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 WA, exercice n°134 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Samedi 6 septembre 2014 à 16:37:13
Alors, c’était bien ? Le camping sous la pluie, les boulangeries fermées, les garagistes en congé... Les amis partis, les enfants insupportables, et le compagnon (la compagne) en mode éco... Les coups de soleil, les méduses, les courbatures, les notes d’hôtel... Et les 150 mails qu’on retrouve à la rentrée, tous soi-disant urgents, c’est pas bien, ça ? Les plantes cramées, les puces de plancher, et qui a oublié de payer EDF, hein ? Et en plus, les jours raccourcissent...
Avant toute chose, calez vos prochaines dates de vacances, en espérant que la neige ne bloque pas les routes... Et puis, replongez-vous dans la fiction pour mieux supporter le quotidien. Je vous propose un thème qui a souvent été abordé en littérature et au cinéma, mais pas encore ici : les différents avenirs possibles. Ce que Pratchett appelle « le pantalon du temps ». Vous êtes libres du Monde et du contexte. Posez-vous juste les bonnes questions : à quel moment l’avenir peut-il être infléchi ? Qui va décider de recommencer différemment (le héros grâce à son pouvoir, le destin, le hasard, une divinité ) ? Combien de possibilités ? Pourquoi est-ce que ça va s’arrêter ?
Soyez cohérents, précis... et inventifs !
Vous avez presque quatre semaines (oui je sais je suis en retard), jusqu’au jeudi 2 octobre, et il n’y aura pas de pénalité pour les retardataires !
Pour ceux qui n’auraient jamais participé, je rappelle que ces exercices sont ouverts à tous, à la seule condition qu’ils soient écrits en français...
Amusez-vous bien et tous les faëriens (même ceux qui ne le disent jamais) en profiteront !
Narwa Roquen, arriba, arriba!


  
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Réponses à ce message :
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2014-10-02 22:42:41 

 Prolongation de deux semainesDétails
Parce que.
Narwa Roquen, et deux semaines de bonheur!

Ce message a été lu 6714 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2014-11-11 12:31:13 

 WA - Participation exercice n°134 (I)Détails
JOUR APRÈS JOUR


Illustration musicale... c'est un indice!

Je n’ai pas besoin d’ouvrir les yeux. Les odeurs rances de matières indéfinissables en décomposition sont autant d’empreintes olfactives familières qui ne peuvent mentir. Je suis encore dans la cave et tout va recommencer.

Dehors, le monde ne tourne plus vraiment rond ; trop de morts déambulent en riant sur les trottoirs. Ce ne sont que des morts-vivants, vous savez ! Avides et cruels, surtout avec les types qui ont dégringolé trop vite les marches de la société. Comme moi. Ils se foutent de la gueule de tous ceux qui les supplient du regard avec la main tendue. J’ai oublié qui j’étais.

J’ai perdu ce que j’avais. Une femme ? Des gosses ? Un beau jour, j’ai lâché prise. J’ai perdu pied, vous comprenez ? L’alcool est venu bien après. Il faisait trop froid. J’étais trop seul. J’étais trop vide. La bouteille me tenait chaud et compagnie. J’ai bu jusqu’à m’endormir dans mes vomissures. C’est à ce moment que je me suis réveillé dans la chambre d’hôpital, incapable de me rappeler comment j’avais fait pour en arriver là. De mon passé, il ne me reste que quelques fragments agencés n’importe comment. Parmi ces images incompréhensibles, il y a un visage. Un visage de femme qui me sourit. Je sais qu’il s’agit d’un visage de femme mais quand je l’ai dessiné pour leur faire plaisir ; pour qu’ils cessent leurs questions, ils ont dit que ce n’était pas un visage. Encore moins un visage de femme. Ils ont prétendu que c’était un chapeau. Un chapeau ? Ils voulaient me faire passer pour dingue. Alors quand ils ont baissé la garde, j’ai déguerpi

Je n’avais nulle part où me cacher. Ils étaient sur mes talons, avec leurs filets et leurs bâtons. En banlieue, j’ai fini par trouver un asile. Cette cave. Au beau milieu d’une immense friche industrielle ; succession de hangars éventrés entre rails rouillés et bouquets de fleurs rongées. Poussé par la nécessité, j’ai longé les barbelés. « Zone polluée – danger mortel » avertissait la tête de mort. Il y avait un passage insoupçonné. Je me suis faufilé. Après, j’ai entendu leurs voix décroître de l’autre côté.

En explorant les vieux bâtiments abandonnés, j’ai trouvé le blockhaus. Sous les épaisseurs de béton, les ténèbres y règnent en maîtresses absolues. Ses escaliers mènent loin sous la surface. A la lumière fileuse des bougies, j’en ai exploré chaque niveau. J’ai longé des laboratoires où traînaient paillasses poussiéreuses, cages vides et matériels inquiétants. Plus je m’enfonçais dans les entrailles de ce lieu étrange, plus l’atmosphère devenait moite et lourde ; plus l’air devenait irrespirable. J’eus l’impression de déranger des fantômes. En chuintant, ils se pressèrent dans mon dos. Je pouvais sentir leur souffle ténu dans mon cou. Et quand je m’immobilisais, quand la tension devenait insupportable, je percevais l’écho de voix inconsolables. Cela résonnait comme un choeur d’anges déchus. J’avais beau me dire que c’’était mon imagination, j’en avais la chair de poule. Bien sûr, quand je me retournais, il n’y avait rien ; juste le néant.

Peu à peu, j’appris à apprivoiser ces ombres. En contrepartie, elles m’offrirent une hospitalité cotonneuse. Je fus bientôt aussi à l’aise parmi elles qu’avec de vieux voisins. Elles me donnèrent le courage d’affronter chaque jour les cohortes de morts-vivants sur les trottoirs ensoleillés pour leur quémander quelques pièces.

J’ai apporté des cartons et mille autres bricoles dans le laboratoire sur lequel j’avais jeté mon dévolu, aux parois blanches entièrement carrelées. Je l’ai choisi pour deux raisons. D’abord pour le côté hygiénique de salle de bains. Ensuite, parce que j’ai remarqué que les ombres refusaient d’y entrer. Elles demeuraient sur le seuil, comme repoussées par une force invisible. Je n’avais qu’à refermer doucement la porte pour ne plus entendre leur babillage.

J’ai balayé le sol et j’ai disposé de gros cierges subtilisés dans les églises et les temples. Dieu me pardonnera. Peut-être. J’en ai fait aussi une bonne provision que j’ai rangée dans l’une des alcôves creusées dans le mur du fond. Il y en a une bonne vingtaine, toutes équipées d’un lourd sas à volant. A l’intérieur, le plateau coulissant pourrait contenir sans difficulté le corps d’un homme de bonne taille. La morgue d’un sous-terrestre. J’y ai récupéré un oreiller encore utilisable et des draps assez propres. Un signe du destin. Bienvenue à la maison !

J’ai ramené une poignée de bouquins piqués à la bibliothèque et des boîtes de conserve distribuées par la banque alimentaire. Là, dans ma forteresse, je me sens à l’abri. J’ai recouvré la tranquillité. Ils ne m’attraperont pas. Car ils me recherchent toujours, vous savez ! Je peux voir leurs sales museaux fureter partout. Ils reniflent l’air et remontent la piste. Mais j’ai ma technique. Dans la ville, ils passent sans me voir. Dans la ville, je cours du matin au soir. Comme le rat dans le labyrinthe. Pas moyen de faire autre chose. Il y a ces voix qui murmurent dans ma tête. Les voix des fantômes qui vivent avec moi dans le bunker.

J’ignorais que j’avais passé un pacte. Si j’avais su... !

*

Il se glisse dans l’interstice masqué par les monceaux d’ordures et la pyramide de conduites en béton. Même les chats errants ne s’y risquent pas. Quand il débouche enfin à l’air libre, dans l’impasse, il se redresse pour devenir plus présentable, plus humain.

L’aube marche dans les rues, éteignant les néons et chassant devant elle les dernières créatures de la nuit.

Son apparence est celle d’un naufragé de la vie, une de ces pauvres hères qui jonchent les avenues du centre ville, collection hétéroclite de « mobilier hurmain », pour employer le néologisme à la mode. Il n’a pas d’âge. Regardez ses yeux. Voyez-vous les tressaillements incontrôlés des globes oculaires ? C’est un premier symptôme.

Rendons-lui la parole.

*

Il faut que j’évite de refaire la même chose. Il ne faut pas que j’oublie de ne pas recommencer les mêmes gestes ; ne pas suivre les mêmes traces ; essayer de déjouer les plans de ce qui me force à revivre ce foutu jour qui tourne en boucle. Non, je n’écouterai pas vos satanées voix. Comme hier. Comme avant-hier. Je suis peut-être un rat dans le labyrinthe ou bien un dormeur dans le mur du laboratoire, rêvant une vie chimérique. Que m’importe de vivre dans un rêve ? Je suis bloqué dans ce niveau et je ne trouve pas le moyen de passer au suivant, comme dans les jeux vidéo de ma jeunesse. Il fallait récolter les indices ; comprendre l’énigme ; trouver l’issue et faire le bon geste au bon moment. Je n’étais pas très doué à ces jeux là !

J’ai l’impression très nette d’être un personnage manipulé par un joueur incompétent qui me condamne à revivre chaque jour la même histoire. Est-ce cela qu’on appelle le destin ? Le mien est sacrément répétitif. Je n’ai pas besoin de lire la manchette des journaux pour savoir que la date n’a pas changé. Encore un putain de vendredi. Un putain de vendredi 13. Ces derniers temps, tous les jours sont des putains de vendredi 13. Tous ceux que j’aime sont morts un vendredi 13. Ce jour funeste me colle à la peau comme un chewing-gum à la semelle. Aujourd’hui n’est pas un autre jour. Il n’est qu’un subtil réagencement d’hier.

Je tiens une sorte de journal. Un livre de bord. J’y punaise quelques photographies de mots pour emprisonner des bribes de temps ; ce temps qui s’obstine à tourner en rond ! Mais j’ai beau tourner les pages, il y a les mêmes mots, les mêmes images. Même le numéro de la page ne change pas. Vous pouvez expliquer ça ?

Bon. Réfléchis. Pour l’instant, jusque là, rien n’est encore définitif. Je crois que le truc serait de rester à la même place. Oui, j’en suis presque persuadé. Il suffirait que je m’asseye contre ce mur pour attendre le crépuscule ; sans rien faire et sans rien dire. Mais c’est un luxe inaccessible. Si je ne bouge pas, ils vont me coincer. Ils vont m’enfermer ; me donner leurs pilules bleues et leurs pilules jaunes ; faire d’autres expériences, vous savez ! Des machins désagréables. Le pire, c’est que je vais devoir l’affronter encore. Qui ? Mais elle, cette garce de miss Fletcher. L’impitoyable Miss Fletcher, avec ses façons doucereuses et perfides. Ses jeux à la con et ses crayons de couleurs. Elle me force à dire ce que je ne peux me rappeler. Ca, c’est insupportable.

Droite ou gauche, j’ai déjà tenté les deux directions. La décision est neutre. Je me dirige vers la bouche de métro. Merde, je vois l’homme au chapeau gris qui émerge de l’escalier. Il était là hier, avec son manteau de flanelle et son attaché-case. Je traverse l’avenue sans me soucier du bus qui, en me frôlant, klaxonne rageusement. Je descends l’avenue maintenant. Est-ce la bonne décision ? C’est toujours la même question. Ai-je accompli l’action qui va débloquer le niveau et me permettre de reprendre le cours de ma vie ?

De toute façon, contrairement à Bill Murray, je connais l’évènement déclencheur. Je suis à Paris et Punxsutawney est loin. Les années 90 aussi ; C’était bien avant ma naissance, bien avant la Grande Dépression, quand l’économie européenne a implosé dans la déflation. Mais j’ai vu le film. Le gars cherchait à donner un sens à sa vie et elle était bien mignonne, la petite journaliste. Il s’est débarrassé de toutes ses enveloppes superficielles pour révéler vraiment le chic type qu’il était en dessous. Pas de larmes. Pas de drame.

Ce n’est pas mon histoire. Elle finit mal. Vous en doutiez ? Sauf si je trouve le chemin qui m’amènera sain et sauf à demain ; le chemin qui ne croisera pas le sien. Si je réussis, je suis sûr que je me réveillerai enfin le jour après celui-là.

Je marche lentement, en baissant la tête. Je m’écarte des vrais gens. Avec leurs masques et leurs lunettes foncées, ils ressemblent à des zombies impassibles. Je sais qu’ils me suivent du regard car je n’appartiens pas à leur monde. Ils étaient là hier. La même façon de marcher, les mêmes gestes saccadés. Je prends à gauche, puis encore à gauche. La martingale des labyrinthes. Je traverse un square où les balançoires sont immobiles. Où sont donc passés les enfants ? Il n’y a pas de pigeons non plus. Le ciel est vide. Sale et vide. Presque jaune. Ils disent que c’est la pollution. Je ne connais pas ce quartier. Les vitrines sont barrées par des panneaux de bois. Les chaussées sont dépavées. Ne pas me laisser distraire.

C’est comme ça que gagne Miss Fletcher ! A chaque fois. Il y a d’abord des mots ; Une liste de mots et une feuille de papier. Sur la liste, il y a : « gilet », « jonquille ». « domino », « hareng » et « poire ». Après, elle me dit « vêtement ». Alors je réponds « bonnet ». Miss Fletcher est déçue. Elle attendait autre chose. Je veux lui faire plaisir. Elle dit «poisson ». Je réponds « thon ». Elle n’est pas contente. Elle regarde la pendule sur le mur. Elle hoche la tête. Je suis sûr que c’est la bonne réponse. Elle cherche à me piéger, à fausser les tests pour que je les rate, pour me garder encore ici, avec elle. Elle est belle, Miss Fletcher. Ce n’est pas son vrai nom, vous savez ! Elle est mince et ses yeux sont noisette. Elle a des fossettes comme les bébés. Elle met des lunettes austères et tire ses cheveux en chignon pour rendre son visage plus angulaire, plus sévère. Elle est belle pourtant. Belle et patiente. Elle recommence. Elle me dit « fleur ». Je réponds « rose » parce que ce sont les fleurs qu’on offre quand on aime, non ? Elle dit « fruit » et je lui réponds « cerise ». Une veine palpite sur la tempe de miss Fletcher. C’est à son tour de griffonner sur son bloc-notes. Une écriture serrée, nerveuse, énervée. Elle écrit à la volée. La mine de son crayon ne résiste pas à la pression. Alors elle jette le bloc qui glisse sur la table jusqu’au bord, mais ne tombe pas. Elle se met debout en repoussant la chaise qui tape contre le mur. Moi, je ne peux pas me lever, les sangles de cuir me retiennent au siège vissé dans le sol. Combien d’exercices ai-je pu faire ? Beaucoup. La pile de feuilles en témoigne. Que des bonnes réponses, j’en suis sûr ! Je suis le gentil rat de laboratoire de Miss Fletcher. Qui m’apportera des fleurs pour que j’avale sagement les pilules rouges? Miss Fletcher récupère son bloc-notes. Elle va sortir de la pièce mais elle s’arrête sur le pas de la porte et, sans se retourner, me lance :

« Vous jouez avec nous. Vous jouez avec moi ! Ces tests ne mènent à rien. Vos réponses ne sont pas conformes au diagnostic posé. Elles tombent à côté de la plaque. Votre mémoire épisodique ne peut pas être à ce point endommagée. Vous êtes un simulateur. Je ne comprends pas encore pourquoi, mais je le découvrirai ! ».

Je longe un quai. Le fleuve charrie des immondices qui s’agglutinent contre les piles du pont. Attendez ! De l’autre côté, parmi les passants, il y a une petite tache rouge. Ai-je le temps ? Il me suffit de ne pas traverser ce foutu fleuve ! Avec l’eau entre nous, elle ne court aucun danger. Je ralentis au fur et à mesure que je m’approche du pont. Une envie se lève en moi. J’en reconnais les signes. Il faut que j’y résiste. C’est si simple à dire ! Résister et passer mon chemin. Malgré moi, je la cherche des yeux. Elle est là-bas, s’éloignant. Il me suffit de poursuivre tout droit. Juste tout droit. Le ciel tourne au-dessus de ma tête. Elle est vivante. Comme moi, elle est piégée dans ce faux jour. Le pont est tout près. J’ai du mal à avancer, ne serait-ce que d’un pas. L’envie s’est transformée en une houle grondante. Je suis immobile, face à l’autre quai. Le ciel tourne trop vite au-dessus de moi. Elle disparaît à l’angle de la grande bâtisse qui reflète dans l’eau plombée ses deux tours rondes aux toits effilés d’ardoises luisantes. Il me suffit juste de ne pas traverser. Alors je m’éloigne du pont. Je passe sous l’horloge de la tour. Bien évidemment, ses aiguilles n’indiquent plus aucune heure. Pas pour moi.

M
(à suivre)

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2014-11-17 23:17:12 

 WA, exercice n°134, participationDétails
L’Homme d’Az



Amour, amour,
Toi tu es le sel
Et moi la terre
Il nous reste des hommes à faire

M. Fugain





La grande lame courbe siffla dans les airs, comme un serpent prêt à l’attaque. Dehors, un soleil torride avait succédé à une averse violente, et la terre exhalait les parfums lourds du milieu de l’été.
Le cimeterre s’abattit, et la tête de Khira, séparée de son corps, alla s’écraser contre le mur blanchi à la chaux, laissant la trace d’un soleil rouge aux rayons sanglants.
« Kheroal ! Viens ! Des cavaliers arrivent ! »
L’homme ne jeta pas un regard en arrière, ni vers la tête aux yeux exorbités ni vers le corps secoué de spasmes. Le ventre rebondi se contracta plusieurs fois. Puis dans la maison vide ce fut le silence, et l’immobilité.
Kheroal avait rengainé son arme et s’apprêtait à sauter sur son cheval quand sa main gauche fut happée par un gros chien noir. La bête planta profondément ses crocs dans la chair et se mit à tirer en secouant la tête. Surpris par la douleur, Kheroal lui décocha de toutes ses forces un coup de pied dans le ventre ; le chien lâcha prise et roula dans la poussière. L’homme enfourcha son cheval, serrant contre son ventre la main douloureuse.


Môk sauta à terre et se précipita vers sa maison. Dans la lumière crue du milieu du jour, il s’arrêta pétrifié sur le seuil. Paralysé. Anéanti. Incapable de choisir vers quel désastre il devait porter sa dernière caresse, la tête adorée de son épouse ou ce ventre si tendre qui renfermait tous ses espoirs. Aveuglé par la haine, les oreilles étourdies par le grand cri qu’il ne pouvait émettre, il sauta en selle. Les traces, dans la terre humide, étaient faciles à suivre. Deux cavaliers. Ses hommes peinèrent à le suivre tant il forçait sa monture. Il ne lui fallut que deux heures pour rattraper les assassins. Les deux hommes s’étaient arrêtés pour s’abreuver à un point d’eau. L’un d’eux tenait sa main gauche immergée et il grimaçait de douleur, mais c’est à peine si Môk s’en aperçut. Il ne posa pas de question, il n’émit pas un seul son. Il les égorgea au poignard tous les deux, les saignant comme des moutons avant un banquet, après les avoir rapidement vaincus dans un combat aussi violent qu’expéditif ; sa lame droite tranchait moins profondément, mais elle lui donnait plus d’allonge et elle savait embrocher les coeurs en se glissant entre les côtes. La colère et la haine décuplaient ses forces et rendaient son bras plus vif que l’éclair.
Quand sa troupe le rejoignit, ce fut pour l’entendre dire :
« Eh bien ? Qu’avez-vous à vous arrêter ? Vous boirez plus tard. Nous pouvons encore tuer plus de cinquante ennemis avant que le jour ne s’achève ! »



Une main trace des caractères serrés sur la page blanche du Livre. « Il les égorgea au poignard... » Mais l’encre en séchant laisse la ligne vierge, et à rebours un à un les caractères s’effacent, jusqu’à « il sauta en selle ». La main recommence. Et l’écriture encore s’efface.
Un soupir.
« Ah, moi aussi.
- Moi aussi ! »
Côte à côte réunis dans une blanche et pure lumière, ils sont des milliers, des millions, des milliards, plus nombreux que les étoiles dans le ciel. Le Livre est Un, et ses pages sont innombrables. Innombrables aussi les scribes qui relatent les destinées, se chevauchant et s’entrecroisant dans un ballet infini. Ils écrivent tous leur partition, et le Livre les transforme en Musique. Le chef d’orchestre ne se montre jamais, mais il est le seul qui Sait. Quand il y a une fausse note, le Livre refuse l’écriture.
« Qu’est-ce qui ne va pas ?
- Kheroal ne doit pas mourir, il a un autre destin.
- Mais pourquoi a-t-il tué Khira ?
- Son fils serait devenu un guerrier sanguinaire.
- Mais alors pourquoi avoir permis l’accouplement ?
- Il fallait le tenter. Môk aurait pu changer...
- Bon, c’est pas grave, les gars, on reprend... »


...il sauta en selle. Les traces, dans la terre humide... Mais d’un coup le ciel s’assombrit et un orage violent comme l’enfer s’abattit en trombes d’eau et en tornades de vent mouillé. En quelques minutes, tout était brouillé, tout était confus. Le temps que Môk mette son cheval à l’abri sous un arbre, la pluie avait cessé mais toute piste avait disparu. Môk regarda vers le ciel en refoulant ses larmes. Pourquoi Voskar le Miséricordieux lui refusait-il justice ? Une langue humide lui lécha les mains.
« Bhero, mon chien... »
Il s’accroupit, serra contre lui l’ami fidèle. Et il sentit l’odeur du sang. L’animal en avait encore plein la gueule, et un morceau de drap bleu foncé était resté accroché à un croc.
« Un Puriste, hein ? Tu l’as mordu, tu as bien fait. Puisse-t-il mourir de cette blessure dans les plus atroces souffrances. Et s’il survit, il en gardera la cicatrice à jamais. Et je saurai le reconnaître. »
Il jeta un dernier regard vers la maison, refoula ses larmes.
« Terki, Danal, vous enterrerez ma femme et mon fils. Chantez, dites les paroles qu’il faut. Vous nous rejoindrez plus tard. Les autres, avec moi. Nous les retrouverons même si nous devions traverser l’enfer pour ça. »
Les cavaliers s’élancèrent sous la pluie battante, qui cessa dès la première colline franchie. Mais l’horizon restait désert, et du pelage des chevaux couverts d’écume montaient des fumées odorantes.
« Au pas dans la descente », commanda Môk. Je ne tuerai pas nos montures. Mais dès qu’ils seront secs... »



Kheroal et Lâm avaient chevauché tout le jour et toute la nuit. Lâm demandait sans cesse qu’ils s’arrêtent, mais Kheroal était crispé dans sa douleur et ne voulait pas. Au matin, la main avait doublé de volume, la douleur était lancinante et terrible, et la fièvre rendait les yeux de Kheroal fixes et hagards.
« Cette main te tuera, mon frère. Sois raisonnable, pour une fois. A quatre lieues d’ici je connais... enfin on m’a dit... c’est une femme, une marchande d’épices. Elle se fait appeler Ghaïa. Elle te soignera. Elle commerce avec l’outre-mer, et elle a la science des onguents et des potions. On dit que la Mort la redoute, car elle ne cesse de lui arracher ses proies. Et puis... Mon frère, si le mal te gagne, tu ne pourras plus tuer personne ! »
Kheroal assentit d’un signe de tête. Il s’en voulait de sa propre faiblesse, et ce n’était pas la peur de mourir qui le rendait docile. Mais renoncer à sa mission lui était insupportable, aussi insupportable que cette douleur qui lui remontait maintenant jusqu’au coeur. Alors, femme ou homme, magie ou potion, quelle importance ? Il voulait juste que la douleur cesse. Mourir serait une bénédiction, car le Pur l’avait dit, et l’au delà serait un bonheur indicible. Mais mourir... Prêcher était facile, mais le Pur était mort dans son lit, si vieux que ses os étaient déjà en cendres le jour de sa mort.



Elle était vêtue d’une longue robe verte, aux drapés savamment entrelacés, qui laissaient nue son épaule droite. Elle était jeune, et prodigieusement belle. Tout en elle était rondeur, jusqu’à sa voix mélodieusement enchanteresse, qui faisait qu’on ne pouvait que lui obéir. La morsure était sur le dos de la main, et elle regarda la paume.
« Et si tu cessais de tuer ? », sourit-t-elle en le tenant dans le feu de son regard vert.
Comment peut-elle avoir les yeux verts ? se demanda Kheroal. Elle est noire de peau comme l’arbre brûlé, comme la nuit sans étoiles.
« C’est... ma ... mission », articula-t-il à grand peine, le regard brûlé d’étoiles filantes douloureuses.
« Peut-être pas... »
Elle appliqua un onguent odorant sur la plaie nauséabonde, et la pièce se parfuma de la fraîcheur des collines après la pluie du printemps, de la douceur du soir après la touffeur de l’été, du matin rescapé du brouillard de l’automne. Kheroal fut pris de vertige et s’abandonna au dossier de la chaise en fermant les yeux.
Il ne les rouvrit jamais. Môk avait eu de la chance. Un marchand, qui menait sa caravane vers l’ouest, s’était souvenu de deux hommes en bleu, dont l’un avait le bras en écharpe et titubait sur sa monture. Il les avait vus filer vers le nord. Malade comme il était, il allait sûrement voir Ghaïa.
La longue lame embrocha Lâm, assis sur le pas de la porte, comme elle transperça Kheroal, au moment même où la douleur le quittait. Ghaïa garda le silence. Un infime hochement de tête marqua sa désapprobation. Quand Môk se tourna vers elle, ce regard tellement vert lui ôta toute force. Il baissa les yeux et s’enfuit.



La main trace rapidement les lignes de la destinée de Kheroal. Peut-être qu’en écrivant vite... Mais le Livre refuse, et un à un, les caractères s’effacent, jusqu’à « et s’abandonna au dossier de la chaise en fermant les yeux ».
« Ca ne va toujours pas !
- Je te l’avais dit, Kheroal ne doit pas mourir !
- Mais qu’est-ce que j’y peux, moi, si Môk arrive à le retrouver ?
- Il nous faut le freiner encore. Par tous les moyens. »




Tuch, l’homme le plus âgé du village, s’avança vers Môk qui s’était relevé après avoir caressé son chien et regardait déjà son cheval.
« Fils, le temps a-t-il tant d’importance ? Ton ennemi, tu le trouveras et tu le tueras, tu as toute ta vie pour ça. Sous cette pluie, lui aussi s’est arrêté, et sa main douloureuse ne le laissera pas dormir en paix. Mais ta femme morte mérite une sépulture décente, et des chants funéraires pour l’accompagner au royaume des esprits. Et ton fils, qui est passé de l’obscurité d’avant à l’obscurité d’après, sans avoir pu goûter aux baisers de son père ni à la chaleur du soleil, doit d’autant plus recevoir sa part d’amour et de lamentations. Il y a un temps pour le sang, et un temps pour les larmes. Sinon, en quoi serais-tu meilleur que ton ennemi ? »
Môk ne répondit pas, mais il dessella son cheval. Il sua lui aussi sang et eau pour arracher à la terre aride une dernière demeure pour ses deux bien-aimés. Jusqu’au point du jour, à l’heure où les âmes s’élèvent vers le royaume de Voskar, il chanta, il pleura, se lamenta, invoqua la clémence du Dieu pour qu’il accueille dans son éternité heureuse sa femme et son fils. Puis, quand le soleil dissipa les ténèbres, il accepta enfin une gorgée d’eau.
« Dormez, maintenant, mes frères d’arme. Bientôt nous partirons. La traque sera peut-être longue, et elle vous privera du bonheur de partager le pain avec votre famille. Mais je jure que j’égorgerai de ma main les assassins de ma femme et de mon fils et que leurs cadavres pourriront à même le sol, afin que seul l’enfer leur soit ouvert. Et je ferai de même si le même malheur devait frapper l’un d’entre vous. Que Voskar le Miséricordieux, qui a créé le ciel et la terre, protège vos familles et vous épargne une telle souffrance. »




Les Puristes, il fallait les tuer tous, c’était une question de justice. Maintenant qu’il avait tout perdu, Môk ne craignait plus rien. Plus rien ne viendrait freiner son bras vengeur. C’était un Juste, et ils étaient des centaines comme lui de par le pays, qui consacraient leur vie à traquer sans cesse ces fanatiques assassins qui suivaient les traces d’Ish. Ils l’appelaient le Pur, et les Justes le surnommaient le Fou. Parce que Voskar le Magnifique avait dit « si vous croyez en moi, alors la Mort vous sera douce », les Puristes prônaient une religion extrémiste, faite de jeûne, d’ascèse et de chasteté. Folie ! Que serait-il advenu de la race humaine si le monde s’était rallié à leur croyance ? Pour eux, la vie n’était qu’une rédemption et seul l’au-delà comblerait tous leurs voeux. Dès lors le meurtre était un don, et le mourant un débiteur. Joyeux, ils allaient par les Neuf Territoires pour tuer et tuer encore, persuadés de faire le Bien et d’en retirer plus tard honneurs et bénéfices.




Les collines succédaient aux plaines, et les arbustes secs aux cailloux brûlants. Quelques moutons étiques tentaient de survivre sous la garde somnolente d’enfants aux joues creuses. L’orage avait creusé des ravines glissantes, mais il était trop tardif pour que l’herbe repousse. Môk guidait sa troupe sans savoir où aller, interrogeant encore et encore, suivant des pistes, rebroussant chemin... Enfin, il crut tenir sa proie : un marchand avait vu deux hommes en bleu se diriger vers le nord, et l’un d’eux avait le bras en écharpe...




« Peut-être pas... »
Elle appliqua un onguent odorant sur la plaie nauséabonde, et la pièce se parfuma de la fraîcheur des collines après la pluie du printemps, de la douceur du soir après la touffeur de l’été, du matin rescapé du brouillard de l’automne. Kheroal fut pris de vertige et s’abandonna au dossier de la chaise en fermant les yeux.
« Transportez-le dans le chariot » ordonna-t-elle à ses deux serviteurs.
Le bateau n’attendait qu’elle pour appareiller. Kheroal ne reprit connaissance qu’en haute mer. Et quand Môk trouva enfin la demeure de Ghaïa, celle-ci était déserte.


« Nous avons réussi !
- Kheroal est vivant !
- Oh, mais l’histoire n’est pas finie ! Nous devons être plus attentifs que jamais, car c’est maintenant que le destin de Kheroal va s’écrire... »



« Tu n’aimes pas ma cuisine ?
- Mais si, Noria... Je n’ai pas très faim...
- Et tu tiens toujours ta main gauche sur ton ventre. Môk, ça fait dix ans que je te connais. Dix ans que tu viens manger à l’auberge quand tu es dans le coin. Et dix ans que tu gardes cette main sur ton ventre. Môk, je pourrais être ta mère... Oh bien sûr, tu te ne plains jamais, tu es un vrai guerrier. Mais si ça fait dix ans que tu souffres, tu ne crois pas que tu devrais te faire soigner ?
- Tu t’inquiètes pour rien, Noria. Je vais bien. Je... J’ai mal dormi la nuit dernière, c’est tout.
- Mais enfin, Lensk, tu es son ami ! Dis-lui ! Dis-lui qu’il est pâle comme un cadavre, que ses cernes sont plus profonds que les labours, et qu’il n’a plus que la peau sur les os !
- C’est vrai qu’il n’a pas très bonne mine... Mais c’est l’inaction qui lui pèse. Nous n’avons pas combattu depuis trop longtemps.
- Vous n’allez pas vous plaindre de la paix ! Par Voskar le Miséricordieux... »
Môk se leva, vacillant et livide. Il se précipita dehors, et à peine sur le pas de la porte, il rendit quelques bouchées de mouton noyées dans un flot de sang rouge. La tête lui tourna ; il s’accroupit. Et puis un vertige le prit et il bascula dans un silence obscur.




A son réveil, Noria et Lensk étaient à son chevet, parlant à voix basse.
« Ah enfin, te voilà ! », s’exclama Noria quand elle s’aperçut qu’il avait ouvert les yeux. « Tu te rends compte que tu aurais pu mourir ? J’ai tout expliqué à Lensk. Il y a un saint homme, à Az, il soigne charitablement tous ceux qui se présentent. On dit qu’il a des pouvoirs magiques, car il guérit tous ceux qu’il touche. Il ne dort jamais, il prie, il médite, et on ne nourrirait pas un oiseau avec le peu qu’il mange. Va le voir. Sinon, tu ne pourras plus jamais combattre, et moi je perdrai un ami. Tu m’entends ? »
Môk, la main gauche sur son ventre plus douloureux que jamais, accepta dans un soupir. Il aimait beaucoup Noria. Mais il était trop tard. Il était condamné, à n’en pas douter. Mourir l’indifférait, sa vie n’avait été qu’une longue souffrance. Il n’avait qu’un regret : que le meurtrier de Khira reste impuni. Mais il finirait bien par mourir à son tour, si ce n’était déjà fait. Il ressentait toujours autant de haine ; mais il n’avait plus aucune force.



Tous les habitants d’Az connaissaient la maison de l’Homme. C’est ainsi qu’il souhaitait être appelé, même si tous le nommaient saint. Quand il mit pied à terre (il avait refusé la charrette de Noria, il n’était pas une femmelette, et s’il devait passer, autant que ce fût sur son cheval, droit et fier devant l’Eternel), un malaise intense le fit s’accrocher à sa selle, le temps de reprendre ses esprits. Devant la maison, trois enfants jouaient aux osselets. L’aîné, un adolescent à la peau d’ébène, quitta les deux petits, un garçon et une fille, deux métis qui se ressemblaient comme frère et soeur. Il vint vers Môk, un sourire franc à ses lèvres charnues.
« Sois le bienvenu. Je suis Yadé, un des fils de Ghaïa. Tu viens voir l’Homme ? Suis-moi, je vais te conduire. »
La maison était simple et fraîche, riche de parfums plus que de meubles.
« Tu dois être épuisé par le voyage. Repose-toi sur ce divan. Je vais chercher l’Homme. »
Môk s’écroula. Des lumières blanches et bleues dansaient derrière ses paupières closes, et une vague de nausée le chavira. Sa main avait beau presser fort sur son ventre, la douleur était plus vive que jamais.
« Bonjour, mon frère. Ne te lève pas. Tu es pâle et tu souffres. Permets-moi de comprendre ton mal. »
Môk n’avait même plus la force d’ouvrir les yeux. La voix était grave et douce, compatissante, sincère. Il soupira. Il sentit l’Homme soulever sa tunique, et poser une main chaude sur son ventre à l’agonie. La main ne bougea pas. Elle resta, simplement, comme si c’était naturel. Et encore. Et encore. L’homme respirait profondément, comme s’il devait puiser dans l’air la force suffisante pour accomplir sa tâche.
Comment un être humain pourrait-il m’ôter une douleur vieille de dix ans ? Mon heure est peut-être venue, après tout. Je suis si fatigué... Ainsi pensait Môk en s’abandonnant à la lassitude. Et puis, en lieu et place de la douleur térébrante qui lui mordait les entrailles, il ressentit une douce chaleur, et il se souvint... C’était exactement ainsi, quand Khira se blottissait dans ses bras sous les épaisses fourrures, en plein coeur du rude hiver. La tiédeur moite du lit, les caresses infiniment tendres, le ventre qui s’était arrondi, et ce bonheur, ce bonheur... Il lui sembla que la main sur son ventre vibrait d’un léger frémissement. L’Homme était peut-être fatigué. Il ne pourrait peut-être pas le guérir, mais il lui aurait au moins permis de ressentir une dernière fois cette béatitude qui l’avait quitté depuis tellement longtemps, et qu’il n’avait jamais retrouvée... Alors, mourir maintenant, en paix, pourquoi pas, rejoindre enfin Khira...
« Ghaïa... Ghaïa ? »
Un bref pleur de nouveau-né tira Mök de sa somnolence. Une femme était entrée, un jeune nourrisson pendu à son opulente mamelle. Noire de peau, elle était vêtue d’une longue robe verte, aux drapés savamment entrelacés, qui laissaient nue son épaule droite. L’Homme et elle échangèrent un long regard.
Est-ce qu’ils communiquent par la pensée ? Après tout, elle est peut-être sorcière, elle aussi. Elle est belle comme une colline au printemps, ronde, voluptueuse, fertile... Et si jeune ! Comment peut-elle avoir un fils adolescent ? Elle n’a pas vingt-cinq ans !
Ghaïa ouvrit l’armoire d’une main, et en retira une petite fiole, dont elle versa quelques gouttes dans un gobelet, où elle ajouta l’eau d’une carafe. Soutenant toujours son enfant qui tétait vigoureusement, elle tendit le breuvage à Môk, qui se souleva sur un coude pour l’avaler docilement. Elle avait les yeux verts ! D’un vert profond comme la forêt, d’un vert étincelant comme une émeraude... Elle ne pouvait pas ne pas être magicienne... L’Homme tendit la main gauche pour reprendre le gobelet. Et Môk vit la cicatrice. Son coeur battit plus vite, tandis que sa raison lui suggérait de remercier son guérisseur – la douleur avait disparu.
«Comment as-tu été blessé ? »
A sa grande surprise, il vit l’Homme s’agenouiller, tête baissée.
« Autrefois j’ai été un combattant Puriste. J’ai tué tant d’hommes et de femmes qu’une vie entière ne suffirait pas à me racheter. C’est moi qui ai tué ta femme et ton fils. Je n’ai fait que guérir le mal provoqué par la peine que je t’ai infligée. Fais-toi justice, maintenant. Une longue vie t’attend. »
Môk sauta sur ses pieds, dégainant son épée d’un geste sûr. Mais alors qu’il armait son bras, Ghaïa s’interposa, et elle parla d’une voix tellement suave qu’elle aurait pu arrêter la foudre ou détourner le cours d’un torrent déchaîné.
« Tue-le, et tu ne vaudras guère plus que l’assassin qu’il a été. L’homme que tu vois devant toi n’est plus Kheroal. Il a mis sa vie au service des malheureux, et sa main meurtrière est devenue salvatrice.
- Tu veux sauver sa tête parce qu’il est le père de ton enfant !
- J’ai quarante-deux enfants », sourit-elle dans un léger haussement d’épaules. « Seulement trois sont de lui. »
Môk fut tellement déconcerté que son bras s’abaissa. Les yeux écarquillés, il ne pouvait s’empêcher d’admirer cette femme... cette créature... cette...
« Ici nous vivons simplement », reprit-elle. « J’aide l’Homme autant que je le peux. Depuis qu’il s’est installé ici, il consacre tout son temps aux soins des malades. Et il n’a jamais failli ! Quand la Fièvre a frappé, il y a cinq ans, ils étaient des centaines et des centaines à notre porte. Je les ai nourris, il les a guéris. Il n’y a pas eu un mort, tu m’entends ? Pas un. Il n’a pas dormi pendant quatre longues semaines. Il n’a bu que de l’eau, n’a mangé que quelques morceaux de pain que je le forçais à avaler chaque fois qu’il vacillait... Et tu voudrais tuer cet homme ? Lequel de vous deux serait le plus criminel alors ? Tu as perdu un fils. Si tu peux me jurer que tu n’en feras pas un guerrier, je t’en donnerai un autre.
- Mais... »
Le regard de Môk interrogea l’Homme, toujours agenouillé.
« Ghaïa n’appartient à personne. Personne n’appartient à personne. L’amour n’est pas possession, il se donne et ne se reprend pas. Quand je n’étais qu’un fanatique sanguinaire, Ghaïa ne m’a pas condamné. Elle m’a emmené au-delà des mers pour me soustraire à ta vengeance. Elle a soigné ma main, elle a guéri mon âme. L’homme que je suis aujourd’hui, c’est elle qui l’a créé. De la glaise infecte que j’étais, elle a su tirer un don inespéré et une force inouïe. Puisses-tu connaître son amour et y trouver la renaissance, c’est tout ce que je te souhaite. Je ne plaide pas pour ma propre survie. Je t’ai trop pris pour oser même quémander la moindre clémence. »
Môk ne souffrait plus. Il se sentait dans toute la vigueur de son âge. Son ennemi était à ses pieds, acceptant le châtiment qu’il avait amplement mérité. Môk serrait dans sa main l’épée fidèle qu’il avait affûtée chaque soir depuis dix ans en pensant à ce moment. Même plié en deux dans les affres de la souffrance, il n’avait jamais manqué à ce rituel. Il ne lui restait qu’à lever le bras, à abattre la lame sur le cou offert, et sa vie reprendrait un sens, et la paix reviendrait dans son coeur...
L’épée tomba au sol et Môk se laissa glisser à terre, submergé par un torrent de larmes. Au bord du gouffre, il s’accrocha à l’Homme, qui le prit dans ses bras. Et ils sentirent tous deux la chaleur de Ghaïa, penchée au dessus d’eux, les entourant de sa tendresse infinie.



La main trace les caractères, l’écriture fine remplit la page blanche du Livre. Et ne s’efface pas.
« Ainsi soit-il. Nous avons mené à bien notre mission.
- Mais nous n’avons pas de temps à perdre en congratulations ! Il nous reste des milliards de destins à tracer !
- Encore !
- Préfèrerais-tu faire autre chose ?
- Non. J’aime ce travail. Eh ! J’ai écrit «Il revêtit la combinaison et pénétra dans le sas », et ça vient de s’effacer !
- C’est parce qu’il ne doit pas sortir, il serait tué...
- Bon, il va falloir tout reprendre... »
Narwa Roquen, deux métros de retard

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2014-11-19 23:08:59 

 Commentaire préalable sur le point-virguleDétails
Et d'abord les points-virgules c'était pour la 135, mais peu importe; il s'agit de remarques générales, applicables à tous les textes.

Voici trois fois le même texte, ponctué différemment :

1 : Je l’attends, je sais qu’il viendra, un jour ou l’autre, porté par le hasard plus que par la nécessité, ainsi vont les oiseaux sauvages sur l’aile du vent, étrangers, amis.

2 : Je l’attends ; je sais qu’il viendra, un jour ou l’autre, porté par le hasard plus que par la nécessité ; ainsi vont les oiseaux sauvages sur l’aile du vent ; étrangers ; amis.

3 : Je l’attends. Je sais qu’il viendra, un jour ou l’autre, porté par le hasard plus que par la nécessité ; ainsi vont les oiseaux sauvages sur l’aile du vent. Etrangers. Amis.


Le point virgule est une virgule accentuée. Une respiration dans une pensée qui suit son cours. Comme une hésitation de l’auteur. Il n’a pas la fluidité de la virgule, et il n’a pas la force du point. Il se plaît dans les phrases longues, il permet à l’auteur comme au lecteur de se poser un instant, sans contrainte et sans violence. Le point virgule est plein de tact et de douceur. A contre emploi, c’est une catastrophe. Mais dans son rôle, il est irremplaçable...
Narwa Roquen, les sanglots longs des violons...

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2014-11-20 16:55:57 

 Adhérez, braves gens...Détails
... au front de libération du point virgule, cette petite verge qui attise les passions et que le siècle qui trotte écarte de plus en plus des jeux typographiques!!!

Je vous engage à suivre ce lien qui fait un "point" sur l'état du front:

le signe mal-aimé!

Et comme le soutient Jacques Drillon : "Le point-virgule atteste un plaisir de penser."

M
(scandeur)

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2014-11-23 20:45:06 

 WA - Participation exercice n°134 (fin)Détails
Mon histoire est complètement barrée.

Cela colle bien à l'ambiance!

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Ma mémoire me joue vraiment des tours. Pourquoi suis-je là ? En ce moment ? Il me manque des liaisons. Je vis dans un temps discontinu. Je me rappelle fort bien du bunker. De ce jour qui se répète à n’en plus finir. De cette femme que je ne dois pas rencontrer. De certains souvenirs plus anciens aussi. De miss Fletcher et de l’hôpital. Je l’ai entendue, quand elle croyait que j’étais dans le coltard. Elle parlait près de mon lit, à deux autres blouses blanches. Elle a parlé de désorientation spatio-temporelle et de désordres comportementaux, sur un ton très clinique, très neutre. On aurait dit qu’elle parlait d’une chose ou d’un objet, pas d’un être humain. Elle parlait de moi.

Je ne reconnais pas ce quartier. Je suis certain de n’y être jamais venu. Je n’ose croire que je suis enfin sur la bonne voie. Il y a moins de traces sur les façades ; elles paraissent moins abîmées ; moins de fenêtres obturées par des cartons ou carrément murées à l’aide de gros parpaings. Je ne me rappelle pas avoir mangé mais je n’ai pas faim. Mû par je ne sais quelle prémonition, je plonge une main dans la poche de ma veste de treillis. J’en retire une boule de papier gras. Je renifle. C’était comestible, Cela sent l’huile et les miettes de thon. Comment est-ce arrivé là ? Aucun souvenir de ce sandwich ! Cela ne m’étonne pas beaucoup. Ces étranges absences ne me blessent plus car elles ne me mettent jamais en danger. C’est juste qu’il me manque ces petits bouts de temps. Je farfouille encore. Des piécettes s’entrechoquent entre mes doigts. Je me suis donc assis quelque part avec mon béret posé sur le trottoir, entre mes jambes. Combien de temps ai-je perdu ?

Ma montre est cassée. Depuis le premier jour. Il paraît que la réalité n’est qu’une histoire de probabilités, une fonction d’onde statistique qui s’effondre à l’instant où l’on tente de vérifier la nature profonde de la matière dont elle est faite. Je suis peut-être tout simplement bloqué sur la tranche d’une pièce de monnaie qui ne se décide pas à tomber d’un côté ou de l’autre.

La rue débouche sur une place où deux couples de statues de bronze, verdâtres et mutilées, agonisent dans les bassins défoncés qui se font face. La carcasse d’un char de combat stationne dans un angle du square, son canon silencieux pointant vers les façades muettes. Le temps a délavé les couleurs peintes sur son flanc. Il lui manque une chenille entière. Est-ce une énigme que je dois résoudre ? J’aperçois une religieuse coiffée d’une cornette blanche qui traverse la rue pas loin d’où je me trouve. Une petite colonne d’enfants la suit, deux par deux, en se tenant par la main. Je mets une seconde à comprendre qu’ils chantent une chanson aussi douce que le vent dans les branches des arbres courbés. Je ne parviens pas à en saisir les mots. A en saisir le sens. Et cela me trouble. La femme est assez jolie quand la lumière modèle ses traits. Elle ressemble à l’une des statues noyées dans les bassins vides. Elle me jette un regard inquisiteur quand elle parvient à ma hauteur. Un léger parfum m’environne soudain pour disparaître aussi rapidement. Une odeur délicieusement féminine, caressante et fraîche. Le goût d’un baiser promis et refusé, le goût d’un bonbon acidulé qu’on roule par plaisir sous la langue. Je pourrais tomber amoureux juste maintenant. Mais je m’écarte pour ne pas la gêner davantage, les bras ballants. Au bout de la colonne, un enfant se retourne avant qu’il ne passe l’angle de la rue. Il me fait au revoir de la main en me souriant avant de disparaître à son tour.

Qu’est-ce que cela veut dire ? Des éléments du puzzle que je dois assembler ? Je n’ai pas le temps de réfléchir. Je reconnais les hommes qui surgissent de l’hôtel. Vêtus de sombre, ils arborent des brassards rouges au bras droit. Ils sont armés de mitraillettes, portent des casques d’acier luisant et marchent au pas cadencé. La lumière devient lourde et jaunâtre, enveloppant la scène d’une atmosphère sépia qui affaiblit les couleurs naturelles. Ils viennent droit sur moi. Un détail ne colle pas avec la réalité. Leurs bottes martèlent les pavés sans faire le moindre bruit, comme des fantômes d’un autre temps.

Ma mémoire me fait ça, aussi. Je suis toujours dans une sorte de rêve. Miss Fletcher avait alors raison. Peut-être suis-je toujours attaché à mon fauteuil, délirant sous les électrochocs qui ébranlent ma raison ? Elle voulait me forcer à reconnaître que je simulais, quitte à arracher mon âme lambeau après lambeau. Je me souviens de la page kaléidoscopique. Des mots l’emplissaient de haut en bas. Quatre mots répétés à l’envi. Chaque mot désignait une couleur. Rouge. Jaune. Vert. Bleu. Chacun d’entre eux était écrit avec une encre qui pouvait être n’importe laquelle des quatre couleurs. Miss Fletcher me rappelait la consigne d’une voix égale mais je pouvais sentir sous le ton professionnel toute la tension qui l’habitait.

« Sur cette feuille, vous voyez des noms de couleur écrits dans différentes couleurs. Vous ne lirez pas ces mots de couleur. Il vous faudra simplement nommer la couleur de l’encre dans laquelle ils sont écrits, de gauche à droite, le plus rapidement possible et sans vous tromper. Prêt ? Partez ! »

C’est marrant. Quand elle me donnait le signal du départ, la feuille devenait floue l’espace d’un instant et puis elle redevenait tout aussi nette l’instant d’après. Le jeu s’avérait dès lors facile, vous comprenez ? On aurait dit que mon esprit décodait instantanément le brouillage apparent de l’exercice. Et je répondais en exultant :

« Rouge...rouge... rouge... rouge... rouge... rouge... rouge... rouge...” Je ne mentais pas, c’était la pure vérité.

Alors Miss Fletcher pâlissait, oubliant quelquefois d’arrêter le chronomètre. Sa veine saillait sur sa tempe qu’elle massait lentement. Je voyais le bout de sa langue passer sur sa lèvre inférieure et c’était vraiment érotique.

« Arrêtez de vous foutre de moi, me disait-elle en essayant de conserver son calme. Il est impossible que vous ne voyiez qu’un seul mot ou une seule couleur. Vous trichez. Vous truquez vos réponses. Vous voulez donc croupir au fond d’une cellule pour le reste de votre existence ? »

Mais tout dans son attitude démentait ses propos.

Jusqu’à présent, je pense être sur la bonne voie. Je ne crois pas avoir été aussi loin dans la journée. Peut-être que ce cauchemar est en passe de cesser. Je m’endormirai sur un banc public, sous un lampadaire décapité et je me réveillerai demain pour reprendre normalement le cours de la vie. C’est tout ce que je demande. En finir avec le passé. Tirer un trait sur ce que j’ai fait. Oublier et repartir. Je ne m’approcherai plus du bunker et du laboratoire enterré. J’y laisserai tout ce qu’y ai amené. Tout ce qui me relierait à ce passé répétitif. Je...

Je ne suis pas vraiment surpris, finalement, quand je la vois devant moi qui se hâte vers un endroit qu’elle n’atteindra pas. Aujourd’hui, pas encore. Elle est comme hier, avant-hier et aussi le jour d'avant, vêtue de la même façon. Un long manteau rouge et des bottines cirées. Elle marche d’un pas assuré. Son chignon strict rassemble sur sa nuque dégagée les lignes longues et fluides qui structurent sa silhouette. Elle porte encore ces bas chics qui galbent idéalement ses jambes. Mécaniquement, je me mets à la suivre, en restant sur l’autre trottoir. J’ai beau essayer de renoncer, de tourner les talons, il y a quelque chose en moi qui est magnétiquement attiré par ce qui va se dérouler.

D’un seul coup, la nuit a envahi la ville et nous nous retrouvons sur la berge d’un canal où croupit une eau putride et immobile. Une lune froide glisse dans le caniveau comme une lame de couteau où elle se démultiplie en milliers de reflets. Un léger brouillard estompe les détails inutiles, focalisant mon attention sur ses talons qui claquent contre la pierre. C’est inéluctable. Je ne peux l’avertir. Je ne peux prononcer la moindre syllabe. Je me colle contre le pilier de l’ancien lavoir. Elle s’approche de moi. Dans la poche, ma main se referme sur le manche du couteau. Pour mon salut, je devrais sortir pour voir le soleil. Mais à chaque fois, les ténèbres me tendent les bras. Les voix dans ma tête se réveillent et murmurent des choses horribles. Des choses indicibles. Des choses révoltantes. Je ne veux pas les entendre et pourtant elles me bercent d’une étrange façon. Les voix des fantômes se mettent à hurler quand je l’attire avec moi dans les ténèbres. L’eau obscure du lavoir se révèle une complice attentionnée. Elle devient à peine plus sombre quand tout est fini. Le manteau rouge flotte à la surface du lavoir. Elle n’a pas crié. Je n’ai pas gémi. Tout a été si vite.

Combien de fois vais-je devoir faire ça? Je suis fatigué. Si fatigué. Jour après jour. Je vais me réveiller tout à l’heure dans le bunker et cela sera encore aujourd’hui. Un jour fait de petits bouts juxtaposés de la même journée. On sera toujours ce satané vendredi 13. Celui où tout a commencé. Celui où tout recommence. Encore et encore. Demain ne sera pas un autre jour. Pas pour moi. La première page d’un journal traîne par terre. Je le ramasse pour essuyer la lame rougie. Je ne prête pas attention au gros titre qui barre la page sur cinq colonnes. Les mots alignés n’ont aucun sens pour moi :

« La police sur les traces d’un tueur en série ! »

M

(en fait, je voulais me servir du syndrome de Korsakoff!!)

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Onirian  Ecrire à Onirian

2014-12-04 11:25:16 

 WA-Exercice 135 - Avenirs PossiblesDétails
Créature


Portes étaient là. Deux, pour invoquer deux avenirs. Créature se demandait laquelle choisir, laquelle mènerait vers Radieux.
Alors, Créature se scinda.

Créature passa Porte, et vit multitude. Arbre, Fleur, Foret, Herbe, Animal étaient là.
Créature passa Porte, et vit multitude. Montagne, Roche, Animal étaient là.

Créature doubla son pas dans Herbe et sur Pierre, parce que Créature se méfiait d'Apparence. Apparence, toujours cache chemin vers Radieux. Derrière Montagne, parfois on trouve Ruisseau, Poissons, ou Danger.
Double Pas enchainé en boucle. Créature avança deux fois et contempla Monde. Soleil identique, et Ciel et Nuages Blancs. Sol différent, caressant ou piquant. Pourtant, Créature compris que Sol était unique aussi, même s'il piquait et pas.

Créature croisa Animal quatre pattes ; Grand-avec-cornes, Petit-avec-moustache. Créature voulait Amis mais Créature habité par Faim.

Alors Créature se scinda.
Créature manga Grand-avec-corne, Petit-avec-moustache et Créature trouva Ami. Grand lui dit que Pied-de-Montagne côtoyait Forêt, et Petit lui dit Fruit-de-forêt était Cadeau.

Créature était quatre et marchait quatre fois. Elle portait Faim et pas mais connaissait et pas Choses que Créature ignorait dans Autres Mondes.
Créature Avança et pas et devint Huit.
Et Créature chemina avec Droite, et avec Gauche. Et Créature croisa Amis et Repas de nombreuse fois.

Créature s'aperçut enfin que Danger trottait à ses côtés lorsque Créature croisa Créature, à Pied-de-Montagne, à Bord-de-Forêt. Créature se regarda et se regarda. Elle possédait Faim et Amis, Froid et Chaud, Ici et Ailleurs.

Créature était Unique mais plus vraiment. Alors Créature-Un sentit partout Peur lui sauter dessus. Et Créature-Un comprit Choix Second.

Portes étaient là. Deux, pour invoquer deux avenirs. Créature se demandait laquelle choisir.
Portes Un était Multitude. Forêt et Montagne, Ami et Ennemi. Amour et Violence. Des milliers de trajets pour un chemin sur Sol unique.
Porte deux était Unicité. Un seul trajet, grand comme Ciel, Terre et Eau.

Créature était replie par Question, mais déjà Double, mais sûre d'être Un.
Alors, Créature se scinda.
Créature devint Homme. Créature devint Dieu.
Et Homme et Dieu cherchent encore Radieux.

--
Onirian, et pas.

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2014-12-10 15:17:13 

 Commentaire Maedhros, exercice n°134Détails
Comm Maedhros ex n°134


Ca commence comme une chanson de Polnareff « Jour après jour, le temps passe et personne.... ». Mais rapidement on est pris dans un vertige, dans un délire cauchemardesque dont on a du mal à se dépêtrer. Au début on croit au complot, à la persécution, on croit à la malédiction. Et puis insidieusement s’infiltre en nous l’idée très terre à terre que... hem... ce garçon n’est pas très clair... Tout l’art de ce texte est dans la manière de nous laisser comprendre peu à peu que ton héros est fou. La démonstration est à la fois programmée et subtile, impitoyable et délicate. Dans un monde ravagé ( par la guerre ? la famine, la crise ?) vagabonde un pauvre hère qui ressemble à un innocent. Les apparences se révèleront trompeuses, encore que, par définition, personne ne soit responsable de sa propre folie ( à part Henri IV, celui de Pirandello, pas celui de la poule au pot). Le récit est oppressant, lourd, parfois glauque. On plonge avec le héros dans la misère extrême, celle où le sujet n’a plus aucune prise sur son environnement, ni même sur son propre comportement. Il devient un objet manipulé comme une marionnette par une force supérieure ( un dieu ? la folie ? ), et l’expression à la 1° personne ne laisse aucune échappatoire au lecteur. Il n’est pas facile de décrire la folie de l’intérieur. Tu l’as bien réussi.


Bricoles :
- Surtout avec les types ont dégringolé : qui ont
- « j’eus l’impression de déranger » et « ils se pressèrent » : à mettre à l’imparfait, pour rester cohérent avec le reste du paragraphe
- Une bonne provision... une bonne vingtaine... de bonne taille... : d’accord, les persévérations font partie du syndrome de Korsakoff....
- J’ai bien aimé : « l’aube marche dans les rues... etc »
- Une de ces pauvres hères : un
- Mobilier hurmain : joli !
- Et ses crayons de couleurs : couleur
- J’ai bien aimé aussi : « je suis peut-être tout simplement bloqué sur la tranche d’une pièce de monnaie... etc »


Bien sûr tu fais référence au « Jour sans fin », sans quoi tu encourrais le risque de passer pour un plagiaire, même si la problématique de ton héros est tout autre... et malheureusement la fin beaucoup moins optimiste !
Est-ce que ça répond au thème de la WA ? Pas sûr que l’avenir de ton héros ait plusieurs choix possibles...
Mais bon, je me suis bien faite embarquer et cela me suffit pour t’applaudir.
Narwa Roquen, encore des siècles de retard...

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2014-12-11 23:40:43 

 Commentaire Onirian, exercice n°134Détails
Comm Onirian, ex n°134





La prolixité n’est certes pas ta qualité première ! Mais aucun de tes textes ne laisse le lecteur indifférent.
Kipling aurait bien aimé celui-ci. Il y a un petit côté « Histoires comme ça », en particulier la dernière histoire, celle où il raconte comment est née l’écriture.
C’est un texte déboussolant, qui respecte la consigne tout en la contournant de manière éhontée ( et néanmoins géniale). Choisir, et se limiter ? Jamais ! L’Un et le Tout se séparent et se confondent... Un chat n’y retrouverait pas ses petits, mais c’est cohérent dans l’incohérence, structuré dans la déstructure, bref, c’est la quadrature du cercle... Lecture déconseillée si l’on n’est pas mentalement disponible. Lecture recommandée si on veut oublier qu’on a mal aux pieds...


Bricoles :
- Apparences, toujours cache chemin vers Radieux : joli !
- Créature compris : comprit
- Petit lui dit Fruit-de-forêt était cadeau : j’aurais mis un « que », pour la symétrie.
- Et Créature croisa Amis et Repas de nombreuse fois : nombreuses
- Portes Un était Multitude : Porte
- Créature était replie : remplie ?



Le seul point sur lequel j’accroche, c’est Créature. Qui dit Créature dit Créateur. Mais bon, « à mon âge et à l’heure qu’il est », je ne suis pas capable de trouver mieux.
La chute est bien. Le titre... facile. Tu devrais prendre des cours avec Maedhros, pour les titres...
Pourquoi j’ai toujours l’impression que tu n’exploites pas le quart de ton talent ? C’est une insulte au pauv’monde, ça, monsieur ! Si tu prenais un peu la peine de le tailler, ton diamant brut, il éclairerait le monde !
Ton texte est excellent, je râle pour le principe. Mais je râle... parce d’abord je suis là pour ça, et ensuite parce que tu prives les Faëriens de mille et une merveilles...
Va, je ne te hais point. Mais essaie, une fois, de nous en donner un peu plus !
Narwa Roquen, détestable et passionnée

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2014-12-20 20:11:38 

 la course de l'électron...Détails
Que voici un texte déroutant, dans tous les sens du terme. C’est compliqué de trouver le bon équilibre dans ce genre d’exercice de narration étrangère. Il faut sans cesse déplacer le curseur entre l’hermétisme de la pensée primitive ou originelle, et la nécessaire accessibilité afin d’éviter que le lecteur ne se sente trop exclu de l’histoire.

En revanche, pour ce qui est du décalage culturel, c’est assez réussi. C’est quasiment un texte quantique. Dans la mécanique quantique, un photon, pour relier un point A au point B, emprunte tous les chemins possibles, y compris ceux qui remontent la flèche du temps, et ce, en même temps ! C’est uniquement l’observation qui l'ancre dans la réalité et que l’on peut déterminer sa position ou sa vitesse (le « ou » est exclusif !). Ta façon de jongler avec les tables de démultiplication n'est pas sans rappeler les diagrammes de Feynman !

Il y a des expressions qui illustrent très bien ces circonvolutions :
- Double Pas enchainé en boucle...
- Créature était quatre et marchait quatre fois...
- Des milliers de trajets pour un chemin sur Sol unique...

Au rayon des bricoles :
- mais Créature habité par Faim : habitée par Faim
- Créature manga Grand-avec-corne : mangea Grand-avec-cornes

En revanche, tu as également inséré des morceaux de phrases plus « traditionnelles » qui, du coup, parce qu’elles sont trop « justes » grammaticalement , détonent dans l’ensemble !

Au total, un bon texte, cependant, mais trop court. Je pense que tu aurais gagné à laisser plus de bride à ta monture !

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2014-12-22 18:40:00 

 Toutes ces guerres à refaire chaque jour…Détails
La chanson de Michel Fugain imprime sa douce complainte tout le long de cette histoire où des scribes célestes mettent en musique le cours des destinées mortelles, s’acharnant à ce que l’histoire qu’ils tissent respecte un canevas encore supérieur qui refuse les écarts intempestifs.


Le premier paragraphe est rapide et brutal, porté par des images violentes, où le malaise est accru par le fait que ce qui se passe est inexpliqué. Ensuite, et conformément à la consigne, les destins des deux protagonistes seront écrits à l’encre empathique par des scénaristes surbookés qui sont relus en temps réel par le maître du Verbe. J’aime bien la pluralité qui préside à l’écriture des destins humains. Les fils des marionnettes tirés par plusieurs marionnettistes qui interagissent entre eux, cela pourrait expliquer pourquoi nos destins sont si contradictoires ! Faut juste tomber sur les bons scénaristes ! Certains auront des destins hollywoodiens, d’autres, façon Oliver Twist.

Comme d’habitude, ta narration est fluide et tu mets un soin particulier dans les détails qui participent de l’ambiance. Tu focalises le récit autour des relations entre individus au plus près de la peau, comme disent les américains. Il y a de fort belles images, avec des couleurs et des parfums exotiques. Tu places l’histoire dans un cadre général à la fois précis (l’affrontement des deux interprétations de la foi ou de la religion) et assez flou pour éviter que le lecteur ne se disperse

J’aime bien cette mise en abyme qui joue avec trois niveaux de réalité différents. A partir d’un acte particulièrement cruel, la course de ces destins liés aboutira à la rédemption, à la compensation des dettes et des créances réciproques, avec l’aide attentive des scénaristes qui subissent les remises à zéro de leur production.

Comme je le disais, tu respectes beaucoup mieux la consigne que nous, et notoirement que moi. Les avenirs potentiels sont changés en fonction du fil conducteur qu’est la rédemption.

Au rayon des bricoles : RAS.

Ah si... si le Relecteur est assez puissant pour corriger les erreurs du scénario, pourquoi diable, n’a-t-il pas utilisé sa Gomme beaucoup plus tôt dans le destin de ces hommes ? Après tout, il aurait pu éviter que la femme de l’un soit victime de l’autre, non ?

M

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Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2015-01-02 22:09:01 

 Commentaire RoquenDétails
Au rayon des bricoles avant que j'oublie : 4ème paragraphe tu emploies 2 fois "il refoula ses larmes", je suppose que c'est une erreur?

Sinon, évidemment, quelle histoire peut mieux avoir plusieurs fins que celle qui est écrite? Mais le fait que ce ne soit pas l'écrivain lui-même (enfin le scribe) qui décide, ça c'est original! Et comme toujours chez Narwa Roquen, la violence est présente mais la sagesse vaut mieux.

Voilà, je reviens doucement! :-)

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