"Tout le monde parle de Merlin, pourquoi pas moi ?"
- extrait de pensées du matin, par l'auteur.
Il a été dit que chaque fois que pousse un champignon, il naît quelque part dans le monde une version différente de l'histoire de Merlin. Nous voila donc avec un magicien au chapeau pointu couvert d'étoiles, ou bien un vieux farceur minable qui essaie d'attraper des poissons dans la rivière, ou encore un terrifiant sorcier mi-druide, mi-démon... on pourrait y passer la nuit. Toutefois, si l'on regarde ce qui a été dit avant Hollywood, on s'aperçoit que c'est fouillis, mais qu'on peut s'en sortir.
Chapitre 0 : Pourquoi est-ce fouillis ?
On a, en gros, quatre ou cinq sources principales : des poèmes attribués à Merlin (500-600 AD), l'historia Brotonnium (830), le Didot-Perceval de Robert de Boron, le Morte d'Arthur de Sir Thomas Mallory (1130) et la Vita Merlini de Geoffroy de Monmouth (1132).
En gros.
La difficulté vient (entre autres) du fait que l'on a plein d'histoires qui se ressemblent, mais avec des acteurs différents. Alors est-ce qu'il y a eu deux épisodes qu'on a rapprochés, ou bien est ce un seul épisode scindé en deux versions ? Toujours est-il que l'on trouve Myrddin, qui a fait les mêmes choses que Lailoken, qui a eu les mêmes aventures qu'Ambrosius ou Siubhné, que son nom est devenu Merrdin, puis Merlin (le traducteur a trouvé la sonorité de Merrdin trop proche de celle du mot " crotte ", d'où Merlin.)
Rajoutons à ça que chacun traduit et brode comme ça l'arrange... c'est le fouillis.
Nous nous ficherons donc comme d'une guigne de la rigueur historique, et appelleront tout ce beau monde Merlin.
Chapitre 0,5 : Pourquoi Merlin fait-il les mêmes choses au pays de Galles, en Cornouailles et en Bretagne, et à des époques différentes ?
Et bien parce que Merlin fait ce que les livres disent qu'il fait (ce qui peut prêter à réflexion). Par exemple, les libertés prises par Geoffroy de Monmouth, qui se rallia à la cause des Plantagenets qui ont dominé la Bretagne et une partie de la France : ces Plantagenets avaient des prétentions sur l'Europe du Nord-ouest, et avaient besoin d'appuis pour cela. Or, à cette époque (il y a longtemps), les lettres de noblesse, c'étaient les chansons de gestes, les lais, et tous ces trucs longs et ennuyeux. Ils ont donc importé la légende du roi Arthur, glorieux maître de la Grande et Petite Bretagne, et son conseiller : Merlin. Et voila notre sorcier traverser les pays et les siècles. En gros, nous considérerons que tout ce qui suit se passe au Nord du Pays de Galles.
Maintenant, je pourrais essayer sans succès d'expliquer comment les histoires et les textes ont fusionnés ou se sont divisés, les différentes versions et les preuves historiques, mais ce serait sans succès, alors nous allons directement passer à ce qui fait que Merlin, c'est rigolo.
Chapitre 1 : La naissance de Merlin
La version romancée.
Pour contrecarrer la montée en puissance du christianisme fatalement monothéiste, les vieux dieux / les esprits de la Nature / le Diable (pour les mystiques) décident de créer leur propre messie, qui naîtra lui aussi, d'une femme pure et vierge. Ce sera la princesse de Dyfed (dans le Pays de Galles) un esprit de l'air (ou un incube, voir le Diable lui-même) la viendra visiter pendant son sommeil, et un jour, paf ! Merlin (qui sera baptisé à temps pour renier le coté obscur de sa paternité, ou bien pour l'accepter et créer un être plein de paradoxes et d'ambivalence, plein de pouvoirs. A ce sujet là, certains mystiques se sont vraiment déchaînés.) Merlin sera pour certains élevé dans les bois par le père Blaise, un moine parfois considéré comme un druide.
La version plus terre-à-terre.
Cette même princesse de Dyfed, qui vivait au couvent, se retrouva un jour enceinte jusqu'aux oreilles, ce qui n'allait pas manquer de dévoiler la liaison qu'elle entretenait avec son amant, et jeter le déshonneur sur sa famille. Quelques bardes complaisants tentèrent de sauver le coup en inventant des histoires à dormir debout à propos d'esprits invisibles.
Chapitre 2 : Où Merlin risque la mort, mais s'en sort bien finalement.
Un enfant bâtard, une fille-mère, des paysans en mal de lynchage, en voila assez pour que Merlin et sa mère soient jugés selon la coutume de l'époque.
Merlin, encore enfant, reste impassible devant les accusations du juge, et répond : " Je connais mieux mon père que toi le tien. " Le juge, ennuyé, fait venir sa propre mère, et elle avoue, en larme, qu'il est en réalité fils de prêtre. Le juge, dépité, laisse partir Merlin et sa mère.
Un peu plus tard, le roi Vortigern (Gwrtheyrn : le Grand Roi) s'inquiète de l'avancée des Bretons (Britons). En effet, après le départ des Romains, Vortigern le Saxon a usurpé le trône qui revenait aux Bretons, réfugiés en Armorique (où, irréductibles, ils résistent). Toujours est-il que Vortigern veut construire une forteresse imprenable pour résister au retour des Bretons, mais chaque nuit, les tours construites s'effondrent. Les mages lui disent qu'il faut faire couler le sang d'un enfant sans père sur les fondations et, après de longues recherches, Merlin est amené devant Vortigern, et se met à rire (ce n'est pas la dernière fois).
" Mon roi, déclare-t-il, tes mages te mentent. Ce château s'effondrera toujours car il est construit au-dessus d'une caverne où se battent deux dragons. Le dragon blanc a pris la caverne, et le dragon rouge vient la reprendre, et même s'il se bat vaillamment, le dragon blanc va périr. " Merlin prophétise ainsi le retour des Bretons (rouge) et la défaite des Saxons (blanc). Vortigern, dépité, le renvoie dans les bois.
Alors que Merlin pleure son dénuement et la rigueur de l'hiver dans la foret, (car tous les chants de Merlin sont de longues et tristes complaintes sur sa solitude), il est reconnu par un valet de sa sœur Gwendydd (Ganieda), la sœur de Merlin. Celle-ci l'envoûte et le fait venir à la cour du roi Rodarcus, son mari. Il est accueilli avec bienveillance, mais à la vue de la foule, la folie le reprend, et il s'enfuit dans la forêt à nouveau, et le roi le fait ramener de force.
Un jour, Rodarcus enlève des cheveux de sa femme une feuille morte, et Merlin se met à rire. Rodarcus lui demande pourquoi, et Merlin dit que cette feuille vient de l'arbre où elle a retrouvé son amant le matin même. Gwendydd, pour sa défense invoque la folie de son frère, et dit qu'il n'a aucun don de divination. Le roi décide de le tester, et lui présente un enfant, lui demandant comment il va mourir. Merlin déclare que l'enfant mourra d'une chute. Le roi lui présente un autre enfant qui n'est autre que le premier, mais maquillé et déguisé, et repose sa question. Merlin répond que l'enfant mourra dans la rivière. Le roi recommence, et Merlin dit que l'enfant mourra accroché à un arbre. Le roi est satisfait et libère Merlin. Il pense que celui-ci est vraiment fou, et que sa femme est fidèle.
Trois jours plus tard, l'enfant tombe d'une falaise, s'écrase dans la rivière, et dérive jusqu'à ce que son corps soit accroché par une branche basse.
Le roi est dépité.
Merlin retourne donc à la solitude des bois, mais il fait un jour une chute, et est récupéré par les gardes du roi, qui le fait enfermer. Un jour, Merlin voit un homme acheter des chaussures, et un mendiant s'asseoir et se met à rire. Le roi lui demande pourquoi, et Merlin promet de répondre s'il est libéré. Le roi accepte, et Merlin explique que l'homme mourra ce soir, et que le mendiant est assis sur un trésor.
Encore une fois, Merlin retourne sur son arbre (un pommier en général).
Les Bretons reviennent en force, Vortigern est tué, et Aurelius Ambrosius (Emrys Gwledig) reprend son trône, bientôt succédé par son frère : Uther Pendragon.
Chapitre 3 : Et Arthur dans tout ça ?
Après qu'Uther Pendragon ai repris son trône, il doit encore combattre les derniers restes de l'armée Saxonne de Vortigern. Il est aidé en cela par plusieurs rois, entre autres Gorlois, époux d'Igraine (Ygerna, Eigr), résidant à Tintagel. Il advint qu'un jour, Uther aperçut Igraine, et en tomba éperdument amoureux. Celle-ci repoussait toutefois ses avances, jusqu'à ce que Gorlois s'en aperçoive, et déclare la guerre à Uther.
Uther fait appel à Merlin et celui-ci lui donne l'apparence de Gorlois, parti en guerre. Uther parvient jusqu'à la chambre d'Igraine, qui s'offre à lui.
Merlin avait cependant posé une condition : " Si un enfant venait à naître lors de cette union, il sera mien. " Gorlois est tué à la bataille, Uther épouse Igraine, et elle donne naissance à un enfant : Arthur, qui sera immédiatement emporté par Merlin.
Celui-ci donne l'enfant à un chevalier du nom d'Ector pour qu'il l'éduque comme son propre fils : Kai (qui deviendra un très fameux chevalier de la Table Ronde, et a qui on a prêté une force incommensurable et une armure terrifiante.)
Arthur grandit, il y a la guerre un peu partout. Un jour, Arthur a cette grande phrase : " Il me faudrait quelque chose pour me curer les ongles. "
Chapitre 4 : Excalibur.
Là encore, il y a plusieurs versions. Viviane, la Dame du Lac, élève de Merlin (on y reviendra), la donne à Merlin qui l'offre à Uther Pendragon. Celui-ci, à l'article d'une mort indigne, la plante profondément dans un rocher pour qu'elle ne tombe pas entre de mauvaises mains. Sur le rocher est gravé " Sera Roi de toute l'Angleterre celui qui pourra l'arracher à la pierre. "
Il vint évidemment des légions de chevalier désireux de tenter leur chance, sans succès, jusqu'à ce qu'Arthur, écuyer, sorte Excalibur de son rocher presque par accident.
Dans une autre version, Uther ne la touche jamais, c'est Viviane qui la plante directement dans la pierre. Dans une autre version encore, on saute l'étape du rocher, et Arthur, comme pour un second baptême, rentre dans l'eau du lac pour prendre l'épée des mains de la Dame (du lac).
Après quelques turpitudes, et grâce à son épée, Arthur s'impose comme le Roi de toute l'Angleterre, et obéit aveuglément aux ordres de Merlin, même les plus absurdes. Pour la petite histoire, Arthur, au cours de son combat contre Lancelot, se montrera indigne de son épée, qui se brisera pour lui signifier son orgueil. Arthur, pris d'un profond repentir, ira retrouver la Dame du Lac, qui lui rendra l'épée entière (reforgée ?).
Chapitre 5 : Les Grandes Choses.
Alors qu'Ambrosius, le frère d'Uther est encore sur le trône, il demande à Merlin de lui prophétiser l'avenir. Merlin refuse, mais lui dit " Si tu veux honorer tes morts avec une sépulture perpétuelle, envoie des messagers au Cercle des Géants, qui se trouve sur la montagne de Cillara en Irlande. Grandes sont les pierres qui s'y trouvent, et elles n'ont pas leurs pareilles en vertus. Qu'on les range en cercle là où je dirai, et elles tiendront éternellement. " Ambrosius envoie Merlin et une armée conduite par Uther. Après avoir vaincu le roi d'Irlande, ils tentent de monter les pierres à bord des navires, mais n'y parviennent pas. Merlin sourit et use de sa magie pour tout transporter, pierres, hommes et navires sur une colline au sud de l'Angleterre : Salisbury : Stonehenge.
Plus tard, à la cour d'Arthur, Merlin parle ainsi : " Roi, il t'appartient de créer une nouvelle chevalerie. Dieu a décidé qu'un compagnonnage s'établira autour de toi. Ce compagnonnage sera symbolisé par une Table Ronde, ou nul n'aura préséance. Grâce à ce compagnonnage sacré, il adviendra de grands biens et de grandes merveilles à ce royaume. Mais à la droite de mon seigneur le Roi, demeurera toujours un siège vide en mémoire de notre Seigneur Jésus Christ : personne ne pourra s'y placer sans risquer le sort de Moïse qui fut englouti en terre hormis le plus grand chevalier du monde, qui conquerra le Saint Graal, et en connaîtra le sens, et la vérité. " Le Roi accepte, et aussitôt apparaît une grande table ronde de pierre et cent cinquante sièges de bois. Les chevaliers jurent de respecter les règles de leur nouveau compagnonnage, et Merlin retourne à sa forêt.
Après de très nombreuses aventures, le chevalier Perceval trouve le Château du Roi Pêcheur, gardien du Graal, et en devient maître. Merlin a quasiment fini son travail. Il a unifié l'Angleterre, formé une chevalerie droite et puissante, et sacrée devant Dieu et les hommes. Il se retire encore à Brocéliande, et si pour lui la vie publique est terminée, il ne faut pas oublier que Merlin est avant tout un ermite.
Chapitre 6 : Le Fou du Bois.
Quelle que soit la version ou le fragment de mythe que l'on observe, Merlin est toujours attaché à la forêt : il vit dans les bois, prophétise du haut d'un pommier, commande à un troupeau de bêtes sauvages... Après la bataille d'Areryd, où il triomphe, le ciel lui tombe sur la tête, il perd la raison et s'enfuit dans la nature. Merlin devient le fou du Bois.
Maintenant, un point culture.
Il apparaît que les celtes n'ont jamais construit de temple, ils vénéraient des pierres, des arbres, des clairières sacrées où les druides seuls (sans la population) officiaient : la cueillette du gui n'est pas sacrée sans raison. En effet, le grand arbre symbolise l'axe du monde, le druide qui y monte est supposé occuper le centre de l'univers, et tout percevoir de lui, il est pris de transe extatique, et a d'étranges visions.
Merlin vivait sur un pommier, arbre au rôle considérable : c'est l'arbre du paradis, l'arbre fruitier par excellence. D'en haut de son arbre, Merlin est au centre du monde et il prophétise l'avenir. Dans beaucoup de mythes, Merlin est vu comme un être paradoxal, créé de Dieu et des esprits de la nature, comme une tentative de réconciliation entre les religions païennes et catholiques.
Dans tous les cas, Merlin n'appartient plus à la société des hommes. Il doit y être amené de force, et emprisonné. Après l'arrivée d'Arthur, il fait de rares et brèves apparitions dans les villes, et seulement pour conseiller, prophétiser, ou faire de la magie, il retourne ensuite invariablement à ses bois.
Merlin change d'apparence à volonté, mais il est souvent présenté comme un être contrefait, particulièrement velu, avec de grandes oreilles et un visage plat et laid, et une bouche large comme la face. De plus, ses manières sont celles d'un rustre. Il n'hésite pas à venir à la cour d'un roi avec son troupeau de bêtes sauvages, et à lancer un bois de cerf à son visage, et à repartir.
Merlin n'appartient pas à la société des hommes, il ne l'aime pas, il n'y est pas adapté. Par contre, il peut aller là où les hommes n'osent braver l'interdit religieux : dans les forêts sacrées, où seules peuvent pénétrer les personnes touchées par une grâce particulière, ayant atteint un niveau d'extase suffisant pour dépasser l'illusoire aspect matériel de la forêt.
On peut aussi le dire fou.
Chapitre 7 : Merlin et ses femmes.
Dans la Vita Merlini, le grand amour de Merlin ne va pas à son épouse Guendolonea, mais à Gwendydd (Ganieda) sa sœur.
C'est Robert de Boron, auteur du Didot Perceval, qui en bon cistercien a transformé Ganieda, la sœur incestueuse en Viviane, Dame du Lac, vierge et pure mais rusée. Après, c'est étymologiquement très tordu, mais Viviane et Gwendydd signifient toutes deux " blanche, blonde et belle ", et sont une seule et même personne.
On se rappelle l'histoire où Merlin rit de voir dans les cheveux de sa sœur une feuille de l'arbre où elle a rencontré son amant. Certains ont dit que Merlin, jaloux, souhaitait briser sa relation avec le roi, ou que Merlin était au courant parce que l'amant, c'était lui.
Ces rapports incestueux que Merlin entretenait avec sa sœur montrent à quel point il a été divinisé. L'inceste est interdit au commun des mortels, il est réservé à des êtres d'élite, suffisamment forts pour supporter le choc magique que provoque une telle union.
Enfin, il convient de considérer Morgane. En effet, Merlin a eu deux élèves : Viviane et Morgane, une des sœurs d'Arthur (on rappelle qu'Arthur eu des relations incestueuses avec l'une de ses sœurs, et que de cette union naquit Mordret). Or Morgane est devenue une magicienne supérieure, elle incarne la déesse-mère des anciens celtes, de plus elle est décrite comme " la femme la plus chaude de la plus luxurieuse de toute la Bretagne."
Et elle tient de Merlin tout ce qu'elle sait.
Viviane mérite un chapitre entier, alors :
Chapitre 8 : Viviane.
Le personnage de Viviane a évolué au fil des intentions des traducteurs et des conteurs. D'une manière générale, elle est la pure et vierge blancheur, la Dame du Lac, l'esprit de la fontaine de Barenton, Diane-Artémis (comme Merlin peut être Dagda, le druide des dieux, le Dieu-druide) et même parfois, la reine des fées.
Comme Merlin a été associé à l'Arbre, Viviane est associée à la source, considérée comme la naissance de la Terre, le lieu hautement sacré pour les celtes, où les forces divines s'exercent sans retenue. L'arbre et la source sont deux puissants symboles de la terre et de l'univers... et il se trouve qu'ils couchent ensemble.
Toujours est-il que Viviane rencontre un jour Merlin au bord d'une fontaine, et celui-ci en tombe immédiatement amoureux. Elle lui demande quelle profession il exerce, et il lui répond : " soulever des châteaux, ou marcher sur un étang sans se mouiller les pieds, ou faire courir une rivière là où il n'y en a pas. " Très intéressée, Viviane lui promet son amour si Merlin lui explique ses tours. De sa baguette, il frappe la fontaine, et fait apparaître un magnifique château, plein de chevaliers et de dames. La fête dure longtemps, puis tout disparaît sur un signe de Merlin, sauf un verger nommé " repaire de joie ".
Avant de la quitter, Merlin lui apprend certains tours, puis il va auprès d'Arthur poser les fondements de la Table Ronde.
Plus tard, de retour à Brocéliande, il retrouve Viviane, qui lui demande comment faire dormir un homme aussi longtemps qu'elle voudrait. Merlin n'est pas dupe, et refuse de lui enseigner. Viviane réitère sa demande, elle le pousse à lui montrer plusieurs tours mais se refuse toujours à Merlin, qui n'en veut qu'à son pucelage...
Le spectacle touche à sa fin, le rideau se lève sur le dernier acte.
Chapitre 9 : La fin-qui-n'en-est-pas de Merlin.
Merlin a accompli tout ce qui devait l'être par lui : il a unifié l'Angleterre, posé les bases d'une chevalerie noble et forte devant les hommes et devant Dieu en découvrant quelques-uns des mystères du Graal. Il a également élevé Stonehenge, bâti avec les pierres magiques qui soignent les maladies et la folie.
Merlin peut tirer sa révérence.
Plusieurs fins lui ont été attribuées. Merlin le fou du bois s'enfuit pour toujours au fond des forêts, Merlin l'amoureux éperdu est trahi par Viviane et est enterré sous une pierre, Merlin sage s'en va faire retraite avec Blaise, son mentor, Merlin savant se retire dans la maison aux soixante-dix fenêtres construite pour lui par sa sœur, et contemple le monde. La plus courante cependant est celle-ci : Merlin, amoureux fou de Viviane lui aurait conté, alors qu'ils marchaient dans la forêt de Brocéliande, comment Diane usa de traîtrise pour se débarrasser de Faunus, son amant, alors qu'il était amoureux d'elle. En cela, Merlin annonce à Viviane qu'il sait ce qui va se passer juste après. Sur sa demande, il fait apparaître le plus magnifique château qu'on ai jamais vu, et lui enseigne encore plusieurs tours. Elle lui demande " Comment pourrais-je enserrer un homme sans tour, ni mur, ni fer, de manière qu'il ne puisse s'échapper sans mon consentement ? " Merlin hésite, mais comme elle met cette dernière condition pour se donner à lui, Merlin cède, et se retrouve dans une prison d'air, une chambre unique où Viviane le viendra souvent visiter.
Etait-ce par faiblesse que Merlin a cédé ? Ou bien sentant ses pouvoirs décliner, il donna le flambeau à Viviane. Ou encore, sachant sa tâche achevée, il se retire. Dans tous les cas, Merlin ne meurt pas. Comme Arthur endormi sur l'île d'Avalon, comme Chronos, qui n'est pas tué par Zeus, mais enchaîné, il est encore à portée. Que vienne un bouleversement de l'ordre des choses, et l'ancien dieu peut revenir, rendant au monde son ordre ancien. D'où le mythe de l'Age d'Or, et la possibilité de faire revenir le personnage dans de futures histoires.
Chapitre dernier : Où l'auteur se lance dans des considérations d'ordre cosmique.
Certains ont dit que Merlin avait servi d'archétype pour le personnage de Gandalf. Quelles sont les caractéristiques de Merlin ? Il est pauvre et errant, il conseille les rois, voit le futur, prends toutes les formes et toutes les voix, parle aux animaux, vit dans la forêt, et disparaît sans laisser de trace. Il semble plus exact de dire qu'il a servi d'archétype à tous les Istaris.
Quoi qu'il en soit, Merlin, c'est une brute. Il est une incarnation du dieu irlandais Dagda, le druide des dieux, le Dieu-druide. Dagda exprime la totalité de l'être réconcilié avec lui-même. Dagda échappe au temps parce qu'il est le passé, le présent et le futur, et cela, parce qu'il se trouve au sommet de l'Arbre du Monde. Il est Merlin. Il règne sur les pierres, les végétaux, les animaux, les hommes et les dieux. Au sommet de l'Arbre du monde, au centre de l'univers, il y a tout, tout converge et ne fait qu'un. Il n'y a plus de Bien et de Mal, rien n'est séparé, l'être a la possibilité de tout entreprendre. Merlin est une incarnation des plus puissants mythes celtes, des plus fortes croyances, les plus fondamentales aussi, la Nature brute, la voix des dieux (catholiques et païens) qui parle aux hommes.
Merlin ne vit pas avec les hommes, d'une part parce qu'il est bien au-dessus de ça, et aussi parce qu'il refuse la ville et la société, lui préférant la vie instinctive et sauvage.
C'est le dernier chapitre, toutes les véhémences sont permises, je me permettrai donc de citer Jean Markale : " Il ne s'agit pas de revenir en arrière et d'adopter une attitude passéiste, (...) on ne peut pas retrouver l'innocence primitive en remontant le temps, il s'agit plutôt d'aller de l'avant pour retrouver l'équivalent de cette situation primitive (...) Pourquoi Merlin a-t-il accepté l'enserrement ? Parce qu'il a compris que vivre loin de la Nature, c'est se vouer à la destruction. En plein XIIème siècle, époque où commence déjà à se dessiner le profil du Capitalisme dans les villes nouvelles livrées au pouvoir exclusif de l'argent, la figure de Merlin était un avertissement. La bourgeoisie reconstruisait un monde où l'édifice principal n'était pas l'église, mais l'hôtel de ville, le lieu principal non le cimetière, symbole de la communion des vivants et des morts, mais la place du marché. "
La figure de Merlin a lancé son avertissement. Il a tenté de conserver cet équilibre du monde si cher aux druides. Les cités celtes étaient assez autarciques et égalitaires, presque autogérées ; les romains ont tué les druides, construit des routes et apporté les villes, l'empire et la droite fasciste. Merlin se fait alors écologiste gauchisant.
Merlin est un gigantesque paradoxe, il unifie l'Angleterre mais vit dans les bois comme un druide païen, mais approche les mystères du Graal. Merlin nous rappelle que la contradiction n'existe pas dans la Nature, que tout est Un vu du haut de l'Arbre du Monde.
Pour en savoir plus : Merlin l'Enchanteur, de Jean Markale, éditions Albin Michel.