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De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Mercredi 8 septembre 2010 à 12:28:28
Un texte court et qui prend des libertés avec la consigne...

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Même une pendule cassée est juste deux fois par jour



Huit heures. La pendule croassa péniblement huit borborygmes. Depuis bien longtemps, le synthétiseur de sons qu’elle abritait dans son ventre rebondi avait rendu l’âme. Il fixa cette maudite pendule. Huit heures. Les aiguilles étaient bien à leur place. La petite pointait gaillardement vers le 8 tandis que la grande paresseuse, légèrement faussée, tutoyait le 12. Le mécanisme refusait de s’avouer vaincu et malgré tout ce qui s’était passé, son tic-tac égrenait régulièrement la mesure du temps. Toutefois, l’or qui recouvrait naguère les chiffres romains s’écaillait lamentablement, révélant un gris mat et plombé. Un chiffre apparaissait dans une petite fenêtre ouverte entre deux jalons. Sept pour sept septembre. Le premier jour de la fin du monde n’était pas encore achevé. Il secoua la tête avec désespoir. Huit heures. Oui, il était huit heures. Mais cela ne répondait pas à sa question. Il s’assit, le dos appuyé contre le mur qui faisait face à celui où était accrochée la pendule. Ne pas se laisser aller. Surtout pas. Nonchalamment, la fine aiguille des secondes continuait sa course sans faiblir.

Il avait placé le porte-pastille entre ses jambes tendues. La petite boîte était toute blanche, toute simple, toute légère, à peine cabossée. Il savait ce qu’elle contenait. Une petite gélule au ton pastel. A la couleur bleue appétissante. C’était fait exprès. Il connaissait par coeur sa composition et sa posologie. N’importe qui s’en serait sorti sans difficulté. Le gouvernement territorial avait largement informé la population depuis que les signes précurseurs de la crise avaient été détectés. Le principe de précaution était rentré depuis belle lurette dans les moeurs et plus personne n’en contestait le bien-fondé. Tous les médias, radios, télévisions, internet, avaient participé activement aux gigantesques campagnes d’information payées sur les fonds publics.

Il savait tout ça. N’avait-il pas été justement appointé par un organisme subventionné par les fonds européens pour organiser des sessions de formation de formateurs. Ensuite, ces formateurs, essaimant dans toute la région, avaient décliné leur tout nouveau savoir dans les associations de quartiers, les préfectures, les collectivités, les entreprises, bref dans toutes les organisations socio-économiques, grandes ou petites. Aucune n’était passée au travers des mailles du filet.

Il fallait simplement avaler une petite gélule. Ce n’était pas une question d’eau. Quand il avait repris conscience, il avait constaté les dégâts. Quand il avait ouvert le robinet de la salle d’eau à l’autre bout du couloir, le jet avait donné des signes évidents de faiblesse. En soulevant le capot des réservoirs, il s’était aperçu qu’une fuite les vidait irrémédiablement. Il avait réussi à récupérer de justesse quelques litres qu’il avait transvasés dans un bidon de plastique. Non, avaler la gélule n’était pas en soi un problème. Et puis, en imaginant à l’extrême qu’il n’y avait pas d’eau, il se serait débrouillé pour l’ingurgiter, cette minuscule pastille. Il avait la technique. En fait le problème, c’est qu’il n’y avait qu’une gélule. Là résidait le casse-tête qu’il ne parvenait pas à résoudre. Il y avait une seule gélule dans la boîte.

S’il y en avait eu deux, cela n’aurait pas été pareil. Pas du tout. Deux, c’était le nombre magique. Deux, c’était le nombre parfait. Divisible. Qui donnait prise sur le concret. Deux. Comme le ying et le yang, le bien et le mal, le oui et le non. Oui, deux, c’était le nombre d’origine, le nombre qui attestait que rien n’était compromis. Avec deux pastilles, il maîtrisait le temps. Il était sauvé. Avec deux pastilles. Mais avec une seule, c’était le chaos. Une pastille signifiait que le cycle avait commencé. Que rien ne pouvait plus être comme avant. Un était un nombre funeste. Le dernier des Mohicans. C’était un nombre disgracieux, déséquilibré, impair en fait. Avec une pastille, là, au pied de cette pendule, il était mort.

Non, c’était un peu plus compliqué que ça. Il était vivant donc il était mort s’il ne trouvait pas la réponse avant dix minutes. La trotteuse le narguait en poursuivant sa promenade autour du cadran.

Ce n’était pas non plus une question de couleur. Il connaissait le bon ordre. D’abord la jaune. Puis la bleue. C’était écrit en tout petits mais lisibles caractères sur le fond de la boîte. En plus, il y avait deux disques sur le couvercle. Un jaune et un bleu. A l’intérieur de chaque disque était peint en noir un chiffre très voyant. Dans le jaune, le numéro un. Dans le bleu, le numéro deux. Forcément.

Quand il avait rouvert les yeux, il avait exulté. Il avait perdu connaissance bien sûr, pendant un laps de temps qu’il lui avait été impossible de déterminer, mais il était bel et bien vivant. Le tremblement de terre l’avait drôlement secoué. Les monstrueuses vagues telluriques venues d’en dessous l’avaient fait valdinguer comme un pantin de son désarticulé. Ses derniers souvenirs avaient été les lumières qui s’éteignaient d’un coup comme on souffle une chandelle, le sol qui s’était mis à onduler frénétiquement sous ses pieds et le violent coup de poing asséné dans le noir qui l’avait plongé dans l’oubli. Après, il ne se souvenait de rien.

Son abri avait souffert plus qu’il ne l’avait prévu. Les dégâts étaient sévères. Une partie du tunnel d’accès menant au puits s’était effondrée et quelques jours de travail seraient nécessaires pour dégager les gravats et accéder au puits proprement dit afin de rejoindre la surface. Les générateurs étaient silencieux, projetés hors de leurs berceaux et fracassés, définitivement hors service si bien que l’éclairage de secours, alimenté par quelques batteries, ne durerait pas longtemps. Il avait estimé qu’il pourrait tenir une dizaine de jours en se rationnant raisonnablement. Le temps lui était compté mais il l’avait tout d’abord jugé suffisant. Jusqu’à ce qu’il s’aperçoive du reste.

Selon les statistiques qui circulaient sous le manteau avant le déclenchement de la guerre, il y avait une chance sur deux de rester en vie après que les missiles aient frappé le sol. Certains chanceux et certains privilégiés avaient été regroupés dans des bunkers souterrains ultra-sécurisés, creusés au coeur des plus hautes montagnes où ils étaient assurés de survivre aux frappes extra-terrestres. Mais les délais avaient été si courts que seule une infime partie de la population avait pu ainsi être protégée. Il suffisait d’être soit très riche soit l’heureux détenteur d’un ticket gagnant des loteries de fin du monde mises en place pour éviter que les manifestations populaires ne plongent les sociétés dans le chaos trop rapidement.

A tous les autres, enfin à tous ceux qui auraient survécu aux frappes nucléaires, aux frappes incendiaires et à toute la panoplie destructrice des fanatiques d’outre espace, les petites boîtes blanches avaient été distribuées. Les deux gélules qu’elles contenaient renfermaient un cocktail inédit de molécules surpuissantes capables de mettre en échec toutes les armes biologiques développées par les laboratoires de guerre des conglomérats martiens rebelles. Elles protégeaient également des terribles radiations et retombées atomiques. La seule information qu’avaient passée sous silence le gouvernement central et les gouvernements locaux, c’était que les laboratoires civils et militaires n’avaient pas pu réunir assez de principes actifs pour produire suffisamment de doses pour les onze milliards d’individus que comptait la population humaine, modulo les quelques centaines de milliers d’élus abrités au fond des mines. En conséquence, un nombre non négligeable, voire très conséquent de gélules n’étaient en fait que des placebo. Si tu le crois, le miracle peut avoir lieu.

C’était un risque à courir et au fond peut-être, l’espoir que cet holocauste inévitable offrirait quelques dizaines d’années supplémentaires à la Terre moribonde qui n’arrivait plus à subvenir à toutes ces bouches qui réclamaient toujours plus. Un mal pour un bien en quelque sorte. Une cure d’amaigrissement. D’ailleurs assez sélective mais qui s’en plaindrait ?

Ses fonctions et ses relations, même si elles avaient été impuissantes à lui fournir le précieux sésame pour obtenir une place dans un bunker, lui avaient néanmoins attribué une boîte dont les gélules n’étaient pas des placebo mais bien des principes actifs. Quand les sirènes avaient entonné leurs lugubres plaintes, c’était la nuit de ce côté-ci du globe. Heureusement, il était un homme méticuleux et organisé. Il avait étudié de longues heures toutes les solutions envisageables. Les autoroutes seraient bondées et saturées et constitueraient vite des nasses mortelles. Les caves et le métro étaient également des pièges à éviter. Alors, il avait mis la main sur de très vieux plans de la ville et avait réussi à dénicher un endroit qui lui était apparu idéal. C’était un ancien puits creusé sous le nouveau théâtre. Un puits occulté et oublié depuis qu’il avait été fermé quelques vingt années en arrière.

Il avait été repérer les lieux discrètement. Tout était poussiéreux mais la poussière était propre et recluse. L’ascenseur ne marchait plus mais l’étroit et vertigineux escalier en colimaçon demeurait solide. Pour le reste, tout s’était remis à fonctionner quand il avait relancé les générateurs géothermiques. Du matériel allemand bien sûr. Il avait purgé les circuits et reconstitué un petit stock de vivres et d’eau. Il fallait survivre aux bombardements et aux jours immédiatement suivants. Il avait travaillé plusieurs semaines sans se faire remarquer. Un soir, tout fut prêt à l’accueillir quand la guerre éclaterait.

Et ce moment était arrivé. Entre le six et le sept septembre. Cette nuit-là, il avait rejoint le théâtre à pied, les mains dans les poches, fendant les cohortes automobiles qui fuyaient au pas vers les autoroutes déjà saturées et les piétons qui se pressaient affolés pour gagner les abris municipaux. Il ne les avait pas enviés. Leur taux de survie à H+10 minutes était pitoyable. Il s’était félicité par contre de n’avoir ni femme ni enfant qui l’auraient inutilement encombré. A ses yeux, la ville de province se vidait de ses habitants comme le sang s’échappe du corps d’un agonisant par de multiples plaies.

Selon les estimations officielles, tant que les sirènes hurleraient à la mort, il n’y avait à redouter aucun danger imminent. Elles avertissaient que les diplomates et les négociateurs n’avaient pas réussi à trouver un compromis acceptable par les deux belligérants et par conséquent, que la flotte martienne avait commencé le bombardement à partir d’une altitude suborbitale compatible.

En revanche, dès qu’elles se tairaient, démarrerait alors le compte à rebours de la fin du monde. Il durerait quinze minutes. Le temps que mettraient les missiles à descendre des nuages vers la surface. Cela signifiait aussi qu’ils arrivaient droit sur vous !

Il jeta un nouveau coup d’oeil vers la pendule. Elle indiquait huit heures cinq. Il ne disposait plus que cinq petites minutes. Il ne se donna pas la peine de consulter son chronographe ultra perfectionné qu’il portait au poignet et qui marquait toujours minuit vingt cinq. L’heure à laquelle il s’était arrêté de fonctionner. Peu après avoir repris ses esprits, il avait découvert horrifié son verre minéral brisé et sa coque enfoncée. Une autre conséquence du tremblement de terre. Le seul instrument de mesure du temps dans tout l’abri souterrain encore en état de marche était cette pendule antédiluvienne dont il avait changé les piles sans s’imaginer un seul instant qu’elle serait la source de son insupportable supplice.

Il s’en voulut rétrospectivement d’avoir sacrifié à la mode en vogue pour assouvir ses pulsions sexuelles. Pour complaire à ses conquêtes, il avait comme beaucoup d’hommes, renoncé à toute pilosité corporelle et ce, de façon définitive. Ah, qu’aurait-il donné en cet instant pour pouvoir caresser une barbe naissante! Mais non, son menton et ses joues étaient doux et glabres, aussi lisses que les fesses d’un nourrisson.

Il se revoyait gober la pilule jaune dès qu’il avait entendu chanter les sirènes. Il avait scrupuleusement respecté la posologie. La première pilule devait être prise au moment précis où retentiraient les sirènes. Il avait posé la gélule sur le bout de sa langue et avait bu un verre d’eau. Il était pile minuit. Ensuite, sans se presser, il avait rejoint le théâtre distant de quelques centaines de mètres à peine de son domicile.

Et maintenant, il avait cinq minutes pour décider s’il devait avaler la pilule bleue. Car sur ce point, la posologie était formelle. La pilule bleue devait être prise huit heures après la jaune, avec une marge de plus ou moins dix minutes pour que la séquence complète, c’est à dire l’ingestion des deux gélules, garantisse une immunité optimale. Ce délai passé, le degré de protection se dégradait de façon exponentielle. Et si la gélule bleue était avalée plus de dix-huit heures après la jaune, elle devenait un poison mortel qui emportait sa victime au bout d’une longue et douloureuse agonie.

Trois choix s’offraient donc à lui.

Il avait en effet écarté la possibilité de rester là et attendre la mort dans le silence et les ténèbres. Trop terrifiant.

S’il n’ingurgitait pas la gélule, il serait exposé aux radiations ou aux armes biologiques encore actives lorsqu’il remonterait à la surface. Neuf chances sur dix selon les autorités car les fanatiques martiens avaient juré d’employer tous les moyens pour éradiquer leurs ennemis de la surface de la Terre. S’il ingurgitait cette foutue gélule, il avait une chance sur deux de périr dans d’atroces souffrances. En fait, toutes choses étant égales par ailleurs, il avait une chance sur trois de réchapper à une mort plus ou moins lente. C’était bien peu à ses yeux. Et cela le rendait fou.

Les termes de ce problème tournaient inlassablement dans sa tête. Il essaya une nouvelle fois de faire le vide et de réfléchir calmement. Mais c’était inutile car son esprit était balayé par les vents furieux du chaos et de la confusion. A bien y regarder, la question était pourtant des plus simples : était-il huit heures du matin ou huit heures du soir ?



M


  
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Réponses à ce message :
3 WA 81 - Commentaire Maedhros. - Onirian (Mer 29 sep 2010 à 14:11)
3 Commentaire Maedhros,exercice n°81 - Narwa Roquen (Dim 12 sep 2010 à 22:07)
       4 Pause au logis - z653z (Lun 25 oct 2010 à 16:12)


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