| ||
De : Onirian Page web : http://oneira.net Date : Lundi 3 decembre 2012 à 11:34:57 | ||
Il y a du hors-sujet dans l'air, tant pis. Pas vraiment de la fantasy, des points-virgules presque inexistants... Au moins, ça parle de route et d'odeur ;-) -- Ce soir là, il était environ de vingt deux heures, je roulais à plus de cent-cinquante et je venais de louper la sortie d'autoroute qui aurait dû me ramener chez moi. La musique dans la voiture était forte, trop forte, mais elle me protégeait, comme l'aurait fait un cocon, un mur de son en écho à la colère qui me tordait les tripes, un mur entre l'univers et moi. Je ne savais pas où j'allais, et à vrai dire, je m'en fichais. Je voulais juste être ailleurs, loin. Le plus loin possible de tout. Cent soixante, je slalomais entre les voitures, je klaxonnais, faisais des appels de phares. Conduite dangereuse. Et après ? Et si je crevais, là, dans un putain d'accident ? Et si d'autres mourraient par ma faute ? Rien à foutre, tous des cons. Cent quatre-vingt. Le moteur hurlait, ma voiture n'était pas conçue pour une telle vitesse. C'était grisant et frustrant à la fois, j'en voulais plus, plus vite, plus fort. A un moment, je me suis rendu compte que je pleurais, simplement parce que bandes blanches se troublaient. Je fuyais. A me regarder, on aurait cru qu'il s'était passé un drame terrible, la mort d'un proche au moins. Ce n'était pas le cas, pas vraiment. Un rien, un petit détail. Cherchez la femme ? Oui, tu as raison. Elle ne s'était même pas moquée, juste, elle m'avait oublié. Encore. La fois de trop, la fameuse larme qui fissure le vase. J'avais senti une mon coeur se déchirer lentement, et mes espoirs sans lendemain avec. Une torture longue comme les heures d'attente, quand le temps s'étire à l'infini. Elle devait juste m'appeler, un simple coup de fil, même juste cinq minutes ; elle me l'avait promis. Devenir fou pour un appel qui n'avait pas été passé... Le peu qui restait de ma raison me trouvait profondément stupide. Quand je vais mal, j'oscille entre colère noire et tristesse insondable. Pour l'heure, c'est la première qui gagnait : j'étais en rage. Non, pas contre la fille, je crois que j'en suis physiquement incapable, mais contre l'univers tout entier, contre moi, contre ces imbéciles qui mettaient trop de temps à se rabattre, contre cette vie pourrie pleine de silence et contre ce foutu téléphone, muet jusqu'à la gueule. Est-ce que je roulais dans sa direction, vers sa maison ? Elle habitait loin, trop loin. Vu de ma vie, c'était un autre pays, un autre monde même. Partir, être ailleurs. Cent quatre-vingt dix. Je n'avais jamais roulé aussi vite. La nuit était belle, sans lune, mais emplie d'étoiles. Je me sentais tellement insignifiant... rejeté. Tu me trouves stupide, pas vrai ? Si, ne ment pas, je le vois dans ton regard, dans ton sourire gêné. Tu es certains que je voulais me tuer au risque de faire payer à d'autres le prix de ma bêtise. C'est bien ce que tu penses non ? Et je suis sûr que tu es convaincu d'avoir une histoire bien plus terrible à me raconter ; toi, tu as vécu un vrai malheur, pas vrai, autrement plus dramatique qu'un putain d'appel ? Là, tu vois comme en quelques mots on peut réveiller les blessures ? Attends... Ne pars pas... Avec le temps, tu apprendras qu'ici, toutes les histoires se valent. Il n'y a pas de malheur absolu, de drame pire que les autres... Tout ça, c'est des foutaises, ça n'existe pas. Il y a la vie, et comment elle vous fauche, c'est tout. Et qu'importe si c'est avec un détail ridicule. A cet instant précis, à mes yeux, par mon histoire, ça me touchait vraiment, et il n'y a que ça qui compte. Deux cent. Le flash de lumière m'avait aveuglé un court instant. J'ai juste eu le temps de penser que je venais de perdre mon permis avant qu'un des pneus n'éclate. La voiture a tourné, s'est cognée aux rambardes de sécurité, s'est envolée ; pas nécessairement dans cet ordre. Était-ce vraiment la fin que je voulais ? Un faux suicide pour une raison absurde ? Finir sur... ça ? Avant que l'auto n'ait percuté le sol, ma colère s'est embrasée. Je ne voulais pas mourir. Jamais. Lorsque je me suis réveillé, il faisait jour. Ma première pensée a été pour elle, la seconde, c'était l'étonnement d'être encore en vie. Je me trouvais au beau milieu d'un paysage désertique. Il n'y avait plus d'autoroute, même plus vraiment de route à vrai dire, un chemin de terre, tout au plus. Le soleil brillait au firmament d'un immense ciel bleu, il me réchauffait le visage. Mais le plus étrange, c'était mon nez. Il me piquait. Enfin... Pas tout à fait. Pour la première fois de ma vie, ce que je respirais avait un goût. Oui, la formulation peut te sembler étrange, mais je n'en ai pas de meilleure. Je suis anosmique ; né sans odorat. Parfois, j'arrivais à détecter la fumée de cigarette, ou une mandarine qu'on pèle, mais c'était à cause du changement de texture de l'air. A ta tête, je vois que tu ne sais même pas quoi je parle ! Qu'importe... Il te suffit de savoir que quand je respirais à plein nez fleurs, plats ou merde, le résultat ne changeait jamais : un grand néant. Là, la Route, le monde, sentait ; mauvais. Maintenant, je peux te dire que cette route dégageait une odeur de poussière chaude, l'été, la terre sèche et d'autres choses encore. J'ai pas mal d'années de retard par rapport à toi, à tout le monde en fait, et aujourd'hui encore il m'est assez difficile de nommer ces sensations olfactives... T'es-tu déjà demandé à quel point c'est étrange d'entendre quelqu'un dire que ça sent la pluie, le printemps, le froid ? Combien, vu de l'extérieur, cela ressemble à de la magie lorsque une personne sait ce que tu viens de manger simplement en respirant à côté de toi ? Autour de moi, il n'y avait rien. Juste ce paysage ocre et sable, et cette route au milieu du désert, ton sur ton. Ma voiture gisait quelques dizaines de mètres plus loin, chiffonnée, c'est le bon mot, roues plus où moins pointées vers le ciel, irrécupérable. Vu son état, il était tout simplement impossible que je m'en sois sorti sans blessure, et pourtant j'étais là, indemne. D'un coup, j'entendis une voix, directement dans ma tête. Celle de la fille qui ne m'avait pas rappelée. « Il faut faire attention à ses souhaits, parfois, ils se réalisent ». Oui... tu connais ça aussi n'est-ce pas ? J'y reviendrai... J'avais souhaité être ailleurs, désespérément. Étais-je mort ? Coincé dans une sorte de purgatoire mis au point par un dieu retors ? Je n'en savais rien. Juste, je n'avais aucune raison de rester là, alors j'ai commencé la longue marche. Mon nez me gênait. J'avais l'impression d'être assailli en permanence par des informations que je ne comprenais pas. Au fil de mes pas, je m'habituais à certaines odeurs, celles qui ne changeaient pas, comme la poussière, mais d'autres venaient me chatouiller les narines régulièrement. Chatouiller les narines... Quelle expression pourrie... Ça me donnait mal au crâne, pas envie de rire. Pendant un moment, j'ai même tenté de ne respirer que par la bouche, c'était un peu moins désagréable, mais j'ai rapidement eu la gorge sèche et l'air restait bizarre malgré tout... J'ai marché, longtemps, en ayant de plus en plus envie de boire. Plusieurs fois je me suis demandé si une main cosmique m'avait téléporté ici juste pour le plaisir sadique de me voir mourir de soif. J'ai marché, sur cette route, sur la Route. Je ne connaissais pas encore les lois ce monde, et surtout pas la première d'entre elle. Oui, j'y viens, attends. Le paysage de la Route changeait. Pas rapidement, mais tout de même plus vite que ce qui aurait été naturel. Je suis arrivé au milieu d'un désert, sans rien à des kilomètres à la ronde, mais en marchant, j'ai commencé à voir des cactus sur le bas côté, puis quelques arbres épars. Au début, je m'étais dit que je n'avais simplement pas fait attention, mais en réalité, presque d'une minute sur l'autre, ils pouvaient apparaitre. La Route change, elle s'adapte. J'ai fini par m'assoir sous un de ces arbres. Le désert n'en était plus un, c'était plutôt devenu une prairie. Tiens, c'est d'ailleurs probablement une des seules odeurs que j'ai spontanément apprécié. Je ne sais pas si ca sent pareil, de l'autre côté... Tu sais, de là où on vient, mais quand le soleil chauffe une prairie avec des herbes folles, des graminées, des coquelicots, je trouve que ça sent bon. Et à chaque fois que je sens cette odeur, je repense à ma première journée ici. Je trouve ça étrange ces souvenirs attachés à mon nez. Au fond, bien que complètement perdu et isolé, mon seul vrai problème était la soif. Et même ça, je n'arrivais pas à m'en inquiéter vraiment. Il devait y avoir de l'eau, puisqu'il y avait de la végétation. « La Route pourvoie » C'était sa voix. Comment te parler d'elle... Cela fait longtemps que je vis ici, tu découvriras que les noms ont un pouvoir, alors je ne vais pas te révéler le sien. Non, ce n'est pas une question de confiance... Disons que c'est... personnel. Appelons-là Alice. C'était la voix d'Alice donc, pour la seconde fois. J'ignorai alors que j'entendrai souvent cette voix dans les années qui allaient suivre. Elle m'a beaucoup aidé, autant pour comprendre la Route que pour me tenir compagnie. C'est à ce moment là que j'ai remarqué un vieux type qui arrivait depuis la direction opposée. Je me suis précipité à sa rencontre, pour lui demander où j'étais, ce qui se passait, et une dizaine d'autres choses... Oui, exactement comme tu l'as fait. Je me souviens de son visage buriné par le vent et le soleil, et de ses cheveux d'un blanc immaculé. Il portait des vêtements taillé pour le voyage et un gros sac à dos. Il m'avait souri en me disant un truc du genre « Toi, t'es un nouveau, pas vrai ? De quoi tu manques ? ». J'avais répondu que j'avais soif et aussitôt il m'avait tendu une gourde en me disant solennellement : « La Route pourvoie ». Oui, la même chose que ce qu'Alice m'avait dit dans ma tête. Tu imagines un peu mon étonnement quand ce vieux bonhomme sorti de nulle part m'a sorti ça. Y a de quoi se demander si on n'est pas un peu fou non ? La route pourvoie... C'est la première, et la plus importante leçon de ce monde. Si tu croises quelqu'un, c'est que tu as besoin de lui, ou que lui a besoin de toi. Tu peux voir ça comme une espèce de troc. Tu te souviens des cactus, quand j'avais soif ? Ils sont d'une sorte particulière, tu peux les découper et les manger en tranches, ça ressemble à de la pastèque, et il n'y a rien qui désaltère plus au monde que ça. J'avais soif, la route m'a fourni à boire. Et puisque je n'ai pas été capable de m'en rendre compte par moi-même, elle m'a envoyé quelqu'un pour m'expliquer les règles. Non loin de l'endroit où je m'étais assis, il y avait une petite pile de bois mort que je n'avais pas remarqué, le vieux bonhomme en a fait un grand feu, puis en guise de repas, il a sorti un lapin de son sac. J'ai appris à apprécier cette odeur, et ce goût, mais en vrai, sur le moment, j'ai eu du mal à ne pas vomir tant elle était forte. Poil brulé, chair qui cuit. Il parait que les lapins, ici, sentent particulièrement bon, mais quand c'est la première fois... il faut s'y faire disons. Oui, c'est exactement le même que celui que je suis en train de préparer. Tu trouves que ça sent bon ? Oui, et le goût est excellent, tu verras. Je l'avais trouvé surprenant la première fois, mais c'est parce que l'odeur influe beaucoup sur la saveur en bouche et je n'y étais pas encore habitué. Encore maintenant, je me pose plein de questions sur le monde d'avant, comme par exemple : est-ce que le lapin, de l'autre côté, a vraiment une odeur qui ressemble à ça ? Beaucoup m'ont dit que oui, certains m'ont affirmé que non, moi, je n'en sais rien. Alice ? Non, elle ne répond jamais à ces questions là. Au départ, quand elle parlait dans ma tête, c'était souvent par phrases énigmatiques, ou pour me préciser des règles liées à ce monde. Elle m'a prévenu de ton arrivée par exemple. « Explique-lui » Tiens, je vais te montrer quelque chose. Regarde... Impressionnant hein ? Tu vois le feu jaillir de la paume de ma main ? C'est Alice qui m'a expliqué comment faire. Par petite touche, comme un tableau impressionniste. Je voulais faire du feu, et même si La Route pourvoie, il n'empêche que chacun doit faire sa part. Elle m'a d'abord fait comprendre que j'avais le feu en moi, le souffle de vie, la chaleur de mon corps. Puis... Je ne sais pas vraiment comment le dire avec des mots... Elle m'a montré, d'une manière non verbale. C'est comme pour les odeurs tiens. Raconte-moi, sans te référer à d'autres odeurs, à quoi ressemble le parfum de ce lapin ? C'est impossible, au mieux tu arriveras à une description tellement imparfaite qu'elle ne sert à rien. Mais je m'égare. Donc, j'étais avec ce type, sur la route, le nez plissé et les papilles éveillées. - Quel est cet endroit ? - La Route. - Où mène-t-elle ? - Plus loin. - Est-ce que je vais dans la bonne direction ? - Si c'est toi qui l'as choisie, alors c'est forcément la bonne direction. Sur le coup, je croyais qu'il se payait ma tête, alors j'ai arrêté de le harceler. Avec le temps, je me suis rendu compte que ses réponses étaient moins superficielles qu'elles n'en avaient l'air. C'est comme le fait d'entendre Alice... Je n'ai pas demandé au vieux s'il entendait aussi une voix. J'ai attendu d'autres rencontres... J'ai fini par questionner une femme d'une quarantaine d'années. Elle semblait gênée mais m'a tout de même dit que tout le monde avait sa voix, mais qu'on n'en parle pas. J'ai aussi fait un bout de chemin avec un ado à moitié cinglé et marché deux mois en compagnie d'un touareg qui n'a jamais dit un seul mot. Drôle de gars. Tout le monde a sa voix, mais c'est à chacun qu'il appartient de la dévoiler, ou pas. Ne pose pas de question dessus. De toute manière, les réponses finissent toujours par venir. Bon, assez parlé pour l'instant, le lapin doit être cuit. Mangeons. « C'est la première fois que tu parles de cette histoire » C'est vrai. Mais je me retrouve un peu dans ce môme, j'ai l'impression de me revoir quand je suis arrivé sur la Route. J'ai pensé que c'était le bon moment. Depuis combien de temps suis-je ici ? A marcher toujours droit devant ? « Ça fera cinq ans la semaine prochaine » Je ne sais toujours pas... Est-ce que tu existe ailleurs que dans ma tête ? Non, tu ne répondras pas. Au moins, ne disparais-tu plus tout à fait lorsque je te questionne sur ces sujets. Peut-être est-ce juste parce que je n'attends plus vraiment de réponse ? Cette fichue route... J'ai dû en parcourir des kilomètres. Et quelque soit le besoin : « La route pourvoie » La première règle de toute, celle que le vieux m'a dit de ne surtout jamais oublier, lorsque je suis parti avec sa gourde. La toute pr... Par les dieux ! « Tu viens de comprendre n'est-ce pas ? » Tout en tentant de cacher ma fébrilité, je secoue un peu le gamin pour qu'il se réveille. Hey petit, tu dors ? Écoute, je vais devoir te laisser. Je sais que tu viens d'arriver, que tu ne sais pas quoi faire, mais je dois partir. Oui, maintenant. Je te laisse ce qui reste du lapin, et ma bonne vieille gourde. Non, ne t'inquiète pas, je saurais m'en procurer une autre si nécessaire. Et surtout, n'oublie jamais, absolument jamais la première règle : la Route pourvoie. Je marche. Je n'ai pas changé de direction, avec le temps, j'ai appris qu'ici, c'était inutile. J'ai tenté, quelques fois, mais retourner en arrière ne fait pas revivre le paysage précédent, tout est toujours neuf. Et en plus, l'impression de me tromper de chemin était toujours tellement forte que je n'ai jamais été bien loin. Ce n'est pas vraiment la première règle n'est-ce pas ? « Non » Pourquoi personne ne quitte jamais la route ? Tout le monde la remonte ou la descend, mais personne ne sort du sentier, personne ne pense à s'éloigner, pourquoi ? « Tu le sais » La première règle, la véritable première règle, c'est Ne quitte jamais la Route. Et elle est inscrite en chacun de nous à notre arrivée. La Route pourvoie, mais elle se nourrit de nous. Elle a besoin de nous autant que l'inverse, c'est bien ça ? « Oui » Dis-moi... Quand je serai revenu l'autre côté... J'aurai mal ? « Oui » J'ai peur tu sais. « Je sais » Je marche, et rapidement les arbres disparaissent, la végétation se fait rare. Au bout de quelques minutes, je me retrouve au beau milieu d'un désert de sable. Juste après, je découvre la carcasse froissée de ma voiture, qui n'a pas bougé d'un poil. C'est étrange de la revoir exactement telle que je l'ai laissé. Elle n'a aucune trace de rouille, ni même de saleté, comme si le temps s'était tout simplement figé autour d'elle. En m'approchant, mes jambes commencent à me faire souffrir, et une douleur sourde envahi mon bras gauche. Je sens une odeur étrange, que je n'arrive pas à identifier. « Caoutchouc brulé, essence » La souffrance augmente au fur et à mesure que je m'approche, mais je suis résolu, et je continue à avancer. Dis-moi, je me souviendrai ? « Ce sera comme un long rêve » S'il te plait, avant d'arriver de l'autre côté... J'ai besoin de savoir. Est-ce que tout ça était réel ? Ces cinq années ? « Oui » Et toi... tu seras là ? La souffrance est intolérable. Je suis réveillé par le bruit strident d'une scie circulaire. Un type en noir, avec des rayures jaunes fluo, me parle : - Ouvrez-les yeux, monsieur, on va vous sortir de là ! Comment-vous appelez-vous ? Abrutit par la douleur, en pleine confusion mentale, je crois que je ne comprends pas vraiment ce qu'il me raconte. Sortir ? Je viens de rentrer. Le monde bouge et le temps n'a aucune signification. Dis-moi, tu es là ? Répond moi, s'il te plait ! S'il te plait... A quoi ça a servit, tout ça. Qu'est-ce que j'ai laissé sur la Route, qu'est-ce qu'elle m'a pris ? La portière disparait, remplacée par le type et ses bandes jaunes. Il me parle, mais je n'arrive pas à focaliser mon attention sur ce qu'il raconte. Il découpe ma ceinture. Ses mots sont vides, mais ils me soulagent un peu quand même. C'est un type bien. Je crois. Il me soulève et me dépose dans un grand véhicule rouge. Il y a des lumières bleues qui clignotent, tout me semble si étrange. Et le monde... Il lui manque quelque chose. Je me réveille, je suis dans une chambre bleue ciel. Par la fenêtre le soleil réchauffe mon visage. J'ai mal au bras et à la gorge, je ne sens pas mes jambes. Mon coeur s'emballe quand je prends conscience du tube qui rentre dans ma bouche. Je suis effrayé. Je replonge dans l'inconscience. Je me réveille. La même chambre, les mêmes douleurs. J'ai la gorge en feu, mais elle est libre. Sur la table de nuit, je vois un téléphone passablement rayé. Il a mieux vécu que moi les tonneaux de la voiture. A nouveau ce manque, que je n'identifie pas. Une infirmière passe, visiblement pour me redonner une dose de morphine. - Eh bien vous, on peut dire que vous n'aviez pas envie de mourir. Vu la quantité de sang que vous avez perdu, vous auriez dû y rester, sans parler de l'hémorragie cérébrale et de l'état de vos jambes. Elle s'est approchée et les as touchées. - Vous sentez ma main ? Non ? Et si j'appuie plus fort ? Faiblement. J'ai hoché la tête. - Et en plus, vous pourrez probablement remarcher. Par contre, une partie de vos os a été broyée, il faudra probablement longtemps avant que vous ne retrouviez un usage complet de votre corps. Longtemps... Je ne peux pas m'empêcher de penser que ça prendra exactement cinq ans. Enfin, cinq ans, moins une semaine. D'un coup, je revois la Route, tous ces kilomètres que j'ai parcouru sont à nouveau devant moi. N'apprend-t-on donc jamais ? Est-ce que j'étais heureux sur cette route ? Au moins, n'étais-je jamais seul, avec Alice dans ma tête. Alors qu'ici... L'infirmière vient de partir. Est-ce qu'elle sentait bon ? Là, c'est ça. Retour à la normale, elle n'avait pas d'odeur, pas plus que cette pièce, pas plus que ce monde. J'espère que mon prochain lapin ne me semblera pas trop fade. Avant de m'assoupir à nouveau, j'attrape mon portable. J'ai une quinzaine d'appels en absence, y compris un à peine dix minutes après l'accident. Idiot hein ? Qu'importe les histoires, il n'y a que la vie, et comment elle vous fauche, ou pas, le plus souvent sur un détail. La morphine commence à faire effet, je suis fatigué. Il n'y a plus la moindre trace de colère en moi. Et la tristesse ressemble plus à une douce mélancolie, une forme d'acceptation, de résignation sereine. Je m'endors déjà, mais au moment de plonger, le téléphone vibre. Un message. « Je ne sais pas pourquoi tu ne décroches pas. Donne-moi de tes nouvelles, s'il te plait. J'ai rêvé de toi hier, et dans ce rêve, je te cherchais, parce qu'il fallait absolument que je te transmette un message : « la Route pourvoie ». Aucune idée de ce que ça peut vouloir dire, mais ça avait l'air vraiment important. Rappelle-moi dès que possible. A. ». -- Onirian, on the road again. Ce message a été lu 6535 fois | ||
Réponses à ce message : | |||