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De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Samedi 31 juillet 2010 à 23:37:57
5 – CAVERNA OBSCURA


J’ai fait des recherches. J’ai lu des livres que personne ne réclame, délaissés sur les étagères du fond de certaines bibliothèques. J’ai lu des centaines de pages, dévorant les paragraphes fébrilement, annotant une phrase par-ci, entourant une expression par là. J’ai lancé des moteurs de recherches pirates sur la toile, des moteurs développés par de noirs magiciens bien plus puissants que les meilleurs white hats d’Echelon. J’ai trouvé des pages ignorées, cachées dans des serveurs fantômes blottis à l’écart des avenues balisées. Et puis, alors que je perdais espoir, j’ai aperçu un fil ténu qui dépassait d’une modeste pelote, un tout petit fil sur lequel j’ai commencé de tirer tout doucement, prudemment, pour éviter qu’il ne casse et qu’il me faille tout reprendre à zéro. Ce fil d’Ariane m’a conduit vers des lieux obscurs et incertains où les ténèbres étaient aussi pesantes que des chapes de plomb.

Louis s’est inquiété pour moi, me voyant prisonnier d’une obsession incompréhensible pour lui. Je n’avais plus d’appétit, me contentant de me gaver de tasses de thé et de gâteaux anglais, de poignées de raisins secs et de rasades de tequila glacée. Je me suis fait porté pâle auprès des RH de la firme.

J’ai effectué un rapide aller-retour dans les Alpes suisses. Après la gare, j’ai loué une voiture. Bientôt, j’ai abandonné le réseau autoroutier puis ensuite le réseau secondaire. J’ai bifurqué sur une petite route de montagne, déserte, étroite et tortueuse, juste assez large pour laisser passer un seul véhicule. J’ai quitté le bitume en mauvais état pour suivre un chemin forestier à peine carrossable qui m’a emporté toujours plus loin du monde. Il s’est transformé peu à peu en une petite piste escaladant le flanc escarpé d’une haute montagne qui se dressait tout au fond d’une étroite vallée. J’ai arrêté mon 4x4 là où la puissance du moteur et les quatre roues motrices ne me furent plus d’aucune utilité. J’ai poursuivi à pied une sente qui serpentait entre les mélèzes, me repérant grâce à quelques discrètes marques placées de loin en loin, compréhensibles par les seuls initiés. Les membres de ma famille. J’ai enfin atteint une paroi verticale de roche noire qui disparaissait peu à peu dans le brouillard remontant de la vallée. Un mur infranchissable pour tous sauf pour moi. J’ai enfoncé sans hésiter ma main au fond d’une étroite anfractuosité à peine discernable. Quand j’ai touché la pierre, j’ai poussé avec trois de mes doigts tendus. Je suis revenu pour découvrir l’ouverture qui s’était révélée, une sorte de boyau s’enfonçant sous la montagne.

Au début, j’ai progressé difficilement, me contorsionnant pour avancer puis le couloir s’est progressivement élargi. Il y régnait une luminosité blafarde qui ne semblait émaner d’aucune source visible. Après un coude et quelques pas supplémentaires, une grille aux épais barreaux d’acier barrait le couloir. J’ai plaqué la paume de ma main sur la surface de métal au centre de la grille. Sans bruit, celle-ci s’est escamotée dans le plafond et j’ai emprunté un couloir tapissé de béton. Des dalles faiblement luminescentes s’illuminaient au fur et à mesure de ma progression pour s’éteindre après mon passage. Au bout d’une bonne dizaine de minutes, j’ai pénétré dans un ascenseur qui, reconnaissant l’empreinte familiale, a plongé dans les entrailles de la montagne. Mon estomac se crispa sous l’effet de la chute presque libre. Avec un sifflement pneumatique et fatigué, la cabine s’est finalement immobilisée.

Je me suis retrouvé devant une ultime porte blindée que j’ai déverrouillée une nouvelle fois sans difficulté. La grotte alpine est l’une des plus vastes de la famille, encombrée d’armoires alignées en longues files interminables, d’innombrables oeuvres d’art accumulées tout au long des siècles écoulées, des kilomètres de rayonnages supportant livres et incunables à la valeur inestimable... Bref, vous savez le bien, toutes ces choses dont nos familles sont les gardiennes consacrées.


J’ai interrogé la base de données familiale à partir d’une console autonome à l’aide d’une requête construite avec quelques mots clés. Sur l’écran, le sablier s’est figé de longues secondes malgré la puissance du processeur. Avec un bip caractéristique, le résultat s’est affiché. Trois lignes. Trois ouvrages censés n’avoir jamais existé. Et trois infos topographiques pour les localiser dans la caverne.

Le premier était constitué de plusieurs rouleaux de parchemin prélevés dans la bibliothèque d’Alexandrie avant que feu romain ne la détruise.

Le second était le manuscrit d’un érudit italien. Les thèses qu’il soutenait furent jugées contraires au dogme et un tribunal ecclésiastique les envoya, lui et ses écrits, droit sur un bûcher de l’Inquisition. L’importance de ses travaux le condamna à être brûlé au fond d’une arrière-cour aveugle du Château Saint-Ange, sous la surveillance des gardes pontificaux. Mais lorsque les flammes avides se sont élevées, nul ne s’aperçut qu’il manquait une de ses oeuvres. Elle avait été soustraite du sac du bourreau le matin même de la cérémonie d’autodafé.

Le dernier n’avait rien d’extraordinaire. Un lecteur non averti n’aurait sans doute jamais deviné qu’il tenait entre les mains un trésor, que dis-je, une clé philosophale ouvrant des portails insoupçonnés. Il avait écrit par un jésuite passionné, un fou visionnaire assoiffé de vérité, vers la fin du dix-neuvième siècle. Ce n’était même pas un livre, trois centaines de pages maintenues ensemble par un simple élastique, couvertes de pattes de mouches alignées en rangs serrés et nerveux. Mais elles contenaient tant de détails sur la véritable histoire de nos familles et certains de leurs desseins les plus secrets que celles-ci avaient décidé que leur auteur n’irait pas plus avant. Elles ont cependant pris garde à ne pas détruire également son travail. Ma famille, chargée de cette basse besogne, obtint en contre-partie le privilège de conserver précieusement et hors d’atteinte cet inestimable témoignage.

Dans le TGV qui me ramenait à Pris, je suis demeuré pensif. Dans la poche intérieure de ma veste, presque sur mon coeur, sur une feuille pliée en quatre, j’avais griffonné quelques précieuses informations. J’avais tout laissé dormir sous la montagne car rien ne sort jamais des cavernes. Une autre poche zippée renfermait le masque bien sûr. Car comme mon amie me l’avait prédit, je ne pouvais plus m’en séparer. J’en savais plus sur le masque, plus sur ma famille et paradoxalement plus sur ma propre existence. J’imagine que chacun d’entre vous possède ce genre de secret qui le rattache à sa lignée plus étroitement qu’une chaîne d’or tressé. J’étais tellement perdu dans mes réflexions que je ne l’ai même pas remarquée. Mais elle était assise quelques fauteuils plus loin. Son reflet dans la vitre s’était gravé dans mon inconscient Je ne m’en souvins que bien plus tard.

Dès mon retour, j’ai demandé à Louis de veiller à ce que je ne sois pas dérangé. Ce commandement ne souffrait d’aucune exception. Pas même lui. Je savais que je pouvais compter sur sa loyauté mais j’ai néanmoins tourné la clé et condamné la porte. Dans le cabinet des curiosités, le tableau avait encore changé. Mon double ne souriait plus ou précisément son sourire s’était crispé. Le ciel était vide derrière son épaule et on pouvait deviner qu’un personnage encore indéfinissable s’apprêtait à pénétrer le cadre. C’était encore juste une présence évanescente, une ombre qui s’amassait sur la droite de mon personnage. Ma tête dans le tableau semblait être légèrement tournée vers cette présomption d’apparition. Etait-ce pour cela que mon double grimaçait plus qu’il ne souriait? L’avait-il reconnue ?

J’ai empoigné le masque et je l’ai longuement soupesé tout en réfléchissant. Tenais-je le fléau de ma famille ou son symbole le plus abouti? Comme vous, je ne me souviens pas de mes propres parents. Les pensions, les écoles privées et éloignées, les études, tous ces changements fréquents et imprévisibles... cette forme d’éducation qui nous éloigne les uns des autres comme ces galaxies qui s’enfuient les unes des autres depuis l’explosion inflationnaire. Même en fouillant dans mon plus lointain passé, je ne retrouve aucun souvenir de mon père ou de ma mère. Finalement, celui qui pourrait passer pour mon plus proche parent, c’est Louis. Il a toujours été à mes côtés aussi loin que je me souvienne. Il était sur les bancs de la même école que moi. Il était en Suisse quand j’ai changé de pensionnat. Il était mon défenseur rugueux quand j’étais le capitaine de l’équipe de foot de l’université américaine. Oui, Louis est sans doute l’équivalent d’un frère, un frère attentionné mais déférent

Mais n’y tenant plus, j’ai mis le masque en soupirant de contentement. Le junkie qui se fait son fix n’aurait pas éprouvé plus de félicité.

M


  
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