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De : Narwa Roquen Date : Samedi 18 decembre 2010 à 22:13:32 | ||
Monsieur, Votre candidature pour le concours de « L’homme le plus chanceux du monde » a bien été examinée. J’ai le plaisir de vous informer que vous faites partie des heureux sélectionnés. Votre chance ne se dément pas ! Vous êtes convié le 13 septembre prochain au « Chance Club », 13 Marple Street à Londres. Au cours de cette soirée conviviale sera désigné le lauréat du concours. Dans l’attente de vous rencontrer et en vous souhaitant bonne chance, je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes cordiales salutations Andrew, comte de Worcester 13° du nom La même lettre fut reçue en différents points du globe par treize personnes, qui exprimèrent leur contentement de manières diverses. Sergio Baldini, ancien épicier de Bergamo, près de Milan, qui avait gagné trois fois de suite le gros lot de la Lotteria Italiana (avant d’être interdit de participation), poussa un hurlement de joie et appela aussitôt son concessionnaire Ferrari pour commander une Testarossa de plus ; ce n’était jamais que la quatrième. Olaf Stevenson, de Bergen en Norvège, avait été le seul survivant d’un crash aérien dans l’Atlantique. Quelques mois plus tard, il avait réchappé de l’effondrement d’un immeuble pendant le tremblement de terre qui avait détruit San Francisco. Son succès le fit sourire, et il posa une semaine de congé auprès de son employeur, agent d’assurances. Antoine Gaudin, de Cagnes-on-Sea, avait atteint l’âge confortable de soixante-cinq ans sans avoir jamais travaillé. Ses paris turfistes lui assuraient des revenus douillets. « Momone, je pars à Londres ! Non, c’est pour une course, mamour, je t’aurais bien emmenée, mais il va sûrement pleuvoir, tu prendrais froid... » D’un clic il augmenta sa mise pour la course suivante. Marple Street était située au coeur du « New Old », ce nouveau quartier de Londres reconstruit après l’incendie de 1997 lors de la Révolution qui mit fin à la monarchie et instaura l’Empire. Brad 1° avait ordonné que l’on y recréât le Londres du XIX° siècle, aussi bien dans l’agencement des rues que dans la construction des maisons. Les rues étaient pavées et interdites aux véhicules à moteur. Seuls les taxis-calèches pouvaient y circuler. Cette idée que les Opposants de l’Ombre traitaient de caprice saugrenu attirait néanmoins une foule permanente de touristes. Il est vrai que Brad 1° avait conservé assez de contacts à Hollywood, après sa fulgurante carrière d’acteur, pour que les réalisateurs se battent pour avoir le droit de déployer leurs caméras dans ce décor historique. Bien entendu, l’accession à la propriété n’était autorisée qu’aux véritables citoyens, natifs de Britannia, qui outre leur arbre généalogique pouvaient exhiber un nombre suffisant de lingots. Un achat à crédit aurait été totalement incongru. Etrange engouement des riches pour une zone qui le soir, à la lueur de lampadaires blafards et noyée de brouillard artificiel, ressemblait plus à un coupe-gorge qu’à un quartier somptueusement résidentiel. Mais l’Empereur, s’il pouvait être qualifié d’original, avait cependant le sens des affaires, puisque la vente des immeubles et les lourdes taxes qu’ils généraient tombaient dans son escarcelle privée. Toute la nuit des cohortes de bobbies, vêtus de l’uniforme bleu traditionnel et du casque étoilé ridicule, patrouillaient par deux dans tout le périmètre. Juste un détail de plus pour être fidèle à l’image folklorique, à ceci près que des désintégrateurs avaient remplacé la matraque symbolique. L’Impératrice Angelina y possédait un pied-à-terre, où elle donnait quelques réceptions très privées où n’étaient admis que des artistes de génie, des scientifiques nobélisés et des philosophes bien pensants – tous riches et célèbres. La rumeur entretenue par quelques médias à scandales, affirmait que l’on y rencontrait également de très jeunes éphèbes à la beauté parfaite, parce que l’Impératrice vouait une passion sans borne à l’art hellène... Le numéro 13 de Marple Street était porté par une petite maison de style victorien à deux étages, mitoyenne avec la boutique d’un antiquaire,et qui faisait le coin avec Lennon Street, où les plus grands luthiers du monde avaient élu domicile. Sa façade était blanche, son entrée surmontée d’une arche en ogive soutenue par deux piliers de marbre blanc, et cinq marches revêtues d’un tapis rouge menaient jusqu’à la porte en bois massif. Les fenêtres cintrées étaient ornées de carreaux en losanges. La toiture arborait fièrement ses deux pignons pointus et, comme il se doit, une petite tourelle ronde au toit pentu faisait le guet au carrefour. On aurait dit une maison de poupée... et à juste titre, puisque parmi les produits dérivés qui concouraient à la fortune personnelle de sa Majesté, le « quartier de poupées » était sans nul doute le plus célèbre. Seules cinq petites filles dans le monde pouvaient se vanter de posséder la collection complète, c'est-à-dire la reproduction exacte du New Old tout entier, avec fiacres et bobbies. Il fallait une pièce d’au moins 50m² pour tout agencer, et d’ailleurs, aucune des fillettes n’était autorisée à jouer seule avec ces maisons, investissement détaxé et symbole d’opulence. Toutes les petites filles en rêvaient, et les cinq privilégiées faisaient la moue quand il fallait encore prendre la pose dans la belle robe bleue, un pied dans Doyle Street et l’autre sur Potter’s Lane, pour les photographes du Sun ou du Daily Mirror. Sur la porte du numéro 13, une simple petite plaque en cuivre annonçait « Chance Club ». Si vous aviez eu le bonheur qu’on vous ouvre, vous auriez traversé un petit hall gris foncé, mal éclairé par quelques appliques murales, au fond duquel un escalier en colimaçon, en bois ciré grinçant sous vos pas, vous aurait mené enfin à la salle du deuxième étage. C’était une vaste pièce avec deux cheminées en vis-à-vis. Les murs étaient recouverts d’un papier peint aux motifs floraux, dans les ocre et rose, qui disparaissaient presque sous les grands tableaux contigus, représentant des ladies compassées et des gentlemen austères. Deux grands bahuts noirs, habillés de lourdes nappes en dentelle, étaient surmontés de vases en porcelaine chintzware, dont certains contenaient des bouquets de pivoines. Des fauteuils massifs en cuir capitonné se regroupaient autour des cheminées, et deux larges canapés envahis de toutes sortes de coussins brodés complétaient le mobilier. Dans le coin à droite, un bar en bois exotique, avec ses hauts tabourets noirs, masquait en partie une porte étroite. Un majordome en habit noir, aussi distingué et transparent que ses verres en cristal, accueillait les invités et leur proposait une boisson, cocktail, sherry ou scotch. Le seul qui grimaça fut Antoine Gaudin. « Ouais mais z’auriez pas un p’tit jaune ? » Son accent était épouvantable. De tous les Empiriens, seuls les Français ne faisaient aucun effort pour parler anglais, qui était pourtant la langue officielle depuis presque un siècle. Mais ces froggies grossiers persistaient dans leur suffisance et leur désordre, sans la moindre honte. « Veuillez patienter encore quelques instants », répétait le majordome aux convives qui s’en inquiétaient, « monsieur le Comte ne saurait tarder. » Les conversations se nouaient, chacun racontant ses plus belles chances. « Chez nous, la Fédération de Ski ne compte que deux cents membres. Alors, quand on est allé aux Jeux Olympiques, on n’espérait pas grand-chose. Et puis, dans le Spécial, tous les champions sont tombés ! J’ai été médaille d’Or ! Et du coup, en rentrant, ils m’ont nommé Ministre des Sports ! » « Je passe devant un champ, je vois un joli petit cheval, complètement sauvage... Et trois mois après, avec lui, je gagne le prix de l’Arc de Triomphe, à Paris ! Je monte à cheval depuis six mois... » « J’ai acheté une vieille maison dans la montagne, pour faire plaisir à ma femme. Elle rêvait d’un puits, bon, je trouve un sourcier, on creuse... et je découvre un coffre plein de bijoux et de pièces d’or... » « C’est quoi cette odeur ? » Une petite fumée blanche s’élevait de derrière le bar. Puis il y eut une explosion et le bahut près de la fenêtre s’embrasa. Les flammes gagnèrent rapidement les doubles rideaux et attaquèrent le parquet vers le centre de la pièce... « Au secours ! » « L’autre fenêtre, vite ! - Non, non, la porte ! » Bousculade, cris, corps s’écrasant sur le trottoir deux étages plus bas, piétinements dans l’escalier... Scène de panique, sauver sa peau, quitte à marcher sur quelque chose de mou, c’est un vieux tas de chiffons, sur quelque chose qui craque, c’est un paquet de biscuits pour l’apéritif, oui, dans l’escalier, à cause du souffle de l’explosion, ne pas regarder, perte de temps, sauve qui peut... Celui qui est à terre est mort, alors courir, pousser, hurler, sortir, courir encore, loin, loin, vivant, rester vivant, ça c’est de la chance... Le feu cessa de lui-même. Le majordome referma la fenêtre. Il brancha la ventilation et la fumée se dissipa. Quelqu’un était resté assis dans un fauteuil, l’écharpe relevée sur son nez, fumant toujours sa pipe, imperturbable. Le majordome avait perdu sa moustache, il passa derrière le bar, versa deux verres de scotch. Son torse était plus bombé qu’avant, ses gestes plus fluides, son visage était devenu expressif, l’oeil vif, le sourire moqueur... « Bonsoir, monsieur le Comte. - Comment avez-vous deviné ? » L’individu dans le fauteuil émit un rire cristallin, comme une cascade tropicale. Il arracha le masque de fin latex qui recouvrait son visage et ôta sa perruque, libérant une envolée de folle chevelure brune. Sous le pardessus gris, un décolleté rouge apparut, et le pantalon se fendit en deux quand une main experte tira d’un coup sec sur les boutons-pression, révélant deux longues cuisses gainées de soie claire, entre le bas de la robe rouge et le haut des fines cuissardes noires. Le Comte haussa un sourcil gourmand. « J. Morrisson, c’est ça ? « Depuis ma naissance, je jouis d’un don inestimable... Les hommes m’accordent tout ce que je demande, et ma vie est comblée d’amour... » Je pensais que vous étiez... Jack... ou John... - Non, je m’appelle Joy. Joy Morrisson. Je ne vous ai pas menti. Votre moyen de sélection était original, même si votre trucage était... basique. L’un de mes amants réalisait des effets spéciaux pour le cinéma... » L’homme parut un instant déconcerté. Il avait été élevé dans la plus pure tradition du self-control britannique, avait frôlé la mort sept fois sans un battement de cils, et il était tout à coup submergé par une vague de désir digne des plus belles tempêtes du Cap Horn. Et malgré toute sa discipline, il sentait son coeur s’accélérer, son ventre se tendre... et toute cette sorte de choses. « Vous êtes... hem... mariée ? » La femme éclata de rire et l’homme écarquilla les yeux. C’était un enchantement, une pure magie, un miracle de Noël avant l’heure. « Pourquoi se limiter à un seul homme quand on peut en rendre heureux plusieurs et partager ce bonheur ? Le soleil brille pour tous ceux qui le regardent ! - Vous les prenez et vous les jetez, c’est ça ? », répondit-il dans un frémissement, le sourcil froncé et la peur au ventre. - Je ne prends personne. Personne ne m’appartient et je n’appartiens à personne. J’aime. Je suis aimée. Les jaloux s’en vont d’eux-mêmes. Les autres, en général, reviennent. - Vous êtes jeune et belle... - Et un jour je ne le serai plus, je sais. J’aurai mes souvenirs, et peut-être quelques vieux amis fidèles. Et je regarderai vivre mes trois filles, et je serai heureuse de leur bonheur. - Vous... avez... trois filles ? - Venus, Luna et Diane. Trois merveilleuses petites princesses, belles, libres, intelligentes... - A qui vous apprendrez... - Qui feront de leur vie ce qu’elles auront décidé. Mais je leur souhaite d’avoir autant de chance que moi ! » L’homme soupira et se pencha sous le bar. Il sortit du réfrigérateur une bouteille de champagne rosé millésimé et emplit deux longues flûtes élégantes. « Champagne ? - Pour fêter ma victoire ? - Ou la mienne, je ne sais pas... Je prends le risque... » La femme étendit ses longues jambes avec une grâce de chat et ses bracelets tintèrent quand elle leva le bras pour saisir le verre. Andrew, Comte de Worcester, treizième du nom, tu as l’impression de jouer ta vie à pile ou face. Et inexplicablement, cela t’enivre, perdre ou gagner n’a plus aucune importance... Narwa Roquen, être avec vous tous, c'est toujours une chance! Ce message a été lu 7174 fois | ||
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3 13 Jump Street - Maedhros (Mar 28 dec 2010 à 17:53) 3 Les nones strict... - Adival (Dim 26 dec 2010 à 19:24) 3 George Abitbol - z653z (Lun 20 dec 2010 à 17:17) |