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De : Netra Page web : http://terredelune.eu Date : Jeudi 21 septembre 2006 à 19:59:03 | ||
Texte A : La Fourmi C'est l'été, et je la regarde. Elle est dehors, tranquille, à jouer de la guitare sur une meule de foin fraîche. Qu'elle doit fleurer bon le blé mûr, cette botte ! Et que son chant doit être agréable ! Mais je ne peux ni entendre son chant, ni humer le parfum de la campagne. Je dois continuer à travailler. Ce n'est pas pour moi, je m'en fiche, mais eux, ils sont petits, ils ont besoin de pouvoir manger à leur faim, toute l'année, pour grandir. Il en naît chaque jour, et je dois les nourrir. Je les aime tous très tendrement, donc jene dois pas faire d'erreurs. Si l'un d'eux mourait par ma faute, mon dieu ! Je crois que je ne le supporterai pas. Ils sont si fragiles ! Personne ne doit le savoir. Ce serait si facile, après, de nous détruire ! Comme tous les miens, je ne suis guère aimée des gens de la forêt. Tous ceux-là qui passent sans rien faire, qui n'ont qu'eux à s'occuper, nous les envions. Mais nous avons cette tâche à remplir, des vies dépendent de nous. Vous le comprenez, ça, vous autres, dehors ? Ce n'est pas une portée de six ou sept bébés que nous avons à charge ! Il sont des centaines, dans un équilibre précaire que nous tentons de maintenir. Il arrive que ce soit en vain. Elle chante toujours. Qu'elle a de la chance ! Le soleil est si beau, dehors ! Il doit faire bon s'y prélasser ! Encore un inassouvissable désir... J'aimerai l'entendre chanter. Eux, ils l'entendront, du moins ceux qui ne seront pas nurses, comme moi... Ils seront nombreux, j'espère... L'hiver. Je l'ai vu venir. De loin. Les petits ont faim, mais nous avons encore assez pour finir la mauvaise saison. Tiens, on frappe... J'ai refermé la porte. C'était la Cigale. Elle voulait à manger. Je ne peux pas. Je ne lui ai rien donné. Je n'en ai pas le droit. J'ai joué ce rôle que j'ai tant joué auprès de ceux du dehors, la fille rêche, hautaine, sans coeur. Le seul moyen que j'ai trouvé pour ne pas leur hurler leur chance à la figure. Ne pas leur hurler qu'ils étaient libres, eux, qu'il fallait qu'ils le restent, que je ne souhaitais à personne d'être ce que j'étais, ma propre esclave, bannie à jamais du soleil ! J'aurai pu, oui, lui donner quelque chose. Et puis, d'autres seraient venus. Tous auraient demandés. Les petits serainet morts. Je ne pouvais pas prendre ce risque. Me pardonnera-t-elle ? La reverais-je chanter ? J'en doute. Je me dégoûte moi-même d'être si égoïste. Elle chante si bien ! Elle a tout ce que je n'ai pas et n'aurai jamais. Elle est sans doute condamnée à mourir. Elle le fera dans la gloire des artistes. On l'aimera encore dans des siècles, la Cigale si généreuse qui offrait son chant à qui pouvait l'entendre... Moi, je ne suis guère condamnée qu'à être haïe. Mon meilleur lot sera peut-être l'indifférence. Ils seront des générations d'artistes et de poètes à me détester. J'assume. Je me fiche de ce qu'on pensera de moi ma mort passée. Les petits, eux, vivront. Ils m'oublieront dès qu'ils seront grands, et c'est mieux ainsi. Le présent est le présent. Je n'ai pas envie de penser à hier, pas envie de m'enterrer vivante dans le regret du passé et la crainte de l'avenir. Je préfère oublier le premier et prévenir le second. Ainsi, ils vivront. Peut-être qu'alors, je me dégoûterai un peu moins. Je ne sais pas. Je suis plus vieille que je ne pensais. Je rejoindrai bientôt la Cigale. Pardon, Cigale. Enfants, au revoir. Texte A (bis) : La Cigale Il faisait si beau cet été... J'étais heureuse, vous savez ! Oh, oui, j'ai été heureuse autrefois. Qui s'en souvient encore ? Même moi, il m'arrive de l'oublier. D'oublier que j'ai vécu et donné du bonheur. Je ne pensais guère à l'avenir. Je chantais, espérant que mes mélodies allégeraient les coeurs alourdis par le souci et la peine. Je ne chante plus. J'ai perdu ma voix, le vent d'hiver me l'a volée. Et je vais mourir. Voilà. Que voulez-vous que je vous dise encore ? Laissez-moi, s'il vous plaît. Je suis pudique, vous savez, en dépit des apparences. Je ne veux pas qu'on contemple ma mort comme on a contemplé ma vie. Je voudrais tirer le rideau sur une salle vide. Ca me ferait trop mal de savoir qu'il y a encore des gens prêts à m'écouter. Je ne pourrais les satisfaire, vous comprenez ? Bien sûr, je suis une idiote. J'aurais dû voir un peu plus loin, mais je ne voulais pas. J'avais peur. C'est effrayant, l'avenir, quant on est jeune. Mais vous aussi, vous avez été jeune, vous le savez. Elle, elle a dû l'oublier. Ou peut-être n'a-t-elle pas eu d'enfance. Je ne sais pas. Je n'ai pas le courage de retourner lui demander. Maintenant, j'ai encore plus peur. Je tremble, et ce n'est plus de froid. Mon corps est bien trop engourdi pour cela. Dites, pourquoi ne partez-vous pas ? Voulez-vous donc rester avec moi ? Voulez-vous être le dernier spectateur de la salle ? Tirer le rideau ? Je veux bien, si c'est vous. De toute façon, il est trop tard pour moi, je le sais, et je ne veux pas. Je voudrais tant pouvoir chanter... Le froid a casé une à une les cordes de ma guitare. Le vent a tué ma voix. Je n'ai plus rien. Elle aurait pu faire quelque chose. Elle ne l'a pas fait. J'étais honnête, je comptais vraiment la rembourser ! Elle ne fait jamais confiance aux artistes. Elle m'a claqué la porte au nez. Je la comprends, elle a travaillé toute l'année, elle trimait en me regardant jouer, elle ne disait rien, elle ne se plaignait jamais... Et je viens mendier à sa porte... Voulez-vous bien m'aider à m'adosser contre cet arbre ? Merci. Je vais essayer de chanter pour vous. Pour le salut final... On entendit un petit cri mélodieux, et puis le silence revint dans la forêt. Alors il se mit à neiger. Netra, warrior taille XXXS Ce message a été lu 6706 fois | ||
Réponses à ce message : |
3 Il eût été dommage de s'en priver... - Estellanara (Ven 6 oct 2006 à 20:15) 3 Commentaire Netra - Narwa Roquen (Mer 4 oct 2006 à 19:27) 4 C'est Zentil ça !!! - Netra (Ven 6 oct 2006 à 21:28) |