviens le mieux. La lueur de la bougie qu’elle allumait d’une main tremblante. La façon dont ses lèvres bougeaient. A la fin, invariablement, elle se penchait vers moi. Je pouvais sentir les odeurs de l’alcool et des hommes. Jamais je n’ai ouvert les yeux, jamais elle ne m’embrassa. J’ai grandi. Je n’ai pas le souvenir d’avoir souffert mais ma peau est un livre où tout est écrit. Sur mon dos et mon ventre, mes jambes et mes joues. Cependant je ne comprends pas ce qui est marqué à l’encre pâle.

Puis vint le jour où je me suis retrouvé debout devant un trou fraîchement creusé, avec pour seule compagnie les deux ivrognes qui attendaient pour le combler. Dans le lointain, le canon tonnait sourdement, en longues séries, faisant trembler le sol sous mes pieds. Au fond du trou, il y avait une boîte de bois grossier qui contenait un corps. J’ai fait un signe de la tête et à grandes pelletées, ils ont refermé la fosse avec ce qui gisait dedans. J’ai regardé les mottes s’écraser sur le couvercle de bois et j’ai soudain pensé qu’il ne tiendrait pas longtemps. Quand ce fut fini, ils tassèrent rapidement la terre meuble et me laissèrent là. J’ai attendu jusqu’à ce que la lumière du jour eut décliné. Cela me sembla suffisant. J’ai quitté le cimetière et je n’y suis plus revenu.

Le lendemain je me suis engagé dans une brigade d’irréguliers, des brutes, des bandits de grands chemins. Désignés pour les opérations spéciales et les mauvais coups. Quelques fois, après avoir nettoyé le terrain, je regarde passer les régiments des troupes régulières qui paradent avec leurs airs bravaches. Mais lorsqu’ils parviennent à notre hauteur, leurs regards se font subitement fuyants, évitant soigneusement les corps que nous avons laissés là où ils sont tombés. Les officiers affichent ouvertement un air dégoûté. J’observe particulièrement les plus âgés. Mon père est peut-être l’un d’entre eux. Je porte ce même uniforme qui effrayait tellement ma mère. Les éclairs d’acier jumeaux de mon col font trembler les résistants. Sans doute plus que la baïonnette au bout de mon fusil d’assaut.

Quand je lève les yeux vers le ciel, j’essaie d’imaginer le monde où règne l’Empereur. Jamais je n’irai dans les étoiles. Peu m’importe que la guerre ravage les mondes et la galaxie. Je ne suis pas assez instruit pour en comprendre les causes et les conséquences. Il me suffit de fermer les paupières pour ne plus avoir à y penser. Quand je fais mon boulot, il n’y a ni ami ni ennemi. Juste des silhouettes confuses qui se dressent sur une route où je dois progresser. Une route toute droite qui file devant, sans halte ni virage. J’obéis aux ordres et ils sont sans appel. Pas de quartier, pas de prisonnier. Derrière les lignes ennemies, la moindre erreur est fatale. Il n’y aura aucun tribunal pour nous. Juste un mur, un peloton, un trou dans la terre et la chaux vive déversée sur les morts et les vivants. La guerre sera longue. J’ai tout mon temps. Ne suis-je pas déjà mort ?

Hier, nous avons fondu sur un petit village à l’écart des zones de combat. Très à l’écart. Un petit village tranquille au milieu de grands champs de blé attendant la moisson. Quelques maisons tranquillement alignées de part et d’autre de la grand route et un temple oecuménique au centre du pentacle de gazon habituel. Ce furent les enfants qui nous ont aperçus les premiers. Ils se sont figés au milieu du jeu, leurs armes de plastique se sont abaissées vers le sol. Pourquoi je m’embarrasse de ces détails? Pourquoi faut-il que je saisisse tous ces petits riens qui n’ont aucun sens? Je ne sais pas. Peut-être parce que je ne parle pas beaucoup. Taciturne. C’est le mot qu’avait employé le lieutenant. J’emmagasine des images et je les oublie aussitôt.

J’ai tiré ma lame et avec les autres, je me suis avancé entre les ombres de la fin d’après-midi. Il n’y eut aucun cri. Un peu plus tard, j’ai enfoncé d’un coup d’épaule la porte du temple. L’obscurité bleutée fut éventrée par la brusque lumière qui embrasa l’autel. Devant, il y avait une femme qui se retourna vivement en poussant un hoquet de frayeur. Quand elle me vit, surgissant du soleil rouge, elle s’affaissa lentement sur les dalles de pierre, sa robe déployée comme une corolle autour d’elle. Une prêtresse. Jeune. Elle me regarda avancer vers elle, ses yeux rivés aux miens. A quoi pensa-t-elle quand je l’ai saisie par le cou? A quoi pensa-t-elle quand je l’ai forcée à se redresser vers moi? A-t-elle vu sa mort dans mes yeux? Elle n’a rien dit car il n’y avait rien à dire. Les lignes de son visage baigné par les derniers feux de l’astre couchant, m’ont rappelé un autre visage dont les lignes se mélangent aux miennes. Elle respirait profondément comme pour mieux se sentir une dernière fois infiniment vivante. Pour moi, il n’y eut aucune magie. Aucune présence divine contrairement à ce que m’avaient longuement décrit certains camarades. Non, c’était juste un endroit sombre et hors du temps, des symboles creux et un endroit où une femme sans nom allait mourir. Elle ne s’est pas débattue quand je l’ai repoussée vers l’autel. Les reins contre la pierre, elle a soudain compris que la mort viendrait après. Elle a étouffé un hurlement en plaquant une main contre sa bouche. Au-dessus de sa tête, les dieux qu’elle avait promis de servir sont restés impassibles sur leurs piédestaux de marbre. J’ai ouvert une parenthèse pour permettre à mon corps d’étancher ses besoins. Mais je n’étais plus vraiment là quand ses pupilles se sont légèrement dilatées et quand j’ai soufflé bestialement dans son cou. J’ai noté, c’est tout. Une fois fini, j’ai essuyé la baïonnette sur les vêtements déchirés près de l’autel et je suis sorti du temple sans un regard en arrière.

Deux maraudeurs y sont entrés. J’ai entendu leurs exclamations dégoûtées. L’un d’eux a même vomi. J’ai fait mon boulot. Ils n’oublieront jamais. C’était hier. Une journée ordinaire. Une de plus sur la route. La même que la précédente, la suivante sera identique. Je n’attends rien. Le soir, nous avons bouffé dans la maison du bourgmestre. Je suis resté à l’écart. Je ne suis pas tout à fait accepté comme l’un des leurs. Nous sommes tous des sangs mêlés mais je reste froid et silencieux. Ils m’appellent aussi le Taciturne. J’ai avalé les saucisses et bu la bière locale. Rapidement. Ils se sont amusés ensuite avec quelques prisonnières. Je les ai regardés tout en aiguisant le fil de la lame brillante de mon poignard. Ca a duré jusqu’à ce que les cris et les rires finissent par se taire. J’ai tourné la tête et j’ai fermé les yeux. La réalité s’est arrêtée pour trois heures. Mes sommeils sont sans rêve. Juste des trous noirs qui se referment sur moi. Quand j’ai senti la botte de la sentinelle sur ma jambe, c’était à mon tour de monter la garde. J’ai repoussé la couverture, ramassé mon arme et je me suis levé. La sentinelle m’a passé les codes et le casque. Dehors, la nuit était claire et calme.

Le front est plus au nord. A près de trois cents kilomètres. Avant l’aube, nous partirons. Une autre mission attend. Des ordres descendus du ciel. Cela fait vingt cinq ans ce matin. Je ne peux oublier. Ce n’est pas le jour où je suis né. C’est celui où ma mère s’est trouvée au mauvais endroit au mauvais moment. Elle me l’a raconté chaque année pour m’expliquer qu’on ne fêterait justement pas mon anniversaire. Elle n’omettait aucun détail. La violence crue du viol. La honte et l’humiliation. Impuissante à transgresser ses croyances, elle n’a pu se résoudre à mettre fin à ses jours. Tout aurait été plus simple. Elle s’est contentée de fuir. De placer le plus de distance entre elle et son passé. Mais elle emmenait en elle quelque chose qui le lui rappellerait toujours. Moi. Quand elle a compris qu’elle était enceinte, elle a pleuré. Ce jour là, je suis mort.


M


  
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Réponses à ce message :
Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2009-06-29 08:46:13 

 Pu**** de m****Détails
Sacré texte!
Désolée pour les gros mots mais c'est ceux qui me sont venus à la fin de la lecture.
Sacrée histoire, diablement bien écrite, comme si elle ne pouvait pas être écrite autrement. Le premier paragraphe particulièrement est d'une poésie incroyable. Je suis toujours et continue à être sidérée par ton écriture, qui nous touche chaque fois en plein coeur.

Eh beh....

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Maeglin  Ecrire à Maeglin

2009-07-01 09:48:13 

 ChouetteDétails
Très fan de cette histoire et du style qui lui colle à merveille. C’est ce jour là que je suis mort: ça vous pose un niveau!
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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2009-07-03 22:41:44 

 Commentaire Maedhros, exercice n°63Détails
C'est un texte effectivement très noir, un puzzle de ténèbres où chaque pièce prend obscurément sa place, et quand la lumière apparaît, elle apporte la mort. La musique qui l'accompagne est carrément sépulcrale: à ne pas écouter un soir de déprime!
L'histoire est bien construite, bien menée. Le titre fait une fois de plus un clin d'oeil au cinéma... Le début est très fort, la fin est excellente, et le texte aussi dépourvu d'espoir ( ce qui est différent de désespéré) que son héros.

Mais j'ai quelques critiques.
D'abord tu dis que ton héros n'est pas très cultivé. Mais il s'exprime drôlement bien, tiens... comme Maedhros! "les perles oblongues", "oecuménique" "déployée comme une corolle", "les derniers feux de l'astre couchant"... Même "boulot" et "bouffer" ne suffisent pas à donner le change...

Ensuite, sur le plan de la cohérence, il me semble que cet individu a tout pour être, sinon psychotique, du moins sérieusemenr border-line. Or il perçoit très bien les autres: "les éclairs d'acier... font trembler les résistants", "un petit village tranquille" ( avec la répétition de tranquillement 2 lignes plus bas), "un hoquet de frayeur", "elle a soudain compris que la mort viendrait après", "les dieux qu'elle avait promis...", "bestialement".
Tu as dû t'en rendre compte, puisque tu lui fais dire qu'il saisit tous ces petits riens qui n'ont aucun sens... mais auxquels il donne un sens tout de même...


Je n'ai pas bien compris "ce qui est marqué à l''encre pâle": des cicatrices? Maltraitance ou automutilation?

Autre point: qu'est ce qui motive ton héros? Il est indifférent à la douleur des autres et à leur mort, mais il n'en tire même pas plaisir. Il y a des métiers moins fatigants. Pourquoi il continue? Pour être avec des gens qui lui ressemblent? Mais il reste à l'écart et n'a rien à leur dire. Je pense qu'il y a quelque chose à creuser, ou du moins à préciser.

Allez, je t'ai un peu embêté, je le reconnais. Bien sûr que c'est un bon texte, juste un peu peut-être jeté là... Si tu as cinq minutes, reviens-y.
Est-ce que la consigne t'a gêné? Tu ne t'es pourtant jamais privé pour les enfreindre...
Narwa Roquen, qui aime bien n'est pas toujours aimable...

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2009-10-28 13:33:58 

 Exercice 63 : Maedhros => CommentaireDétails
Bon texte, compliments !
Le premier paragraphe est particulièrement bien écrit. Je n’ai pas compris tout de suite le contexte sci-fi. Il est suggéré par petites touches. Le gamin est un métisse d’extra-terrestre ?
Ton héros est effrayant, mort émotionnellement, incapable d’éprouver des sentiments ou même, apparemment, de la douleur physique. Il ne lui est même pas permis d'éprouver en rêve. Brrr !
On comprend assez vite qu’il est le fruit d’un viol de guerre. Et le cercle infernal se met en place; le héros reproduit fidèlement la violence dont il a été l’objet.
Bien vu la scène de la mort de la mère, transformée en un simple corps, sans nom, sans titre. L'état d’esprit du héros est parfaitement décrit, dans toute son horrible vacuité.
Quelques concordances de temps me heurtent :
« Ce furent les enfants qui nous ont aperçus les premiers. » et « A quoi pensa-t-elle quand je l’ai saisie par le cou? »
Chouette, la fin qui boucle sur le début.

Est', patraque et mal lunée.

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