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De : Maedhros Date : Dimanche 10 mai 2020 à 12:22:13 | ||
QUO VADIS DOMINE Last night on Earth... Les diodes s’éteignirent lorsque l’air eut fini d’emplir le caisson de fugue, chassant le composite stérile. Après un hoquet douloureux, Dross ouvrit enfin les paupières dans la semi-obscurité baignant l’alvéole. Il avait atteint le terme de son périple. Son dernier sommeil avait été long et sans rêve. Les questions affluaient de façon désordonnée et encombrante, lui donnant un léger tournis qui faisait naître un sentiment de confusion inconfortable. Encore un effet secondaire de la fugue. Son inconscient avait, de façon mystérieuse, compris qu’il était en décalage par rapport à la réalité extérieure et cherchait à tout prix à se resynchroniser. Cela ne dura pas. Les drogues du réveil rééquilibrèrent les niveaux des réactions chimiques de son métabolisme. Il recouvra sa lucidité. Certaines questions persistèrent. Combien de temps avait-il perdu ? Il reformula. Combien de temps s’était-il écoulé depuis le dernier souvenir qu’il en avait ? Il reformula. Quelle était l’ampleur du retard qu’il aurait à combler ? Malgré les progrès de la technologie, il y avait toujours un tribut à verser en échange d’un voyage à une vitesse hyperluminique. Un paiement en temps réel. En quittant les aires de réveil, il rejoignit une petite foule qui se dirigeait vers les passerelles de débarquement. Les visages étaient impassibles, sévères même. Les corps entraînés et athlétiques. C’étaient des combattants, des femmes et des hommes défilant résolument vers des buts indéchiffrables, vêtus d’une même tenue quasi-militaire. Il se rappela. Le cargo qu’il avait emprunté lors du dernier noeud de transit, appartenait à Centaure, une 3G spécialisée dans la sécurité privée. Il avait pu y embarquer grâce à son laissez-passer impérial imprimé sur chaque cellule de son organisme. C’était un sésame inviolable, infalsifiable et incessible. Comme s’il évoluait au sein d’un champ répulsif, les combattants aguerris s’écartèrent de son chemin quand il s’inséra dans leur flux. Il goûtait à nouveau, sans plaisir cette fois, le respect mêlé de crainte qu’inspirait la vue de l’uniforme qu’il portait. Un uniforme entièrement noir, sans signe distinctif. Il marqua un léger temps d’arrêt devant le spectacle qui s’offrait à lui sur la coursive tubulaire, aux parois transparentes, reliant le cargo au terminal d’arrivée. L’astroport impérial alignait sur des dizaines de kilomètres, les docks d’appontage et de décollage en bordure de l’anneau ceignant, sur l’orbite la plus éloignée, Portes, la géante gazeuse qui dérivait à la périphérie du système solaire central. Au-delà, des superstructures se multipliaient à perte de vue, de toutes les tailles et de toutes les formes, certaines plongées dans l’ombre tandis que d’autres étincelaient sous les feux du soleil lointain. L’anneau proprement dit était une construction artificielle, abritant des myriades de conglomérats industriels qui s’agglutinaient sur ses deux faces. Toutes les matières premières nécessaires à leur fonctionnement et à l’alimentation des vaisseaux abondaient sur les autres anneaux et dans les profondeurs abyssales de la géante gazeuse. Dross n’arrivait pas en catimini. Dès qu’il avait franchi le Terminateur Impérial, la ligne imaginaire qui séparait le coeur de l’Empire de ses possessions, sa présence avait été détectée. Les Veilleurs avaient murmuré dans leur somnolence droguée. Le retour d’un auditeur de classe impériale ne passait jamais inaperçu quand bien même celui-ci était plongé dans la fugue atemporelle. Dans les entrailles du palais d’une Maison Astréide, l’IA de garde avait également enregistré l’information. Des séquences préétablies avaient été initiées automatiquement. Les rouages du Destin, suspendus le temps d’une fugue ou le temps d’une fuite, s’étaient remis en mouvement. Rien n’avait été finalement perdu puisque, pour les Maisons Astréides, le temps lui-même n’était rien. Derrière le portique de sortie, il distingua deux membres du service impérial, reconnaissables à leurs uniformes chamarrés et à leur canne protocolaire. Ils l’attendaient. « Bonjour Mestre Dross, l’accueillit celui dont la manche s’ornait d’un galon supplémentaire. Le Temple nous a mandaté pour vous conduire, dès votre arrivée, à une navette spécialement affrétée à votre intention. Si vous le souhaitez, les informations RT sont disponibles. » Dross ouvrit un canal de communication sensoriel. Une brève sensation de chaleur irradia les osselets de son oreille interne quand le flux de données de haute intensité se déversa en lui. Il bloqua sa respiration pendant la mise à jour. Quand il expira à nouveau, la continuité temporelle avait été restaurée. Ses banques mémorielles avaient été actualisées de toutes les informations nécessaires à la compréhension du monde qui l’entourait. Il ne retint qu’une seule chose. Il était toujours en danger. Il suivit les émissaires du Temple jusqu’à un tube de transfert. Il n’ouvrit pas la bouche et les fonctionnaires respectèrent son silence. Le trajet fut rapide. La capsule s’immobilisa le long d’un quai anonyme. Dross remarqua les sentinelles armées, postées face aux accès. Elles arboraient sur leur col l’éclair et les lauriers, les emblèmes du Temple. Ces mesures de sécurité n’inclinaient pas à l’optimisme. La vendetta avait toujours cours, sans doute plus dangereuse que jamais, compte-tenu des circonstances. Les agents impériaux demeurèrent dans l’habitacle qui s’ébranla dès ses portes refermées. Dross questionna du regard le sergent qui se tenait figé à quelques pas de lui. En vain. Peu après, comme dans une chorégraphie parfaitement réglée, les sentinelles déployèrent à l’unisson des corolles de confinement qui obstruèrent hermétiquement toutes les ouvertures du quai. L’atmosphère s’électrisa très légèrement et Dross sentit les picotements caractéristiques de l’ozone dans ses narines, accompagnant la création d’une stase forteresse. La technologie avait vraiment évolué durant son absence. Une telle manoeuvre dans un endroit aussi confiné aurait été impossible avant son départ. Puis une constellation de points lumineux s’épanouit près de lui et s’organisa bientôt pour dessiner dans l’air une forme aérienne, torsadée et tournoyante, qui se densifia peu à peu en emmagasinant l’énergie du lieu. S’il pouvait recourir à un auto-hologramme de classe militaire, il devait être un personnage important, pensa Dross qui se prépara mentalement. Il activa des routines dormantes qui libérèrent des endorphines spécialisées et d’autres processus chimiques. Ses muscles se relâchèrent, jouant librement sous le tissu de son uniforme. Si la violence physique n’était pas inscrite dans l’arsenal habituel des auditeurs impériaux, l’auto-défense n’en était pas une option facultative. Les points lumineux se multiplièrent et enveloppèrent Dross au sein de la spire tournoyante aux couleurs de l’arc-en-ciel. Dross n’esquissa aucun mouvement. Le sceau de sécurité l’avait retranché du monde extérieur. En cet instant, des milliers de bombes orbitales auraient pu fracasser l’anneau et tout ce qu’il contenait en débris guère plus gros que le poing, sans parvenir à ébrécher la surface du sceau templier. La mort serait certes venue ensuite, d’une façon ou d’une autre, inexorable. Mais le sceau resterait inviolé, sarcophage insensible au froid de l’espace ou à la fournaise d’un soleil jusqu’à ce qu’il franchisse un horizon des évènements. Une silhouette humaine émergea peu à peu des photons focalisés. Une silhouette voûtée mais majestueuse. Quand elle se précisa, Dross avait devant lui un homme particulièrement âgé, au visage lisse et glabre, fruit d’un nombre incalculable d’augmentations. Dross reconnut San Keywitch, le Grand Maître du Temple, la garde prétorienne de l’Empereur. Ses traits n’avaient presque pas changé. Peut-être une ombre supplémentaire flottait-elle dans son regard perçant. Peut-être. D’une voix grave et mélodieuse, le Grand Maître prononça quatre mots : « Où vas-tu, Mestre ?» C’était la fin du voyage retour. La planète noire emplissait tout le hublot de la minuscule navette. La première fois, Dross était sanglé dans son uniforme fuligineux, empli de certitudes. Aujourd’hui, il avait quitté tous les oripeaux d’un pouvoir factice et se présentait tel qu’il était, tout simplement. Les synthétiques de l’habitacle étaient fatigués, comme tout le reste de l’équipement. Lui-même avait vieilli. Et alors, se moqua-t-il, c’est dans les vieilles barriques que l’on tire le meilleur vin, n’est-ce pas ? D’ici quelques poignées de minutes, la navette s’arrimerait à nouveau au flanc de la station solitaire qu’il avait quittée, ne laissant derrière lui que des fantômes évanescents. Qu’espérait-il ? Cette question le taraudait depuis qu’il était reparti du système central. Ce genre de question auquel il s’empêchait de répondre. Pour un auditeur, c’était le comble de l’ironie. Quasiment une faute professionnelle. Il se remémora l’échange qu’il avait eu avec le Grand Maître du Temple lorsque celui-ci l’avait intercepté juste avant qu’il ne s’engage sur la Ligne Appienne qui reliait Portes, la géante gazeuse, à Tabula, le Monde-Trône « Dross, je vais te conter une histoire qui remonte à l’aube de l’humanité, quand les hommes rêvaient des étoiles pour y loger les dieux. Les nuits étaient profondes, peuplées de légendes et de démons. Il était alors une ville, qu’on disait éternelle, qui brûlait par la volonté d’un empereur fou. Oui, la folie des empereurs est une maladie ancestrale ! Une nouvelle croyance ébranlait les anciennes, pour le meilleur et pour le pire. L’empereur pyromane persécutait les nouveaux fidèles, les faisant périr par le feu, le glaive et dans le cirque. Un des leaders de ces croyants voulut se soustraire au destin qui lui était promis s’il restait en ville. Il échappa à ses gardiens et prit la fuite. A quelque distance du palais impérial, il rencontra, ou crut rencontrer, celui qui avait donné sa propre vie pour racheter les péchés des hommes. Etonné, il demanda : Où vas-tu Seigneur ? Celui-ci lui répondit : Je vais à Rome où je donnerai à nouveau ma vie contre la tienne! Alors le fuyard comprit que son acte ruinait le pacte passé entre les hommes et leur dieu sur une colline d’orient où poussaient des oliviers. Il revint sur ses pas et ne se déroba plus à ses tourmenteurs. Il advint de lui ce qui devait advenir. Et toi, poursuivit le Grand Maître, comme le personnage de ce conte, tu te tiens maintenant au carrefour de ton existence. Si tu choisis la route qui mène à Tabula, tu scelles ton destin. La Maison Astréide que tu as humiliée dans ton rapport n’a ni oublié ni pardonné. Malheureusement, elle a conforté sa place et son pouvoir est devenu un pilier indéfectible du Trône. Indéfectible et indispensable. L’Empereur lui-même ne pourra pas s’opposer à elle. Je sais qu’elle sait que tu reviens. Ses limiers sont déjà sur ta piste. Hélas, moi-même je ne pourrais t’assurer une protection suffisante. Si tu mets le pied sur Tabula, ta vie se comptera peut-être en jours mais plus certainement en heures. Si tu choisis l’autre route, je peux faire en sorte d’effacer toutes tes traces. Tu n’auras ainsi jamais traversé le Terminateur Impérial. Ceci, je peux le garantir, c’est dans mes moyens. Tu refais le chemin en sens inverse certes, mais tu t’offres un délai supplémentaire. La chance de cette Maison pourra tourner. Cela s’est déjà vu. Tu pourras espérer des temps plus favorables. Tu seras vivant. Cette route préserve l’espoir. L’autre est une impasse. Alors qu’en dis-tu ? » Dross se souvenait de chaque mot prononcé par le Grand Maître. Il savait que celui-ci ne lui avait pas menti. En définitive, le hasard ou la nécessité, ou bien était-ce la Providence, avaient décidé à sa place. Qui était-il pour s’en plaindre ? A son premier réveil suivant le Terminateur, il eut le sentiment que tout rentrait dans l’ordre. L’ordre naturel des choses. Ensuite, ses sommeils de fugue furent peuplés de rêves agréables. Il rêva aux contrées imaginaires qu’il avait créées là-bas, là où il revenait. Son coeur battit un peu plus vite quand il remarqua les lumières des pods techniques de la station Ys-Fer. Elles témoignaient que la vie avait repris à son bord. Une impatience familière grandit alors en lui. Il avait hâte d’enficher la tresse de conducteurs neuronaux dans la prise greffée au creux de sa nuque pour être enfin appairé au transmetteur TekWA. Tout recommencerait alors. Et cela serait bien, il était prêt. Dross se rendit compte que, par-delà le temps et l’espace, Grand Maître avait répondu à la dernière question qu’il s’était posée bien des années auparavant alors qu’il s’éloignait de la station Ys-Fer. Finalement, il avait eu raison de ne pas le faire lui-même. M Ce message a été lu 3141 fois |