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 WA, exercice n°110 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 30 aout 2012 à 23:41:11
J'espère que vos vacances ont été profitables et que vous rentrez tous en grande forme. Voici l'occasion de le prouver...
Votre mission, si vous l'acceptez, sera d'écrire un texte dont le héros aura pour particularité de représenter tout ce que vous détestez le plus. Vous pourriez certes en profiter pour régler vos comptes, et libre à vous de torturer votre héros ou de l'assassiner sauvagement, mais...
- si votre portrait ressemble trop à un membre de votre entourage, vous risquez un conflit ouvert
- le héros sera le narrateur... Et c'est là que ça se complique...
Le but du jeu est seulement de vous distancier d'avec vos personnages, même quand vous dites "je". Et bien sûr, toujours, de travailler la cohérence, indispensable à la crédibilité.
Vous avez la liberté du genre ( SF, fantasy ou fantastique). Et toujours trois semaines, jusqu'au jeudi 20 septembre.
Je vous promets une bonne prise de tête...
Narwa Roquen, ...
Narwa Roquen, invitation à une plongée du côté obscur...


  
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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2012-09-23 23:11:05 

 WA, exercice n°110, participationDétails
Avertissement: jeune public et Bisounours s'abstenir...





LA DEESSE INTERDITE



Sheya ô Sheya Mère du Serpent
Ecoute le chant de mes bracelets qui tintent pour toi
Vois la danse de mon corps qui te supplie
Accorde-moi la souplesse et le sang froid
Et guide mon poignard vers le coeur de mon ennemi

Extrait de « La chanson de Sheya », chant rituel du Désert Blanc





Mon sommeil est plus léger que la plume d’aigle perdue sur l’herbe de la plaine. On la croit figée dans sa solitude, mais au moindre murmure d’une brise naissante elle frémit, s’enlève et s’envole. Elle virevolte dans le vent, aussi fière et rapide que l’aigle qui l’abandonna, et un Dieu touché par son courage et sa force peut la transformer en un aigle nouveau, encore plus courageux et encore plus fort. Un Dieu. Ou une Déesse. Sheya, je t’appartiens.
Le bruissement discret du tissu de la tente m’a éveillée d’un coup. Je laisse le pas s’approcher du lit, prenant soin de maintenir ma respiration calme et lente. Arakht, mon Seigneur et Maître, chef des vaillants guerriers de l’Ouest, ronfle à mon flanc, la main toujours posée entre mes cuisses. Il a bien célébré sa victoire hier au soir, et le vin, traître ami, l’a emporté loin de toute prudence. Que je dorme ou que je veille, ma main est toujours posée sur mon poignard, rivé à ma cuisse droite dans le long fourreau de peau que j’ai sculpté patiemment jour après jour dans la chaleur même de ma chair. Sa longue lame courbe est l’objet de tous mes soins. Son manche est incurvé dans l’autre sens, afin qu’il dessine un S allongé. En secret je l’appelle Sheyot, car c’est Sheya qui me l’a donné, dans le sable du désert. Le jour, mes doigts sont lourds de bagues, mes poignets bruissent de bracelets nombreux et mon cou est paré de colliers précieux ; mais il est mon unique fortune, et le seul bijou dont je ne me sépare jamais. Arakht le sait. Cela l’amuse. Il est si sûr de sa force qu’il ne craint même pas de mourir de ma main. D’ailleurs pourquoi le tuerais-je ? Je suis son esclave et sa Reine, et son pouvoir est mon pouvoir.
Les braises rougeoient à peine, mais j’ai des yeux de chat. Je vois la main armée se lever lentement au dessus d’Arakht, et je frappe plus vite que le serpent des sables. L‘homme s’écroule dans un gargouillement sanglant sur la poitrine du Grand Guerrier, sans avoir le temps de prononcer une parole. Arakht repousse la masse importune d’un bras négligent en murmurant pâteusement :
« Qu’est-ce que c’est ?
- Ce n’est rien, amour de ma vie. Dors en paix, rien ne presse. »
Sheya a guidé mon poignard vers le coeur de mon ennemi, et je suis plus que jamais la Maîtresse du Grand Guerrier.



Au matin Arakht trébuche sur le cadavre de son assassin, gisant près de sa couche comme un chien à tout jamais fidèle. Il serre encore le couteau dans sa main, et une fleur rouge colore sa tunique grise de soldat madrynien.
« Parle, femme. Que s’est-il passé ?
- O mon Seigneur et Maître, j’ai seulement protégé ton sommeil sacré. »
Je m’étire, nue sur les fourrures qui recouvrent le sol de la tente. Je lui adresse ce sourire ingénu qui a le pouvoir de dresser aussitôt son membre viril, surtout quand mon corps s’offre dans toute la splendeur de ses formes pleines. Sheya m’a donné des seins lourds et des fesses girondes, une taille fine et des hanches galbées, de longues jambes nerveuses et musclées, des mains fines et habiles, des pieds sculptés et endurants. Ma mère m’a appris le port de tête, les jeux d’épaule et la démarche chaloupée. Aucun homme n’a jamais résisté à mes charmes. Imbus qu’ils sont de leur personne, ils s’imaginent tous être admirables, dès qu’une femme gémissante leur fait croire que leur virilité est exceptionnelle. Ma mère m’a enseigné l’art de plaire et l’art de simuler, qui vont de pair comme le jour et la nuit. Elle voulait me vendre à un marchand de filles, mais Sheyot m’en a libérée. Elle n’avait plus rien à m’apprendre.
Arakht ne cède pas à mon invitation tacite. Une peur rétrospective plisse ses yeux bovins, et une ride angoissée barre son front couturé de cicatrices de guerre.
« A-t-il parlé avant de mourir ?
- Il... Non... Je me suis trompée, peut-être...
- Parle ! Il n’a pas pu s’introduire ici sans complice ! Cet uniforme gris... C’est un des prisonniers capturés hier. Qui l’a fait échapper ? Qu’a-t-il dit ? Parle, enfin !
- Je crois... Il m’a semblé... Il a dit... « Katira »... »
J’ai avoué dans un souffle gêné, car nul ne saurait mentir à notre chef vénéré, même si dénoncer un membre du clan n’est pas une chose estimable.
« Dorth ! Va chercher Katira à l’instant ! Où sont les prisonniers ? Qui montait la garde ? Vous n’êtes qu’une bande d’incapables ! Trois mille guerriers chevronnés, et je ne dois mon salut qu’à la fidélité de ma femme ! Quelle sorte d’hommes êtes-vous, pour être moins vigilants et moins prompts qu’une femelle ? »
Arakht est hors de lui. Nue sous la fourrure que j’ai enroulée autour de moi, je garde les yeux baissée. Ils en bavent tous, ces chiens avides et rampants que mon Seigneur et Maître conduit chaque jour à la victoire.
Voilà qu’approche Katira, encadrée par Dorth et Tesiakh, les deux fidèles lieutenants.
« Qu’as-tu à dire pour ta défense ?
- Mais... Je ne sais pas... Je n’ai rien fait...
- Vermine ! », hurle Dorth en la giflant. On t’a vue hier donner à boire aux prisonniers. Et ça, c’est quoi ? Un bracelet de turquoises ! Seuls les madryniens sont assez décadents pour oser s’attifer de cette pierre maudite! C’est lui qui te l’a donné ? En échange du couteau ? Et tu lui as montré la tente ? Avoue, ou je te tranche la gorge ! »
La jeune fille fond en larmes. Une enfant de seize ans. Belle comme l’aurore. Deux grands yeux bleus stupidement innocents. Des seins comme des alouettes. La cuisse longue, la démarche légère, j’ai bien vu comment Arakht la regarde quand elle ramène de l’eau de la rivière. Certes, elle est sa fille adoptive depuis que Norskh est tombé au combat. Mais un homme est un homme, et une fille est une fille...
« Je n’ai rien fait », hoquète-t-elle. « Le bracelet, c’est Mavoa qui me l’a donné. Elle a dit qu’il avait la couleur de mes yeux... »
Arakht se plante devant elle.
« Et non contente de m’avoir vendu comme un vulgaire poulet, tu oses accuser celle à qui je dois la vie ! Misérable ! Je t’ai nourrie et protégée comme ma propre fille ! Ton père Norskh le Brave doit rougir de honte dans les Plaines Sacrées ! Et les dieux le conspuent d’avoir engendré une créature aussi vile ! Si je te laisse vivre, ils le chasseront vers les Enfers de Glace, et lui, le Guerrier sans Reproche, endurera des souffrances éternelles qu’il ne mérite pas ! Que son honneur soit lavé à tout jamais ! »
D’un unique coup de son épée de combat, si lourde que je peine à la soulever même à deux mains, il lui tranche la tête – sa jolie tête blonde aux yeux exorbités qui vient rouler dans la poussière à mes pieds.
« Jetez-la aux chiens, c’est tout ce qu’elle mérite. Gloire et honneur à Norskh, et malédiction sur les traîtres et les assassins.
- Gloire et honneur à Norskh », reprend en choeur la troupe rassemblée autour du Seigneur.
Je suis son esclave et sa Reine.


Bénie sois-tu, Sheya, déesse serpentine et sauvage. Tu nous as encore fait triompher. Dans quelques mois, nous entrerons en vainqueurs dans la citadelle de Naouas, perle du royaume de Madryn, et toute la populace s’inclinera devant nous le front dans la poussière. Jamais plus je n’aurai à approcher un cheval, cet animal malodorant et stupide, retors et dangereux. J’aurai plus de servantes qu’il n’y a d’étoiles dans le ciel d’été, je dormirai sur des lits de plumes et je mangerai dans une vaisselle d’or massif. Je couvrirai mon corps de soieries brodées d’or et serties de pierres précieuses, et à mes doigts et à mon cou et à ma taille et à mes bras scintilleront les diamants éternels et les rubis sanglants. Je n’aurai plus rien à redouter et ma seule tâche sera de garder sous ma coupe un homme fatigué et vieillissant.
Ce soir je n’aurai pas à supporter son haleine fétide et son poids écrasant. La journée a été rude, et le vin achèvera de le rendre inoffensif. Après une nuit entière à cheval, ils ont fondu sur le village aux premières lueurs, tuant et égorgeant, pillant et violant, aigles voraces et jamais rassasiés terrassant sans peine une horde de lapins impuissants. Quand je les ai rejoints, à la tête de la colonne de chariots, la terre était gluante de sang et les vautours criaient leur joie dans le ciel clair en attendant le festin à venir.
« Que fait-on des prisonniers ? », a demandé Dorth tandis qu’Arakht pressait contre le mien son corps balourd empestant la sueur et le sang. « Il y a beaucoup de femmes et d’enfants...
- Race de Madryn ! Honte de la terre ! », ai-je craché. « Que nul ne vienne mettre en péril les jours et les nuits de notre Grand Guerrier !
- Des femmes et des enfants », a soupiré le Seigneur des plaines.
- « Et la terreur est ton alliée comme la pluie féconde la terre.
- Soit. Mavoa est sage et sa prudence est mon meilleur bouclier. Tuez-les tous. Valtrakh le divin Vautour nous en sera reconnaissant. Donne-moi à boire, femme. J’ai la gorge plus sèche que le désert. »
Bois, mon Seigneur et Maître. Bois le vin noir dans la coupe d’airain que j’ai parfumée de ma rivière intime, enivre-toi de cette fragrance entêtante qui enchaîne tes sens et te rend docile à mes désirs. Cet artifice-là, ce n’est pas ma mère qui me l’a appris. C’est Sheya, qui inspire mon esprit et façonne mon corps. Sheya, déesse du Désert et des patientes revanches, Sheya honorée en secret par les Initiés du Désert, et dont le pouvoir est tellement redouté par les hommes du commun qu’ils ont interdit son culte et profané ses temples. Mais cachés sous le sable nous sommes, à jamais silencieux et toujours prêts à frapper. Quand le temps sera venu, je te ferai bâtir le plus beau des sanctuaires, et reviendront les foules qui chanteront ta gloire !

Il pleut depuis quatorze jours et quatorze nuits. Les rivières ont enflé comme des ventres féconds, nous barrant le passage. Naouas n’est plus qu’à quelques jours de marche, et le roi Odaris s’y est piteusement tapi depuis la dernière pleine lune. Le royaume nous appartient, il ne reste plus que cette dernière place forte pour qu’Arakht soit consacré et que la guerre se termine à notre plus grand bénéfice.
« Il faut remonter vers le nord, et traverser le Désert Blanc », suggère Tesiakh. La tente est pleine d’hommes fatigués et dégoulinants de boue que même le vin brûlant n’arrive pas à réchauffer. Malgré les herbes parfumées que j’ai jetées dans le feu, ils dégagent une odeur âcre que j’ai peine à supporter.
- « La pluie finira bien par cesser », profère Dorth sans avoir l’air d’y croire lui-même.
- « On dit que ce désert est redoutable », avance le vieux Lubakh, que la chaleur affaiblit. « Nous pourrions nous y perdre, et mourir de soif... Ou arriver tellement épuisés que l’ennemi nous terrasserait sans peine...
- Tu vieillis, Lubakh. Nous ne manquerons pas d’eau à emporter ! Une fois dans le désert, nous ne marcherons que la nuit, en nous guidant aux étoiles. Je ne laisserai pas à Odaris le temps de reconstituer ses forces. J’ai dit. Nous partirons à l’aube. »
Sheya, je vais revoir ma terre brûlée. Je vais retrouver le sable tendre et les palmiers luxuriants des oasis bienfaisantes. Sheya, je reviens dans ton berceau.



Je n’ai rien oublié. Ni la douceur du sable fluide s’écoulant entre mes doigts, parfum insaisissable et chaud de mes rêveries d’enfant. Ni la brûlure vive du Soleil-Roi, qui éveille le désir et consume celui qui s’y abandonne. Ni le froid lancinant de la nuit, blottie contre les rochers nus pour y retrouver un peu de chaleur. Ni la menace du scorpion, contre lequel rien n’immunise. Ni la tendresse des Hommes Blancs qui m’ont recueillie et m’ont initiée. On dit que le désert est traître, mais les Hommes Blancs ne s’y perdent jamais, même si la piste s’efface au premier souffle de vent, même si les dunes succèdent aux dunes, semblables et mouvantes à la fois, même si les mirages égarent l’esprit du voyageur assoiffé. Sheya les guide, Sheya est leur sauvegarde et leur protection. Sheya, ma déesse de revanche et la paix de mon âme inquiète. Pendant deux ans, j’ai vécu comme une enfant heureuse, nourrie, protégée, instruite. Ma mère vendait mon corps depuis déjà longtemps, mais dans le temple de Sheya tout m’était donné sans contrepartie, et aucun Homme Blanc n’a jamais posé la main sur moi. Pendant deux ans j’ai dormi sans crainte et sans cauchemar. Shadahs, notre Maître à tous, Grand Prêtre de Sheya, m’a pris en affection, et il est devenu le père que je n’ai pas connu. Il m’a montré comment sculpter un fourreau de peau sur ma cuisse pour y abriter Sheyot. Il m’a instruite de la sagesse de Sheya, apprenant la patience à mon coeur impulsif, apprenant l’endurance à mon corps sédentaire, plus souvent allongé que debout. Et puis il m’a Nommée. Mon nom est Sylelys, Serpent de Nuit. C’est ma fierté et mon secret. Seuls les Hommes Blancs le connaissent. Mais combien en reste-t-il à présent ?
Un jour les hommes d’Odaris sont arrivés en grand nombre ; ils ont tout détruit, tuant, dévastant, démolissant jusqu’au dernier mur, profanant sanctuaires et statues, anéantissant mon fragile bonheur. Les Hommes se sont battus, et Shadahs à leur tête. Mais quand la défaite devint une certitude, ils l’ont prié de s’enfuir pour que survive le culte de Sheya. Il a d’abord refusé, car sa dignité s’offusquait d’abandonner lâchement ses compagnons. Puis il s’est plié à la raison, et il m’a emmenée avec lui, parce que j’étais la plus jeune. Nous nous sommes cachés dans le sable, tel le serpent prudent, et à la nuit, refoulant nos larmes et nos regrets, nous nous sommes enfuis sans nous retourner. A la première ville, Shadahs m’a acheté des vêtements de couleur et malgré mes protestations véhémentes, m’a obligé à quitter le Blanc. Puis il m’a donné l’ordre de partir, parce que sa présence à mes côtés me mettait en danger et que j’étais trop jeune pour mourir. J’ai crié et pleuré, il n’a pas répondu. Nous nous sommes endormis côte à côte, mais au matin il avait disparu. Depuis, mon sommeil est plus léger que la plume de l’aigle.
Un jour, un jour bientôt je pourrai à nouveau porter le Blanc, et retrouver la paix de Sheya.




Arakht me tient le poignet fermement et m’entraîne hors de la tente, pour le regarder en pleine lumière.
« Mais c’est une morsure de serpent !
- Mais non...Je m’en souviendrais ! J’ai dû m’écorcher quelque part...
- Ne mens pas, femme ! Je connais ces traces ! Dix hommes déjà en sont morts !
- Eh bien... C’est possible, après tout. Mais j’ai passé mon enfance ici, tu le sais. Nos mères nous protègent avec leur lait, et nous font mordre plusieurs fois avant de nous sevrer. Ainsi, nous sommes protégés pour la vie. »
Mon mensonge a l’air de l’apaiser. Somme toute, il est plausible. Comment pourrais-je lui dire que nous sommes exposés progressivement au venin pendant tout l’apprentissage, et que le jour de l’Initiation, la morsure est la dernière Epreuve ? Je n’ai pas tremblé, je n’ai pas pleuré, et j’ai survécu, parce que telle était la volonté de Sheya, qui punit de mort ceux dont la foi vacille.
J’attire mon seigneur et Maître sur mon sein dressé. J’ai le pouvoir d’effacer de son esprit jusqu’au souvenir du moindre de ses doutes. Il en va de ma vie, certes, mais surtout il en va de l’avenir du culte de Sheya, et je suis l’instrument de la Déesse. Sheya, garde-moi dans ta protection, et je ferai refleurir les Hommes Blancs.




Je somnole encore aux guides de mon chariot dans le jour qui se lève ; je n’attends qu’une chose, c’est qu’Arakht donne enfin le signal de la halte. Il n’y aura plus alors qu’à monter la tente et enfin s’étendre et dormir, dormir... Des cris venant de l’avant du convoi me tirent de ma torpeur. Ma curiosité est aussi engourdie que mon corps fatigué. Ils peuvent bien tuer qui ils veulent, pourvu qu’ils fassent vite...
« Mavoa ! »
Obéissante, je m’approche en baillant de mon Seigneur et Maître.
« Regarde ce que nous avons trouvé sous ces ruines ! De drôles de rats, vivant dans des labyrinthes creusés dans la profondeur du désert. Tu as vécu ici autrefois. Tu les connais ? »
J’ai du mal à garder un air indifférent quand mon coeur s’emballe et hurle dans ma poitrine. Ils sont Blancs ! Je ne regarde surtout pas leurs visages, je hausse les épaules.
« Je suis partie depuis si longtemps, ô amour de ma vie, et ma famille est morte. Je ne connais plus personne.
- Mais ce sont des Hommes Blancs, n’est-ce pas ? Ces monstrueux fanatiques d’une religion interdite, qu’Odaris dans sa mollesse et son indolence n’a toujours pas réussi à exterminer ! Je ne permettrai pas que cette vermine corrompe mon royaume. Tiens, regarde celui-là ! Il est si vieux et si maigre qu’une épine de pin le transpercerait ! A toi l’honneur, ma Reine : tue-le ! Nous serons à Naouas dans deux jours. Un royaume, cela vaut bien la peine de se salir les mains ! »
Je lève les yeux vers le visage de l’homme. Et malgré le temps passé, je ne peux pas ne pas le reconnaître. Shadahs regarde droit devant lui, comme si j’étais une parfaite inconnue. Il me protège encore. Peut-être même aura-t-il un petit sourire affectueux quand ma lame s’enfoncera dans son coeur. Sheya ! Je ne peux pas...
Je me détourne, je fais trois pas en me tenant le ventre, et je vomis une salve de bile dans le sable immaculé.
« Je... Je porte ton héritier, Arakht. J’ai besoin de calme et de repos, et ton enfant aussi.
- Un nouveau guerrier ! », rugit Arakht, « Le sang ne peut que l’aider à se fortifier ! Tue, ma beauté adorée, et je le saignerai comme un porc, et je te laisserai boire son sang, et je te ferai Reine du monde ! Je t’ai donné un enfant, montre-toi digne de cet honneur ! Allons, tu en as tué de plus vigoureux !
Mon mensonge n’a pas suffi. Sheya, sois bénie pour m’avoir évité cette abomination ! Porter un parasite grouillant et avide, se déchirer les entrailles pour l’expulser de nous, le laisser ensuite sucer notre vitalité et enlaidir avant l’âge notre féminité si fragile... Il m’a donné un enfant ! Que croit-il donc m’avoir donné, hormis sa puanteur fétide et cette humeur poisseuse dont il se glorifie tant ? De quelle extase divine pense-t-il donc me gratifier, tandis qu’il évacue en moi sa déjection virile dans l’unique dessein de se soulager ?
« Embrasse-moi, Roi des Guerriers, et j’aurai la force de te complaire. »
Arakht se rengorge en m’ouvrant les bras. Ma main droite se glisse dans la fente que je pratique dans toutes mes jupes, le long de la cuisse. Mes lèvres se tendent amoureusement tandis que Sheyot, mon ami fidèle et mon trésor le plus précieux me délivre encore une fois d’une emprise que je refuse. Le Grand Guerrier s’écroule à mes pieds et je lève mon poignard vers le ciel dans un cri de triomphe.
« Mort à tous les ennemis de Sheya et gloire à la Déesse ! »
Le sable est doux sous ma joue et je n’entends plus les cris et la furie autour de moi. Le premier rayon du soleil est une caresse chaude et j’ai gagné ma liberté. Sheya me tend les bras dans la Blanche lumière, elle m’offre la beauté éternelle et la jeunesse éternelle, et le repos...
Narwa Roquen,... et tant de choses à faire...

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2012-09-26 23:36:23 

 WA - Participation exercice n°110Détails
TUITIO FIDEI



When the saints go marching in
Oh Lord I want to be in that number...


La ritournelle sautillante et obsédante virevolte dans ma tête. La version d’un certain Louis Armstrong, celle qui libère la plus forte charge émotionnelle. Elle trotte dans ma tête depuis mon réveil. J’ai envie de siffloter ces mesures simples et entraînantes. J’aime bien être ici. L’immense ouverture donne plein sud et, à cette hauteur, j’ai l’impression de me tenir sur le gaillard avant d’un vaisseau fantastique fendant les flots. Je suis le roi du monde ! La Mer ! Elle s’étend jusqu’à l’horizon où elle semble avaler goulûment le ciel d’azur. Elle fait partie de mon équilibre intime et son encre marine coule dans mes veines. Je suis né auprès d’elle et quand je mourrai, son écume recouvrira mon visage comme une mère attentionnée recouvre le visage de son fils d’un pan de drap immaculé. C’est écrit.

Le vent du Nord souffle fort aujourd’hui. Et son fouet glacial donne aux vagues une teinte sombre, presque noire. Une parabole se cache là dessous mais je n’arrive pas à m’en souvenir. La mer répand en moi une paix suave et réconfortante. Elle nappe d’une fraîcheur sans cesse renouvelée la rage qui me consume de l’intérieur. C’est une douleur aiguë et permanente qui fouaille mes entrailles. Ce soir, je me confierai au Chapelain pour qu’il apaise mon âme. En signe de contrition je conserverai toute la nuit la cilice qui , sous mes vêtements, me corsète étroitement.

J’oublie la douleur et je me force à m’approcher de la baie où s’engouffrent les rafales du vent. Me tenant au chambranle métallique, je fais glisser mon regard le long de l’arête lépreuse d’un grand bâtiment qui borde l’esplanade littorale. En plusieurs endroits, les impacts d’obus et de balles de gros calibre ont tissé une fine dentelle qui tavèle de haut en bas la façade ajourée. J’aperçois parmi les décombres, des silhouettes indistinctes qui cheminent avec l’empressement caractéristique des habitués de ces heures dangereuses. Face à moi, le port aligne ses portiques géants qui attendent vainement les navires. Les quais et les darses sont déserts. De l’autre côté de la rade, je peux apercevoir ma fière citadelle, massive et impressionnante.

Dans le ciel, quelques gabians jettent des cris qui ressemblent à des pleurs hystériques de nourrissons. Très haut, presque invisible, une traînée crayeuse dans son sillage, un aéronef scintillant traverse le ciel sans nuage. Les Anges de l’Ouest nous photographient à très haute altitude, là où nul ne peut les atteindre. Ils ont si peur de nous. De ce que nous sommes devenus. Ils ont si peur qu’ils se sont repliés sur eux-mêmes et ont fermé toutes les voies qui mènent à leur royaume au-delà l’océan. L’Amère Ile, le continent escamoté. Il paraît que là-bas, le miel coule à flots. Il paraît que là-bas, d’immenses troupeaux de mammifères aux longs poils paissent en liberté dans des pâturages inépuisables. Il paraît que là-bas, l’Homme s’est réconcilié avec la Nature. Il paraît que là-bas, l’Arche d’Alliance resplendit au sommet d’un temple plus haut que la plus haute pyramide, baignant de ses divins rayons, une terre féconde. C’est un temple entièrement construit de briques d’or pur. Concentrant le feu du soleil, il est plus brillant que le plus puissant des phares. Mais les Anges égoïstes ont scellé définitivement toutes les portes de leur royaume, nous laissant derrière, menacés par la Nuit éternelle et tous nos ennemis. Là-bas, quelqu’un comme moi ne pourra jamais aller. Pourtant, nous sommes unis par des liens fraternels. Ils sont les us et nous sommes les coutumes.

Or, contre toute attente, nous avons résisté. Nous avons levé fièrement nos blanches bannières tissées d’or et nous avons affronté victorieusement les hordes déferlant du Sud et de l’Est. Nous avons résisté autour de nos valeurs et bardés dans notre Foi inébranlable, bâtissant bastions et places fortes. Nous possédons une arme qui jamais ne s’émousse. Une arme irrésistible. Une arme de destruction massive. Une arme prodigieuse et millénaire, que le plus humble d’entre nous peut brandir sans difficulté. Nul besoin de longue formation ou de manuel abscons. Elle ne peut être dérobée. Elle ne peut être détruite. Le père la transmet à son fils aussi naturellement que sa mère lui donne le sein pour la première fois. Elle est immédiatement entendue et comprise. C’est notre force et notre héritage.

Des bruits de pas me tirent de mes pensées. Mathieu, mon premier capitaine, pénètre vivement dans la pièce. Son treillis immaculé et ses cheveux blonds le font furieusement ressembler à un de ces personnages qui ornent les rares vitraux encore intacts de la vieille cathédrale. Ses yeux bleus sont aussi froids que la houle et ses traits anguleux semblent taillés à la serpe. Dans son sillage, trois ou quatre autres frères, lourdement armés, encadrent une silhouette plus menue. De très petite taille. Un enfant.

“Nous en avons attrapé un ! » déclare Luc en poussant sans ménagement un adolescent au milieu de la pièce.

Son prisonnier n’est pas entravé. Inutile. Sans arme, avec quatre grands gaillards qui bloquent toute retraite, il peut essayer de s’échapper par la baie sans vitrage. Nous sommes au dix-septième étage. Mais je pense qu’il n’ignore sans doute pas que les miracles sont plutôt de notre côté. Il ne semble pas fatigué d’avoir gravi les trois cents marches qui mènent à ce nid d’aigle. Il a l’habitude de l’effort physique. C’est le propre des animaux. Ils deviennent plus endurants à force d’être pourchassés. Une forme de sélection naturelle. Je garde cette réflexion pour moi, elle pourrait être jugée hérétique par mon recteur. Les publications de Darwin ont fait l’objet d’un autodafé particulièrement sévère. Et puis je me fous des pigeons et de leurs différences !

Avant de questionner le garçon, je le laisse un peu mariner dans son jus. Cela me permet de l’examiner tout à mon aise. C’est un jeune adolescent. Quatorze ans pas plus. Peut-être moins. Je lis la peur dans ses yeux vairons. Une peur retenue et silencieuse. Il est vêtu de hardes achetées sur les étals des marchés périphériques. Elles devaient être bigarrées mais leurs couleurs à présent disparaissent sous une bonne couche de plâtre et de poussière. Son visage, barbouillé de traces blanchâtres, est assez beau malgré tout. C’est étonnant, il ne présente encore aucun des signes de dégénérescence qui sont la marque de la Bête.

Il a l’air éveillé, intelligent. Mais bien sûr, c’est superficiel. Comme tous ceux de son espèce, une fine pellicule d’humanité lui permet de tromper son monde. Un vernis humain pour gagner quelques heures supplémentaires. Une sorte de camouflage. De défense passive. Mais il suffit juste de gratter un peu et le noir du démon apparaît. La lèpre aussi.

Nous sommes là pour ça. Pour séparer le bon grain de l’ivraie. Protéger les brebis du Seigneur, le troupeau du Pasteur, les fidèles de la vraie Foi. Nous sommes là pour ça. Comme les autres, dans leurs propres secteurs. Nous sommes des Sentinelles et nous veillons sur le rempart.

Il n’est pas très bien nourri, ses joues sont caves et ses poignets, qui dépassent des manches, sont maigres. Terriblement maigres. Bien. C’est très bien. Cela signifie que nos efforts commencent à produire leurs effets. Les mesures décidées lors de la dernière Oikiagora ont été efficaces. L’étau se resserre. Le jour viendra où sur ce territoire, plus aucun mécréant ne polluera la vraie lumière. Je prie avec ferveur tous les matins pour que ce jour advienne avant que mon Créateur ne me rappelle à lui.

Pourtant quelque chose dans ses yeux me dissuade de débuter l’interrogatoire. Quelque chose qui me pousse à m’adresser d’abord à Matthieu.

« Il était tout seul ? »

« Non, il y avait aussi une fille et un autre garçon, plus âgés. Dès qu’ils se sont aperçus qu’ils étaient repérés, ils ont détalé ventre à terre. On était sur leurs talons mais ils sont descendus dans une bouche de métro. A partir de là, l’obscurité a joué en leur faveur. Ils ont longé les voies et se sont faufilés dans une galerie creusée dans la paroi du tunnel. Un de leurs satanés boyaux ! Frère Ignace était le plus rapide et le plus menu d’entre nous, il nous avait distancé de quelques mètres. Je l’ai vu disparaître dans le passage juste au moment où tout le plafond s’est effondré sur lui...»

« Frère Ignace... mort ? » Je l’interromps, incrédule.

Frère Ignace. La nouvelle me bouleverse. C’était un frère d’armes depuis de nombreuses années. Il était aussi vif d’esprit que de corps. C’était un chevalier expérimenté que j’appréciais au plus haut point. Il avait un caractère flegmatique, une intelligence acérée et une bravoure inaltérable. Il celait un secret au plus profond de lui. Un chagrin affleurait quelquefois et l’enfermait alors dans un mutisme qui pouvait durer plusieurs jours. Indirectement, j’ai compris, sans jamais oser lui demander si je ne me trompais pas, qu’il s’agissait d’une femme. Une femme de son passé, avant son arrivée à la Commanderie des Catalans. Il venait du Krak de Carcassonne dont la renommée dépassait les frontières des Marches Toulousaines. Il y avait dans le maintien et le port de Frère Ignace une autorité et une noblesse qui m’ont fait plus d’une fois penser qu’il pouvait être un Chevalier Faydit qui avait dû fuir sa charge à cause de ce lourd secret qu’il emmurait en son coeur.

Une colère froide monte en moi, accompagnée de la douleur d’avoir perdu un proche compagnon. Je tends la main vers le pommeau de mon épée appuyée contre le mur. La rage qui brûle en moi redouble de violence, comme si j’étais précipité au coeur d’un bûcher infernal. Une fine transpiration perle sur mon front, à la lisière de mes cheveux coupés en brosse. Malgré moi, un rictus tord mes lèvres et je m’avance d’un pas vers le garçon, menaçant.

Frère Matthieu, habilement, détourne mon attention et termine son récit d’une seule traite :

‘Plusieurs tonnes de gravats et de plaques de béton obstruaient la galerie. On a essayé de le tirer de là le plus vite possible, mais il n’y avait plus rien à faire. Frère Ignace était mort bien avant qu’on ne réussisse à le dégager. C’est ensuite qu’on a découvert le mioche. Il avait été pris lui aussi dans l’éboulement mais le démon l’avait protégé. Il était prostré sous une sorte d’entablement de béton qui a résisté à l’effondrement. Quand on l’a extirpé, les frères voulaient lui faire la peau sur le champ mais j’ai décidé qu’il valait mieux le ramener ici ! »

« Tu as un nom?” Ma voix est criarde et mes mots claquent comme les lanières d’un fouet.

Le gosse est paralysé par la frousse. Il me fixe sans répondre, comme un lapin fixe le serpent qui glisse vers lui. Pour ne pas succomber à la tentation, j’égrène lentement mon chapelet entre mes doigts. Les grains d’ivoire des Ave me rappellent peu à peu aux devoirs de ma charge. L’osselet du Pater arrête le temps. Il faut agir. Je saisis vigoureusement l’adolescent au collet et je le soulève jusqu’à ce que son visage soit à quelques centimètres du mien. On ne joue plus.

“Je t’ai posé une question. Comment t’appelles-tu?”
“Ber... Bertrand... m’sieur! Bertrand!”
“Je ne suis pas monsieur, je suis Frère Luc pour toi ! Frère Luc. Tu me remets maintenant, n’est-ce pas ?“ Je ne réussis pas à contenir l’âpreté de ma langue.

Il hoche la tête tandis que ses yeux s’agrandissent encore plus, reflétant cette fois-ci une terreur démesurée. Bien sûr qu’il me remet. Qui ne connaît pas Frère Luc? Qui ne connaît pas le Commandeur ? Le commandant du Fort Saint-Nicolas, le quartier général de la Commanderie des Catalans, bâti sur la colline qui domine le Vieux Port. J’ai d’autres surnoms. Plus cruels, plus organiques comme ils disent. Des surnoms qui sèment l’effroi dans le coeur de mes ennemis les plus endurcis. C’est bien. Qu’on me redoute ! Je suis une épée flamboyante et ma place n’est pas dans le fourreau. Mes hommes, des chevaliers hospitaliers comme moi, maintiennent le tiers de la ville sous l’autorité de la bannière pontificale. Notre Ordre, comme le phénix renaissant de ses cendres, est l’un des trois piliers de la vraie Foi. Nos frères teutoniques protègent les terres situées plus loin dans le Nord, au-delà du Rhin et nos frères templiers protègent les contrées transalpines et les terres qui vont jusqu’au grand fleuve Danube, jusqu’à la ville aux mille ponts. Enfin, ce qu’il en reste. Des soldats de Dieu, voilà ce que nous sommes et nous défendons nos biens et nos valeurs.

Bertrand tremble, une extrême pâleur envahit ses joues. Quand je le lâche, il manque de perdre l’équilibre. Il se retient de justesse à la table branlante où un petit livre est posé, ouvert à l’envers, dont les pages, aussi fines que du papier à cigarette, sont toutes écornées. Je l’ai tellement lu et relu. Il est mon unique source de réconfort et il me guide chaque fois que je me perds. Grâce à lui les oeuvres que je réalise ici-bas résonneront glorieusement quand je me tiendrai bien droit devant Saint-Pierre. Elles assureront le salut de mon âme et m’ouvriront les portes du Paradis.

La table bascule sous le poids de l’adolescent et le livre tombe par terre. Une page se détache de la reliure en piteux état et s’échoue lentement à mes pieds. Quand je m’en empare, instinctivement, je tombe sur un verset. La rage s’éteint alors comme un feu noyé par une onde claire. L’orage qui s’amassait en moi se disperse, chassé par une lumière bienveillante qui inonde mon âme. Je souris au garçonnet. Un sourire éclatant qui le désoriente un peu plus.

« Tu as de la chance Bertrand. Une nouvelle fois. Le Créateur m’adresse un signe divin là où toi, pauvre aveugle, tu ne vois que folle coïncidence. Tes yeux sont myopes, Bertrand ! Le démon y déverse les sables de la confusion. N’importe quelle page aurait pu se retrouver par terre. Or, il ne s’agit pas de n’importe laquelle d’entre elles. Cette page provient de la première épître de Jean. Il y est écrit que si nous confessons nos péchés, Il est fidèle et juste pour nous les pardonner et pour nous purifier de toute iniquité ! Tu ne comprends sans doute pas mais tu viens d’obtenir un supplément d’existence!»

Je me retourne vers Matthieu :

« Demande à Lucas de le conduire à la Commanderie. Qu’il soit confié aux bons offices de Vincent. Lui saura quoi faire. Mets bien en garde Lucas ! Que ce gamin arrive sans dommage à bon port ! Il m’en répondra sur sa vie. Voilà, Bertrand, je ne peux plus rien contre toi à présent. Ton destin est entre les mains du Chien du Seigneur, celui qui aboie quand il hume le démon. C’est tout ce que je puis faire. C’est déjà beaucoup ! »

Une pensée saugrenue me taraude pourtant. Peut-être aurais-je dû me montrer plus miséricordieux ? Le frère Vincent n’est jamais avare de ses efforts quand il entreprend de soumettre une âme à la volonté de Dieu. Il a à sa disposition toute une panoplie d’instruments capables d’extirper la souillure du démon aussi profonde soit elle! Mais au bout du chemin, l’âme de ce jeune publicain gagnera le Paradis. Il l’aura mérité !

Je redresse la table mais un de ses pieds a été brisé net. Inutilisable désormais. Frère Lucien entre à son tour dans la pièce.

« Commandant, un message par sémaphore de la Commanderie. On nous prévient d’un raid de nos amis des quartiers Nord. Ils sont environ une quinzaine. Un baptême du feu pour de nouvelles recrues du Djihad visiblement. Trois patrouilles de chevaliers convergent déjà vers la Canebière et le Vieux Port, une du Pharo, une de Vauban et la dernière du Fort Saint Jean ! »

L’excitation me gagne :

« Préviens les hommes immédiatement, on s’invite dans la partie. Je veux tout le monde prêt à partir quand j’arrive en bas! »

Je boucle mon ceinturon où pend ma fidèle épée. Je fourre mon livre de psaumes dans une poche intérieur de ma veste de treillis. A sa place. Tout contre mon coeur. Précédant mes compagnons, je dévale les marches. Sur les paliers, les cages d’ascenseurs sont murées depuis que les machines se sont arrêtées, faute d’énergie.

J’atteins le rez-de-chaussée de la tour délabrée. La plupart des dalles de verre qui la recouvraient ont disparu en 62 lors de la tentative de débarquement. C’était vers la fin de la guerre, je n’avais pas deux ans à l’époque. Une bonne vingtaine de chevaliers m’attend en demi-cercle autour de l’entrée. L’un d’eux me tend les rênes de Héros, un alezan fier et rapide, aux jambes lourdes et endurantes. Je saute en selle et bientôt les fers de nos montures claquent comme le tonnerre sur le bitume de la chaussée défoncée.

C’est devenu un jeu plaisant. Enfin, presque car le sang est souvent versé et la Mort marche à nos côtés. Mais il est exaltant de laisser aller notre nature première. Nous sommes des soldats, des combattants. Or de nos jours, tout est trop policé, étroitement encadré par des règles d’évitement. Tout se termine invariablement par d’interminables négociations. Les évêques, les imams et les rabbins s’assoient autour d’une table, ouvrent les livres saints à la bonne page et parlent doctement. Tout se conclut par des prières oecuméniques et des embrassades confraternelles. Et encore, nous avons de la chance ici. Dans certaines enclaves, bien plus de congrégations forment l’Assemblée Religieuse.

Alors nous avons inventé d’autres jeux, qui suivent d’autres règles. Nous, les combattants de Dieu, quel que soit son Nom. Des joutes guerrières qui entretiennent nos traditions. Si tu veux la paix, prépare la guerre disait Végèce. Nous appliquons à la lettre ce précepte. Car un jour viendra la grande Guerre, la Mère de toutes les batailles. Et ce jour-là, je serai prêt. Il n’y aura plus qu’un dieu à la fin. Le Mien !

Pour l’heure, nous galopons sur la large esplanade qui, surplombant le front de mer, mène au Vieux-Port. Moins d’un kilomètre à parcourir. Nous y serons rapidement. Nous longeons les vestiges de majestueux bâtiments éventrés par les obus de marine tirés du large en 62. Il n’en reste plus que quelques pans de béton mais leurs lignes sont demeurées étonnamment fluides et gracieuses. Nous évitons les cratères qui n’ont jamais été comblés et les lignes de hérissons tchèques qui devaient stopper la progression des unités blindées après le débarquement qui n’a jamais eu lieu. Maintenant, c’est un champ de rouille à ciel ouvert.

Nous atteignons le Vieux-Port où ont été coulées des dizaines de bateaux de toutes tailles. Il y a parmi eux, un grand trois-mâts gisant sur le côté, toutes ses vergues brisées ou arrachées. Tout ce qui avait un peu de valeur a été pillé. Il ne reste qu’un squelette de bois qui blanchit sous le soleil. L’eau du port est limpide. Je peux distinguer les ombres noires et fugitives de longs poissons au dos argenté qui filent sous la surface. Des poissons dangereux. Des poissons carnivores. Mieux vaut ne pas glisser au bord du quai. Dans l’eau, les chances de survie sont infimes. Ils sont rapides et voraces. Et leur appétit est insatiable.

Sans ralentir, je donne les ordres. Nous mettons le cap vers l’ancienne préfecture. Les rares passants s’écartent et se pressent contre les murs. Nous faisons un vacarme d’enfer. Le spectacle est assez effrayant : une bonne vingtaine de cavaliers lancés au grand galop dans des rues étroites, épée au clair. Cet exercice réclame véritablement une maîtrise supérieure de l’équitation. C’est une chose de manoeuvrer sur un terrain meuble où le cheval prend ses appuis naturellement. Ici, en, milieu urbain, entre macadam et pavés irréguliers, cela tient plutôt de l’équilibrisme. Certes, nos bêtes sont entraînées dès leur plus jeune âge dans cet environnement, mais c’est toujours périlleux. C’est comme rouler sur du verglas disait un vieux chevalier en mâchonnant sa chique. Je n’en sais rien. Je n’ai jamais conduit de toute mon existence.

Nos amis des quartiers Nord s’emploient à rejoindre une plage qui borde la corniche. Une plage qui revêt à leurs yeux une signification toute particulière. Cette course fait partie de leur formation. De leurs rites initiatiques. Une sorte d’épreuve finale. Montrer qu’ils méritent d’être enrôlés dans les Harafisha, les unités de reconnaissance ou dans les Ghulams, leurs propres patrouilles. De toute façon, ils seront de redoutables adversaires. Tous. Dignes de respect.

Le jour s’assombrit alors que le soleil descend sur l’horizon. Celui-ci est rouge sang dans un ciel pâle. Le Mistral souffle de plus en plus fort avant de retomber momentanément, entre chien et loup. Nous arrivons enfin sur zone. Chacun sait ce qu’il doit faire. Je me poste en haut d’une rue très étroite, dont la forte pente descend entre des façades lézardées, aux fenêtres murées jusqu’au grand boulevard qui conduit au Paradis. J’aperçois un peu plus loin sur ma droite, juchées sur un toit en contrebas, trois silhouettes accroupies qui regardent dans ma direction. Ce sont des sentinelles des milices Plugot Mahatz qui protègent les quartiers où est circonscrit le territoire juif.

Je leur fais un signe amical de la main. Elles ne me répondent pas mais leurs grands arcs sont débandés et aucune flèche n’est encochée. Elles n’ignorent rien de ce qui se prépare et elles seront aux premières loges. Mais aujourd’hui, elles ne joueront pas avec nous. Car aujourd’hui c’est shabbat.

Le dispositif est en place. Tous les points stratégiques sont occupés. Mes chevaliers hospitaliers sont répartis le long d’une ligne imaginaire en forme d’entonnoir qui amènera vers moi les aspirants moudjahidine. Je voudrais bien qu’aucun d’entre eux ne parvienne à fouler le sable de la plage qui n’est pas très loin derrière moi. La plage du Prophète. Ceux qui réussiront à l’atteindre pourront repartir, libres et honorés. Les autres ? Et bien, ils auront servis à entraîner mes hommes! Les grands Chelem se font rares de nos jours.

Une trompette retentit, quelque part vers Bompard. Ca commence. Les ouailles se claquemurent et prient dévotement. Je plonge la main dans une poche latérale du treillis et, égrenant mon chapelet, je récite un rosaire pour obtenir l’intercession de la Sainte Vierge.

Des bruits de lames qui ferraillent s’élèvent à proximité. Contact. Des cris, des appels, des ordres qui fusent. Des hennissements de chevaux se mêlent au concert d’exclamations. J’identifie quatre sources différentes, réparties sur tout le dispositif. Je lève un bras. A côté de moi, un chevalier souffle trois fois dans son sifflet. Pied à terre. Une image s’impose devant mes yeux. Celle d’une porte qui se découpe dans l’obscurité, dévoilant peu à peu une coupe d’or. Celle-ci flotte au-dessus d’une rivière de lumière qui se déverse dans l’entrebâillement de l’huis. Je récite une prière de remerciement à Marie.

« Trois avec moi ! »

Sans vérifier que l’ordre est bien exécuté, je m’enfonce en courant dans l’ombre épaisse d’une porte cochère baillant sur la rue. L’immeuble est vide, comme beaucoup dans la ville. Une odeur prenante de moisi et de poussière emplit mes narines. Je me dirige sans hésiter vers l’arrière-cour. C’est un raccourci qui devrait me permettre de prendre à revers les téméraires qui auraient fait le pari d’emprunter l’itinéraire des Fous.

Cet itinéraire a été ouvert, il y a quelques années, par des têtes brûlées qui eurent assez de cran pour tirer directement vers le centre du dispositif, là où en théorie, les risques d’être interceptés étaient les plus grands. Leur audace paya. A eux la gloire, à nous la morsure amère du ridicule. Depuis, nous avons amélioré nos dispositifs de défense.

Nous franchissons plusieurs courettes mitoyennes, délimitées par des murets en ruine ou des clôtures, envahies par les mauvaises herbes. Nous dérangeons plusieurs petits animaux nécrophages qui grognent méchamment mais qui détalent piteusement à notre approche. Ils ont déjà goûté au tranchant de nos lames. Une palissade en mauvais état nous barre le passage. Juste derrière, il y a un étroit chemin qui zigzague entre les grandes propriétés à l’abandon du Roucas Blanc. Il est presque impraticable sauf pour des aspirants fedayins très motivés. Envahi par les ronces géantes, il disparaît parfois sous des éboulis de rocailles où logent des créatures qui tiennent du serpent et de l’araignée. Elles possèdent un long et sinueux corps velu, pouvant atteindre près d’un demi-mètre, doté de huit paires de pattes aux extrémités griffues. Leurs chélicères inoculent un poison violent et généralement mortel si un sérum n’est pas administré dans les dix minutes. Se nourrissant de rongeurs, qui pullulent, et d’oiseaux, qu’elles débusquent, elles quittent rarement leurs habitats rocheux mais se montrent très agressives lorsqu’on pénètre sur leur territoire.

Un brouhaha s’élève de l’autre côté des planches disjointes. J’entends des herbes bruyamment froissées, des pierres qui roulent, des respirations hachées. Ceux qui se déplacent ainsi ne prennent aucune précaution pour masquer leur présence. Ce n’est pas normal. Les candidats Harafisha se couleraient dans le décor en utilisant toutes les tactiques de guérilla urbaine dans le plus grand silence. C’est l’intérêt du jeu. Là, il faudrait être sourd pour ne rien entendre. A mon signal, nous enfonçons la palissade qui s’affaisse d’un coup sur plusieurs mètres. Emportés par notre élan, nous nous retrouvons sur le chemin où, au même instant, plusieurs publicains passent en trombe devant nous. Cinq, peut-être six. Mauvaise idée. Ils se trouvent au mauvais moment au mauvais endroit ! Leur soudaine apparition nous prend de court et ils nous dépassent sans que nous esquissions le moindre geste.

A peine ont-ils disparu à la faveur d’un lacet du chemin que quatre jeunes arabes, vêtus de la tunique traditionnelle des Harafisha, leurs shemaghs masquant une bonne partie de leur visage, font irruption. En nous voyant, ils s’arrêtent brutalement, armés du glaive recourbé qu’ils appellent khépesh, version urbaine des longs cimeterres de campagne. Nous restons ainsi face à face, en posture de combat. Une bonne seconde. Ils sont jeunes mais leur relâchement est un signe qui ne trompe pas. Ils sont qualifiés et entraînés à la perfection. Trois d’entre eux interrogent du regard celui qui est à leur tête. Son shemagh est noir et blanc alors que ceux de ses compagnons sont verts et noirs. C’est le meneur. Le leader. Il rive ses yeux aux miens. On se comprend sans rien dire. Le conditionnement religieux inculqué par nos maîtres et directeurs de conscience est sans faille.

Nous nous élançons à l’unisson à la poursuite des fuyards. Mort aux incroyants. Mort aux mécréants. Je respecte plus mon ennemi coiffé d’un shemagh ou d’une kippa que ces chiens qui ne croient en rien. Ils dirigeaient auparavant le monde, ayant renié leurs origines et leurs dieux. Ils ont édifié une civilisation matérialiste, reléguant le divin dans la sphère privée. Ils croyaient que la démocratie apporterait le bonheur aux hommes. Pauvres fous ! Leur projet était voué à l’échec. Dieu est plus grand que l’homme. Et celui-ci doit se soumettre à Dieu. Aucune loi humaine n’est supérieure aux lois des Livres Saints. Le monde a changé. Il reste quelques irréductibles qui refusent le nouvel ordre. Qui rejettent les préceptes sacrés. Nous les appelons les publicains et nous leur donnons la chasse pour les réduire à néant. C’est une mission sacrée entre toutes et elle dépasse nos querelles de minarets, de synagogues ou de clochers.

Ils n’ont aucune chance. Nous les traquons sans pitié et sans faiblesse. Petit à petit, nous les rattrapons. Ils ne peuvent rien contre huit guerriers inspirés par le divin. Certains d’entre nous s’écartent sur nos flancs, afin de prendre les publicains en tenaille. La conclusion est proche. Presque inconsciemment, nous les rabattons vers un lieu symbolique. Ils sont cinq. Trois hommes et deux femmes. Ils ne portent aucun des signes religieux qui les soustrairaient au juste châtiment que nous allons leur infliger. Aiguillonnés par la peur, ils trouvent la force de traverser la large avenue qui, au bas des collines meutries, longe la mer. La corniche.

Ils veulent bifurquer sur la gauche pour tenter d’atteindre un glacis d’immeubles en ruine où ils pourront se fondre. Mais surgissent alors deux des nôtres qui leur barrent le passage. Les publicains rebroussent chemin et se lancent dans la direction opposée mais là encore, deux autres guerriers apparaissent devant eux. Quant à nous, nous déboulons des broussailles qui bordent l’avenue. Les mécréants hésitent un instant puis, comme des hirondelles, s’enfuient dans la seule direction possible. Ils descendent sur la plage qui s’étend sous la corniche. Ils ressemblent à ces grands animaux que chassaient les chevaliers d’antan. Les cerfs ou les daims. Nous sautons du haut parapet. Un saut de près de trois mètres pour fouler le sable de la plage. Nous formons à présent un large arc de cercle qui repousse les cinq publicains vers la digue rocheuse qui ferme la plage.

Ils ne sont pas armés. Cela n’a aucune importance. Ils reculent encore. Un pas. Deux. Un des hommes essaie de sprinter vers les vagues. Un éclair d’argent accroche un des derniers rayons du soleil couchant. Une dague enfoncée entre ses omoplates, il s’écroule sur le sable humide. Il n’y aura pas de miracle.

Je m’approche d’une jeune femme. Elle halète en silence, sa poitrine se soulève rapidement. Tout le reste s’efface et il n’y a plus qu’elle et moi. Mon épée entre nous. Elle me toise farouchement. Ses joues sont empourprées et ses yeux brillent d’un éclat mordoré. Elle a cette beauté indomptée qu’ont souvent les enfants perdus. Ses cheveux sont coupés court mais cela rajoute à son charme singulier. Est-ce une prière indicible que je lis dans ses yeux ? Une supplique interdite ? Une miséricorde impossible ?

Quand je plonge ma lame entre ses seins, elle tombe à genoux en poussant un léger gémissement. Elle plaque ses mains hésitantes contre la plaie béante où jaillit une fontaine écarlate. Mais son regard ne se délace pas du mien. Une mouette ricane en passant au-dessus de la plage. A l’horizon, le soleil s’abîme dans les flots et la mer scintille de reflets sanglants. J’enregistre tous les détails qui composent cet instant. L’odeur saline des embruns mêlée à celle du sang, l’étrange silence qui suit l’explosion de violence, les silhouettes figées des guerriers de Dieu au-dessus des gisants. La plage du Prophète a recouvré sa paix. Les Harafisha et les Hospitaliers se congratulent mutuellement. Demain, nous nous affronterons peut-être et certains perdront la vie. Mais demain est un autre jour. Ce soir, nous avons été unis contre un ennemi commun.

Je devrais être heureux. Je devrais être fier. J’ai porté sans trembler le fer au coeur de l’hérésie. Mon recteur me félicitera. Pourtant, je me sens comme souillé. Je contemple la rivière rouge qui creuse le sable entre les genoux de cette femme que je ne connais pas. Cette jeune femme que j’aurais pu aimer. Je déglutis péniblement. La chanson du jazzman noir me revient en mémoire. Entêtante. J’avais oublié qu’il s’agissait d’une chanson accompagnant les défunts jusqu’à leur dernière demeure. Jusqu’au cimetière. C’est un chant funèbre. Un joyeux chant funèbre.

Demain, heureusement, c’est dimanche.

Dans la cathédrale, agenouillé devant l’autel, je fermerai les yeux et ouvrirai la bouche. Quand le prêtre déposera sur ma langue l’hostie consacrée, alors tous mes remords s’envoleront et tous mes péchés seront remis. Je serai à nouveau pur. A nouveau prêt. Moi, Luc, Commandeur des Fidèles.


Oh when the moon goes down in blood
Oh Lord I want to be in that number !



M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2012-09-29 17:49:43 

 Sword and Sorcery.Détails
Cette histoire reprend efficacement tous les archétypes de l’héroic-fantasy de l’âge d’or : un culte interdit, la belle reine-esclave qui cache son passé, un seigneur de guerre, les contrées désertiques. Ce genre a été magnifié par des auteurs tels que Carter, Howard, Moorcock, Gemmell et tant d’autres.

Le récit est centré sur moins d’une poignée de personnages, ce qui lui donne force et dynamisme, à la manière de ces tragédies grecques dans lesquelles le destin broie ses victimes : la prêtresse, le seigneur, l’esclave rivale, le prêtre blanc. Pas un seul d’entre eux ne survivra.

A partir de caractères affirmés, tu décris un impitoyable enchaînement de circonstances, logiques et diablement bien décrites. La farouche volonté de la prêtresse prête à tout pour conserver son statut afin de restaurer le culte dévasté. Inspirée par la déesse, elle utilise les évènements pour maintenir son empire sensuel sur le seigneur de guerre qui lui est totalement soumis. Elle ourdit sans remords la perte de sa rivale. Elle se montre froide, calculatrice et cruelle mais son caractère n’aurait-il pas été façonné par son vécu particulièrement traumatisant : une mère maquerelle, ses protecteurs anéantis, sa foi dévastée et interdite, sa vie au milieu d’hommes grossiers et brutaux ?

Pourtant, la boucle est bouclée. Elle est revenue là où tout a commencé et où tout finira : dans le désert blanc. Et comme dans le dernier acte de la tragédie, tout est en place pour sceller son destin. La fin est d’ailleurs magistrale. Les deux hommes qui ont compté dans sa vie se font face et elle doit choisir. Choix cornélien. Aucune possibilité de se soustraire à ce foutu destin. Fondu au blanc.

Oui, ce n’est pas un monde de bisounours. Ton verbe est nerveux, osé, direct. Tu agrémentes le récit de détails saisissants (le poignard et sa gaine cuissarde, le venin des serpents). C’est vraiment de la dark fantasy, loin des forêts ensoleillées de la Terre du Milieu. Il y règne une atmosphère tragique, sans espoir. Tu ne le dis pas franchement, mais ce culte ne semble vraiment pas fonder sur l’amour de l’autre !

En conclusion, je n’arrive toujours pas à croire que tu la détestes à ce point. Elle veut être libre et qui peut lui contester ce droit ?

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2012-10-03 23:27:26 

 Commentaire Maedhros, exercice n° 110Détails
C’est une histoire sombre dans une illusion de lumière ( Luc, Lucas, Lucien...), peuplée d’êtres fanatiques et sanguinaires qui ne savent même plus à quel point ils sont désespérés. Ce monde futuriste, vestige d’une guerre planétaire, qui a perdu toute technologie sans vraiment gagner de retour à la nature, est en fait le véritable héros de l’histoire – comme dans le SdA . J’en veux pour preuve les descriptions minutieuses des ruines et des nouvelles créatures monstrueuses qui ont envahi la terre et la mer. Ironie délicate, depuis que les bateaux ne voguent plus et que les poissons sont carnivores, l’eau n’a jamais été si claire. Les humains, chassés du Paradis, se partagent un univers désolé sans même envisager de reconstruire quoi que ce soit. Ils sont pris dans une spirale infernale, sous couvert de bénédiction divine, où la mort de l’autre est la seule chose qui les passionne – et tant mieux si elle égayée par le spectacle de la souffrance. Les forts traquent les faibles, ou se battent entre eux. Pas une ligne pour décrire d’éventuels personnages utilitaires qui cuiraient le pain ou élèveraient des moutons, comme si les contingences matérielles s’effaçaient devant l’obsession extrême du combat. La seule allusion à une population non militaire est « de rares passants ». Ici la hiérarchie remplace l’amitié, et l’assassinat est la seule jouissance. A peine une once de remords affleure-t-elle vers la fin à la conscience du héros, sentiment incongru dont il se sentirait presque coupable, alors que la mort infligée le remplit de fierté.
Certes ton personnage principal n’est guère aimable ! Mais on a surtout l’impression qu’il n’a jamais eu le choix, endoctriné dès le plus jeune âge pour la défense de la Foi. La dérive sociétale en revanche est beaucoup plus effrayante, parce que malheureusement plausible, même si ici la religion n’est au fond qu’un prétexte pour maintenir l’ordre établi et refuser tout dialogue.
J’aime bien le paragraphe sur frère Ignace. D’une part parce que c’est le seul moment où Luc fait montre d’un peu d’empathie. Et d’autre part parce que tu suggères très bien le sentiment d’étrangeté qu’il ressent devant ce guerrier valeureux et respectable qui peut être autant perturbé par une... femme !



Bricoles :
- M’approcher de la baie ou : où
- Je t’ai pose une question
- Si un vaccin n’est pas administré : il me semble bien qu’un vaccin est administré à titre préventif ; en traitement, ce serait plutôt un sérum ou un antidote
- A mon signal nous enfonçant : enfonçons
- Ils veulent bifurquer sur la gauche pour se tenter d’atteindre



Tu as toujours une maîtrise des univers SF qui m’impressionne. Je pense que cet exercice était trop facile pour toi, il y a bien longtemps que tu sais te distancier de tes personnages. Mais nous y avons gagné une description terrifiante des dérives du fanatisme, qui prive l’humain de tout discernement, et qui perdure pourtant, en tout lieu, depuis la nuit des temps. Et pourtant, il semble que ce soit l’interprétation des textes sacrés et non pas les textes en eux-mêmes qui conduisent à la violence. Faudrait-il en conclure que l’instinct de mort est une composante primordiale de l’esprit humain ? Mais alors, à quoi ça sert que les Bisounours se décarcassent ?
Narwa Roquen, peace and love...

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2013-09-09 09:51:06 

 Commentaire WA 110 : MaedhrosDétails
Je vais finir par prendre des cours de latin pour comprendre tes titres. Bien trouvé, fort bien trouvé(dit-elle après traduction).
Fichtre, y a du vocabulaire rare dans le début ! Cilice, taveler, darse...
Je n'ai pas trouvé "gabian" dans mon dictionnaire.
"L’Amère Ile" : joli !
J'aime bien ton paragraphe avec la répétition de "il paraît que là-bas".
Je n'ai pas tout compris au coup des anges et de la nuit éternelle mais je pressens qu'il s'agit d'un post-apo.
J'imagine que l'arme dont il parle est la foi ?
Hop, un prénom biblique, un !
Oikiagora ?
Il a une personnalité intéressante, ton héros, et le portrait que tu brosses de lui est agréablement jusqu'au-boutiste, complètement fanatique, jusqu'à en avoir des hallucinations.
Tiens, frère Lucien parle devant le prisonnier ? Risqué, ça, non ?
Plus d'énergie pour faire fonctionner la technologie ? Encore un indice pour le post-apo !
"Il n’y aura plus qu’un dieu à la fin. Le Mien !" : héhé, il ne peut en rester qu'un, hihihi !
Intéressante, cette entente tacite entre les religions, contre les incroyants. Et assez terrifiante si on y songe.
Hou, végétation et faune mutées, il y a bien eu une apocalypse nucléaire ! Dis donc, tu le parsèmes avec modération ton back ground !
"Mais son regard ne se délace pas du mien." c'est joli, ça, comme expression.
Tiens, il a quand même quelques sentiments humains qu'il nomme péchés. Bien vu.

Au final, un texte au style flamboyant, très bien fichu, avec un côté sci-fi discret, une ambiance qui fait froid dans le dos, et qui respecte parfaitement la consigne.

Trucs et bidules :
Cilice est masculin. (comme quoi on se cultive même en lisant des machins comme le Da Vinci code (^-^) )
"Nous en avons attrapé un ! » déclare Luc" : n'y a-t-il pas confusion de prénom entre le héros et Mathieu ?
"Il était prostré sous une sorte d’entablement de béton qui a résisté" : qui avait résisté, non ?

Est', hop hop hop !

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2013-09-09 09:54:34 

 Commentaire WA 110 : NarwaDétails
Dès le départ, ce texte fleure bon Conan le barbare et ça ne se dément pas avec la suite !
Berk, le fourreau est vraiment creusé dans sa chair, au sens propre ? Mais c'est sauvage ! Et ça doit pas être beau à voir. Ou agréable à toucher.
Le personnage principal est bien écrit et cohérent. Sa haine et son mépris des hommes s'expliquent par son passé. Elle use de ce que la nature lui a donné pour poursuivre ses buts. Les paragraphes où elle parle des hommes sont particulièrement réalistes. Celui sur la grossesse est sympa aussi.
Tu as donné un côté pervers et amoral à ton héroïne mais je la trouve globalement sympathique. Après tout, c'est une femme qui essaie de survivre dans un monde d'hommes, une féministe en quelques sortes. Et elle a connu l'horreur quand elle était jeune. Cela suffit à expliquer sa cruauté.
"Des seins comme des alouettes." c'est joli bien que je ne comprenne pas bien l'image.
Rho punaise, il parle bien quand même le Grand Guerrier, pour un barbare au cerveau aussi épais que ses muscles ! Conspuer, c'est pas tous les jours que je le lis, hihi !
Le back ground est bien réparti et distillé à travers le texte. Et les détails pittoresques sur le culte de Sheya, comme la tenue blanche, sont bien vus.
Mouahaha, le paragraphe sur le cheval, retors et dangereux, m'a bien fait rire ! Nul doute que tu détestes un héros qui considère ainsi les chevaux ! Ce passage pourrait être qualifié d'auto private joke !
Hou, futé, le coup du vin parfumé ! Bien pervers.
Le paragraphe sur la morsure de serpent sort un peu de nulle part, je trouve. Il ne l'avait pas remarquée avant ?
Hou, futé aussi, le coup de la grossesse ! Même si ça n'a pas marché.

Au final, un texte avec un personnage principal bien écrit et une très sympathique ambiance Howardienne. On l'imagine bien illustré par Ernie Chan ou même Frazetta.

Trucs et bidules :
"elle frémit, s’enlève et s’envole" : s'élève, non ?
"elle m’offre la beauté éternelle et la jeunesse éternelle" : la répétition m'embête un peu.

Est', hop hop hop !

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2013-09-09 20:34:58 

 Merci pour ta lecture..Détails
- Pour les "ange": en fait, il s'agit des pilotes d'avions américains qui ne font que survoler à très haute altitude les zones irradiées, d'où leur surnom angélique .

- Oikiagora : un terme de mon cru, issu de 2 termes grecs:

Oikia : signifiant "maison" mais aussi "famille" (Hésiode : "ayez d'abord maison (Oikia), femme et boeuf" (car le boeuf avait le statut de domestique dans le monde grec).

Agora : lieu de rassemblement.

=> Lieu de rassemblement de la famille (des croyants).

M

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