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De : Narwa Roquen Date : Mercredi 15 novembre 2006 à 16:43:23 | ||
« Ah c’est toi ? Je t’entends mal... Ca va, ça va... Hein ? Non, mon appareil quand je le mets c’est pire, malgré que je l’ai payé une fortune... Quoi ? Ah oui, Bruno... Ben oui, je suppose qu’il est content... Non, moi tu sais, j’ai horreur d’avoir froid... Ah bon, tu connais Stockholm, toi ? Hein ? Oui, bien sûr que je suis fier de lui... - Et tu le lui as dit ? - Oh tu sais, il n’est pas très bavard, tu le connais... Bon, je te laisse, hein, il faut que je sorte, j’ai rendez-vous chez le dentiste...C’est ça, c’est ça... » Mais quelle conne, cette Danièle ! M’appeler à cinq heures ! C’est l’heure de mon thé ! Et bavarde, en plus, toujours à me raconter des conneries, depuis que son mari est mort...Et moche, avec ça, vieille et moche...Zut, c’est trop chaud ! Qu’est-ce que j’aurais été faire à Stockholm, au milieu de tous ces professeurs ? Il aurait pris son air gêné, comme chaque fois qu’il a honte de moi... « Professeur X, je vous présente mon père, ancien vendeur de voitures... » Moi qui ai quitté l’école à treize ans, hein, ça la foutait mal... Ma pauvre mère, sainte femme, seule avec quatre garçons, tu parles ! Il ne sait pas ce que c’est de travailler, le Bruno ! Je faisais des journées de douze heures, comme apprenti. Après, heureusement, j’ai démarré dans la vente. J’avais ça dans le sang ! Les meilleurs chiffres de toute la boîte ! Alors bien sûr, commissions, promotions... J’ai bien gagné ma vie... J’en ai profité un peu, et alors ? C’est moi qui allais au turbin ! J’ai payé les études de mes frères, la maison de retraite de ma mère, les bijoux de ma femme ( cette garce ! enfin, paix à son âme...). Et mon fils, même pas fichu de passer son permis, qui faisait le dégoûté quand je lui proposais un job pour les vacances... Payer, payer, je n’ai fait que ça ! La fac, les bouquins, les voyages d’étude, hein, heureusement qu’il était là, le vendeur de voitures ! Ca ne l’a pas dérangé, l’intello, de profiter du couvert et des chemises repassées jusqu’à presque trente ans ! Il ne sait même pas s’amuser, en plus, il est triste, triste! J’aurais bien aimé, moi, avoir des petits enfants à faire sauter sur mes genoux, avec un peu de chance il y en aurait eu un qui aurait aimé les voitures ! Et puis des petits enfants, on peut les câliner... C’est pas comme avec un fils – si encore j’avais eu une fille, elle m’aurait appelé « mon petit papa chéri », je l’aurais emmenée au restaurant dans ma décapotable... Mais non, quarante-huit ans, célibataire. A croire qu’il est... Non, ce n’est pas possible ! Je l’ai élevé comme il fallait. Je ne l’ai jamais laissé se plaindre. Je ne lui ai jamais fait de compliment. Un homme, c’est solide et faut que ça bosse. Mon père m’a appris ça, pauvre homme, enfin, tant qu’il était en vie... Et j’ai réussi, non ? Je me suis fait tout seul et j’en suis fier, bordel ! Maintenant, j’en profite, tant que je peux encore, puisque personne n’a plus besoin de moi. Je me demande pourquoi il fait tout le temps la gueule. Peut-être il a besoin de vacances ? Tiens, je pourrais faire, ça, l’emmener en vacances. Ca lui ferait du bien. Une petite croisière en Méditerranée... Narwa Roquen, à chacun sa vérité Ce message a été lu 6261 fois | ||