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De : Maedhros  Ecrire à Maedhros
Date : Jeudi 5 mars 2015 à 20:38:12
ECLATS DE LUNE DANS UN MIROIR BRISE


"Comme un vaste miroir, brisé sur la poussière,
Réfléchit dans l'obscur des fragments de lumière."
Lamartine, l’Infini dans les Cieux



la bande-son

Zoé pénètre en trombe dans le restaurant. C’est une grande et mince jeune femme, aux cheveux courts et à la silhouette androgyne, vêtue d’un ensemble gris ardoise. Elle ne détone pas parmi les autres clients de l’établissement qui viennent, pour la plupart, des hautes tours voisines où se concentrent les banques financières, les cabinets d’avocats d’affaires et les sièges sociaux des groupes internationaux.

Elle cherche du regard Susy, sa meilleure amie qui l’a invitée à déjeuner le matin même. Elle est légèrement essoufflée pour avoir couru afin de rattraper un peu son retard. Quand elle repère Susy, Zoé sourit. Comme à son habitude, Susy s’est réfugiée tout au fond du restaurant et elle s’est assise dos à la salle. Zoé n’est pas étonnée. Elle connaît Susy par coeur.

Susy n’est pas à l’aise quand il y a trop de monde. Elle éprouve la désagréable impression de focaliser leur curiosité indiscrète. Elle s’imagine beaucoup de choses, Susy. C’est la raison pour laquelle elle évite le métro aux heures de pointe, préférant plutôt marcher sous la pluie. Les bus n’offrent pas d’alternative. Ils sont autant d’enfers verts sur roues dans lesquels elle frissonne, le front appuyé contre la vitre. Avec les garçons, cela n’a jamais été simple. Elle a bien consolé quelques coeurs brisés par Zoé mais n’a pu en retenir aucun. Elle n’a pas su s’y prendre pour les inviter dans son monde féerique. Ils sont restés sur le quai pendant que le bateau l’emportait loin d’eux. Si Zoé est un soleil qui répand une chaude lumière autour d’elle, alors Susy est une pâle lune d’hiver. En définitive, Susy a fini par mettre au point des stratégies paradoxales pour combler son immense désir d’être aimée. Elle n’a pas voulu décevoir Zoé, puisque Zoé aimait les hommes. Aussi les histoires de coeur de Susy sont toujours des histoires à problèmes.

Toutefois, rien ne saurait altérer l’amitié qui unit les deux jeunes femmes. Elles ont connu toutes deux la DDASS et les familles d’accueil. Zoé en a fait le carburant qui l’a propulsée au-dessus des nuages. Elle a réussi de brillantes études, collectionné les chevaliers servants et décroché les diplômes les plus négociables. Rien ne résiste longtemps à sa fougue et à son audace. Susy a eu plus de mal. Elle a tant bien que mal terminé son cursus universitaire. Elle doit à Zoé d’avoir été recrutée comme documentaliste dans une boîte de production de seconde zone.

Zoé traverse la salle d’un pas aérien et tonique. Quels que soient les vêtements qu’elle porte, quand elle se déplace, elle ressemble à une étoile qui danse sur un fil de lumière. A son passage, plusieurs hommes s’interrompent en pleine conversation pour l’accompagner du regard. Elle n’en a cure. Arrivée à la table où Susy consulte son smartphone, elle s’affale sur la banquette. En voyant son amie, le visage de Susy s’éclaire d’un coup et, envahie par l’émotion, ses joues s’empourprent légèrement. C’est toujours comme ça quand Susy retrouve Zoé. Son monde est à nouveau complet. Dans le ciel parfait, le soleil a enfin rejoint la lune.

« Bonjour ma louloute, qu’est-ce qu’il t’arrive ? Ton message était très laconique ! Zoé ne s’embarrasse pas de préliminaires inutiles. Elle est concise et rationnelle. »

Susy est sauvée par le serveur qui leur tend les cartes. Zoé fait son choix rapidement. Susy prend son temps. Gagne du temps. Quand l’attente devient gênante, elle se décide enfin. Elle commande la même chose que son amie. Zoé ne se formalise pas. C’est Susy.

« Alors, tu disais ... ? reprend Zoé.
« J’ai rencontré un autre garçon ! commence Susy, en fixant la pointe de son couteau. C’est vraiment un gentil garçon. Tu l’apprécierais, je te jure, Zoé. Il est très attentionné et il a les plus beaux yeux de la Création !
- Les yeux, c’est important mais a-t-il aussi de belles fesses ? la taquine Zoé.
- T’es bête ! Tu veux savoir la suite, ou quoi ? répond Susy. La première fois, c'était à la bibliothèque. J’y faisais des recherches pour le boulot. Il était assis en face de moi. Il avait pillé tout un rayon tellement il y avait de livres devant lui. Il prenait des notes avec un porte-mine et il l’appuyait si fort sur la feuille que la pointe cassait régulièrement. Je suis partie avant lui mais il était si absorbé par son travail qu'il n'a même pas levé les yeux. Je suis revenue le lendemain...
- Houlà, t'étais obligée ou t'as tenté le diable ? s'exclame Zoé.
- Disons un peu des deux, avoue Susy en rosissant. Il était à la même place. Quand je me suis assise, en face de lui, il m’a accueillie avec un gentil sourire... avant de se replonger dans son travail. A midi, on a déjeuné ensemble dans un petit troquet et en fin de semaine, il était dans mon lit !
- Dis donc, ça n’a pas traîné, ton affaire ! Et moi qui te prenais pour une fille réservée et prudente, abonnée aux histoires alambiquées ! Tout le contraire d’une fille comme moi ! pouffe Zoé ! Et il a un nom, ce Dom Juan ?
- Tu me promets de ne pas te moquer ? lui demande Susy.
- Quoi ? Qu’est-ce que c’est cette requête ? Accouche, ma belle !
- Il s’appelle Noël ! répond Susy.
- Effectivement ! Alors elles doivent être belles, ses b...! Zoé interrompt son persiflage devant l'air navré et réprobateur de son amie. D’accord, excuse-moi, je ne le ferai plus ! Qu’est-ce qu’il a donc d’exceptionnel ton... Noël pour que tu m’en parles aujourd’hui ? C’est un cadeau tombé du ciel, si tu me permets celle-là, au moins ? Tes ex n'ont pas eu droit au même régime de faveur ! Pour certains, j'ignore encore aujourd’hui leur prénom ! Je ne veux pas te bousculer, chérie, mais j’ai un rendez-vous très important cet après-midi !
- Il me ressemble beaucoup, se confie Susy. Pas physiquement, fais pas cette tête ! Mais spirituellement, beaucoup plus que tous les autres avant lui. Il a une part d’ombre qu’il ne veut pas me laisser approcher. Comme moi. Je sens des fêlures chez lui. Comme moi. Il les dissimule la plupart du temps ! Comme moi ! A certaines heures, plutôt à l'aube ou au crépuscule, il paraît tout à coup très fragile, aussi transparent qu'un fantôme. Dans ces moments, il semble absent, tout en étant juste à côté. C'est très fugace et pour des yeux non avertis, cela peut passer inaperçu. Tu sais, c''est comme quand un nuage occulte le soleil par grand vent. Pendant une seconde, tout devient terne et puis le nuage passe et tout redevient lumineux ! C'est sans doute curieux pour toi mais, de façon extraordinaire, inexplicable même, cela ne m'inquiète pas. Il possède cette qualité de regard qui ne peut laisser insensible, qui me trouble sans que je puisse m’expliquer pourquoi. Il m’embrasse toujours comme si c’était la dernière fois. Ou bien la première fois. Dans ses bras, j’ai l’impression d’être en sécurité. Non, pas en sécurité, mais plutôt comme si j’étais enfin chez moi. Tu comprends, Zoé, ce que je veux dire ? Lui et moi, on est de la même famille ! Quelque chose nous rapproche, comme si nous nous retrouvions après une très longue séparation que nous n’aurions pas choisie. Comme si nous étions les deux parties d'un même tout, enfin réunies ! C'est grisant, comme sensation ! Tu crois à la métempsychose ?
- Je te rappelle que j’ai fait HEC et Sciences Po, ma belle, réplique Zoé. Je suis cartésienne et de l'école la plus orthodoxe qui soit. Pour moi, un plus un, ça fait toujours deux et les lignes parallèles ne se croisent jamais. Je te rappelle que c’est toi qui es entrée à l’école de psychologie de l’Institut catholique de Paris et c'est toi qui as obtenu un master d’anthropologie à l'EHESS. Moi, ma tasse de thé, c’est les chiffres, le droit des affaires et les contrats commerciaux avec plein de codicilles écrits en tout petits caractères. C'est toi, la spécialiste des recoins poussiéreux et des abîmes ténébreux de l’âme humaine ! Pas moi ! Bon, tu as dégoté la grosse cote dans la troisième, j'en suis très heureuse pour toi, alors qu’attends-tu pour rafler la mise? Pas ma permission, j'espère?
- C'est que l'histoire, hum, comment dire...n’est pas si simple ! avoue Susy qui lisse sa serviette pour ne pas affronter le regard de son amie.
- Non ? Tu m'étonnes ! réplique Zoé, goguenarde !
- Ne te moque pas de moi, je t'en prie ! J'ai besoin de ton aide ! C'est sérieux ! lâche Susy.
- Explique-moi ! répond Zoé d'une voix très douce.
- Voilà, Noël exerce une activité de consultant en sécurité informatique et il a des clients dans toute l'Europe. Il voyage fréquemment pour son travail et il m'a avertie qu'il pouvait quitter la France sans crier gare. Il ne m'a pas donné beaucoup de détails mais ses missions lui imposent une absolue discrétion.
- Tu ne tournes pas monomaniaque, Susy ? l’interrompt Zoé. Cette propension à aimer des intermittents de l’amour ! Comme Gaspard ! Il était ingénieur sur les plate-formes pétrolières. Autant dire un mois en mer et un mois à terre. Nous savons comment l’histoire a fini, non ?

Les deux amies se voient régulièrement mais Zoé ne connaît de la vie sentimentale de Susy que les parties les plus sombres. Pourtant, à l’occasion de certaines fêtes, Susy apparaît au bras d’un garçon dont elle semble aussi éprise que n’importe quelle autre fille normalement constituée. A chaque changement de cavalier, Zoé respecte la règle tacite qu’elles ont mise en place bien des années auparavant. Elle ne demande jamais qui, quand, comment... Bref, elle n’ouvre jamais la porte à ces moments désagréables qui commencent tous par un adverbe inopportun. Il peut également se passer de longues semaines, voire des mois, sans que Susy n’aborde le sujet favori des filles quand elles sont entre elles.

- Gaspard, rétorque Susy, c’est le passé. On ne peut réécrire l’histoire. Et puis, Zoé, toi aussi, tu butines à ta guise ! Tu n'entends pas me donner de leçon, non ?
- Houlà, je ne suis pas venue pour ça, Susy ! proteste Zoé. Tu m’as appelée, je suis là. Alors, quelle est cette nouvelle idylle qui enflamme tes sens au point que tu sortes les griffes à la première parole malheureuse ?
- Excuse-moi, Zoé. Je ne voulais te blesser en aucune manière ! Tu sais à quel point tu es importante pour moi. Tu es la soeur que je n’ai pas eue. Ma grande soeur qui a toujours veillé sur moi, depuis la maison de la rue Lamarck ! La première personne en qui j’ai eu confiance !
- Cela fait longtemps que je n’avais pas repensé à la maison du Clair Logis ! sourit Zoé. Mes souvenirs de ce temps-là ont tendance à s’effacer et je ne fais rien pour les préserver !
- Pas les miens, affirme Susy. Je revois encore parfaitement l’immense salle où je ne connaissais personne. Je tenais mon doudou bien fort contre moi et je n’arrêtais pas de pleurnicher dans mon coin. C’est toi qui es venue me consoler. Tu as pris ma main et tu m’as montré le coffre à jouets et tous les autres trésors qui attendaient sur les étagères.

Un ange passe entre elles.

Zoé se montre patiente. Avec Susy, il ne faut jamais brusquer les choses. Susy ne connaît pas la ligne droite. Elle fait attention à éviter tout ce qui risque de révéler ce qui est enfoui tout au fond de la sombre partie de son coeur qui n’a pas grandi. C’est une sorte de mausolée barricadé et recouvert de ronces aux épines cruelles. Les psychothérapeutes n’ont jamais réussi à atteindre ce vestige nécrosé. Susy est ainsi faite et Zoé l’accepte sans condition.
L’intermède se prolonge pendant que le serveur pose sur la nappe les deux salades niçoises et la bouteille de Miraval rosé. Il les quitte en leur souhaitant bon appétit.

- C’est loin tout ça, reprend Zoé. On a connu bien d’autres foyers. Mais tu ne m’as appelée pour évoquer le passé, non ? Bon, pour revenir à ton bel amant, insinues-tu qu'il pourrait être un genre d'agent secret... ?
- Je n'en sais rien, mais je ne le pense pas. Il m’a dit que ses clients sont des chefs d'entreprises de premier plan et que la concurrence était rude dans son secteur d'activité. S'il ne voulait pas les perdre, il devait répondre sans délai à leurs sollicitations.
- D'accord... ça je peux le comprendre. Je connais ce type de contraintes, moi aussi ! assure Zoé.
- Donc, Noël peut s’absenter plusieurs jours d’affilée sans me donner signe de vie !
- Comment ça ? s'étonne Zoé. Il ne t'appelle pas ? Il ne doit pas avoir beaucoup d'endroits en Europe non couverts par les réseaux mobiles !
- Je le lui ai demandé, tu penses ! réplique Susy. Il m'a assuré que c'était une question de sécurité. Dans ce milieu, ils ne sont pas nombreux et ils s’épient les uns les autres pour essayer de récupérer les gros clients. Et, visiblement, ils ont les moyens de tracer et de localiser leurs confrères ! J’ai vu le matériel de Noël dans son bureau. C’est comme dans les films, je te jure ! C'est pourquoi il se montre si prudent.
- Ok, je te crois, même si c’est surprenant ! T’as rencontré un autre monsieur Cendrillon qui s’éclipse de temps en temps ! Il te ramène des souvenirs, au moins? Je ne sais pas, moi, tu sais, la petite cuillère aux armes de la ville, la boîte de gâteaux typiques, une écharpe, une carte postale... ?
- Non... il m’offre des parfums. Chaque fois. De vrais parfums. Il dit que chacun d’eux contient une atmosphère qui se marie avec l’endroit où il était et que, quand il les respire sur ma peau, il a l’impression de voyager ! Tu verrais mon étagère, c’est la grande parade des flacons hors de prix !
- Il ne serait pas un peu fétichiste, ton Noël ? pouffe Zoé.
- Non, c’est tout le contraire ! Il est prévenant, délicat. Il a des manières un peu anachroniques, tu vois ! Il m’ouvre les portes et attend que je passe. Il tient la portière de la voiture quand il m’emmène en balade. Il m’écoute sans s’impatienter et fait toujours attention à ne pas imposer les choses... même quand on est... tu vois ce que je veux dire ! Quand il rentre de ses déplacements, il est aux petits soins pour moi, me téléphone tous les jours et il vient m’attendre en bas du bureau. Il m’offre des fleurs pour un oui ou pour un non. Il aime les mêmes films que moi, même ceux qui te font sourire, Zoé. Mes bluettes à l’eau de rose. Pareil pour la lecture. Il aime les romantiques allemands du 19ème siècle et les poètes maudits, les cycles russes à rallonge et les vieux polars du Fleuve Noir des années 50. Qui lit ce genre de littérature de nos jours ? Quand on discute, le temps s’écoule sans qu’on s’en aperçoive. C’est déjà le petit matin et on est là, comme deux collégiens étonnés !
- Mazette, tu me scotches sur la chaise, Susy ! C’est une sacrée déclaration d’amour que tu viens de faire ! T’as l’air vraiment accro ! J’en suis heureuse pour toi, chérie ! C’est un conte de fées moderne. Comme le disent les Anglais, « all your dreams come true « ! » Et côté lit, il assure aussi, ton champion ?
-Tu ne penses donc qu’à ça ?
- Pffui ! Faudrait être hypocrite pour prétendre le contraire, non ? affirme Zoé.
- Ouais! Bon, rassure-toi, sur ce point-là nous nous entendons vraiment bien aussi ! reconnait Susy.
- Et physiquement, comment est-il ? T’aurais une photo de lui ? demande Zoé.
- Bien sûr, regarde !"

Susy fait glisser son doigt à plusieurs reprises sur l’écran du smartphone et puis le tend à son amie.
Zoé découvre, en gros plan, un visage agréable, aux lignes pures et classiques, illuminé par l’éclat émeraude d’un regard qui mêle en égales proportions, tendresse et amour. L’homme sourit à l’objectif et son sourire, loyal et franc, vaut tous les discours et toutes les promesses du monde.

« Mince, s’exclame Zoé en rendant l’appareil à Susy, tu as mis la main sur un véritable Apollon, soeurette ! Tu le pares de tant de qualités qu’il en devient exceptionnel ! Il n’aurait pas un frère du même tonneau, ton Noël, à qui tu pourrais me présenter ? On resterait ainsi en famille !
- Tu ne crois pas si bien dire, Zoé. Il a effectivement un frère ! Et c’est là que l’histoire se complique ! murmure Susy en repoussant son assiette à moitié vide.
-Comment ça ?
- Il m’avait dit qu’il avait un jumeau mais il m’avait prévenu qu’il ne le voyait pas. Une vieille histoire de famille. Ils étaient irréconciliables. Etant orphelins, ils n’ont aucune obligation de se rencontrer. Noël n’a pas voulu m’en dire davantage. Il m’a avertie qu’il valait mieux que je n’en sache pas plus à son sujet. Mais, il y a deux mois, Noël était à l’étranger, je me suis rendue à la Porte de la Chapelle pour ma boîte. Ce n’est pas un quartier que je fréquente habituellement. Bon, un jour, je rentre dans un troquet pour déjeuner avec des collègues de TF1. Figure-toi qu’à la table d’à côté, il y avait un mec qui ressemblait de façon troublante à Noël !
- Tu plaisantes ? demande Zoé. Il y a plus de deux millions de Parisiens, sans compter les banlieusards, et toi, tu tombes pile poil sur le frère de ton mec ? Le frère ennemi ! C’est ce qu'il faut que je comprenne ?
- La Forza del Destino ! Qu’est-ce que tu veux que je te réponde ? reconnaît Susy.
- Tu vas prétendre maintenant que l’ombre de Verdi plane sur ton histoire !? D’un autre côté, si tant est que tout ça soit bien réel, hein, Susy, ma petite Susy, il n’avait aucune raison de te reconnaître. Et puis, combien de probabilités existe-t-il pour que vous retombiez à nouveau nez à nez ?
- Je t’ai dit que c’était un peu plus compliqué que ça ! Oui, j’aurais effectivement choisir de le chasser du paysage. Mais le boulot avec TF1 me ramena toute la semaine au même endroit ! Le lendemain, c’est moi qui aie incité les collègues à revenir dans le même resto ! Peut-être étais-je animée par le désir de faire une bonne action, pour une fois. Peut-être voulais-je jouer le bon samaritain entre les deux frères ennemis. J’ai compris assez vite que je me mentais à moi-même. Et puis Noël n’était pas là. Il y avait quelque chose qui m’attirait chez son frère. Quelque chose de froid qui a réveillé en moi un sentiment oublié. Dès le début j’ai su que je commettais une erreur. Mais ce fut plus fort que moi !
- Arrête, prévient Zoé, je connais ce refrain. Je ne le connais que trop bien. Quand cesseras-tu, Susy ? Quand ?
- Tu es ma soeur et une soeur, ça partage les confidences, n’est-ce pas, quelles qu’elles soient ! Sinon, à quoi servirait-elle? répond Susy en s’essuyant les lèvres. Elle reprend son récit. Contrairement à Noël, il m’a séduite à la hussarde. C’était direct et sans fioriture. Je n’ai pas vraiment résisté. Quand je me suis réveillée le premier matin dans la chambre de l’Ibis, je me suis dit que cela serait une histoire sans lendemain. Encore une vaine promesse. Je l’ai revu. En fait, je le vois chaque fois que Noël est à l’étranger.
- Et Noël, il ne se doute de rien ? demande Zoé.
- Non, ce n’est pas une vraie liaison. Quand je suis avec Noël, je suis toute à lui. Il comble tous mes désirs. Mais quand il est loin de moi, on dirait que son frère comble le vide. Avec lui, c’est purement physique. Par certains côtés, il ressemble vraiment à son frère. Le début d’une expression, le commencement d’un geste, mais l’impression disparaît très vite. Ils sont tellement différents. Lui n’est pas disert. Il m’entraîne dans son monde et n’est pas curieux du mien. J’ai assisté à des combats de boxe clandestins, j’ai attendu des heures la fin de parties de poker, dans une arrière-salle enfumée ! J’ai découvert un monde qui ne vit que la nuit. Dans ce monde parallèle, il est connu comme le loup blanc et toutes les portes secrètes, interdites aux gens normaux, s’ouvrent devant lui. Il m’a montré une fois l’immeuble, à la Goutte d’Or, où il vivait mais nous n’y sommes jamais allés ensemble ! Il préfère les chambres d’hôtel, cela fait partie du personnage !
- Dis donc, tu sors avec une sorte de... gangster ? Je comprends pourquoi ton Noël ne le porte pas dans son coeur ! C’est qui, un trafiquant ? Un proxénète ? Un caïd du milieu ? Tu joues dans un film noir, genre la poupée et le malfrat, soeurette ? s’exclame Zoé. Je ne suis pas psy, mais ton comportement doit certainement être répertorié parmi les troubles pathologiques.
- Pourquoi pas ? accepte Susy. Je n’ai jamais rien noté d’ouvertement illégal, ce genre de trucs qu’on voit dans les films. Pas de ligne de coke au coin d’une table, pas de gros flingue sorti à tout va, pas de violence étalée gratuitement, tu vois ce dont je parle. En même temps, il semble graviter pas très loin. Il y a des tournures de phrases, des échanges de signes discrets, des non-dits et des mots retenus en ma présence... J’ai l’impression qu’il fait en sorte de préserver les apparences, de rester en-deçà de la limite, du bon côté de la ligne, tout en me laissant juste entrevoir qu’il y a des choses tapies après. Il se complaît dans un rôle de voyou idéalisé, sans doute une part de comédie en lui, un fond de Noodles, une pincée de Borsalino et un zeste de Bugsy. Cela me trouble et me fascine. Il me fait de ces promesses ! J’ai bien peur qu’il ne sache faire que ça, des promesses. Mais quand il les prononce, je suis assez folle pour les croire !
- Susy... Susy... ma petite Susy girl ! Tu as l’art de te fourrer dans de sacrés guêpiers. Tu ne m’as pas appelée uniquement pour me raconter une histoire, je me trompe? Qu’est-ce que tu vois quand tu te regardes dans la glace, le matin ? Je ne voudrais pas, pour tout l’or du monde, être dans ta tête en ce moment ! Mais bon, c’est ta vie. Il a un nom, ton beau ténébreux ?
- Il s’appelle Léon. Puis, peu à peu, il s’est montré sous un jour plus déplaisant. Il est devenu jaloux et possessif. Il veut que je devienne ce que je ne suis pas. Une sorte de poupée Barbie qui se plierait à la moindre de ses volontés. Il a failli être violent, l’autre jour. Il a levé la main comme s’il allait me gifler. Il s’est retenu au tout dernier moment. Dans ses yeux, j’ai aperçu une lueur malsaine, une lueur méchante. Cela m’a fait peur. Et puis, il m’a suivie...
- Il t’a suivie ? Zoé est interloquée.
- Je ne m’en suis même pas rendue compte. Il m’a abordée quand je sortais de l’appartement de Noël, non loin du parc Montsouris, où je venais de récupérer un foulard que j'avais oublié. Il m’attendait de l’autre côté de la rue, sous une porte cochère. Il a couru entre les voitures et a saisi mon bras violemment. Il m’a demandé sèchement ce que je faisais là. J’ai failli dire que je sortais de chez moi mais quelque chose dans sa voix m’en a dissuadé. Je sentais qu’il n’attendait que ça, un mensonge en forme d’aveu. Je lui ai montré le foulard et je lui ai dit qu’une de mes amies, qui habitait là, me l’avait rendu. Il a hésité, je l’ai vu dans ses yeux. Il a examiné l’interphone. Il a fait chou blanc, il n’y a que les numéros des appartements dessus. Je voyais bien qu’il essayait de démêler le vrai du faux.
- Et Noël, il aurait pu voir la scène de sa fenêtre, non ? demanda Zoé en détachant un morceau de tarte avec sa cuillère. Il aurait reconnu son frère ! La cata, quoi !
- Aucun risque, Noël avait laissé un post-it vierge sur le frigo. C’est un code entre nous. Cela veut dire qu’il est parti voir un client. Finalement, Léon a eu l’air de me croire, et il est redevenu le chevalier noir que je connaissais, dangereusement spirituel, étourdissant et séduisant. L’ombre gigantesque qu’il projetait sur le mur de l’immeuble a repris une taille plus normale. Il m’a emmenée dans une soirée privée organisée à bord d’une péniche, sur la Seine. Il m’a fait danser comme jamais. Je volais littéralement entre ses bras. Le champagne coulait à flots et les lumières basculaient en tous sens. Peu à peu, j’ai senti le plancher tanguer sous mes pieds. J’étais euphorique, légère, tout me paraissait irréel et futile ! Léon souriait pendant que je l’aguichais sur la piste, me contorsionnant autour de la barre de pole dance, au centre des faisceaux lumineux. Il était assis tout seul sur la banquette et il me suivait du regard, un regard de loup, patient et brillant. Et puis, tout s’est mis à tourner dans ma tête. Je ne sais pas ce qui s’est passé après. Je me suis réveillée dans un lit inconnu d’un appartement inconnu. Je ne savais pas comment j’avais atterri là. Quand j’ai voulu me lever, j’ai eu l’impression qu’un trente-six tonnes m’avait allègrement roulé dessus. Léon dormait encore. J’étais chez lui ! Je suis allée dans la salle de bain. Il y avait une fille nue dans la glace. Son maquillage avait dégouliné sur ses joues et sa bouche était barbouillée de rouge à lèvres. Ses cheveux naturels dépassaient d’une épaisse perruque blonde. Cette fille, ce n’était pas moi. C’était une inconnue. C’est alors que j’ai vu toutes les marques sur mon corps, sur mes seins, sur mon ventre, sur mon cou... Je ne me souviens de rien, Zoé. Je ne sais pas ce que j’ai fait, ce qui s’est passé. Mais j’ai payé un prix. J’étais là devant la glace avec la disgrâce qui s’étalait en grand sur moi. J’avais des bleus sur mes cuisses et ...
- Chut, Susy ! prévient Zoé en regardant à droite et à gauche. Chut ! Parle plus bas, on pourrait nous entendre ! Tu veux qu’on aille ailleurs ?
- Non, refuse Susy. C’est déjà assez humiliant comme ça. Je n’aurais plus le courage. Approche-toi. Plus près. Voilà. Ecoute. J’étais là devant mon image dévastée et la honte est venue. Elle a tout submergé. Je me sentais si misérable. Il avait fait de moi son objet. J’avais voulu le nier. Je n’avais pas voulu voir la vérité en face. Il m’a traitée comme l’une de ces pauvres filles qu’on paie contre du temps. Il m’a droguée, j’en suis sûre. Il a fait semblant de me croire. Il a tout manigancé. Tout, depuis le début. Le salaud ! Je crois que tout ça faisait partie d’un plan préparé à l’avance. Je me suis retrouvée dans une de ces histoires qu’on cache aux petites filles qui rêvent de devenir des princesses. Une de ces histoires sordides qui finissent mal en général ! Comme dans les cauchemars que je faisais quand j’étais petite. Ces cauchemars que j’ai cachés coûte que coûte aux psychologues. J’ai vu une toute petite fille dans le grand miroir. Une petite fille brisée et souillée. Alors la rage a remplacé la honte, Zoé ! Cette rage, que tu m’as appris à apprivoiser, est une chose sauvage qui ne demande qu’à recouvrer sa vraie nature !
- Susy, qu’est-ce tu as fait ? murmure Zoé en prenant les mains de son amie dans les siennes. Mon Dieu, qu’est-ce qu’il t’a fait ?
- Je suis revenue dans la chambre. J’ai pris le cran d’arrêt dans la poche de son pantalon. Il l’a toujours sur lui et il coupe comme un scalpel. Je me suis approchée du lit. Il avait sur son visage cet air de satisfaction que je n’oublierai pas. Alors j’ai passé la lame sur sa gorge. Il s’est réveillé d’un coup et a voulu me saisir avant de plaquer ses mains autour de sa plaie béante. Des yeux effarés roulaient dans ses orbites. Il a voulu crier mais il n’a réussi qu’à pousser un affreux râle. Puis les forces l’ont quitté et il s’est renversé lentement sur l’oreiller. Il ne souriait plus. J’ai effacé à jamais son sourire supérieur et méprisant. Quand le sang a arrêté de couler, j’ai pris une douche pour effacer celui qui maculait ma peau. J’ai enseveli mon visage sous un lourd maquillage et j’ai réajusté la perruque sur mes cheveux. A la fin, dans la glace, il y avait une inconnue, une call-girl glacée qui était tout sauf moi. Je suis sortie. C’était le petit matin. Je suis rentrée chez moi. Je me suis changée et j’ai jeté les vêtements et la perruque dans une benne à ordures. Après, je t’ai appelée.
- Il y a des chances pour que personne n’ait encore remarqué l’absence de Léon. Tu as violé les règles que nous avions établies, Susy, ma douce Susy. Mais on va faire au mieux pour effacer le maximum de preuves et se débarrasser du corps, comme pour les autres. Je n’aime pas agir dans l’urgence. J’aime bien planifier et assurer mes arrières. Là, on n’a pas le temps. A peine 24 heures, 48 au mieux ! C’est peu. Mais ça va le faire, Susy, ça va le faire ! Il est déjà mort. Une étape de moins dans le processus. Tout le reste, je sais faire ! Tu pourras reprendre ta vie comme avant. Tu pourras retrouver Noël et je forme des voeux pour qu’il soit le bon, cette fois-ci, Susy !
- Noël, c’est fini, aussi ! dit lugubrement Susy.
- Comment, c’est fini ? Il est à l’étranger ! Attends, ne jette pas le bébé avec l’eau du bain. Il n’a pas besoin de savoir. Il est indifférent au sort de son frère. Il n’a aucun contact avec lui. Pourquoi diable, d’un seul coup, lui viendrait-il l’envie de le revoir ? Tu es heureuse avec lui, tu l’as reconnu toi-même !
- Ce n’est pas ça, Zoé ! Tu ne comprends pas ! Dans la salle de bains, là-bas chez Léon, il y avait une grande étagère où étaient alignés des flacons de parfums de luxe, encore emballés sous leur film plastique.
- Et alors ? interroge Zoé. Il pouvait collectionner les flacons de parfums non entamés !
- Oui, c’est également ce que j’ai pensé! Mais j’ai voulu en avoir le coeur net. J’ai fouillé l’appartement. Tout au fond d’un placard fermé à clé, hors de vue, il y avait une valise, dissimulée derrière des cartons. Elle m’était familière. Je l’ai ouverte presque à contrecoeur. Elle contenait des vêtements, également familiers. Quand j'ai pris en tremblant le portefeuille que j’ai immédiatement reconnu, deux photos ont glissé au sol. Je les ai ramassées. Sur la première, un couple enlacé riait devant les manèges de la foire du Trône. C’était Noël et moi, joue contre joue. La seconde avait capturé nos portraits déformés dans le Palais des Glaces. Un détail attira mon attention. J'ai regardé plus attentivement et, dans l’un des reflets contrefaits, j'ai reconnu le visage de Léon qui me jetait un regard mauvais.

M


  
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3 WA 138 Maedhros : commentaire - Estellanara (Jeu 4 jun 2015 à 17:46)
3 Commentaire Maedhros, exercice n°138 - Narwa Roquen (Dim 29 mar 2015 à 23:37)
3 Commentaire M - Elemmirë (Mar 10 mar 2015 à 08:10)
       4 Merci pour ta lecture! - Maedhros (Sam 14 mar 2015 à 12:06)


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