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Enfant et Ombre

Gémissement, râle, soubresaut d'un corps. Encore. Tordu de douleur, spasme libérateur d'un être à naître. Ultime contraction, violence d'un déchirement, entre deux cuisses ouvertes jaillit la vie. Couvert de sang, couvert de pleurs, Enfant vient au monde. Une ombre court sur un visage contracté de fureur, fureur d'être arraché à la quiétude. Déjà l'ombre grandit et creuse dans ce visage les sillons de ses ravages.

Enfant dort, Enfant s'est enfin calmé. Maman le contemple en souriant doucement. Mais ne voit-elle pas cette ombre dans le lit ? Non tout est normal, maman ne s'inquiète pas. Qui s'inquiète de son ombre ?

Mais Ombre est là. Née avec Enfant, elle grandit avec lui. Au début, bien sûr, Ombre est faible et petite, Ombre ne sait pas encore qui elle est, elle s'installe juste aux cotés d'Enfant, dans tout ses recoins qui lui font un nid douillet.

Puis, le temps aidant, Ombre apprend à se nourrir. Dans les nuits d'Enfant, elle croque un bout de rêve par-ci par-là. Certains sont plus durs à croquer, alors Ombre les lèche doucement, de sa langue d'ombre. Qu'importe, elle a le temps, elle les dévorera de toute façon. Ombre a l'instinct, elle sait qu'elle ne doit pas tout manger encore, sinon Enfant mourra, alors Ombre goûte les rêves d'Enfant petit à petit.

Ombre grandit, Enfant déjà ne croit plus à ses rêves. S'en souvient-il seulement ? A peine, juste ce qu'Ombre lui laisse encore, et puis Maman a bien aidé Ombre. N'a-t-elle pas affirmée à Enfant que les rêves ne sont que des rêves ?

Enfant croît, Ombre prend de la substance, ses griffes creusent et modèlent le corps d'Enfant pour s'y faire une place, Ombre se cale sous un sein, au creux de poils, sous un nez qui se forme. Enfant perd le lisse de l'enfance et arbore des traits d'adulte.

Mais Ombre prend trop de place maintenant, les pales rêves d'Enfant ne la nourrissent plus. Alors Ombre mord un peu de sommeil, Ombre dévore goulûment, déjà Enfant ne dort plus très bien. Et pendant les rares sommeils d'Enfant, Ombre creuse de ses griffes acérées des sillons de rides pour s'y installer. Ombre creuse et creuse encore ses sillons de vie, sans se rendre compte que le manque de sommeil et de rêve dévore enfant.

Ombre a faim. Toujours plus. Elle se nourrit de ce qu'elle peut maintenant : un peu de couleur, un peu de vigueur, un peu de temps... Enfant voit ses cheveux blanchir, Enfant perd la force de ses mains.

Ombre s'étale impitoyablement, Enfant s'étiole inexorablement. Enfant a le visage plissé comme une vieille pomme, Ombre s'y déploie avec délectation. Ombre a mangé un peu de voix, un peu d'ouïe, un peu de vue, un peu de souvenir, un peu de rire... Enfant parle fort de sa voix chevrotante, Enfant voit trouble, même les choses passées, Enfant oublie de rire de plus en plus souvent.

Et puis viens le moment fatidique, où Ombre a pris trop de place, où Enfant n'a plus assez de force, alors dans un dernier assaut goulu, Ombre avale l'âme d'Enfant qui n'est déjà plus. Corps d'Enfant se fige dans son dernier sommeil.

Une lueur parcourt Ombre. Lumière sur Ombre. Cris et sueurs, peur et douleur, d'un hurlement de nouveau-né, Ombre fait savoir au monde qu'enfin elle est complète.

Ombre est Enfant.

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© Miriamélé



Publication : 23 octobre 2004
Dernière modification : 07 novembre 2006


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2 Commentaires :

Estellanara Ecrire à Estellanara 
le 31-08-2005 à 20h02
Critique courte sans spoiler
Le début ressemble à de la poésie en prose. Ca peut se lire comme une réflexion sur le temps, le cycle de la vie... C'est sombre mais joliment mené.
Narwa Roquen Ecrire à Narwa Roquen 
le 29-10-2004 à 19h11
J'aime beaucoup!
Je rejoins Est' : c'est de la poésie en prose. J'aime le dépouillement et la force, chaque petite phrase anodine et pourtant lourde de sens.
Je râle (pour le principe!) sur les 2 ou 3 répétitions de mots ( griffes, rides, sillons); avec quelques variantes ou synonymes c'eût été parfait! Je suis un peu perfectionniste, mais ily a un vrai talent là-dedans, alors mets-le en valeur!


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