Chronologiquement, l'histoire de ce texte chevauche celle de l'adieu aux Loups, il s'agit donc de la suite du récit Riv ha Tan, Danse du Froid et du Feu. Son sujet principal n'est pourtant pas le même que celui des deux textes précités, mais lui est parallèle et se passe sur les mêmes lieux, c'est-à-dire au nord d'Avallac'h, l'île-Lune.
Une douzaine d'enfants Korrigans jouait à chat sur la lande, avec la vivacité et la joie si propre à leur âge et à leur espèce. Tous étaient moins qu'à demi vêtus, brûlant au soleil leur peau bronzée, et hurlaient en se poursuivant et se bousculant. Ils couraient, sautaient et se roulaient par terre avec un plaisir évident. Plus d'un s'était écorché ou coupé sans même s'en rendre compte. Leur jeu les occupait tant qu'ils ne prêtaient pas la moindre attention à leur observateur.
Lui était assis en haut du dolmen, jambes pendantes dans le vide, et les regardait d'un oeil terne d'ennui se courir après avec des cris joyeux, pépiant et babillant avec toute la candeur des enfants qui découvrent la vie. Ce n'est que lorsqu'ils se lassèrent de leur jeu de loup qu'ils s'aperçurent de sa présence. Il n'était guère plus vieux qu'eux, quinze ou vingt ans tout au plus.
- Eh, Monsieur J'sais pas sourire j'sais pas parler, lança l'un des enfants, qu'est-ce que tu fais, là-haut ? T'as perdu un de tes bouquins ?
- Ou alors il se chronomètre pour savoir combien de temps il peut rester hors de la bibliothèque ! renchérit un autre.
L'intéressé n'avait pas cillé. Son regard s'était simplement perdu dans le lointain, avec une calme indifférence aux quolibets qui ne cessaient à présent d'affluer du groupe de petits. Il ne changeait jamais, tout juste prenait-il quelques centimètres. Kwarell. Une silhouette maigre, petite, habillée d'une peau d'une pâleur anormale pour celle d'un Korrigan, flottait dans ses braies pourtant étroites. Il semblait découpé tout en finesse : ses membres, ses mains, ses griffes, son visage presque elfique... Il ne ressemblait pas aux autres Korrigans. Pourtant, c'en était bien un, sans l'ombre d'un doute, il suffisait pour s'en assurer de regarder une seconde ses oreilles immenses, effilées vers l'arrière, avec ce petit lobe pointu si caractéristiques du Petit Peuple Sous la Terre. Ces oreilles se nichaient au creux d'une chevelure d'un blanc platine, soigneusement coupée au carré un centimètre sous son lobe, et bizarrement agrémentée d'une paire de longues mèches noires qui, tombant sur ses épaules, encadraient son visage et tranchaient non sans violence avec sa peau. Entre ces deux mèches brillaient deux immenses yeux très noirs. Ils faisaient environ deux à trois fois la taille de ceux des Elfes, comme presque toujours chez les Korrigans, qui ne vivent pas pour rien dans l'obscurité de leurs tunnels. Ses sourcils, eux aussi, étaient noirs. Tout le reste de son corps était blanc, même ses lèvres maladives. Et malade, Kwarell l'était.
Habituellement, les maladies génétiques sont récessives chez les Korrigans. Mais Kwarell, jouant de malchance, était né deux fois malade. Sa mère lui avait légué l'hémophilie, son père un asthme grave. Seul parmi la tribu, Kwarell devait demeurer calme, ne pouvait pas danser ni jouer comme les autres enfants. Cependant, la Nature voulant peut-être réparer cet injuste déséquilibre, il était doué d'une intelligence époustouflante. Il passait ses journées et ses nuits dans la bibliothèque des Médecins de l'Ordre, à apprendre tout ce qu'il pouvait. Il savait déjà jouer aux échecs, au go, au mah-jong, calculait à une vitesse astronomique, tirait oghams et tarots à la perfection, démontrait n'importe quel théorème mathématique dans l'instant où on le lui énonçait. Rien de tout cela, cependant, ne pouvait le protéger en cet instant des sarcasmes des plus jeunes, qui s'étaient agglutinés au pied du dolmen et faisaient sur son dos un véritable concours d'insultes.
- Face de navet !
- Poil de chèvre !
- Escargot !
Enfin arriva l'inévitable instant où l'un des enfants saisit un caillou de la taille de sa main.
- Tu vas voir, on va t'apprendre à danser !
Il lança la pierre vers le pied pendant de sa cible, qui l'esquiva vivement et se leva, éminemment conscient de ce qui allait se passer. Les enfants, eux, ne réalisaient pas que leur jeu était dangereux, le trouvant simplement très drôle. Ils avaient tous ou presque ramassé une pierre, et Kwarell les regardait avec son visage de statue et des yeux où semblaient presque perler des larmes. Les bras se bandèrent. Les cailloux allaient voler, l'enfant allait mourir, il le savait. Il ne pouvait pas les esquiver tous. D'ailleurs, il ne savait pas davantage esquiver que courir.
Tout à coup, une silhouette fusa, et un Korrigan de l'âge de Kwarell s'interposa entre les tireurs et leur cible.
- Dégagez, bande de sales gamins, hurla-t-il. Vous risquez de le tuer, triples idiots ! Cervelles de mouche ! DEGAGEZ !
Les petits ne se le firent pas dire deux fois. Ils n'étaient pas assez stupides pour ignorer que Tenday, c'était son nom, n'était que rarement seul. En effet, trois autres du même âge attendaient, dans l'ombre du dolmen, que les mouflets filent.
Kwarell descendit prudemment de la table de pierre et s'inclina poliment devant Tenday.
- Merci, dit-il.
- Laisse, ce ne sont que des gosses, répondit l'autre.
Il était plus grand que Kwarell d'au moins cinq centimètres, ce qui sur soixante représente beaucoup. Il avait un visage rond, la peau et les yeux bruns et des cheveux courts, raides et drus, littéralement plantés sur son crâne comme les piquants d'un hérisson. Du reste, bien bâti, et avec en travers du dos un arc presque aussi haut que lui. Ses amis virent le rejoindre. Eux aussi portaient des armes, fronde ou lance.
- Allons, nous avons à apprendre. Chacun ce pour quoi il est le plus doué, dit l'une des deux filles du groupe de Tenday.
Tenday adressa à Kwarell un large sourire, un geste de la main et suivit ses amis qui s'éloignaient déjà. Le petit asthmatique resta là, seul, à les regarder partir au champ de tir. Puis il se détourna, siffla, et sous le dolmen s'ouvrit un escalier dans la terre. Il l'emprunta alors que derrière lui déjà son chemin se refermait.
Il marcha un moment dans des tunnels sans lumière où ses yeux de Korrigan distinguaient le plus infime détail, parvint à une large porte de chêne qu'il poussa non sans quelque peine et pénétra ainsi à l'étage supérieur d'une immense bibliothèque. Il se pencha à la balustrade de pierre pour vérifier qu'il était seul. Ce semblait être le cas. Il descendit le long d'un escalier en colimaçon qui desservait les sept étages que comportait la bibliothèque. Etages était d'ailleurs un grand mot. La salle était circulaire, très haute, et ses murs étaient couverts de livres. Les soi-disant " étages " n'étaient autres que des balcons de granit sculptés faisant le tour de la salle et disposés de manière à permettre l'accès à tous les livres. Kwarell circulait au milieu des ouvrages comme s'il y était chez lui. Et c'était, de fait, l'endroit où il passait le plus de temps.
En retrouvant sous ses pieds le sol de terre battue, il comprit qu'il s'était trompé : un être bleu entièrement nu, d'au moins trente centimètres de plus que lui, était assis tête sur les genoux presque au pied de l'escalier, le nez plongé dans un livre.
- Salut, Loup, dit Kwarell.
- Salut, Kwarell, répondit la créature sans lever les yeux. Dol t'a encore envoyé dehors ?
- Ya. Il dit que je dois prendre l'air. Ai encore failli y laisser la peau. Echecs ?
- Go, plutôt.
- D'accord.
La créature bleue se leva et rangea son livre pendant que Kwarell sortait un goban strié de dix-neuf lignes sur dix-neuf et deux pots de pierre. En dépit de sa taille, l'autre aussi était un enfant, ses traits n'en laissaient pas l'ombre d'un doute. Il avait la peau et les cheveux bleus, quoique de bleus différents, et des yeux écarlates. Ses mains et ses pieds étaient palmés et ses branchies, sous ses oreilles, soigneusement closes mais il avait des jambes fines d'elfes et un nez qui se dilatait comme sa poitrine se soulevait. Amphibie. Asexué. Anormal.
Il n'avait pas plus de nom que de race. Il était plus ou moins le seul compagnon de Kwarell, quoiqu'il fut incroyablement plus jeune : trois ans, rien du tout pour un Korrigan qui croît et décroît douze fois plus lentement qu'une Morganès et presque vingt fois plus longtemps qu'un Elfe. Ainsi, leur état de développement était à peu près le même en cet instant, l'aspect d'enfants humains d'environ six ans, mais il se prolongerait encore longtemps pour l'un alors que l'autre, très vite, changerait. Ils s'installèrent sur une table, de part et d'autre du goban. Kwarell ouvrit le pot de pierres noires et en disposa quatre sur quatre points indiqués, un handicap pour lui qui donnait à l'autre une chance de gagner. Sans cela, le combat était trop déséquilibré. Il tendit le pot à son adversaire et ouvrit pour lui-même celui qui contenait les pierres blanches.
- Bonne partie, dit-il avant de poser une pierre sur une intersection.
- Bonne partie, répondit l'autre en jouant à son tour.
Ils se concentrèrent sur leur partie, oublieux de tout ce qui pouvait se passer autour d'eux. Seul l'instinct de loup de la créature bleue l'informait de la présence de leur observateur, mais elle n'en avait cure. En bon enfant de loup, il négligeait ce qui n'était ni proie ni danger.
Dol, donc, les regardait. Il était l'un des membres les plus éminents de l'Ordre. Son apprenti avait été ordonné Médecin huit jours auparavant. Il détaillait l'enfant Korrigan avec de vastes yeux noirs et profonds, sur lesquels s'affaissaient ses paupières ridées aux cils blancs, courts, presque frisés. A chaque claquement de pierre sur le bois, il clignait. Le vieux Médecin était profondément plongé dans ses pensées.
Kwarell demeurait à ses yeux une énigme. Il ne parlait que le minimum seyant à la politesse la plus élémentaire et pourtant il lisait avec une rapidité quasi démentielle, à demi frénétique, des ouvrages que Dol lui-même peinait à comprendre aisément. Personne ne pouvait jauger de ce qu'il savait et de ce qu'il ignorait. Son visage était peu expressif, fermé sur un masque qu'il n'ouvrait à personne, sauf peut-être à l'enfant-loup, parfois, fugitivement, comme s'il avait honte de laisser sortir le moindre de ses sentiments. Dol se sentit brusquement très vieux. Ce petit, si jeune, qu'il devinait d'une intelligence peu commune, et pourquoi pas exceptionnelle... Il aurait aimé l'avoir pour apprenti. Il n'ignorait pas cependant que de longues années s'écouleraient encore avant que Kwarell atteigne les deux-cent ans auxquels il pourrait se présenter au Concours. Même si cet âge prétendument requis ne constituait qu'une limite " de raison ", une tradition destinée à écarter les jeunes Korrigans qui n'auraient pas pris la mesure de leur engagement.
- Abandon, dit soudain l'enfant-loup. Tu as pris beaucoup trop d'avance.
- Honorable de ta part, répondit Kwarell. Tu attaques toujours trop, et sans réfléchir.
La créature branla du chef en signe d'approbation. Ils commencèrent à ranger les pierres en les triant soigneusement.
- Merci pour la partie.
- Merci pour la partie. Que lisais-tu quand je suis arrivé ?
- Des choses étranges, qui parlaient d'ors et de parfums.
Il ramassa l'ouvrage et le tendit à son interlocuteur.
- La beauté, l'art et le luxe, énonça Kwarell en lisant le titre. Un livre d'Elfe.
- Si tu veux la victoire, connaît ton ennemi comme toi-même. C'est ce que dit Keroya Alpha.
- Et elle a raison. Un jour ils sauront.
L'enfant-loup ne répondit pas tout de suite. Il jeta un regard furtif à Dol, qui n'avait pas quitté l'ombre et les observait toujours, en silence. Puis ses yeux rouges plongèrent dans ceux de Kwarell.
- La prochaine nuit.
- La prochaine nuit, dit le Korrigan en écho, sera grande. Pour toi comme pour moi.
La créature sourit.
- La meute attend. Que le vent te vienne de face, Kwarell, le salua-t-il à la manière des Loups.
- Et que la pierre se plie à ta volonté.
Avec une déconcertante prestance, l'enfant-loup grimpa l'escalier, ouvrit la porte et sortit. Kwarell attendit d'entendre le claquement de la clenche pour se tourner vers Dol.
- Maître Dol, pardonnez-moi de ne pas vous avoir salué plus tôt, mais il ne m'a dit que vous étiez là qu'au dernier moment.
- Il ne t'a rien dit de tel que j'aie entendu ! s'étonna le vieux Korrigan. Mais tu es tout pardonné.
- Les Loups ne parlent pas avec des mots, maître.
- Cet enfant n'est pas un Loup, Kwarell. Il ne tardera plus à quitter Avallac'h. Et il vaut mieux pour toi ne pas savoir qui il est.
- Alors il vaudrait mieux pour l'Ordre ne pas tenir d'archives de l'Histoire d'Avallac'h, maître Dol. Surtout sur des évènements qui ne datent que d'il y a trois ans.
- Tu sais donc. Tu as lu les archives ?
- En entier.
Dol sourit. Cet enfant était d'un sérieux impressionnant, beaucoup trop marqué pour son âge. Il ne pouvait cependant que difficilement le croire quant il affirmait avoir lu l'intégralité des archives. Celles-ci représentaient à elles seules un étage complet et serré de la bibliothèque, et Kwarell ne savait lire que depuis une cinquantaine d'années.
- Vous ne me croyez pas, maître Dol. Peu importe, vous saurez un jour. Puis-je prendre congé ?
Le vieux médecin sursauta. Il n'attendait pas une telle répartie. Le petit avait parlé sans arrogance, de sa voix toujours trop blanche, trop nette. Il attendait une réponse.
- Bien sûr, bien sûr, tu peux.
Kwarell ne se le fit pas dire deux fois. Il se glissa de son doux trottinement de Korrigan jusqu'au second étage de la bibliothèque. Les livres de science, songea Dol.
Le soir suivant, il y eut une grande fête qui dura jusqu'à ce que l'aube pointe et à laquelle, étonnement général, Kwarell participa. Certes, il ne dansa, ne chanta ni ne joua de flûte et parut littéralement vissé à sa chaise et la main collée à sa pinte de chouchen, mais il souriait presque, ce qui enchanta ses parents. A l'issue de la fête devait avoir lieu le Concours, et Dol aurait dès le surlendemain un nouvel Apprenti. Neuf jours, tel était le délai imparti.
Avec les premières lueurs de l'aube, chacun rentra chez soi, sauf les prétendants à l'Apprentissage, qui se rendirent devant le menhir sous lequel vivait Dol. Swall, le petit-fils de celui-ci, partait favori, quoique talonné par Wen, une Korrigane réputée d'une finesse peu commune. Ils étaient six, trois garçons et trois filles, à se tenir là devant la pierre levée. Plus Kwarell à qui personne ne faisait attention. Lorsque le vieux Médecin sortit, tous reculèrent pour lui faire place. Dol, qui n'était rentré que le temps de revêtir la cape blanche à deux étages et col noir de l'Ordre, s'assit sur un rocher voisin.
- Qui prétend ici devenir mon Apprenti ? demanda-t-il à la cantonade, suivant la formule rituelle.
- Je le prétends, répondit Swall en allant se ranger derrière le vieil homme.
- N'y a-t-il personne n'autre qui le prétende ? poursuivit le Médecin.
- Je le prétends, dit Wen en rejoignant Swall.
- N'y a-t-il personne d'autre qui le prétende ?
- Je le prétends, déclara une autre Korrigane.
- N'y a-t-il personne d'autre qui le prétende ?
- Je le prétends !
- N'y a-t-il personne d'autre qui le prétende ?
- Je le prétends !
- N'y a-t-il personne d'autre qui le prétende ?
- Je le prétends !
Dol balaya la plaine du regard. Il n'y avait plus que Kwarell. Il devait, songea-t-il, être là par curiosité. C'était après tout le premier Concours qui avait lieu de son vivant. Cependant, il devait continuer d'appeler jusqu'à ce que par trois fois ses appels demeurent vains. Aussi poursuivit-il le rituel.
- N'y a-t-il personne d'autre qui le prétende ?
- Je le prétends, répondit Kwarell en s'avançant à son tour.
Il y eut un silence durant lequel les six prétendants et Dol fixèrent l'enfant avec des yeux ronds. Le vieux médecin était si soufflé qu'il ne savait que dire, que faire. Swall, derrière lui, bouillonnait, visiblement énervé de ne pouvoir dégager l'importun à coups de pied griffu.
- Enfin, Kwarell, finit par bredouiller Dol, tu n'as pas l'âge...
Kwarell n'en parut guère ému.
- Article trois-cent quinze de la Charte de l'Ordre, récita-t-il. Au sujet du Concours des Apprentis. Le Concours a pour but de déterminer le prétendant le plus apte à devenir Apprenti. Il a lieu neuf jours après l'ordination du dernier Apprenti d'un Médecin. Les épreuves qui le composent sont les suivantes : Histoire, anatomie, astronomie, psychiatrie, aromathérapie, logique, observation, calcul. L'aisance de l'expression des prétendants peut également être un critère déterminant. Les questions doivent être posées de manière imprévisible sur tous les sujets précédemment cités. Chaque prétendant n'a droit qu'à trois erreurs : la quatrième signifie la fin de son entretient. Le prétendant qui aura tenu le plus longtemps sans faire cette quatrième erreur face au jury sera l'Apprenti. Aucun âge minimal n'est exigé, il est cependant conseillé aux prétendants d'avoir atteint au moins l'âge de deux-cent ans pour participer, afin d'avoir acquis les connaissances nécessaires.
Nouveau silence.
- Bien. N'y a-t-il personne d'autre qui le prétende ?
Personne ne répondit. Par acquis de conscience, Dol répéta encore deux fois la demande, et deux fois le silence lui répondit.
- Vous passerez les épreuves dans l'ordre dans lequel vous m'avez répondu. Les autres membres de l'Ordre vous attendent. Swall, suis-moi.
Il pénétra sous terre suivi de son petit-fils, et ouvrit la porte de son salon, dans lequel se trouvaient tous les Médecins de l'Ordre. Ils étaient désormais vingt et un, avec le jeune Men, assis d'un seul côté d'une très longue table. Cinq d'entre eux n'avaient toujours pas l'ancienneté requise pour avoir un Apprenti, mais tous les autres étaient déjà passé par là pour eux-mêmes. Swall s'arrêta devant eux, debout comme il se devait, et se présenta une fois que Dol eut rejoint sa place au centre. Les questions commencèrent à pleuvoir sur le prétendant avec la constance d'un crachin marin, incisives, précises, incroyablement variées. Le Korrigan les affrontait l'une après l'autre, hésitant parfois un instant avant de répondre, retrouvant toujours contenance et répondant, répondant, toujours juste ou presque, se trompant une fois de date en Histoire, une fois de planète en astronomie, puis une erreur de logique. Il était excellent, à n'en pas douter. Il calculait vite, bien, réfléchissait rapidement et savait apprendre avec facilité. Sa quatrième erreur, qui lui fut fatale, portait sur l'aromathérapie.
- Bien, dit Dol au bout de trois heures d'interrogatoire serré sans laisser transparaître sa fierté pour son petit-fils. Vas t'asseoir au fond de la salle.
Il était d'usage que les prétendants ne quittent pas la salle avant que le jury ait prit sa décision. Men se leva. En tant que Médecin le plus récemment ordonné, c'était à lui d'introduire les autres candidats. Il disparut dans le couloir et reparut un instant plus tard avec Wen. La jeune Korrigane, nullement impressionnée, prit place à peu près au même endroit que Swall. La pluie de questions commença de se déverser sur elle. Une erreur en anatomie la déstabilisa, puis une autre en logique et une troisième en observation. Après cela, elle hésitait avant de répondre même si elle touchait juste. Son entretient dura à peine moins de trois heures, elle n'avait donc que quelques minutes de moins que Swall. Les quatre autres, moins bien préparés, firent beaucoup plus rapidement la quatrième et fatidique erreur. Toujours est-il que Kwarell avait attendu près de neuf heures lorsque enfin Men vint le chercher, sur l'ordre express de Dol qui craignait que le jeune Médecin, à la vue d'un tel concurrent, ne le chasse tout bonnement. L'enfant avait somnolé, mais il était bien réveillé lorsque l'on vint le chercher. Il prit à son tour sa place face au jury. L'un des prétendants qui avait tenu une heure et demie sourit, et eut besoin du coup de coude de Wen pour ne pas éclater de rire. Les Médecins considéraient Kwarell avec un air de gravité curieuse, cherchant probablement par quelle question commencer. Ce fut Dol qui se décida.
- Quelle partie de la digitale utilise-t-on ?
- La feuille de la pousse fleurie, au printemps. En teinture et en décoction, elle sert à très faible dose de régulateur cardiaque. Un dosage excessif entraîne la mort par défibrillation cardiaque.
- Quel est le carré de vingt-trois ?
- Cinq cent vingt-neuf.
Les membres du Conseil restèrent cois. Il avait répondu avec une rapidité époustouflante, sans hésitation, sans même réfléchir semblait-il. Ils étaient décontenancés. Enfin, Men reprit à son tour ses esprits et par lui le flot des questions reprit, et Kwarell répondait, toujours, juste et sans hésitation. Swall et les autres prétendants virent s'écouler anxieusement une heure, deux, puis trois au désespoir du petit-fils de Dol et de Wen. Quatre. Cinq. Kwarell fit sa première erreur, sur un calcul. Dol fit cesser les questions.
- Voilà cinq heures que tu subis nos questions et tu y réponds sans faillir, Kwarell. Plus exactement, tu as failli pour la première fois. Je ne te cacherai rien. Swall a tenu trois heures dix, Wen deux heures cinquante-six. Et toi...
- Cinq heures dix-sept, maître, glissa Men pour aider son ancien professeur.
- Cinq heures dix-sept, bien. Cependant, Kwarell, tu es jeune, très jeune.
- Je suis plus vieux, maître, que le nombre de mes années.
Il avait dit cela sans arrogance, comme un constat à peine désabusé sur lui-même.
- Je ne l'ignore pas, enfant, mais enfant tu demeures à mes yeux. Je veux m'assurer que tu es prêt.
- Je l'ignore, maître.
- Sais-tu ce qu'implique l'Apprentissage, Kwarell ?
- Cela signifie se mettre au service d'un Médecin pour apprendre de lui tout ce que l'Ordre a à m'apprendre, maître. Cent-vingt ans pour apprendre des connaissances accumulées depuis des millénaires. Cela signifie servir celui qui est vivant et respecter celui qui est mort. Cela signifie donner la vie et la prendre s'il le faut.
- Et t'en sens-tu capable ?
- Mon esprit est capable, maître. Mon corps le suivra.
- Pourquoi n'as-tu pas attendu d'avoir deux cent ans comme ceux qui sont ici ?
- Parce que je ne vivrai peut-être pas deux cent ans, maître, lâcha l'enfant de sa voix blanche, terriblement blanche. Vous le savez aussi bien que moi. Et parce que eux ont mis deux cent ans à arriver au même point que moi parce qu'ils ont eu une vie.
-Tu prétends donc n'avoir pas vécu ?
- Je ne prétends rien, maître. J'ai vécu pour apprendre. La bibliothèque n'a plus rien à m'offrir : j'ai tout lu. Seul l'Ordre me permettra d'apprendre encore et toute ma vie, comme vous le faites. Tous.
Ses mots étaient aussi puissants que son ton était terne. Il ne cherchait pas à convaincre, il constatait. Il constatait seulement, comme un médecin constate la gravité d'une situation avec le calme nécessaire pour prodiguer des soins efficaces. Dol ne put s'empêcher de songer quel excellent Médecin l'enfant ferait.
- Avec votre approbation, dit le vieux Korrigan au Conseil, je choisirai Kwarell comme Apprenti, en dépit de son âge. Il sait à quoi il s'engage.
- Il sait, répondit Rouz, une Médecin de l'âge de Dol. J'accepte.
- Je suis du même avis, fit timidement Men.
Un à un, tous les membres du Conseil exprimèrent leur approbation. Soudain, Swall se leva et se jeta sur Kwarell, qu'il souleva de terre comme s'il n'eut rien pesé. Il le montra au Conseil, l'agitant comme une marionnette.
- Impossible, c'est impossible ! Vous êtes fous ! Il mourra avant les plus vieux d'entre vous. Ne voyez-vous pas ? Il n'est rien qu'un cadavre encore sur pieds ! Sa prochaine crise d'asthme peut l'emporter comme rien...
Comme il disait cela, l'enfant fut prit d'une quinte de toux violente. De surprise, Swall le lâcha et le petit s'écroula sur le sol, les deux mains portées à la gorge. Son souffle s'était changé en un sifflement rauque, aigu, horrible. L'air. Il cherchait l'air et ne le trouvait pas. Il sentit ses veines gonfler sur son visage brutalement brûlant, sa peau bleuir, ses yeux pleurer. Ses mains se tendre désespérément. Son esprit tourbillonna autour de lui comme un papillon fou, et il eut le temps de songer que cette crise-là serait la dernière. Et puis, plus rien.
- Il m'énerve, il m'énerve, il m'énerve !
De rage, Swall décocha un grand coup de griffes dans la table, y laissant la marque de trois de ses cinq doigts. Dol, impassible, avala une belle gorgée de sa chopine d'hydromel.
- Il ne te sert de rien de t'énerver, Swall, fit-il négligemment remarquer. J'ai déjà choisi, et ai annoncé ma décision au Conseil.
- Belle décision ! Me préférer cet avorton, ce sale petit prétentieux dont tout le monde n'attend que le jour où il crèvera ! Je suis ton petit-fils, oui ou non ?
- Nous sommes d'accord, tu es mon petit-fils. Il n'empêche que j'ai choisi Kwarell. Et je sais que tu peux le tuer d'une seule gifle. Mais il est plus intelligent, plus perspicace et plus vif que tu ne le seras jamais. Tu n'as pas l'étoffe d'un Médecin de l'Ordre, Swall. Kwarell, si.
- Plus tout, quoi ! Evidement ! Dis plutôt que ta vanité est flattée de devenir le maître du plus jeune Korrigan qui ai jamais réussi le Concours des Apprentis !
Swall fut coupé dans sa diatribe par trois coups nets contre la porte. Sur l'invitation de Dol, une Korrigane de l'âge de Swall, c'est à dire quelques deux cent quarante ans, pénétra dans la pièce, un sourire lumineux soulignant la douceur de ses immenses yeux de nocturne.
- Bonjour, San. Heureux de voir que tu es rétablie.
- Vos soins ont été efficaces, Maître Dol. dit calmement San en ouvrant son sac. Je suis venue vous offrir mon cadeau de guérison. Ceci vous plaît-il ?
Elle tira de son sac un tonnelet d'hydromel de dix ans, une gerbe de fleurs de Lune et un pot de miel de bruyère.
- San ! Voilà qui est bien trop ! s'exclama Dol.
- Oh, non, j'avais envie de vous faire plaisir. A vous et à Kwarell, puisqu'il sera demain votre Apprenti, si la rumeur est juste.
- Elle l'est, confirma Dol sans prêter attention aux grommellements de son petit-fils.
- Êtes-vous satisfait du résultat du Concours ? Beaucoup ont critiqué la jeunesse de Kwarell...
- Qu'importe, puisqu'il est prêt. Ce choix te semble-t-il juste, à toi ?
- Ya, Maître Dol. Je connais peu Kwarell, quoique personne, semble-t-il, n'obtient de confidences de sa part. Mais je sais que c'est un petit Korrigan honnête, poli et très intelligent. Bien sûr, il y a toujours le problème de sa maladie...
- Pourquoi lui ôter son mérite, si on ne peut lui ôter sa faiblesse ?
Dol but une seconde gorgée d'hydromel. Il regrettait encore ce qui s'était produit ce jour-là, un jour lointain, si lointain qu'il lui semblait un rêve. Ils étaient jeunes, la mère de Kwarell venait tout juste de naître. Et puis, il avait glissé comme ils se promenaient ensemble au bord de la falaise. Le grand-père de Kwarell, pour lui sauver la vie, l'avait rattrapé. S'était entaillé le bras. Il en était mort. Son petit-fils avait malheureusement hérité de la maladie. Etait-ce par dette qu'il prenait à présent Kwarell pour Apprenti, au lieu de Swall, qui n'avait certes fini que second, mais avait dépassé les deux siècles théoriquement imposés par l'Ordre pour se présenter au concours ?
Non.
Kwarell n'avait certes que quatre-vingt trois ans mais il était réellement brillant. Et puis, Dol devait bien se l'avouer, le courage et l'audace de ce petit l'avait impressionné.
Au début, tous croyaient que Kwarell était là simplement poussé par la curiosité, qu'on lui savait insatiable car la bibliothèque devait acquérir régulièrement de nouveaux livres pour son seul usage. Aussi, lorsque à son tour il s'était avancé et avait répondu lui aussi à l'appel, prétendants et maître étaient restés bouche bée. Et à la surprise générale, Kwarell avait gagné le Concours.
Histoire, anatomie, astrologie, psychiatrie, aromathérapie, logique, observation, calcul, expression, il savait tout, mieux encore il l'exprimait avec clarté, concision, éloquence et rapidité. Il était le meilleur, et de loin. Dol, comme tous les membres du Conseil, avait été estomaqué. Mieux encore, il comprenait ce que sa condition d'Apprenti, puis de Médecin de l'Ordre impliquait. Ce petit n'était pas un surdoué, c'était un génie !
- En tout cas, quelque part, je le plains, dit San, interrompant involontairement les pensées de Dol. Depuis qu'il est né, il n'a jamais pu jouer avec les autres, ni courir, sauter... Mon petit frère, Tenday, est déjà intervenu une ou deux fois pour empêcher des enfants plus jeunes de se moquer de lui. Du coup, il ne sourit jamais, ne rit jamais, et parle si peu que certains le croient muet. Chaque fois qu'il est venu chez nous pour porter un message de ses parents, il s'est montré très poli, et a parfois donné un conseil très avisé pour son jeune âge. Pourtant, j'ai entendu son père dire à ma mère qu'il avait honte d'avoir un fils... et bien... aussi faible, aussi incapable. Perpétuellement malade, ni joyeux ni triste...
- Tu parles ! explosa Swall. C'est surtout un petit prétentieux qui se croit le meilleur parce qu'il est choyé, dorloté, pauvre petit chéri malade !
- Swall ! Comment peux-tu prononcer des mots aussi laids, aussi indignes de ma maison ? gronda Dol. Sors d'ici, et va donc pleurer dans les jupes de ta mère ! Ne remets les pieds chez moi que quand tu seras redevenu sensé !
Swall baissa la tête, et sorti. San était un peu gênée.
- Assieds-toi, je t'en prie, proposa Dol, et sers-toi à boire. J'ai envie de compagnie, si tu veux bien...
- A votre disposition, Maître Dol.
San s'assit et se servit une chopine d'hydromel. Les Korrigans ne se nourrissent pour ainsi dire que de miel et de fruits. Il leur arrive de chasser pour les fêtes, et là encore ils accommodent le rôti de miel. Le vieux Médecin resta un long moment silencieux, mais San devinait qu'il avait besoin de parler. Son choix avait surpris, et il se sentait le besoin de le justifier.
- Vois-tu, San, commença-t-il enfin, Kwarell n'est pas un petit Korrigan comme les autres. Rien que d'aspect...
Il se tut à nouveau. San, comme lui, revoyait sans mal l'image de Kwarell, ses cheveux de lait, coupés en un impeccable carré juste sous les oreilles, avec ces deux mèches noires, comme deux traits d'encre, qui lui encadraient le visage et descendaient jusqu'à ses épaules. Ah, ce visage... Une pâleur quasi mortelle, surtout pour les Korrigans si basanés, à peine éclairée par ses grands yeux gris... Un visage d'un sérieux dérangeant pour sa jeunesse. Un visage que personne n'avait jamais vu sourire. Le tout reposant sur des épaules maigres quoique sans défaut, comme tout le reste de son corps d'ailleurs. Un corps aussi blafard que son visage, au point qu'on pouvait sans mal suivre le tracé de ses veines bleues. Kwarell, le petit Korrigan aux braies grises que l'on savait toujours où trouver : dans la bibliothèque, un livre presque plus gros que lui entre les mains, absorbé par sa lecture, à la vague lueur d'une bougie. Kwarell qui n'était qu'une ombre trop sérieuse dans la joyeuse petite communauté des Korrigans. Kwarell le silencieux. Combien de secrets cachaient ces yeux gris, brillants d'une intelligence calme, impassible ?
- Enfin, je l'ai choisi parce qu'il a prouvé qu'il pouvait être mon Apprenti.
- Mais l' Apprentissage dure cent vingt ans ! Plus que l'âge qu'il a aujourd'hui...
- Peu importe, il le vaut. Il le vaut réellement. Ce n'est pas par dette envers son défunt grand-père que je l'ai choisi. Il a de quoi devenir le plus grand Médecin que l'Ordre ait jamais connu. Il est infiniment plus intelligent que je ne le serai jamais, ni moi ni aucun de mes semblables qui composent l'Ordre en ce jour. Et puis, tous le considèrent comme faible et maladif, mais il est probablement psychologiquement bien plus fort que beaucoup d'entre nous.
- J'avoue que je ne vous comprends pas. Il est toujours malade et ne peut pas se défendre sans risquer de mourir. A dire vrai, il ne peut pour ainsi dire rien faire sans risquer de mourir, puisque la moindre plaie peut lui être fatale !
- Justement. Crois-tu, San, qu'il soit facile pour un Korrigan, à qui l'on a enseigné depuis tout jeune que son honneur vaut plus que sa vie, de baisser la tête lorsque des enfants de son âge lui crachent à la figure la réalité de sa propre faiblesse ? C'est pour cela que Kwarell est fort. Il a acquis par la force des choses une parfaite maîtrise de lui-même, presque trop parfaite en réalité. Son impassibilité est un bouclier, une armure sans faille qu'il ne laissera tomber que pour une personne qui lui serait plus chère que lui-même, et encore, je n'en suis pas certain. Il a appris à mettre du recul entre son âme et sa vie, sans quoi sa propre condition l'eût détruit. C'est étrange, mais puissant. Voilà, entre autres, pourquoi je le considère comme digne d'être mon Apprenti. Et même, je suis honoré d'être son maître, en dépit de sa jeunesse. Plus encore, grâce à sa jeunesse.
- Sa jeunesse... A-t-il jamais été jeune, maître ? Il n'a jamais joué, pour ainsi dire jamais ri... Il n'a pas eu d'ami non plus.
- Oh, si, il en a un. Un seul, et pas un Korrigan encore. L'enfant-loup de la Meute du Nord. A la demande de Keroya, je lui ai ouvert la Bibliothèque. Ils s'y sont rencontrés et ont sympathisé comme peuvent sympathiser deux parias. Car Kwarell, quoiqu'il fasse, sera toujours un paria.
- Paria, peut-être, mais pas banni pour autant, maître. Il a l'Ordre, maintenant.
- C'est vrai, il a l'Ordre... Ou du moins, il l'aura quand je lui aurai trouvé une cape à sa taille !
- A ce sujet, maître, je crois que je peux faire quelque chose pour vous. Je couds vite, voyez-vous, alors en apprenant la nouvelle j'ai envoyé Tenday à la réserve me chercher du tissu blanc.
- San, ne te donnes pas cette peine, je trouverai...
- Je me la suis déjà donnée, avec Tenday, dit-elle en tirant de son sac une cape de léger coton blanc à deux étages et à col court exactement conformes à celles de l'Ordre. J'espère que les mesures sont justes. Considérez cela comme un autre cadeau de guérison.
- San, enfin, je ne peux...
- Alors, prenez-le comme un cadeau pour Kwarell. Pour sa réussite.
Lorsqu'il se réveilla, il était chez lui, dans sa chambre, dans son lit. Seul. Et vivant. Ce constat le surprit. Il demeura un long moment immobile, allongé sur le dos. Il écoutait. Des voix s'infiltraient sous sa porte. Celle de sa mère. Et celle de Dol. Il ne comprenait pas, mais il savait ce qui se disait. Le vieux Médecin relatait les évènements du Concours. Comme chaque fois qu'il était seul, Kwarell sourit. Referma les yeux un instant, conscient cette fois. Enfin, la porte s'ouvrit, et ses paupières avec. Sa mère pénétra la première, suivie du vieux Korrigan.
- Mon chéri, maître Dol a quelque chose à te dire. Es-tu assez reposé ?
- Ya, mamm. Je suis à votre écoute, maître.
- Kwarell, je te prie tout d'abord d'accepter mes excuses pour la stupidité de Swall. Je ne pensais pas qu'il était capable d'une telle violence.
- Vous n'avez pas à vous excuser d'actes qui ne sont point vôtres, maître, et n'avez rien à vous faire pardonner de moi.
Le vieillard sourit, creusant de nouvelles rides dans ses joues mangées par sa barbe blanche.
- Le Conseil t'a jugé apte à devenir mon Apprenti. Tu recevras ta cape demain et tu commenceras aussitôt ton travail. Tu resteras évidemment chez tes parents, comme la plupart des jeunes Apprentis.
- Bien, maître.
- J'ai également un message pour toi.
- L'enfant-loup ne m'a donc pas attendu. Fidèle à la meute.
- C'est bien de lui qu'il s'agit. Ta mère n'a pas voulu le laisser entrer. Il te félicite même si, dit-il, il était certain de l'issue du Concours. Il te fait savoir que lui aussi a réussi. Quoi, je l'ignore, mais il m'a assuré que tu comprendrais.
- Pourra-t-il encore me voir, maître ?
- Bien sûr ! Un Apprenti a aussi besoin de vivre ! C'est ce que tu veux, n'est ce pas ? Vivre ?
- J'en rêve.
Le Médecin contempla longuement son nouvel Apprenti, silencieux, songeur, penché sur le lit dont le matelas de bruyères sèches embaumait.
- Tu as raison, Kwarell. Tu es plus vieux que le nombre de tes années.
Il ne sut trop s'il rêvait à son tour, mais il lui sembla qu'un vague sourire jouait sur les lèvres pâles de l'enfant.
Le lendemain donc, Kwarell se rendit chez Dol. Le vieux Médecin lui drapa les épaules de la cape toute blanche des Apprentis. Elle était à la bonne taille, et l'enfant en fut extrêmement touché. Il ne savait pas qui avait travaillé toute la nuit à lui confectionner une cape adéquate mais, pour la première fois de sa vie, il éprouvait envers cette personne une réelle et immense gratitude. Comme il ne savait que faire, il demanda tout simplement à Dol de remercier cette personne de sa part.
- Pourquoi ne pas le faire toi-même ? répliqua son maître. Comptes-tu aussi me demander de manier le pilon à ta place ?
- Non, non, maître Dol, simplement j'ignore qui est cette personne.
- C'est San, la soeur aînée du petit Tenday. Maintenant, tu sais où tu iras une fois sorti d'ici. Viens, enfant. Tu sais déjà beaucoup, mais ce n'est rien comparé à ce que tu as à apprendre.
A suivre...
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le 25-02-2009 à 23h07 | Suite de la saga... | |
C’est un bon texte. Le portrait du héros est bien dessiné, avec suffisamment de mystère au début pour aiguiser la curiosité du lecteur. L’ensemble est cohérent. On comprend assez vite où tu veux en venir, mais comme c’est bien mené, ce n’est pas gênant, on ne s’ennuie pas. Ton héros est confronté à différentes situations où on le voit réagir, et à d’autres moments, on parle de lui en son absence... |