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De : Estellanara Page web : http://estellanara.deviantart.com/ Date : Vendredi 7 juin 2013 à 14:38:32 | ||
Avertissement : ce texte contient des scènes violentes (mais vraiment violentes) et un vocabulaire explicite et est déconseillé aux âmes sensibles.Comme souvent, c’est le compte-rendu presque direct d’un rêve que j’ai fait. Pas sûre que ça respecte la consigne mais je me suis monstrueusement éclatée à l’écrire ! Le murmure des Loas Une lueur dans l’obscurité... Des mots chuchotés, à peine audibles... Earl poussa un grognement et ouvrit les yeux. Brouillard. Il essaya de rouler sur le dos mais n'y parvint pas et retomba le visage dans la moquette. Une voix. Une voix l'avait appelé. Juste un murmure. Une voix qu'il connaissait... Il essaya d’en retenir le souvenir mais, à mesure que la conscience lui revenait, la voix s'effilochait. Un rêve sans doute. Earl grogna de nouveau. Sa tête le lançait atrocement et il ne parvenait pas à bouger. Mais qu'est-ce qu'il fichait là, nom de Dieu !? Et pourquoi avait-il si mal au crâne ? Bandant tous ses muscles, il se contorsionna et parvint à se retourner au deuxième essai. Sa nuque frotta durement sur la moquette rêche. Putain ! Ca faisait un mal de chien ! Mais que se passait-il ? Il cligna deux fois des paupières, cherchant à s'éclaircir la vue. La panique l'envahissait insidieusement. La situation n'était pas normale du tout. Earl regarda à droite puis à gauche. Il était dans son bureau. Une douce lumière filtrait des rideaux tirés. Il ne venait jamais ici. C’était un sanctuaire dédié au passé. Un passé qu’il voulait oublier. Il déglutit et perçut la saveur métallique du sang. On l’avait frappé ? Il ne comprenait rien. Ses sensations lui revenaient une à une : odeur de renfermé de la pièce emplie de cartons, visions floues de cadres poussiéreux. Et puis la douleur, lancinante, qui pulsait dans son crâne. Sa respiration s’accéléra. On l’avait frappé par derrière et il avait perdu connaissance. Mais qui ? Que se passait-il, bordel de merde ?! Il tenta de s’assoir mais la tête lui tourna violemment et il retomba sur le dos. Il porta la main à sa nuque et la retira poisseuse de sang. La peur lui serra les entrailles. Il lutta pour se rappeler. Des hommes l’avaient attaqué... De nouveau ce murmure à son oreille. Un peu plus fort. Syllabes incompréhensibles... comme portées par le vent. Earl fronça les sourcils et se concentra pour mieux entendre. « Appelle... » ? « ...toujours... » ? Pas moyen ; il ne saisissait pas plus d’un mot ou deux. Pas grave ; ce devait être la douleur qui lui jouait des tours. Il fit un nouvel effort pour s’assoir et y parvint cette fois. Sa vue s’améliorant, il laissa traîner son regard dans la pièce si longtemps évitée. Au mur, des photos de sa précédente carrière, ses guitaristes, dans leurs costumes de scène macabres. Lui-même, torse nu, coiffé d’un haut de forme, le visage en partie couvert d’un masque de squelette. Des disques d’or. Des pochettes de magazines, tapageuses avec leurs lettres en forme d’éclair. Fini tout ça. C’était une époque révolue, honteuse. Epoque de folie et d’excès : alcool, drogues... D’autres souvenirs gênants dans des cartons aussi. Les objets de grand-mère Rose-May. Des masques en bois et autres conneries de grigris vaudous. Il n’avait jamais eu le coeur de les jeter. Il se massa les tempes, cherchant à soulager la souffrance qui tambourinait furieusement. Grand-mère Rose-May... Il revoyait les étoffes multicolores qu’elle nouait sur ses cheveux et croyait encore sentir le parfum délicieux de son gumbo d’écrevisses. Lambeaux de son enfance... Les feux, les danses, les escapades dans le bayou... Si loin... Un hurlement déchira le silence. Une voix de femme. Aby ?! Earl se leva brusquement et faillit tomber. Tout lui revint brutalement. Le dimanche dans leur maison de campagne. Les cambrioleurs. Quatre blancs armés de matraques et de flingues automatiques. Ils l’avaient mis hors de combat en un instant. Il n’avait rien pu faire. Nouveau hurlement. Oh mon Dieu, Aby ! Et les enfants ! Sans réfléchir, il tituba jusqu’à la porte et il fit tourner le bouton qui cliqueta. Verrouillé. Earl poussa un gémissement de frustration. La peur déferla en lui comme une vague froide. Ils s’en prenaient à sa famille ! Que faire ? La prochaine maison était à des kilomètres et il tenait à peine debout. Il n’y avait pas de téléphone dans ce bureau. Son arme était dans le tiroir de sa chambre à l’étage au-dessus. Mon Dieu, pourquoi cela leur arrivait-il à eux ? N’y avait-il personne pour les aider ? Abigail cria de nouveau, plus faiblement. Earl tomba à genoux et se prit la tête dans les mains. Que faire ? Il aurait pu enfoncer la porte mais après ? Un vertige le saisit à cette idée et la terreur lui brouilla la vue. Ces enfoirés avaient des flingues. Ils l’abattraient en une seconde. Sa gorge était si serrée qu’il respirait à peine. Une sueur glacée lui dégoulinait le long du dos. C’était des monstres. Ils le tueraient sans hésiter s’il sortait de cette pièce. Il était impuissant. Et il n’osait pas penser à ce qui se passait de l’autre côté de cette porte. Sa propre lâcheté le faisait vomir. Les siens étaient en danger et il restait là, paralysé par la peur. Mais que faire ? Un choc sourd suivi d’un hoquètement. Son fils ! Ils maltraitaient son fils ! Non !! Un goût de bile lui envahit la bouche. La panique l’empêchait de penser. Le petit n’avait jamais fait de mal à personne. C’était injuste ! Les larmes envahirent ses yeux et tombèrent sur la moquette. Aby ! Kim ! Junior ! Ils allaient mourir ! Ils allaient tous mourir ! Et il était incapable d’agir ! Pauvre nul. Pauvre lâche pathétique, pas foutu d’aider sa famille. La nausée lui serra les tripes. Encore cette voix familière, ce chuchotement. Tout proche mais insaisissable. « ...sommes... » « Appelle... » La voix résonnait dans la pièce, semblant maintenant venir de partout à la fois. La tête lui tournait. Se raccrocher à quelque chose. Sortir de ce cauchemar. Trouver de l’aide. Il frappa le sol de ses poings. Trouver de l’aide ! Le murmure s’amplifia, soudain plus net. « Nous sommes là... » « Appelle-nous ! ». Earl se figea en frissonnant. L’angoisse lui donnait-elle des hallucinations ? « Nous avons toujours été là... » « Rappelle-toi ! » Les voix tourbillonnaient autour de lui, murmurantes, implorantes. « Appelle-nous, Earl ! » Et soudain, il sut. Les Loas. Les esprits vaudous. Jadis, grand-mère Rose-May lui avait appris leurs secrets et il avait écouté en silence. Elle lui avait dit leur pouvoir mais il ne l’avait pas crue. Les fantômes, ça n’existait pas. Le baseball, les hotdogs, ça c’était réel ! Et à présent voilà qu’il les entendait. Il hésita un instant. Devenait-il fou ? Les Loas existaient-ils véritablement ? L’aideraient-ils ? Pas le temps de réfléchir ! C’était sa seule chance ! Fouillant désespérément sa mémoire, il balbutia : - Papa Legba... viens à mon secours ! A l’extérieur, les oiseaux se turent, comme si la nature retenait son souffle. Earl continua, son ton plus ferme à mesure que les mots lui revenaient : - Papa Legba, ouvre les portes des mondes. Ton serviteur t’appelle. Loas sacrés de mes ancêtres, je vous en supplie, aidez-moi ! L’air du bureau devint brusquement plus difficile à avaler, épais et chaud comme de la lave, et se chargea d’électricité. Un cri étouffé retentit depuis le salon. Vite, songea Earl, vite ! Des éclairs miniatures crépitèrent sur les coins des meubles et des flammèches fugaces s’allumèrent sur le rideau. Un vent surnaturel souffla au ras du sol en sifflant, charriant de puissantes odeurs d’épices, de terre et de cire. L’air s’épaissit encore davantage et Earl commença de suffoquer. Il porta les mains à sa gorge et se laissa glisser sur la moquette. Il allait mourir maintenant. Il ne serrerait plus jamais sa femme dans ses bras. Il ne verrait jamais la remise de diplôme de sa fille. Il ne jouerait plus jamais au foot avec son fils... - Je ne t’ai point permis de mourir, mon frère. Or, nul de notre sang ne trépasse sans mon accord. Sache-le, mon frère, sache-le bien. La voix s’était élevée dans la pièce, comme surgie de nulle part. Non plus un murmure mais forte et claire et grave. Aussitôt, la pression retomba et l’air brûlant se dispersa. La voix reprit : - Tu as appelé au secours et je suis venu, mon frère. J’ai traversé les deux portes car tu m’as invoqué. Car tu m’as convoqué, mon frère. - Qui... ? Earl peinait à reprendre son souffle : - Qui es-tu ? Es-tu dans ma tête ? - Je suis le sombre, l’obscur, le ténébreux Baron de l’autre monde. Suis-je un dieu ? Je le crois. Suis-je le châtiment des pêcheurs ? Je le crois de même. La voix désincarnée continua, suave et rauque : - Nous nous connaissons depuis longtemps. Et depuis longtemps tu m’as vénéré sans le savoir. Je suis venu à ton appel car tu désires la souffrance et la mort pour ceux qui ont blessé ta chair. - Je... je désire la mort... ? - Oui-da, mon frère. Ton esprit clame revanche, ton coeur aspire à la vengeance. Et je vais t’offrir tout cela et plus encore. Et ils pleureront, tes ennemis, et ils imploreront merci. Et ils n’en trouveront point. - Il faut faire vite ! - Abandonne-moi ton corps, mon frère. Laisse-moi chevaucher ton esprit. Aie confiance en moi, mon frère, aie pleine confiance. - D...d’accord ! Earl ferma les yeux aussi fort qu’il le put et attendit le choc. Earl rouvrit les yeux et un sourire éclatant fendit son visage. Il se leva d’un bond souple et fit jouer sa nuque et ses épaules. A présent, on allait s’amuser. A présent, on allait voir qui était le plus effrayant. Toujours souriant, il se dirigea d’un pas sûr vers le mur et en décrocha son ancien masque de scène, une tête de mort couvrant la moitié haute du visage. S’en étant revêtu, il se saisit du vieux haut de forme, l’épousseta avec soin et s’en coiffa. Là, tout était prêt. La danse pouvait commencer. La porte du bureau s’ouvrit à la volée sous son coup de pied et des éclats de bois jaillirent en tous sens. Earl s’avança, jeta un coup d’oeil aux quatre malfrats qui s’étaient figés de stupeur et, retirant son chapeau, en balaya majestueusement les airs : - Salutations à vous, mes frère et soeurs, dont s’achève le calvaire. Et salutations à vous, hommes blancs, pour lesquels il débute. Un silence total plana quelques secondes sur le salon dévasté, dont les coquettes armoires pastel déversaient leur contenu pêle-mêle et dont les coussins fleuris éventrés jonchaient le sol. L’odeur particulière de la peur chatouilla les narines de Earl ; celle du sang frais aussi. Rapidement, il analysa la situation. Ethan gisait dans un coin de la pièce, sous la menace d’un des truands penché sur lui. Le mince et frêle jeune homme avait un oeil fermé, l’arcade explosée, les joues ruisselantes de larmes. Il tenait en outre son bras gauche serré contre lui. Kimberly était recroquevillée sur le canapé, à demi inconsciente. Ses cheveux crépus étaient poisseux d’hémoglobine et tout un côté de son visage virait au violet. Sur la cuisse de l’adolescente, que découvrait son short rose, quatre marques de doigts, d’un bleu tirant sur le noir. Enfin, leur mère, Abigail, était ligotée sur une chaise, étroitement serrée par ce qui semblait du câble électrique. Un mince filet rouge coulait de sa bouche et venait souiller la dentelle de son corsage. Un gémissement lui échappait par intermittence. On lui avait dégagé un bras, qui reposait sur un guéridon dans une mare de sang. Trois doigts manquaient. Un des cambrioleurs, un blond aux longs cheveux gras, très maigre, invectiva Earl : - T’en as pas eu assez, bâtard ? - Stupide petit blanc, sache qu’il en faut beaucoup pour m’abattre, sache-le bien. Bien avant la naissance du grand-père de ton grand-père, j’étais déjà le juge impitoyable, le bourreau redoutable, le convoyeur des âmes des morts. Il éclata d’un rire de gorge, empreint d’une chaude satisfaction. Le blond cilla. Etait-ce le même homme que toute à l’heure, ce quadragénaire ramolli et veule, qu’il n’avait eu aucun mal à terroriser ? Il se reprit : - Tu crois faire peur à qui, avec ton masque à la con ? Tu sais ce que j’en fais, des sales nègres dans ton genre ? Je les bute ! Sur ces mots, il sortit son arme de sa ceinture et la tint à bout de bras. Ses trois compagnons grognèrent leur assentiment et se rapprochèrent ensemble. L’un d’entre eux, immense et couvert de muscles, vêtu d’un treillis, éructa : - Ouais, bute-le, ce négro ! Earl plongea en avant. Au même instant, le coup de feu partit. Echo tonnant de la déflagration. La balle siffle à travers la pièce tandis que se répand le parfum piquant de la poudre. Earl glisse sur la gauche, se penche, et du même mouvement fluide, s’empare d’un club de golf dans un panier d’osier. La balle se loge dans le chambranle de la porte, à l’endroit même où était sa tête une demi-seconde auparavant. En deux grandes enjambées, il rejoint le malfrat blond. Le club d’acier rutilant décrit une large courbe et se fracasse sur la main qui tient le revolver avec un craquement répugnant. L’arme décolle tandis que l’homme pousse un cri strident. Un sourire carnassier s’épanouit sur le visage de Earl tandis que, dans ses yeux, s’allume une lueur de folie meurtrière. Le blond serre sa main détruite sans cesser de hurler. Son comparse culturiste lâche un juron étouffé. Son bras épais comme un tronc d’arbre se détend et son énorme poing vole. Earl l’esquive d’une fente gracieuse. Il tourne sur lui-même et abat le club de golf. Ses mouvements ont la rapidité et la précision de la foudre, ses coups la puissance d’un séisme. Il danse une danse mortelle. La mâchoire de l’homme se brise sous l’impact et une dent s’en échappe dans une gerbe de gouttes sanglantes. Ses yeux se révulsent tandis qu’il s’effondre lourdement. Un troisième bandit a traversé le salon en courant. De la sueur coule de son crâne lisse et ruisselle sur son visage couturé de cicatrices. Il brandit son arme et fait feu à deux reprises. Mais Earl n’est déjà plus là. Il roule sur le parquet, se détend avec la vivacité d’un serpent et enfonce le manche du club dans l’estomac du chauve. Celui-ci se plie en deux. Ses poumons se vident dans un chuintement et il tombe à genoux, luttant pour respirer. Earl le désarme d’un coup de pied négligent et glisse le club dans sa ceinture. Calme soudain, uniquement troublé par les gémissements du blond. Earl s’esclaffa et son hilarité avait quelque chose d’obscène après le carnage : - Ah ! Aimable distraction, plaisant divertissement que vous m’offrez là ! Le quatrième de la bande, un tout jeune homme à l’air hagard, était resté immobile, pétrifié d’effroi. Putain, ce mec n’était pas normal ; il évitait les balles ; il avait mis hors de combat trois durs à cuire en un rien de temps ; il n’avait aucune chance contre lui. Tendant une main tremblante, il laissa tomber son arme : - Ne me... ne me tue pas ! Earl traversa la pièce, sans se presser. Son pas avait l’élégance et la puissance contenue de celui d’un tigre. Sa femme le regarda passer. Sur le visage d’Abigail se côtoyaient la souffrance de sa main mutilée, le soulagement et l’horreur. Elle peinait à reconnaitre son mari dans cet homme sûr de lui, au sourire plein d’une joie sauvage. Ses épaules lui semblaient à présent plus larges, son port plus droit, ses prunelles plus brillantes sous le masque mortuaire. Il dégageait une aura de peur pratiquement palpable. Elle frissonna. Le coup qu’il avait reçu lui avait-il fait perdre la tête ? Mais qu’importait ? Il les avait sauvés. Les enfants observaient également leur père, les yeux écarquillés, abasourdis. Earl ramassa le revolver sans un regard pour le jeune cambrioleur et l’ajouta aux trois qu’il avait déjà collectés. Contournant le bar de la cuisine ouverte, il les laissa tomber dans la poubelle d’inox. Puis, il fit jouer le distributeur de glace de l’imposant réfrigérateur et revint dans le salon avec un sachet et un torchon propre. Calmement, il ramassa les trois doigts coupés, les glissa dans le sac et les déposa sur les genoux de leur propriétaire : - Pour toi, ma douce Aby. Ta beauté ne souffrira point de ces quelques cicatrices. Tu les porteras avec fierté, souvenir d’une bataille que tu livras courageusement dans cette guerre éternelle. Oui-da, éternelle. Elle le fixa sans répondre, fascinée. Il fit le tour de la chaise et défit ses liens. Puis, il se pencha sur elle, caressant sa chevelure finement tressée d’une main légère. Abigail déglutit. Il la troublait comme elle ne l’avait pas été depuis des années, lui faisant même oublier la douleur. Avec des gestes rapides et précis, il lui entoura la main du torchon et fit un noeud serré : - Et maintenant, ma soeur, je vais vous venger. Je vais tuer vos ennemis. Cela sera long. Et cela sera bon. Vois et jouis de leur tourment comme ils ont joui du tien et de celui de tes enfants. Comme en réponse, le truand blond recommença de geindre et se tortilla sur le sol. Earl se dirigea vers lui et lui asséna un coup de pied vicieux dans l’abdomen. L’homme poussa un cri étouffé et se mit à sangloter : - Mon... mon Dieu... mon Dieu...ne me faites pas de mal... - Mais dis-moi, petit blanc, ton langage s’est grandement amélioré depuis tout à l’heure. Mais tu n’as point de chance, non, car le dieu que tu pries, ce dieu-là n’existe pas ! Earl partit d’un rire dément. Reprenant le club de golf, il le fit tourner, de plus en plus vite. Le blond se roula en boule. Sa main brisée dégouttait de sang, formant une flaque. Non loin de lui, son collègue chauve avait repris son souffle mais demeurait amorphe, la lippe tremblante, tétanisé par la peur. Earl brandit le club et entama une danse lente et syncopée : - Je suis au-delà du bien et du mal... Sa voix était plus grave que jamais, rauque et sensuelle, semblant venir du fond des âges, d’un temps où le soleil brûlait les libres tribus d’Afrique, où les tambours résonnaient, sauvages, répondant au barrissement des éléphants, où des femmes aux seins nus s’enveloppaient des effluves sucrées de karité et de gardénia. Son bassin ondulait sur un rythme lascif. Sa voix s’élevait, ensorcelante : - Je suis la puissance du vodoun. Le chant de la prêtresse qui s’élève dans la nuit. Le sang du poulet répandu sur la terre rouge. L’esprit des morts... Sa danse s’accélérait, langoureuse et obscène, ses reins se cambrant d’avant en arrière. Il rejeta la tête, dévoilant des dents d’une blancheur éclatante : - Ce dieu aux fesses pâles que tu appelles de tes voeux ne peut rien contre moi. Il n’est que du vent. Que du papier. Tremble, petit blanc, tremble et pleure et meurs ! Earl saisit le truand par le col et le souleva d’une main. De l’autre, il abattit le club. Cri déchirant. Abigail détourna les yeux. Kimberly se mit à pleurer sans bruit. Un autre coup, aussi brutal que le précédent. L’homme poussa un hurlement inarticulé puis souffla dans un gémissement : - Pitié... - Je n’en ai point. En avais-tu toi, quand tu as torturé ces enfants ? Nouveau coup. Des os cédèrent avec un bruit mou et humide et le corps de l’homme s’amollit soudainement. Kimberly lâcha un sanglot aigu. Ses épaules tremblaient convulsivement. Cette horreur n’allait-elle jamais s’arrêter ? Adossé au mur, Ethan observait la scène, le visage dur. Earl laissa retomber le corps et fit volte-face. Il balaya la pièce du regard, prédateur à la recherche d’une proie. Le culturiste reposait toujours sur le flanc, inconscient. Le plus jeune malfaiteur était prostré dans un coin, osant à peine respirer, les yeux exorbités. Le chauve rampait à reculons, dans une pathétique tentative de fuite. Earl marcha sur lui et s’accroupit à une longueur de bras. Le chauve se figea, tétanisé par la terreur, la bave aux lèvres : - C’est... c’est pas moi !! J’ai rien fait ! - Et de surcroît menteur ! Ton supplice va être particulièrement douloureux. Oui-da, quelle délicieuse volupté cela va être de te faire souffrir... Un rictus démoniaque étira son visage et il se lécha les lèvres avec concupiscence : - Je lis dans ton esprit que tu aimes les couteaux, petit blanc. Les lames bien tranchantes. Bien effilées. Bien affutées. Oh, mais qu’est-ce donc que tu dissimules dans les replis de ta fétide conscience ? Tu caches ta lame dans ta botte ? Earl gloussa de ravissement. Puis, il reprit : - Donne-la moi ! - Je...je... - Préfères-tu donc que ce soit moi qui la prenne ? Son ton était enjôleur, presque mielleux, mais chargé d’inquiétants sous-entendus. Le malfrat retroussa précipitamment son pantalon, sans quitter Earl des yeux, comme si le fait de le surveiller pouvait le rendre moins dangereux. Il extirpa un couteau de chasse, dans un étui de cuir, et le tendit en tremblant. Earl déposa le club de golf, prit le couteau et en dénuda l’acier luisant. Il le fit jouer entre ses mains, appréciant son fil et son équilibre. Le chauve poussa un glapissement. Il porta la main à sa joue, déjà marquée de cicatrices anciennes. Une balafre sanglante venait soudain de s’y ouvrir. Hébété, il fixa son couteau, qui tournoyait sur la pointe, au bout du doigt de Earl, la lame à présent tâchée d’écarlate. Eclair d’argent. Sifflement à peine perceptible. Une nouvelle entaille s’ouvrit sur l’autre joue, béant comme une seconde bouche. L’homme piaula de douleur et ses yeux se remplirent de larmes. Il dévisagea son tortionnaire, implorant. La lame tournait toujours, rebondissant sur les phalanges de Earl. - Entends-tu la mort qui s’en vient, petit blanc ? Ressens-tu le pouvoir de Loko, de Simbi Ganga, de Dhamballah Wedo ? Sache que tu vas regretter d’avoir trempé ton arme dans le sang de ma soeur, sache-le bien. Deux autres blessures s’ouvrirent sur le visage du chauve, profondes, et le sang se mit à ruisseler. Il poussa un couinement lamentable et tenta de s’enfuir en rampant à quatre pattes, griffant le sol de ses ongles. En une seconde, son bourreau fut sur lui, lui passant un coude sous le menton, lui tordant la tête en arrière. La lame jeta un éclat sinistre et mordit la chair de la gorge, libérant un flot pourpre qui gicla sur le parquet à gros bouillons. Le visage du chauve se tordit d’une manière grotesque et ses bras fouettèrent l’air. Puis, il s’effondra face contre terre dans un ultime gargouillement. Dans le canapé, Kimberly poussa un léger soupir. Sa tête roula sur sa poitrine et elle s’affaissa contre le dossier, inconsciente. Sa mère se leva sans bruit, bougeant très lentement, avec une prudence extrême. Elle rejoignit l’adolescente et lui entoura les épaules de son bras valide. Earl se redressa, laissa tomber le couteau sur le cadavre et d’un ton enjoué : - Trop court, bien trop court ! Voici ton bien, que tu n’aurais jamais dû souiller de notre sang. Non jamais. Earl récupéra le club, rajusta son haut de forme d’une main distraite et s’approcha de la forme écroulée du culturiste. Le colosse n’avait pas bougé et de sa mâchoire brisée s’échappaient des bulles rouges. Earl le contempla un instant puis ajusta sa prise sur son arme. D’un seul coup d’une violence inouïe, il lui défonça le crâne. Ceci fait, il se retourna vers le dernier cambrioleur vivant. Celui-ci ouvrit des yeux immenses, aux pupilles réduites à deux points, et se raidit : - Non... non... non... Earl marcha sur lui, se déhanchant d’une façon outrageusement suggestive. Abigail le suivit des yeux, captivée malgré elle. Jamais elle n’avait vu son époux ainsi, aussi redoutable, aussi cruel. Il dégageait une séduction perverse à laquelle elle ne parvenait pas à demeurer indifférente, quel que soit son dégoût. Elle ignorait dans quel délire il se trouvait mais les frissons qu’il lui inspirait ne naissaient pas tous de la peur. Elle secoua violemment la tête, faisant voler ses tresses. Il fallait qu’elle se reprenne ! Il allait tuer ce gosse, à peine plus vieux qu’Ethan. Elle devait tenter de l’en dissuader. Cependant, Earl s’était assis en tailleur devant le jeune truand et le fixait avec un sourire sadique. Il se mit à chantonner et sa chanson résonnait d’une jubilation féroce : - Tu vas souffrir, petit blanc. Tu vas mourir, petit blanc. Sais-tu qui je suis ? De la main gauche, il lui asséna une gifle qui claqua dans le silence surnaturel du salon. Le jeune homme continua de psalmodier, les yeux étroitement clos : - Non... non... non... - Je suis ta mort. Sais-tu qui je suis ? Une autre gifle. Le gamin vacilla et sa joue commença de virer au violet. Il n’était pas très épais pour son âge et flottait dans un t-shirt bien trop large. Ses bras qui dépassaient des manches étaient piquetés de marques bleutées : - Non... non... - Je suis ta mort. Sais-tu qui je suis ? La gifle sonna, retentissante, projetant le jeune homme contre le mur. Il bredouilla, hystérique : - Ma... ma mort !! Earl éclata de rire et se frappa la cuisse du plat de la main. La voix d’Abigail interrompit cet accès de gaieté brutale : - Earl... ? Chéri... ? Laisse-le tranquille. Je t’en prie. C’est terminé, maintenant. Il lui fit face, sérieux pour la première fois. Le masque de squelette projetait sur ses traits des ombres inquiétantes. Abigail respira profondément. De là où elle se trouvait, elle pouvait sentir son odeur, piquante et musquée, de sueur et de charogne mêlées. Une odeur étrangère. Elle reprit, hésitante : - Tu n’as pas besoin de faire ça... On va appeler la police. - Me demanderais-tu de l’épargner, ma soeur ? Me le demanderais-tu après ce que vous avez enduré, toi et tes enfants ? Ton coeur a-t-il cette suprême douceur ? L’a-t-il véritablement ? - Ne le tue pas. Je t’en prie... - Vous aurait-il épargné si je n’étais venu ? Seriez-vous de ce monde si je n’étais apparu ? Mérite-t-il ta clémence ? - Je t’en p... - C’est lui qui m’a cassé le bras. Les mots d’Ethan venaient du fond de la pièce. L’adolescent se leva et s’avança lentement, le corps en partie désarticulé, meurtri. Son jogging était arraché et des croutes de sang couvraient son front et un de ses yeux, qu’il gardait fermé. Dans sa prunelle intacte brûlait une rage froide : - Il a battu ma soeur. Il t’a découpée. Qui sait ce qu’il nous aurait fait, encore. Il mérite de mourir. Sa mère lui lança un regard profondément horrifié puis : - Earl... Reprends tes esprits. Earl ! Une ombre passa sur le visage masqué et il cilla plusieurs fois. Il regarda dans le vague, fronçant les sourcils comme s’il réfléchissait. Un vent tiède sembla souffler sur le salon. Lentement, Earl leva le club de golf au-dessus de la tête du jeune malfaiteur. Ethan lâcha : - Baron Samedi, vengez-nous. Et le bras de la mort s’abattit. Estellanara Et hop ! Deux participations à critiquer pour toi, Narwa ! Je n’en reviens pas de ma productivité ! Ce message a été lu 6273 fois | ||
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3 Que seraient les hommes sans Loa? - Maedhros (Dim 30 jun 2013 à 18:24) 4 Merci pour ta lecture ! - Estellanara (Lun 8 jul 2013 à 16:38) 3 Commentaire Estellanara, exercice n°101 - Narwa Roquen (Mer 19 jun 2013 à 23:14) 4 Merci pour ta lecture ! - Estellanara (Lun 1 jul 2013 à 09:08) |