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De : Adival Date : Dimanche 20 fevrier 2011 à 23:23:53 | ||
Attention, âmes sensibles s'abstenir. Les idées, le vocabulaire, la longueur et TOUT le reste peuvent choquer. Il me dit que c'est simple. Tout dépend de la taille de la bête. Que plus ils sont gros, plus les viscères sortent vite, parce que c'est plus lourd. Il me dit que les rouquins se débattent plus, qu'il faut faire attention aux griffes, et que les noirs sont plus vicieux. Il me dit que quand c'est blessé, ça saute, ça crache, ça pleure comme un tout petit gosse. Et que ça fout du raisiné partout. Que c'est pas du boulot correct ça. Il me montre. Bien maintenir le cou et la queue. Et donner le coup d'un geste large. Ample. Comme une danseuse étoile. Voilà! Et ça gigote quelques minutes mais c'est que les nerfs. C'est tout mort en fait. Moi j'dis qu'on a vu pire comme boulot. La Claude, elle dit que c'est pas très catholique. Moi c'que j'en dis, c'est qu'a vingt francs le greffier, ça serait comme qui dirait cracher dans la soupe que de refuser. Surtout qu'à cette époque on en voit qui courent partout. Y font des p'tiots au printemps et y font les poubelles en automne. Y'a comme qui dirait qu'à se baisser pour les attraper. Alors j'ai bien compté que si j'en choppe rien que trois par jour, je peux acheter une machine à laver dans un mois. On a toujours vécu sans, comme qui dirait, mais la Claude, elle dit qu'il faut savoir avancer en même temps que le progrès. Elle dit aussi qu'une femme ça sert pas qu'à laver les chaussettes de Monsieur et qu'elle veut pas devenir comme sa mère; qu'on voyait plus que les os des mains tellement que ses doigts étaient usés à force de frotter la crasse de son bonhomme. Moi je me suis dit que peut-être qu'on irait même au cinéma une fois le mois. Je lui ferais le coup des roucoulades dans le noir, et le soir en rentrant elle me remercierait à sa façon. Ah ben pour sûr que j'allais pas refuser! Vingt francs le chat, tu penses! Alors me v'la à quat'pattes dans la ruelle avec mon sac à patates et ma tranche de jambon. Là y faut regarder à attraper que les plus beaux. Les oreilles pas déchirées, la queue bien touffue. Pas d'yeux crevés, de poils en moins ni de jeunes bestioles rachitiques. Tellement que ça crève la dalle que ça vient te béqueter dans la main. Et alors là, hop! Dans le sac. Mais alors après, faut bien faire attention, pas les abîmer, pas leur casser d'patte. Y'a des jours ou j'en attrape jusqu'à sept. P'is des jours ou c'est plus dur de les avoir. C'est que maintenant, la bête, elle se méfie. Elle sait qu'il y a du danger. Surtout les vieilles qui sont farouches. Les jeunes, elles sont pas encore comme qui dirait, au parfum. Elles savent juste qu'elles ont faim, que le jambon ça sent bon. Quand j'ai fini ma journée, je rentre à la maison. La Claude a mis la table, et on mange. Parfois, on mange du jambon quand il en reste. Quand y fait bien noir, je sors. Je L'attends sous le pont. Il arrive toujours à deux heures. Je sais qu'il est deux heures parce que le gros Marcel fait sortir les derniers clients du Folly's. Avec son manteau, son chapeau et ses gants, on dirait, comme qui dirait, un prince. C'est sûr qu'y doit avoir du blé à plus savoir quoi en foutre. Je lui tends le sac; et quand je lui tends le sac, il sourit. Il me demande combien y'en a, et il me paye. Il me dit qu'il compte pas, qu'il a confiance, qu'il sait que je peux pas le rouler. Il dit que je fais du bon boulot, que j'apporte de la première qualité, que c'est bien, que je dois continuer comme ça. Il est content de moi. Je commence à écrire. Je n'ai plus jamais écris depuis l'école. Ça fait comme qui dirait un moment. Je ne sais pas pourquoi je fais ça. C'est pas pas facile, je ne me rappelle plus de ma grammaire, ni les règles de l'orthographe. Mais je me souviens très bien de ma maîtresse. J'écris comme j'entends les sons et je me souviens très bien de mon alphabet. Je cache mon papier sous mon matelas. Un soir, il me dit que c'est simple, que tout dépend de la taille de la bête. Que plus ils sont gros, plus les viscères sortent vite, parce que c'est plus lourd. Je ne cherche pas à comprendre. Les riches, c'est comme qui dirait pas pareil que nous. Ça sait des choses qu'on ne sait pas. La Claude, elle dit que c'est un scientifique. Un homme très instruit, un génie. Alors dans ces conditions, naturellement, j'peux pas comprendre, moi. A quat'pattes dans la ruelle, j'essaye d'attraper un gros gris à rayures. Il a ses p'tits yeux verts braqués sur moi comme deux projecteurs. Il remue son nez, il sent le jambon. Tout son corps frémit, des oreilles jusqu'au bout de ses pattes. Il doit se dire que si le bonheur existe, c'est surement ça. Du jambon. Qu'à mémoire de chat, on n'a jamais rien senti d'meilleur que le jambon. Que sa mère lui en avait parlé une fois, quand il était chaton, et qu'au fond, il n'y avait jamais cru, à cette histoire de jambon. Que ça pouvait pas exister un truc pareil, qu'c'était juste une histoire pour endormir les portées. D'abord il fait son fier, celui que ça intéresse pas. Alors je fais mine de m'en aller. Il me regarde, ses yeux me suivent. Pis je reviens, je l'appelle: « minet ». Il vient doucement. Je tends la main, il recule. Je fais comme ça une bonne demie heure. Il approche de plus en plus, mine de rien. Pis hop, le v'la qui vient me manger dans la paluche. Là je le mets en confiance. Il mange tout le jambon. Alors j'en sors un autre de la poche. Le chat n'a plus peur. Je lui tends le bout de jambon, il ne se méfie plus. Et crac, dans le sac. J'écris souvent. Plus j'écris, plus je sais écrire. Je lis aussi. Les affiches dehors, les avis d'expulsion sur les portes. Je lis aussi tout ce qu'il y a écrit sur les emballages de bouffe. Je lis même le journal que j'ai trouvé dans une benne. L'aut'soir, j'en repère un tout noir. Il est tellement noir qu'on dirait une ombre. Lui, il m'avait dit que les noirs étaient vicieux. Sa fourrure est comme bleue à la lumière de la lune, et ses yeux brillent comme des loupiotes. Il a pas l'air farouche. Il s'est vite approché. J'ai sorti mon jambon, il n'en a pas voulu. Il miaulait, ronronnait. Il est venu se frotter contre mes jambes. C'était bien la première bête qui venait se frotter à moi, parce que comme qui dirait, les bêtes m'aiment pas beaucoup. C'est pas grave, moi aussi j'les aime pas beaucoup. Je me suis baissé pour le caresser, et c'est là qu'y m'a regarder bizarrement pour la première fois. Il est parti. Je ne l'ai pas revu pendant longtemps. Ce soir là, j'ai rien attrapé. Je me dis que j'ai été couillon de ne pas chopper le gros noir pendant que je pouvais. Con de saligot, t'aurais pu en demander le double avec une bête comme ça. Qu'est ce qui m'a donc pris d'avoir, comme qui dirait, la frousse d'une bestiole? Alors je suis retourné dans la ruelle tous les soirs, en me disant que cette fois, j'allais l'attraper et lui faire sa fête. Mais y'en avait des rouquins, des à pois, à rayures, des gris et des moches. Mais pas le gros noir. Longtemps, il n'est plus venu. La vie dans le coin, c'est comme qui dirait ce qu'on fait de pire. La Claude fait que de se plaindre. Mais c'est que ces sacrées bonnes femmes sont jamais contentes. La Claude, j'l'ai rencontré au Folly's. J'y allais souvent me détendre après une dure journée. Ben oui, les journées sont dures ici quand on ne travaille pas. Les gens savent pas ce que c'est compliqué de rester à rien foutre, en quatre murs. Alors quand le temps était vraiment trop long, que je n'avais rien trouvé du tout pour m'occuper, j'allais voir les filles au Folly's, pis le gros Marcel. La Claude m'a tout de suite plu. Elle a de la gouaille, elle connait les choses de la vie. Je crois qu'on a du drôlement la dérouiller quand elle était p'tit garçon. On se ressemble, comme qui dirait, avec la Claude. Deux mois que je suis cueilleur de chat. Le boulot marche bien, le blé rentre. On a acheté une belle machine à laver. Une Vedette. Le nom nous a tout de suite plu. On a aussi une p'tite lampe perché sur un grand pied en étain, avec des fleurs rouges et marrons. Ça donne un coté bourgeois à notre intérieur. Maintenant, faudrait qu'on paye pour qu'on nous r'mette l'électricité. Je me suis acheté une p'tite grammaire et du papier à carreaux. J'cache tout sous le matelas parce que j'ai honte d'écrire. Je récupère aussi des journaux dans la benne, dans les ruelles. Je l'ai cache aussi sous le matelas, pour les lire. C'est la première fois que je cache quelque chose à la Claude. Chaque soir, après la cueillette, je vais Lui apporter le butin. Je crois qu'Il m'aime bien. Nom de Dieu que cet homme à la classe. Si la Claude le voyait, elle voudrait elle aussi ramasser du chat. Mais la Claude, elle ne veut pas, comme qui dirait, travailler. Elle dit qu'elle ne sait faire qu'une chose, que personne ne lui a appris. Moi je veux plus qu'elle fasse ça. Je veux que la Claude soit une femme respectable, une vraie femme quoi. P'tet même ben que je voudrais qu'on se marie, avec la Claude. Un soir, il me dit que c'est simple, que tout dépend de la taille de la bête. Que plus ils sont gros, plus les viscères sortent vite, parce que c'est plus lourd. Avec le grand couteau, je fais le geste. Ample. Comme une danseuse étoile. J'en ai choisi un noir et blanc, qui avait été particulièrement coriace à attraper. Il gémit et pleure, puis hurle de douleur. Il s'agite, sursaute comme un pouilleux. Et puis rien. C'est raide, ça coule partout. Lui, il sourit. Il me demande ce que ça m'a fait. Je dis que je ne peux pas comprendre. Que Lui est riche, que je ne peux pas penser comme Lui, que je ne sais pas. Que je vais rentrer, la Claude m'attend. La Claude aime pas quand j'suis en retard. Couché contre la Claude, je sens les poils de son dos. La Claude ronfle toujours. Elle ronronne ce soir, calme, détendue. Elle doit rêver à quelque chose de bien. Une croisière sur un gros rafiot qui ferait le tour du monde. Elle porterait une robe rouge, qui mettrait ses formes en valeur, et tirerait des p'tites bouffées sur un long fume-cigarette en ivoire. Quand je pense trop, le soir, j'aime sentir la Claude contre moi. C'est rassurant quand j'ai envie de pleurer. Du soir où on s'est rencontré, avec la Claude, on s'est plus quitté. J'ai oublié comment ça fait quand on dort seul. C'est p'et ça le bonheur. Sentir quelqu'un et qu'ça vous rassure, quand on a envie de pleurer. Ce soir, j'ai comme envie de pleurer. J'me dis que si j'étais riche, je rendrais la Claude heureuse. Je lui offrirais un manteau de fourrure. Et je repense à ce chat mort-vivant qui se tortille les intestins à l'air, au bout de mon bras. Si j'étais riche, je comprendrais. Je sens les poils de la Claude comme des poils de chat. J'ai mal au ventre, d'un coup. Je vomis dans le lavabo. Je regarde que la Claude ne soit pas morte. Je touche son ventre. Tout est là. J'peux pas dormir. J'allume notre lampe en étain. On l'a posé sur la table et ça fait joli, tout clair. J'écris des phrases sur mon papier à carreaux. Je prends soin d'écrire proprement, de pas faire de taches, je corrige mes fautes. J'accorde bien mes verbes, je fais attention à mettre des « s » quand il en faut. Le gros noir est revenu. Je lui ai donné du jambon, il n'en a pas voulu. Il est venu se frotter et il est parti. S'il était resté un peu, est ce que je l'aurais attrapé? Tout les soirs, quand j'apporte mon sac de chats, je Lui tends et je m'en vais. Je ne reste plus. Comme je ne peux pas comprendre, je ne veux plus comprendre. Je me dis que tout ça c'est pas normal, mais je fais comme si. Le gros noir revient souvent. Il revient quand les autres sont partis. Le gros noir n'a jamais peur, du coup, je ne veux plus l'attraper. Je ne dors plus. Je vois deux yeux verts qui clignotent dans la nuit de la chambre à coucher. Le gros noir et moi, on parle. Il me raconte sa vie de chat, je lui raconte ma vie à moi. Il me dit que les autres chats ont peur de moi, qu'ils ne vont plus se laisser prendre. Mais que lui, il n'a pas peur de moi. Il me dit tout ça avec ses yeux, ses moustaches, ses pattes. Il me dit que c'est simple. Tout dépend de la taille de la bête. Que plus ils sont gros, plus les viscères sortent vite, parce que c'est plus lourd. Il me dit que les rouquins se débattent plus, qu'il faut faire attention aux griffes, et que les noirs sont plus vicieux. Il me dit que quand c'est blessé, ça saute, ça crache, ça pleure comme un tout petit gosse. Et que ça fout du raisiné partout. Ce soir je ne vais pas ramasser de chat. Ce soir je ne vais pas Le voir. Ce soir il m'attendra, je ne serai pas là. Ce soir je reste là, je sors pas, je reste en moi-même. Je bois, j'écris. La Claude dort déjà lourdement. Je l'entends respirer. Son haleine roule un moment dans sa gorge, et puis ça sort par ses trous de nez dans un drôle de glougloutement. Et tout ça régulièrement. Son gros corps chaud se soulève en rythme. J'veux qu'elle se réveille. Je l'appelle. Elle ronfle. Elle m'ignore, elle rêve. Alors je frappe. Je frappe ce tas de chairs molles; avec mes poings, avec les pieds, avec toute ma rage et ma douleur. La Claude pleure, beaucoup, roulée en boule comme un petit animal. Je finis la bouteille. J'ai mal en moi. Comme une brûlure. Je sors, je marche jusqu'à la ruelle. Le gros noir est là. Je ne veux pas le voir. J'veux voir personne. Je le chasse d'un coup de pompe. Le gros noir ne reviendra plus jamais. Je ne vais plus cueillir de chats. Je ne vais plus L'attendre sous le pont. Je passe mes journées à écrire. Je me demande qui je suis. J'écris ce que je suis. Je ne sais rien faire, je ne peux qu'écrire. Nous n'avons plus le sou. Il recommence à faire froid. La nuit, je rêve que je mange. Du poulet, des pommes de terre qui fument, ruisselant de beurre tiède qui fond dessus. La Claude est partie donner son cul ce soir. Comme hier, elle va rentrer sûrement tard, fatiguée et triste. Elle va se coucher sans même me regarder. La Claude vit enfermée dans son chagrin. Elle ne me parle plus jamais. Demain matin, en me réveillant, je trouverai sur la table un pain de trois livres et du café chaud. Elle prend soin de moi comme d'un enfant infirme, qui vous gâche la vie, mais qu'on ne peut que aimer parce qu'il est comme il est. Parce qu'on ne peut pas aller contre ce qu'on a en soi. Décembre est arrivé. Les rues clignotent comme autant d'étoiles électriques. Les volailles grasses s'entassent dans la vitrine de la boucherie Jean-Jean. Les petites bonnes courent dans les rues pour préparer les festivités. Les mômes se roulent dans la neige. Une boue brune recouvre la chaussée et les voitures qui filent vous éclabousse de la merde glacée du caniveau. Tout les matins, je trouve mon pain de trois livres et du café chaud sur la table. La Claude dort toute la journée. Elle se repose de la fatigue de toute une vie. Cette nuit, j'ai rêvé de chats. Plein de chats, gros et petits qui courraient autour de moi. La Claude s'est mis en tête de préparer Noël et fait des heures supplémentaires. Elle veut une dinde farcie, des marrons. Elle veut des oranges et du chocolat. Elle a récupérée une nappe en dentelle aux Compagnons d'Emmaüs. Elle veut aller à la messe de minuit. La Claude m'a laissée le porte monnaie, m'envoie faire les courses. Une chopine de bon rouge, une volaille, un bocal de marrons chez l'épicier. D'abord le tintement de la clochette. Ensuite le sourire de Madame Jean Jean, ses joues rouges. Les grandes glaces claires et les crochets froids qui s'alignent devant. Le carrelage blanc éclaboussé de rouge. Le père Jean Jean me choisit une belle dinde à la peau jaune d'or et aux pattes griffues comme une belle-mère. Madame Jean Jean l'emballe dans une feuille de papier brun, et fait un autre petit paquet, avec une livre de chair aux morilles. Elle me dit qu'elle met de la chair aux morilles plutôt que de la chair à la tomate parce que les champignons ça plait aux dames. Je me dis que la Claude va être contente. « Ça nous fera vingt trois francs. ». Je lâche une poignée de pièces dans la main de Madame Jean Jean qui compte tout et me rend la monnaie. D'abord le tintement de la clochette. Ensuite le vent glacé de décembre. Je voudrais faire un p'tit cadeau à la Claude. Je sais qu'à elle, ce qui lui ferait plaisir, c'est d'être grosse et de pondre un chiard. Mais je sais bien, comme qui dirait, qu'un lapin et un lapin, ça fait pas de petits lapins. Il faut une lapine, et la pine c'est justement ce qui fait que la Claude peut pas être maman. Elle tricote de minuscules chaussettes et j'imagine mal quels arpions, à part ceux d'un lilliputien, pourraient y entrer. Elle, elle sent l'instinct maternel en elle. Elle veut cajoler quelque chose et moi ch'uis comme un gosse, mais elle dit que je suis gros et que je pue la bière. A la Noël, j'ai offert un chat à la Claude. Elle l'a appelée Tolkien. Il est comme qui dirait pas plus gros qu'un merle et tout rouquin. Elle lui donne du lait et du saucisson. Il mastique ça les yeux fermés à toute vitesse. Ce qu'on peut avoir comme fou-rires à le regarder chasser sa queue ou courir après son ombre contre le mur. A trois on forme, comme qui dirait, une famille. J'ai trouvé un boulot de chaudronnier. C'est bien dur, mais je suis fier d'avoir un vrai travail. La Claude s'en va plus le soir. Quand elle se reveille le matin, elle trouve un pain de trois livres et du café chaud sur la table. Et de la confiture de fraise. Mon travail m'épuise. C'est ben vrai que c'est un métier d'homme. Il faut être adroit et je sens qu'au fil des jours j'ai la main de plus en plus sûre. A cinq heures et demie, quand on sort de l'usine, avec les gars, on va boire un verre. Là, on parle de notre journée, des problèmes qu'on a eu avec les machines. Et René a la tuberculose. L'usine veut le lourder. Après nous rentrons chez nous retrouver nos femmes. Un soir, au bistrot avec les copains, y'a Norbert, qui est comme qui dirait un sacré coco, qui nous parle de la grève. Il dit que ça vient de l'Est, que c'est un mouvement fusionnel, que ça va déferler sur le pays et renverser les classes sociales. Il dit que les patrons ne seront plus les bourgeois, que les ouvriers seront plus exploités. Il dit que si on met un franc tous les deux jours dans sa boite, on pourra tenir la grève au moins six mois. Moi, la grève, je ne sais pas ce que je dois en penser. J'aime ce boulot, c'est ce que j'ai fait de mieux jusqu'à présent. Mais Norbert dit que c'est un mal nécessaire. Pendant qu'on cassait la croute ce midi, on a décidé qu'on aurait chacun un rôle. Y'a ceux qui font les pancartes, ceux qui discutent avec l'usine. Ceux qui discutent avec les patrons. Y'a ceux qui vérifient que tout va bien, pis y'a moi, qui suis chargé d'écrire une petite bafouille tous les trois jours pour dire comment se passe la grève. Le frère de René est imprimeur et va publier nos tracts et la p'tite bafouille. J'ai dit à la Claude que je ne rentrerai pas ce soir. Avant de partir, j'ai pris mon papier à carreaux et mon crayon. Après l'usine, on est allé au bistrot. On est plus de cent. Depuis plus de deux heures, Norbert parle de la grève. Il agite les bras et sa voix voyage. Tout le monde s'enthousiasme. Il faut lutter, il faut se battre jusqu'au dernier. On va les avoir. Nous repartons chez nous chacun de notre coté, tout chancelant de la bière et du discours et des hourras de ce soir. Je sens comme qui dirait le feu dans mon ventre. Je ne veux pas retourner tout de suite chez nous, pas tout de suite retrouver mon lit et le corps de la Claude. Je suis énervé et joyeux; et je mettrai le monde à feu et à sang pour cette grève. Norbert dit que ce sera une renaissance. Je suis sous le pont. Je sais qu'il est deux heures parce que le gros Marcel fait sortir les derniers clients du Folly's. Je vois un homme qui fait le pied de grue un peu plus loin, dans les roseaux. Je l'observe un moment. Je Le reconnais; c'est l'éventreur de chats. J'avais un poignard dans ma vareuse. J'ai serré le manche fort dans ma main et j'ai couru dans l'eau. Ça a fait taire tous les crapauds. J'ai couru et je lui ai planté la lame dans le ventre, jusqu'à ce que ses viscères dégoulinent partout, jusqu'à ce que ses gants en chevreau relâchent ma vareuse. J'ai tué ce chien de bourgeois. Et puis je me dis que quand c'est blessé, ça saute, ça crache, ça pleure comme un tout petit gosse et que ça fout du raisiné partout. Que c'est pas du boulot correct ça. Adival, entre deux mondes Ce message a été lu 7831 fois | ||
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3 Commentaire Adival, exercice n°85 - Narwa Roquen (Jeu 3 mar 2011 à 23:24) 3 les chats... sciés - z653z (Jeu 3 mar 2011 à 18:46) 3 J'ai jamais tué de chat... - Maeglin (Dim 27 fev 2011 à 23:04) |