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 WA-Exercice 100 - Sang Voir la page du message Afficher le message parent
De : Onirian  Ecrire à Onirian
Page web : http://oneira.net
Date : Jeudi 15 decembre 2011 à 16:12:36
Voici donc ma participation. Et une fois n'est pas coutume, je suis le seul à l'heure ! (Bon, il reste un peu de temps d'ici ce soir, et puis les délais ? Quels délais ?).
Je ne suis pas sûr d'avoir atteint l'excellence que je visais, mais je risque de ne plus pouvoir écrire beaucoup ces prochaines semaines, alors je vous livre ce texte tout de même plutôt que d'en tenter un autre qui n'aura pas le temps de mûrir suffisamment.

--

Une seconde avant ma mort


La détonation est assourdissante, un éclair et le temps s'arrête. Non, il ralenti, il s'étire, les secondes deviennent des heures, et les heures des années. Il parait que l'on voit sa vie défiler à l'instant de sa mort. Le film ne sera pas joyeux, mais il m'a amené ici, en ligne droite. Je vois la balle quitter le canon du pistolet, lentement, presque paisiblement et avec une netteté surnaturelle. Le projectile se dirige droit vers mon front, je le sais déjà. Une dernière pensée avant de mourir ? Oui, elles se bousculent. Le son de l'arme se déplie, se déploie dans les brumes du temps, devient cri langoureux à force de s’étirer : c’est une banshee qui crie mon nom.

J'ai dix ans, c'est l'hiver. Mes parents ont peur, mon grand frère aussi. Je ne comprends pas pourquoi. Ils disent que les soldats vont venir. Qu'ils sont méchants. Qu'il faut se cacher. Ma maman pleure et mon papa parle comme quand j'ai fait une très grosse bêtise. Je demande pourquoi les soldats vont venir. Mon papa dit que c'est parce qu'ils sont cruels et parce que lui n'a pas voulu être méchant comme eux, qu’il a aidé les gentils. Il me dit que les soldats tuent les gens, leur font du mal.
Je sais ce que c'est la mort, c'est comme l'oiseau qu'on a trouvé dans le jardin. Il était tout raide et ne volait plus. Mon papa voulait le jeter à la poubelle, mais j'ai dit qu'il fallait l'enterrer, que la maitresse avait expliqué ça. Mon papa avait répondu que le sol était gelé que ce serait difficile et que ce n'était qu'un oiseau. L’oiseau avait fini dans la poubelle.


La balle est argentée, striée, elle tourne sur elle-même en se rapprochant de moi. Dans mon espace-temps allongé, mes souvenirs se mêlent à mon présent. J’en suis prisonnier, tout autant que ce petit bout de métal qui s'avance. Rien ne pourra l'arrêter, et même si je peux m'imaginer mille fois sauter sur le côté, mon corps, lui, ne saurait aller plus vite que la réalité. Le monde n'est pas tout à fait immobile, je crois juste que mes pensées n'ont pas achevé leur chemin et qu'elles se dépêchent, parce que dans moins d'une seconde, même si elle me semble infinie, il sera trop tard.

J'entends les coups sur la porte. Bam bam bam. Mon papa ouvre grand les yeux, murmure « Non, pas si tôt ! ». Il claque des doigts et avec grand frère on va se cacher. C'est une bonne cachette, c'est dans un mur. Et on a un petit trou pour voir ce qui se passe. Maman nous a dit que quand on est caché là, on ne doit pas sortir et surtout il ne faut faire aucun bruit. Elle l'a dit avec une voix bizarre. Du coup, on se tait. Mais j'ai pas vraiment peur, papa nous protège.
La porte s'ouvre, et plein de gens en uniforme noir entrent. Ils disent que mon papa est un déserteur, un traitre, qu'il doit venir. Il y a des disputes mais finalement, il s'avance quand même pour partir avec eux. Un des soldats, avec une moustache noire, reste sur place, il dit qu'il y a des intérêts et qu'il irait bien se les faire payer dans la chambre avec madame. Mon papa devient furieux et lui donne un coup de poing et j'entends juste après un grand bang.


Je crois qu'il ne s'est jamais arrêté, ce bang. C'est encore lui que j'entends aujourd'hui, avec une balle qui cette fois m'est destinée. Aussi prestement que possible, dans ce monde en suspension, je tente d'ouvrir les doigts de ma main droite. La balle n’a pas encore parcouru la moitié du trajet. J'aurai préférée qu'elle se dépêche, mes souvenirs défilent malgré moi, je ne veux pas revivre la suite. Mais je sais déjà que la balle attendra aussi longtemps qu'il le faut, sans pourtant jamais cesser d'avancer vers mes cauchemars.

Papa tombe. Il y a du sang qui colorie son torse. Grand frère sort de notre cachette pour se jeter sur lui, maman hurle. Moi, je ne bouge pas, parce que je regarde les soldats, comme une photographie. Le moustachu. Celui avec une cicatrice à l'oeil, qui a tiré. Le blond qui a l'air malade. L'autre blond qui sourit. Le gros avec un cure-dent dans la bouche. Le petit qui repousse mon frère d'un geste. Celui sans cheveux qui regarde par la fenêtre. Le grand qui fait semblant de tirer sur maman et mon frère avec deux doigts de sa main. Et le méchant qui dit « Les gars, et si on jouait un peu ? ». Le méchant vient me chercher, frappant maman au passage. Il nous met tous les trois dans un coin. Les soldats rient, se moquent. Mon papa est encore par terre, plongé dans une tâche de sang qui s’étend, comme la fois ou j'ai renversé le pot de peinture verte. Je vois ses yeux grands ouverts. J'ai l'impression qu'ils rentrent dans ma tête, me disent de vivre.

Et pour le coup, j'ai survécu. Huit connards. Je leur ai fait la peau, à tous, un par un, sauf le moustachu. Celui-là, il tient le pistolet qui va me tuer. Tous pourris. Moi aussi. J’ai fait crier longtemps le méchant avant qu’il y passe. Mais c’est le moustachu qui était resté quand les autres avaient déjà tourné les talons, alors c’est lui qui reste quand les autres sont morts. Je voulais qu’il sache que son tour arrive, qu’il fasse dans son froc.
En partant avec eux, mon père savait qu’il ne survivrait pas, mais à mourir loin de nous, il nous protégeait quand même. Simplement, ma mère était jolie et ce fils de pute avait voulu la baiser. Je me demande si lui aussi, à l'instant de sa mort, verra s'approcher tout doucement les flammes de l'enfer que je lui offre, le temps de revivre sa vie au ralenti, de se poser quelques questions. Me reconnaitra-t-il ? Se souviendra-t-il de ce jour là ? Ce n'était rien pour lui, un indicent il y a dix ans. Mon seul regret sera de ne pas le voir baigner dans son sang, de ne pas contempler ses yeux vides. Et aussi de ne pas les crever pour les fermer, définitivement.

Le méchant demande à maman de choisir un de ses enfants, celui qui vivra. Elle pleure, elle gémit, elle supplie. Je crois que quelque chose est cassé en moi, parce que je suis calme. Mon frère aussi il crie, mais moi je ne dis rien. Peut-être que j'entends encore le son de l'arme qui a tué papa. Et puis il y a ses yeux qui me regardent, qui rentrent tout au fond de ma tête. Et la tâche de sang. Il se vide, mon papa. Et une langue rouge vient vers moi, elle rampe. Je sais qu'il se passe des choses tout autour. Ma maman qui hurle, un soldat qui la frappe, et qui tape mon frère aussi. Moi je regarde juste papa qui vient vers moi. Je suis assis par terre, comme on m'a jeté. Alors je tends ma main, et mon doigt touche papa. C'est chaud, poisseux. Je goûte. C'est du sang.

Du sang. Comme la déflagration qui ne s'est jamais arrêté, tout depuis a le goût de ce sang. Parfois, je mange de la viande crue parce que ça hante mon palais. Parfois, son odeur suffit à me faire vomir. Mes nuits sont peuplées de fleuves rouges dans lesquels je me noie. Et j'entends toujours des cris fantômes au loin, et des bigs bangs comme autant de fins du monde.
Pourquoi fait-on la guerre ? Pourquoi un camp plutôt qu'un autre ? Qui a raison. A dire vrai, je m'en fiche. La guerre est finie, la « paix provisoire » a été signée il y a deux ans. Les méchants ont gagné. Cela n'a pas la moindre importance. Dans ma folie, j'espère parfois qu'il existe encore des vrais gentils et qu'ils peuvent nous sauver malgré tout. Ce ne sera pas moi, et pas pour moi qui suis mort à onze ans, mais pour ces autres, les gamins qui ont un père qui ne veut pas tuer d’innocents ou une mère qui est un peu trop jolie.

Je reçois une baffe. La réalité me fait mal. J'ai papa sur l'index, sur le pouce et sur la langue. Je ne comprends pas ce qu'on veut de moi. Ma mère est effondrée, elle dit en boucle qu'elle ne peut pas choisir. Qu'ils la prennent elle, mais qu'elle ne peut pas, qu’elle ne veut pas choisir. Et là, le méchant dit qu'il a une idée, que les enfants choisiront eux même. Qu'un seul survivra. Il plante son couteau dans le sol. « Un seul survivra, s'il tue les deux autres ». La phrase est simple et compliquée en même temps. Papa me souffle à l'oreille, depuis l'intérieur de la tête, que je dois prendre le couteau. D'un coup, je comprends que je suis juste un enfant, et qu'on ne fait pas ça aux enfants, que c’est mal. Ca me met en colère. Je veux tuer les soldats. Mais je suis juste un petit garçon, et ils sont huit. Dans ma tête, papa me dit que ce n’est pas grave, parce que je connais leurs noms, il est écrit sur leurs vestes, et j'ai l'image qui est gravé dans ma tête. Papa me promet que je n’oublierai jamais.

G. Orlock, T. Durden, A. De Large, J. T. Ripper, A. Goeth, M. Bates, A. Wilkes et E.H. Humbert, alias le moustachu. Gravés dans ma tête. Une petite escouade affrétée à la récupération des déserteurs, et ceux soupçonnés de résistance. Des salopards, choisis spécialement pour ça, parce que faire savoir que les opposants ont plus à perdre que la vie en ne se pliant pas est encore ce qu'il y a de plus efficace pour limiter leur nombre.

Le couteau du soldat est planté devant moi. Je sais que je vais devoir faire mal à grand frère, et à maman, sinon c'est les soldats qui vont le faire. Ils ont tué papa. Alors je prends le couteau, je cours vers mon frère, et je lui plante dans le ventre, pour le tuer. Il est surpris, il me regarde. Il pose ses mains sur les miennes et enfonce plus fort la lame. Je vois l’instant il se transforme en mort. Lui aussi, il se répand, comme papa. Maman hurle, saute sur moi et nous arrache le couteau des mains, et elle s’ouvre le ventre aussi. Elle tombe. Mon frère et maman coulent. Alors je trempe mes doigts dans leurs fleuves rouges et je les mets à ma bouche, pour les goûter. Après, je m'allonge à côté de papa, dans son lac. Je me roule en boule pour mon dernier câlin et je ne bouge plus. Les soldats parlent, mais je ne suis plus là. Dans ma tête, toute ma famille me dit de ne plus bouger, et de ne pas pleurer, juste rester là, et d’attendre que les soldats s’en aille. Alors je ne bouge pas, je ne pleure pas et j’attends.

Pourtant, j'aurai aimé en verser des larmes. J'ai tué mon propre frère, j'aurai tué ma mère. Ca m'a sauvé la vie, ça et le fait de m'être roulé dans le sang paternel. Comme ce million d’évènements qui ne savent plus s’arrêter dans ma vie, je sens encore à la fois la chaleur de son corps quand je me suis endormi, et sa raideur à mon réveil. Et le contact du sang sur ma peau, collant, dégoutant. Un des soldats, le blond je crois, avait vomi. Je me suis fait récupérer quelques jours plus tard par un groupe de résistant, ils sont devenus ma famille, avec la vengeance en point de mire. J'ai encore le couteau, il n'y aura que le moustachu qui aura échappé à sa morsure.
Le temps accélère à nouveau, la balle perce mon front, troue mes idées noires, et mes doigts se relâchent, comme je leur avais demandé il y a une éternité. Alors que mon corps bascule dans le vide, j'entends un petit tic, presque rien, mais il fait taire tous les autres sons, les déflagrations, l'écho, les cris, les douleurs, les injustices, la peine. Pour la première fois depuis dix ans, je peux écouter le silence. Je ne tiens plus le détonateur, la bombe que je porte est activée.

J'explose.

Je suis les flammes. Je pars de tous les côtés en même temps. J'avance sur le moustachu. Dans ses yeux, je vois le temps se figer, la compréhension s’opérer, l’horreur se matérialiser. Il sait qui je suis, il a peur. Je l’avale. Je cours vers les autres soldats et je les engloutis également. Je fonds sur le Président-du-Peuple et je le fais disparaitre. Les murs ne peuvent pas me retenir, ils explosent sous ma pression, et, partout je me déploie, fleuve rouge dévastateur. Je m'étonne d'être encore conscient, et je ne cherche même plus à comprendre l’élasticité du temps. Je n'ai plus de corps, mais mon père pose pourtant sa main sur mon épaule, et ma mère est là aussi, et mon frère. Ils ne m’en veulent pas, ils savent. Alors j'enfle, je gonfle, la puissance des bombes modernes me surprend, sur deux kilomètres autour de moi il ne restera que des morts et des gravats.
Je ne sais pas s'il s'agit de justice, de vengeance, de bêtise humaine, mais au fur et à mesure de ma dilatation ma conscience s'estompe enfin, je vais pouvoir m'endormir et me laisser emporter par le grand fleuve rouge, de flammes, de sang.

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Onirian, tempus fugit.


  
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Réponses à ce message :
3 indices - z653z (Mer 16 mai 2012 à 00:07)
3 Bloody hell !!! - Netra (Mar 3 avr 2012 à 17:47)
3 Commentaire Onirian, exercice n°100 - Narwa Roquen (Mar 3 jan 2012 à 14:59)
3 Sang pour sang - Maedhros (Mar 27 dec 2011 à 16:56)


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