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De : Narwa Roquen Date : Mardi 5 novembre 2013 à 14:21:31 | ||
J'aurais adoré lire ce texte s'il avait été écrit par Maedhros. Mais il se trouve que c'est à moi que l'idée est échue. Alors, j'ai fait de mon mieux. Comme Marie, elle lève les yeux sur la Croix. Et dès que je la vois, je suis frappé, happé, transpercé. Ce regard au vert si pâle, embrouillardé de larmes retenues, porté par deux grands yeux qui s’effilent félinement vers les tempes. Ce regard est tendu comme un fil prêt à rompre. Je ne dirais pas qu’il espère encore mais il est infiniment dans l’instant présent, suspendu à un souffle... Suspendu ? Non. Il Le porte, il Le soutient, il Lui donne avec une ténacité confinant à la folie autant de vie qu’un regard peut en contenir. Il y a quelque chose de surhumain dans ce regard. Il est le Fils de Dieu, promis de toute évidence à la Vie Eternelle, et elle ne peut l’ignorer. Et pourtant on dirait qu’elle s’acharne à maintenir en vie, par le simple feu de ses prunelles, la pauvre dépouille charnelle qui agonise sur un morceau de bois. La comparaison avec Marie est saisissante. La Mère sait. Son visage est presque serein, elle regarde loin, plus loin, vers le Ciel. La Vierge regarde Dieu. Madeleine regarde l’Homme. Le peintre a-t-il blasphémé ? La tête de Marie est ceinte d’une auréole de lumière, mais c’est Madeleine qui est au premier plan, même si elle se tient un pas en arrière. Je n’entends plus rien autour de moi. Je suis fasciné, hébété, emporté par ce visage, que je scrute minutieusement avec adoration. Les sourcils sont droits, à peine crispés sous l’effort de la volonté. Le front est haut, parfaitement lisse, barré en son milieu par une mèche fine échappée de la luxuriante chevelure défaite et embroussaillée qui ondule en un fleuve sauvage et sensuel. Les cheveux recouvrent l’épaule droite et s’éparpillent sur le dos jusqu’à la taille, leur blonde rousseur a la vivacité de l’écureuil, la fulgurance cachée du renard... Ce n’est pas une couleur, c’est de la vie en mouvement. Sa beauté me bouleverse. Je m’étonne de la trouver étrangement familière. Je me leurre, je ne la connais pas, je voudrais seulement la connaître... Je m’accroche à ce visage comme un naufragé à un tronc d’arbre. Le nez est délicat mais droit, il ne manque pas de force dans sa gracieuse courbe. La bouche est charnue, entrouverte sur une douleur muette. La souffrance est là, entre les lèvres chaudes et humides, faites pour le plaisir, s’exhalant en un souffle haletant qui lutte contre le désespoir. La pommette est marquée, mais sans agressivité aucune. La joue est presque creuse, le menton pointu, mais l’ovale du visage ne dégage que de la douceur. Elle est jeune, si jeune ! Si femme, si naturellement belle, sans aucun fard, sans aucun artifice, surprise par un peintre indiscret dans l’intimité de son immense peine... J’adore les femmes, cela n’est pas un secret. Surtout les plus belles, les reines du bal, les poitrines arrogantes et les fesses orgueilleuses. J’ai l’âme d’un chasseur. Il me les faut toutes ! Combien de fois je me suis détourné de ma route pour suivre une inconnue au mépris de toute raison... Je suis hypnotisé par ce visage, mais je ne ressens aucun émoi. Mon corps est silencieux, inerte, passif. Comme si ce personnage était tellement sacré que même le fantasme ne pourrait l’atteindre. Mais c’est une femme ! Une femme dont la robe rouge est presque entièrement cachée sous le manteau noir, une femme à la poitrine généreuse pudiquement masquée, qui croise ses longues mains pâles sur son ventre gonflé, comme pour protéger... Protéger ? Je cligne des yeux, je porte la main à mon front. C’est elle qui... Je... je communique avec une peinture sur le mur d’une chapelle ? « Bon, Mario, tu as fini ? Je m’emmerde, moi ! » Comme si j’avais reçu un jet d’eau froide en pleine tête, je dévisage la créature qui m’interpelle. Elle est trop blonde, trop maquillée. Ses talons sont trop hauts, sa mini-jupe qui brade des jambes pourtant parfaites est simplement vulgaire en ce lieu consacré. Elle me donne la nausée. Les dents serrées, le regard dur, je fulmine à voix basse : « Casse-toi. Dégage. Disparais ! - Mais enfin, Chouchou... » Mes yeux sont sans doute suffisamment éloquents. Son déhanchement inutile se dirige vers la sortie. Je me sens libéré d’une présence importune. Méticuleusement, je sors mon appareil de son sac. Je ne mitraille pas, non, j’ajuste. Je recopie avec amour vues d’ensemble et gros plans. Je multiplie les angles, les zooms, les cadrages. Je m’applique comme si ma vie en dépendait, avec l’impression saugrenue que ma vie en dépend. Une fois de plus, je regrette l’absence de Gabrielle. Elle aurait su se taire, elle aurait perçu mon trouble, elle aurait seulement serré ma main. Mais je ne peux pas la blâmer de s’être lassée de mes écarts incessants. Elle ne m’a que trop pardonné, pendant les quatre ans de notre vie commune. Je n’ai pas protesté contre la sentence. J’ai pensé que les relations durables étaient trop contraignantes. J’ai cru que je m’en remettrais vite. Et pourtant, deux ans après, elle me manque toujours. « La chapelle Santa Croce a été entièrement rénovée en 1988. Un peintre turinois, Mario Casile, connu pour ses talents d’aquarelliste et auteur d’une mémorable exposition sur Venise, a accepté de repeindre l’intérieur des murs, avec en particulier cette scène de la Crucifixion que vous avez devant vous. Comme il était d’usage à la Renaissance, il a donné aux saints personnages les visages de ses proches. Ainsi, les angelots dans le coin en haut et à droite ressemblent à ses petits-enfants. Marie est largement inspirée de son épouse, le Christ a les traits de son fils et Saint Jean ceux de son frère... - Et Marie Madeleine ? » Le guide me regarde de travers. « La femme en rouge, au premier plan, près de la Vierge, c’est bien Marie Madeleine ? » Mon italien est un peu hésitant, je n’ai pas pratiqué depuis plus de vingt ans, mais je suis sûr d’être compréhensible. « Eh bien... En fait... Je regrette...Sur les notes qu’il nous a laissées, monsieur Casile n’a jamais fait mention de Marie Madeleine. Il l’a sans doute inventée... » Je ne vais pas me contenter de cette réponse. Quand tous les autres touristes sont partis, je m’acharne sur le vieil homme jusqu’à ce que, confus et en nage, il me griffonne enfin l’adresse du peintre. C’est à Rivoli, dans la banlieue de Turin. Je peux y être en début d’après-midi. Cela dépasse le cadre de mon photo-reportage sur « Les trésors cachés du Piémont », mais cette fois c’est pour moi que je roule. Et je n’envisage même pas de ne pas y aller. Une femme m’ouvre la porte de cette petite maison, située dans un quartier modeste et entourée d’un jardinet où s’étiolent trois roses et deux bégonias. Elle est très âgée, sûrement plus de quatre-vingts ans. Néanmoins elle se tient parfaitement droite et impose le respect. Ses cheveux blancs sont retenus par un chignon soigné ; elle est maquillée de manière discrète mais efficace. Ses yeux de ciel clair sont mis en valeur par le chemisier du même ton, que recouvre un tailleur bleu marine très stylé. Un camée suranné orne le revers de la veste, un collier de perles fines ceint son cou ridé mais fier, et des bracelets d’or s’entrechoquent à son poignet. Il se dégage d’elle une distinction authentique. Dans un tel décor, je m’attendais plutôt à une grand-mère voûtée et vêtue de noir, ou bien à une vieille dépressive en robe de chambre... ou encore à une fausse jeune en jogging et baskets. Je suis impressionné et surpris, mais elle semble l’être encore davantage. Une émotion violente parcourt son visage naturellement équilibré, elle recule d’un pas. Peut-être craint-elle une agression ? « Mon mari n’est pas là », répond-elle à ma requête. « Je vous en prie, entrez, il va revenir bientôt. Apprécieriez-vous un café ? » Elle dispose les tasses sur la table basse du salon. L’intérieur est cossu, sans ostentation, sans surcharge. Les murs sont couverts d’aquarelles, certaines représentant Venise, d’autres la campagne piémontaise. Je la surprends à me regarder par en dessous tout en essayant de cacher son trouble. « Vous êtes gaucher ? » demande-t-elle en désignant du regard la montre que je porte au poignet droit. - « Non, non... Mais j’ai un grain de beauté là, sur l’intérieur du poignet, à gauche. Le médecin m’a dit qu’il valait mieux éviter les frottements. - C’est juste, c’est juste. » Elle a l’air satisfaite de ma réponse et me sourit vaguement en remuant son café. « Madeleine... », reprend-elle, « non je ne sais pas de qui Mario a pris les traits. Mais cette peinture est magnifique, n’est-ce pas ? Et tellement intime... » Cette femme est d’une grande finesse. Comme Gabrielle. J’ai le sentiment cependant qu’elle me promène pour ne pas me dire ce qui m’intéresse vraiment. Elle me questionne sur mon métier, s’extasie sur l’art difficile de la photographie, déplore que son mari ne puisse plus peindre car sa vue a beaucoup baissé, surtout l’oeil droit... « Justement notre fille aînée l’a emmené chez l’ophtalmologiste. Il devait déjà être rentré, mais peut-être y a-t-il eu de l’attente... Vous voulez voir son atelier ? » Je visite l’ancien garage dont un pan de mur entier a été remplacé par une grande baie vitrée, par où le soleil doit s’engouffrer tous les matins. Je ne sais pas pourquoi, mais où que je sois, je sais toujours où est l’est. Pas le nord, non, je m’en fiche. Mais l’est. Là où le soleil se lève. Angelina, ma mère adoptive, m’a dit que c’était parce que j’étais né au lever du jour. Tout à coup, elle aussi elle me manque. Je n’avais pas pensé à elle depuis bien longtemps. Je n’ai que peu de souvenirs de son mari, Vittorio, il est mort quand j’avais cinq ans. Je me souviens surtout des photos, il y en avait partout dans l’appartement. Elle me répétait qu’il était bon, qu’il m’aimait beaucoup... Et que surtout je ne devais pas en vouloir à ma mère, qu’elle m’avait confié à eux parce qu’elle ne pouvait pas faire autrement, parce qu’elle était veuve, parce qu’elle était seule. Sur mon acte de naissance, j’étais né à Turin, d’Angelina Rossi et Vittorio di Mantegna, mais elle avait toujours insisté pour que je sache que ce n’était pas vrai. Elle était comme ça. Douce, gentille, et profondément honnête. Mon hôtesse me rappelle au moment présent. « La lumière est belle, ici. Mais il n’en profite plus beaucoup... » Sur le bureau, où s’entassent dans un désordre inouï (« Pardonnez, mais vous savez, c’est un artiste, il refuse que je range... » des catalogues, des lettres non décachetées et des esquisses inachevées, je remarque la photo encadrée d’un jeune homme en uniforme. Et là, le téléphone sonne. Je ne sais pas ce que serait devenue ma vie sans cette sonnerie. Mais le destin a décidé de donner des réponses aux questions que je n’ai jamais osé poser. « Excusez-moi. » Je soulève le cadre, j’examine de près le portrait de cet homme. Il y a des avions à l’arrière-plan. Et là, moi aussi, je sursaute, je recule, je manque de lâcher l’objet tellement la surprise est forte. C’est moi ! Non, ce n’est pas moi, mais c’est mon sosie parfait. Le même visage, les mêmes cheveux noirs, le même menton carré... Ah si, il y a une différence. Ses yeux sont foncés, les miens sont verts. Elle revient, soucieuse. « Je suis désolée, il va falloir que je sorte. Ma soeur vient d’avoir un malaise. - Je suis confus... Vous avez un militaire dans votre famille ? » Ma question la cueille à froid, elle répond sans réfléchir, avant de se mordre les lèvres comme si elle avait révélé un secret capital. « C’était notre fils, Fabio. Il... il est mort il y a longtemps. Un accident d’avion. Je... Vraiment, toutes mes excuses. Je vous raccompagne. Mais... je vous en prie... Revenez quand vous voulez. Mon mari... serait tellement heureux de vous rencontrer... » J’ai loué une chambre d’hôtel à Turin. La nuit n’est pas encore tombée, je pourrais rentrer, je devrais. Il y a sûrement encore des avions... Sans réfléchir, je compose le numéro de Gabrielle. Je n’ai pas besoin de consulter mon répertoire. Celui-là, c’est étrange, il n’est jamais sorti de ma mémoire. « Bonjour, vous êtes en communication avec le répondeur de Gabrielle. S’il vous plaît, vous seriez bien aimable de me laisser un message. Je ne manquerai pas de vous rappeler. Merci, à bientôt. » Je raccroche, terrifié. Que pourrais-je lui dire, qui ne lui arrache un haussement d’épaules et une moue de dépit ? Gabrielle... Toujours à dire merci, s’il vous plaît, je vous en prie... Gabrielle, mon paradis perdu. Je ne vais pas pleurer sur mon sort. Je l’ai mérité. Tant de choses se bousculent dans ma tête. Pourquoi cet homme, cet aviateur, me ressemble-t-il tant ? Je ne crois pas à la coïncidence. La femme du peintre a manifesté trop d’émotion à mon égard. Pourquoi ne m’en a-t-elle pas dit davantage ? Et pourquoi, bougre d’idiot, ne lui ai-je rien demandé ? Google est mon ami. Casile, aviateur, accident. Fabio Casile, né le 22 novembre 1952 à Turin, Italie. Pilote d’essai de l’Aeronautica militare. Grade : capitaine. Décédé le 24 novembre 1985. Son avion a explosé en vol, au cours d’une manifestation aérienne, sous les yeux de ses parents, Mario et Mirella, et de sa femme, Maddalena, qui portait son enfant. Je suis né en 86. En février. Si c’est moi, elle était enceinte de six mois. C’est possible. Il a repeint la chapelle en 88. Trois ans après, les souvenirs étaient encore nets dans son esprit. Un peintre a la mémoire des visages. Il a honoré son fils mort en le représentant à la place du Christ. Même pour un croyant, il n’y a pas de faute. Et puis, est-ce à cause du prénom ? Mais non ! Il n’a rien inventé de l’expression de Madeleine. Dans la chapelle, elle regarde la Croix, mais il a peint le visage de sa belle-fille levant les yeux vers son mari mourant en plein ciel. Est-ce que c’est choquant, de recopier ainsi un moment intime pour l’exposer aux yeux de tous ? Si c’est bien elle, si c’est bien moi, pourquoi a-t-elle disparu ? Pourquoi m’a-t-elle abandonné, alors qu’elle avait une belle-famille ? Est-ce qu’ils se sont disputés ? Non, dans ce cas il ne l’aurait pas peinte. Il l’a immortalisée parce que justement il ne lui reprochait rien. Mais alors pourquoi, pourquoi est-elle partie ? Je me monte la tête. Fabio me ressemble, d’accord, mais il y a sûrement eu cette année-là d’autres veuves qui ont abandonné leur enfant. Il faut que je visionne mes photos. J’ai un article à rédiger. Je rentre demain. Les impressions, sentiments, coïncidences... foutaises ! J’ai un bon métier, je suis libre, je gagne bien ma vie et je fais ce que je veux. J’ai vu une jolie chapelle et j’ai rencontré une vieille folle qui m’a pris pour quelqu’un d’autre. Et j’ai bien failli, moi aussi, me prendre pour quelqu’un d’autre. Demain je serai rentré et j’appellerai Sophie, ou Anita... ou Laurence... C’est quoi cette tache ? Il y a une petite marque sur le poignet gauche de Marie Madeleine. La main gauche soutient la droite, et la face interne du poignet est exposée. Il y a une tache... comme un grain de beauté. Je regarde mon poignet. C’est une coïncidence. Mais l’appel est plus fort que tout. Il faut que j’y aille, maintenant, tout de suite. La chapelle sera fermée pour la nuit, c’est idiot, mais je dois y aller. Je roule. Je me gare. Une faible lueur filtre à travers les vitraux, sans doute à cause des cierges. J’ai le coeur qui bat. La lourde porte se laisse ouvrir. Quelqu’un est agenouillé au premier rang. Une femme. Un châle noir recouvre sa tête et ses épaules. Je marche vite, trop vite. Elle se retourne. « Mario ! Je t’attendais. » Je deviens fou. Elle est là, devant moi, Madeleine. Celle de la peinture, la même, exactement. Toujours aussi jeune et toujours aussi belle. « Viens t’asseoir près de moi, mon enfant. J’ai désiré cet instant depuis si longtemps... Comme tu ressembles à ton père ! » Sa main, blanche colombe nue qu’aucune bague n’alourdit, frôle ma joue. « Mais tu as toujours mes yeux... » La gorge nouée, je lui montre mon poignet. « Oh, ce grain de beauté... Tu ne l’avais pas quand j’ai dû... Il a poussé plus tard... - Pourquoi es-tu partie ? - Oh, mon enfant, si j’avais pu ! Tu avais à peine plus d’un an quand mon lait s’est tari tout à coup. Le lendemain, tu es tombé malade, et aucun remède ne faisait céder la fièvre. Même à l’hôpital, les médecins ne savaient pas pourquoi. Dans la nuit, Gabriel m’est apparu. Le Père ne me laissait pas le choix. - Le père ? Mario ? » Elle secoue sa longue chevelure rousse. « Non ! Mario et Mirella ont toujours été de véritables parents pour moi. Ils m’ont crue, ils ne m’ont jamais jugée, ils m’ont ouvert les bras et m’ont tant aidée après ta naissance... Je t’ai nommé comme ton grand-père parce que c’était le souhait de Fabio. Il adorait son père. Et moi-même je n’ai jamais rencontré un homme si bon, si doux, si généreux... - Mais alors... - Le Père. Il ne m’a jamais pardonné d’avoir aimé l’Homme. - L’Homme ? Jésus ? Mais tu veux dire... - Oui. Marie Madeleine, c’est moi. Mario avait deux bonnes raisons de me peindre sur ce mur : j’étais la femme de son fils... et j’étais...moi... Le Père m’a condamnée à errer sur la terre, pour que je ne puisse jamais retrouver son Fils... » La flamme des cierges vacille, comme ma raison. « Je sais, c’est impossible à croire. Mais Mario et Mirella l’ont fait. Fabio... était le seul homme que j’aie aimé après Jésus. Tant de siècles de solitude... de silence...Toujours partir, avant que les gens que j’aurais pu aimer ne réalisent que je ne vieillissais pas... J’ai vu mourir mes filles, mes jumelles adorées, Ses filles... Je les ai accompagnées, sans avoir plus personne à prier, jusqu’au bout de leurs souffrances. Y a-t-il plus grande peine que de voir mourir ses enfants, mêmes quand ils sont adultes, même quand ils sont vieux ? Pour me donner du courage, je me disais que je leur épargnais le chagrin de mon absence, que jamais je ne leur aurais manqué... J’ai fermé leurs yeux, je les ai bercées contre moi dans leur mort, l’une après l’autre, comme je les berçais quand elles étaient à mon sein... Perdre l’homme qu’on aime est une douleur atroce. Mais perdre un enfant ! J’ai fui pendant des siècles pour ne plus jamais aimer, pour ne plus jamais engendrer, pour ne plus jamais souffrir de cette sorte ! Et puis j’ai rencontré Fabio, et ses parents. Ils étaient si simples, si limpides, si innocents... J’ai cru que la vindicte du Père s’était lassée. Jusqu’à ce jour où, enceinte de toi, j’ai revécu la même douleur qu’au pied de la Croix... Je t’ai abandonné, c’est vrai, mais c’était pour te sauver la vie. Mario et Mirella l’ont compris. Ils ont gardé le secret. Angelina et Vittorio aussi. Le Père ne peut rien contre la bonté des hommes. Et tu as vécu. » Elle se penche vers moi, me serre dans ses bras. Je sens de longues larmes brûlantes ruisseler sur mes joues. Je sais que c’est elle, mon corps le sait. C’est son odeur, c’est sa chaleur, c’est la caresse légère de ses longs cheveux. J’ai retrouvé ma place. Je sais qui je suis. « Gabrielle... Je serai là demain. Il est peut-être trop tard, mais... Tu avais raison, je me suis comporté comme un idiot et un égoïste. J’ai changé, Gabrielle. J’ai appris. Je t’aime. C’est toi que je veux. Et je veux un enfant de toi. S’il te plaît. » Narwa Roquen, dépassée par son sujet Ce message a été lu 5968 fois | ||
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3 Celle qui se tient debout. - Maedhros (Sam 16 nov 2013 à 17:24) |