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De : Estellanara Page web : http://estellanara.deviantart.com/ Date : Samedi 9 decembre 2006 à 13:48:22 | ||
Après une rapide partie de papier-caillou-ciseaux pour décider qui parlerait le premier, Carl recula d’un pas. Sa collègue parcourut du regard la foule attentive. Callista était une femelle cafard des plus séduisantes. Ses antennes articulées étaient longues et minces comme des fouets, ses quatre ailes d’une transparence de cristal. Elle dégageait une envoûtante senteur de rance. Elle prit la parole d’une voix vibrante : - Mes frères et soeurs, nous vivons une tragédie !! Les humains, kreee, ont trahi notre confiance et nous ont blessés dans notre propre chair ! Oui, oui, scanda l’assistance ; et certains se tordaient les pattes de désespoir. - Ils nous ont traités comme des nuisibles alors que nous accomplissons une oeuvre de santé publique en détruisant les déchets, frrrronrr. Qui est donc le plus nuisible ? Le cancrelat qui élimine les détritus ou l’humain qui les a produit ?? L’humain, l’humain, fredonna la foule, indignée par tant d’injustice. - Pire que ça, shriii, les hommes nous ont traités comme des objets, nous déniant le droit de vivre ! Nous devons regagner le respect qui nous est du, kkk, par la force s’il le faut ! A bas la discrimination !! Un déchaînement d’applaudissements suivit cette déclaration. Les auditeurs entrechoquaient leurs cerques abdominales pour marquer d’encore plus bruyante façon leur approbation. Callista se lissa gracieusement les antennes et reprit : - Les produits chimiques ont corrompu nos sources alimentaires, rrritt. Il faut switcher ASAP sur le mode offensif avant que le black-out ressources n’impacte tous les users. Un silence perplexe tomba tandis que l’assistance ouvrait de grands yeux. L’oratrice fit la moue : - Pardon... Comment allons-nous subsister les mois à venir ? Comment nourrirons-nous nos jeunes, zzitzz ? Que leur dirons-nous quand ils tendront vers nous leurs petites pattes avides ? Quand leurs ventres crieront famine ? Quand leurs petits yeux humides se lèveront vers nous ? Toutes les mamans cafards essuyèrent une larme et tous les papas cafards leur mirent une patte sur l’épaule pour les réconforter en reniflant discrètement. - Oui, mes frères et soeurs, shreee, c’est de notre survie qu’il s’agit ! Il faut lutter, sous peine de disparaître ! L’affrontement est notre seule solution. N’attendons pas que nos réserves s’épuisent pour réagir, akakkk ! Si cette situation continue ne serait-ce que quelques jours, nous courons à la catastrophe. Et nous savons que l’ennemi n’a pas utilisé tout son potentiel de mort. Oui, nous savons de source sûre que les humains possèdent des armes de destruction massive !! Un murmure d’horreur parcourut l’assemblée. Callista se lissa de nouveau les antennes avant de reprendre d’une voix altérée par l’émotion : - Ils ont des gaz... des poudres terribles... des poisons encore plus violents que ceux dont nous avons fait l’expérience, shrikkk. Nos espions les ont vus dans la chambre de l’humaine à la blouse verte, srress. Les créateurs de ces armes ignobles poussent le vice jusqu’à représenter des cafards morts sur les emballages ! Contre cette barbarie, la guerre est la seule solution !! La guerre, la guerre reprit la foule en choeur. Un peu partout, des poings griffus se levaient et on entendait claquer des mandibules. Des opposants à la confrontation se manifestaient également et chacun tentait bruyamment de convaincre son voisin. Le crieur dut appeler au calme en frappant un tesson de bouteille avec une vis. Le brouhaha s’apaisa progressivement et Callista reprit d’une voix douce : - Enfin, kkk, je vous demande d’accueillir notre ami Carmelo. Celui-ci s’avança péniblement. Il faisait peine à voir avec ses appendices tordus et rongés par les produits chimiques, sa chitine à demi corrodée. Il utilisait une armature métallique de bouchon de champagne comme déambulateur et dégageait une vague odeur de brûlé. Sur son passage, les blattes tendaient leurs antennes et l’effleuraient avec délicatesse pour lui manifester leur compassion. On hissa le pauvre bougre sur l’estrade tandis que l’oratrice continuait : - Carmelo est l’un des survivants des atrocités de la semaine dernière. Il se promenait, frrr, dans le couloir lors de la première vague d’eau de javel. Raconte-nous ce qui s’est passé, Carmelo. - Ben... je me baladais tranquille sur le carrelage, kriiikr... Je cherchais un truc à manger, normal quoi. Au loin, akakk, je voyais une grande forme verte avec un chiffon noué sur la tête et qui faisait des trucs et des machins. Et là, y a eu comme un nuage toxique. Ca puait, je pouvais à peine respirer ! Un peu comme au deuxième étage quand la vieille humaine fait le ménage mais pire, srisrii. J’ai entendu un roulement de tonnerre, je me suis retourné pour voir d’où ça venait et c’est là que je l’ai vue... L’auditoire retint son souffle, attendant la suite avec anxiété, même si beaucoup connaissaient déjà l’histoire. - Une énorme vague qui me fonçait dessus ! Un raz de marée de mousse puante ! J’ai pas pu l’éviter... J’ai été balayé, frofrro. L’eau chaude est rentrée dans mes trachées et le truc toxique a commencé à bouffer ma carapace. Ca me faisait un mal de chien, fshhh, et je pouvais plus respirer. J’ai appelé au secours et je suis tombé dans les pommes. Quand je me suis réveillé, dzziiit, je savais pas où j’étais. Je pouvais à peine bouger tellement j’avais mal. C’était horrible... Alors, j’ai rampé et j’émettais des phéromone de détresse... Pis, deux potes m’ont trouvé et me vlà... - Tous n’ont pas eu cette chance, enchaîna Callista d’une voix étouffée en essuyant ses larmes. Beaucoup d’entre nous ont péri, riiirt. Dans cette assistance, nombreux sont ceux qui pleurent un frère, kreee, un ami, un enfant... Et ceux qui ont survécu sont aujourd’hui mutilés... Mes frères et soeurs, je vous le dis : plus jamais ça ! Vengeance !!! Oui, oui, répondit la foule avec ferveur, vengeance pour nos frères ! Mort aux humains ! Callista se retira en saluant sous les applaudissements déchaînés. Les cancrelats bondissaient sur place et des invectives guerrières fusaient du peuple en délire. Le bac à fleurs tout entier vibrait de la frénésie des insectes. Le crieur remonta sur la boîte de thon et réclama à grand peine le silence : - Amis, nous venons d’entendre Callista, zrrizt, honorable représentante du troisième étage. Avant d’écouter son contradicteur, nous allons faire une petite pause car tout le monde doit avoir faim. Un buffet, kkk, et quelques rafraîchissements sont à votre disposition dans le coin du bac, shreee. La séance est levée pour un quart d’heure. Oubliant instantanément toute velléité belliqueuse, les cafards se ruèrent avec un vorace enthousiasme vers le buffet. Des mets particulièrement appétissants avaient été disposés : moisi de pizza, épluchures de pommes de terre, marc de café et papiers gras. Les auditeurs se servirent du lait tourné et trinquèrent à l’avenir, quel qu’il soit, et à la démocratie. Des discussions passionnées s’engagèrent sur les derniers évènements. Même si l’oratrice avait été extrêmement convaincante, la majorité du public attendait la suite pour se faire une opinion définitive. A peine leur portion engloutie, les bébés étaient partis jouer et ils couraient joyeusement en tous sens en poussant des cris perçants. Ils se poursuivaient, se chamaillaient, se roulaient par terre et sautillaient partout. Certains montaient sur l’estrade et faisaient semblant de discourir, déclenchant l’hilarité de leurs camarades. Quand l’entracte prit fin, les parents cafards eurent un peu de mal à les discipliner et durent administrer aux plus récalcitrants une tape sur chacune de leurs six pattes. Le crieur reprit son poste. ... à suivre. Ce message a été lu 6708 fois | ||
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