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De : Maedhros Date : Vendredi 15 decembre 2006 à 21:55:59 | ||
Un texte contemporain...et une scène de guerre de l'ombre. ---------------------------------- La nuit fut longue et solitaire. Je suis au coeur de cet instant magique où l’obscurité ne s’est pas encore dissipée mais où l’aurore borde déjà le dentelé des montagnes au-dessus. Tout est calme et endormi. Je me sens comme un flibustier dont le bateau glisse silencieusement sur son erre dans un banc de brouillard blanc. Une ombre pâle s’est faufilée entre les grands arbres sur ma gauche, à quelques de mètres moi. Un cervidé à en juger par ses bois qui m’ont semblé cependant assez courts. L’animal n’a pas senti ma présence. Il devait se hâter de rejoindre Annwvyn, un monde qui n’existe plus par ici. Les bribes d’un ancien cantique me reviennent alors à l’esprit : J’ai été un bateau sur la mer. J’ai été un chef de guerre. J’ai été une épée dans la main. J’ai été un bouclier dans la bataille. J’ai été la corde d’une harpe Retenue par un enchantement pour une année Au fond de l’eau écumante. J’ai été un tisonnier dans le feu. J’ai été un arbre dans un fourré. Il n’y a rien que je n’aie été. C’est curieux. Je croyais avoir oublié ces mots. Le sang charrie bien plus que des hématies et des leucocytes. Il y a aussi des voix murmurantes dans la pulsation du pouls et le frémissement des veines. Des voix ténues, fantômes d’un autre temps. Je suis ce matin si loin de ces rivages où ont chanté les druides sous les frondaisons des chênes centenaires. Hélas, la course des étoiles ne s’est pas arrêtée. La clarté grandit insensiblement, chaque seconde repoussant un peu plus les nappes d’obscurité qui se blottissent à présent sous le couvert de la forêt qui descend vers le bourg niché au coeur de la vallée. L’aube pointe. En contrebas, une route grisâtre et déserte serpente sur le flanc de la montagne pour rejoindre le hameau, vague rassemblement de petites maisons sinistres et en piteux état pour certaines d’entre elles. Je respire profondément, laissant la tension doucement s’évacuer. Je saisis le fusil délicatement posé sur ses béquilles. C’est mon arme soeur, le double de mon âme. Si elle m’appartient, une partie de moi est profondément enfouie en elle. C’est une arme magnifique, longue et agile, parfaitement équilibrée. La pureté de ses lignes n’a rien à envier à celles des filles de Prague ou de Belgrade. Sa livrée de camouflage aux dégradés verts et bruns et la lunette de précision rehaussent son aspect agressif, de bête endormie. Je colle un oeil dans le collimateur. Malgré la distance, je peux discerner le chewing-gum collé sur le rebord du bassin de la fontaine moussue, unique ornement de la place centrale du village. Je vérifie la hausse et la marque laser sur une cannette de bière trainant par terre près de la margelle. J’aperçois un mouvement sur la route, à l’est. C’est un 4x4 sans signe distinctif qui roule à vitesse réduite, tous feux éteints, vers le village. D’après les renseignements, la cible est à l’intérieur. Cela fait trop longtemps qu’il échappe aux poursuites judiciaires lancées contre lui. L’opération K a été finalement décidée pour mettre un terme à cette cavale obscène. Justice doit être rendue. Les faucons ont gagné et je suis l’instrument de cette sentence. Lentement, je m’installe dans la position de tir habituelle du sniper. Même un observateur aguerri regardant dans ma direction avec de puissantes jumelles ne pourrait me localiser. Mon Accuracy.338 Lapua Magnum est parfaitement immobile et indiscernable. Le 4x4 vient s’immobiliser à quelques pas de la fontaine. Les portières ne s’ouvrent pas immédiatement, le service est expérimenté et connait les procédures. Une bonne minute s’écoule. Je patiente toujours. Le jour est presque là, l’aiguille de ma montre s’avance vers 6 heures. Une silhouette entre dans mon périmètre de vision. C’est un homme qui porte une veste de treillis par-dessus un jean. D’allure sportive, il tient d’une main une arme automatique, de l’autre un talkie-walkie. Il s’approche du 4x4 dont la portière avant droite s’ouvre. Un autre individu sort du véhicule. Il ne correspond pas au bourreau de Srebrenica. Les deux hommes se font face et je peux voir leurs lèvres bouger. L’un d’eux éclate de rire. Puis, ils regardent tous deux vers la portière arrière droite qui s’ouvre à son tour. J’ai attendu cet instant si longtemps. L’entraînement a été difficile et la traque pénible. Je reconnais d’emblée le personnage qui serre la main de l’homme au talkie-walkie. Une crinière de cheveux poivre et sel, une corpulence épaissie, des traits tirés mais c’est bien lui. L’homme sur la photo, ce général convaincu de crimes de guerre particulièrement ignobles. Sa tête emplit la mire. Il rit aussi. Je voudrais bien savoir pourquoi il rit. Il est si proche du royaume des morts. Je replie très lentement mon index sur la gâchette du fusil. C’est un mort qui rit maintenant ! Encore une légère pression et son crâne explose littéralement tandis qu’il est projeté au sol comme un pantin désarticulé. Il est pile 6 heures, justice est faite. Certes c’est une justice de l’ombre mais cela devenait trop compliqué autrement. A huit cents mètres de cet épilogue, je jette un dernier regard sur cette scène de guerre quand de l’autre côté du véhicule jaillit un enfant d’une dizaine d’années qui hurle sans bruit en se précipitant vers le cadavre... M Ce message a été lu 7433 fois | ||
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