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Vague à l'âme

Il m'est difficile de savoir où j'en suis. J'ai l'impression d'avoir les yeux bandés et d'avancer en tâtonnant dans la vie, de tomber sans cesse et d'avoir, sous le contact de mes doigts, quelque chose qui toujours me pique, me brûle, m'écorche, sans jamais comprendre pourquoi. J'aimerais tant parvenir en un endroit où le sol serait sans traitrise, réconfortant et chaleureux comme du sable doré, où ce que je toucherai me rendrait mes caresses, panserait mes écorchures, un endroit où une brise douce et odorante susurrerait à mon oreille que, maintenant, je peux ôter mon bandage et Voir. Une vision qui bercerait mon âme au firmament, où je m'envolerais, libre et fière. Mais cet endroit m'est caché et je suis perdue.

La soirée d'hier fut exécrable. C'est une habitude ! La musique était agréable et les gens sympathiques. J'ai ris, plaisanté, j'ai joué... La comédie comme toujours. Est-ce pour tout le monde pareil ? Est-ce normal de ne jamais rien éprouver? De se sentir toujours seule, même quand une vingtaine de personnes vous entourent et que vous entretenez une conversation apparemment passionnée avec quelques une d'entre elles ? C'est comme si j'assistais à la scène sans la vivre, j'étais si loin, j'étais ailleurs, je suis d'ailleurs ?
Et effectivement je devrais être déjà loin, il est quatorze heures trente et je vais être en retard à mon premier cours. J'avais envie d'une activité en dehors du travail, j'ai choisi le yoga. Quitte à planer, autant le faire en bonne et due forme. Le temps d'attraper mon jogging et mes clés et me voici dans la voiture. Il faut que je me concentre. J'ai tendance à rêvasser, à imaginer d'autres mondes, d'autres cieux avec un réalisme effarant et donc, à oublier où je me trouve, dans une voiture par exemple, en train de, bon sang ! En train de griller un feu rouge ! Et voila, c'est exactement le genre de situation incongrue que je vis constamment. Je me suis arrêtée au feu, mais un peu tard, ce qui fait que je ne pourrais pas voir quand il passera au vert ! Et évidement impossible de reculer vu qu'un camion me colle au train ! Tant pis, il n'aura qu'à me klaxonner. " Lâcher prise ", c'est bien une des lignes directrices du yoga, non ?

Après moult péripéties pour garer ma voiture paquebot, (vaut mieux un paquebot qu'une crevette comme je dis parfois ... Et évidement personne ne comprend le jeu de mot !), j'arrive enfin au cours avec, voyons ça, une minute vingt-sept d'avance !

La prof est jeune et parait vraiment sereine. Deux adjectifs plutôt contradictoires.

Nous commençons par des exercices plutôt basiques. A la fin de la séance, elle nous demande de nous allonger sur le dos, de fermer les yeux et de nous détendre. Nous devons sentir notre corps s'enfoncer, s'engloutir dans le sol et imaginer des lames de fond nous porter, des vagues nous bercer. Rien de plus facile, alors voyons, des vagues. Un bleu d'encre imbibant et gonflant ma chevelure. L'argent céleste éclairant la mer. L'eau ruisselant sur ma peau comme des veines extérieures. Le mouvement, interne. Au loin, un chant de sirène orchestre les vagues et les fait chalouper. Elles m'emmènent avec elles, dans leur belle danse lunaire. Un clapotis à ma gauche me fait tourner la tête et ouvrir les yeux. Un instant, je me demande ce que je fais dans cette grande salle vide. Vide ? Je me lève brusquement et balaye la pièce du regard. Il ne reste plus que mon professeur, assis en tailleur sur son tapis, m'observant.
- Quand je dis à mes élèves de prendre un temps de repos pour eux, de se détendre, je n'entends pas par là de dormir. Néanmoins, il y en a toujours pour sombrer dans les bras de Morphée.
- Mais, je... balbutie-je.
- Je sais que tu ne dormais pas, m'interrompt-elle. Je sais voir la différence. Tu contemplais.

Elle se lève et m'invite à m'asseoir sur mon tapis avant de faire de même.

- Sais-tu ce qu'est la visualisation créatrice ?
- Non, pas vraiment, lui réponds-je, tout en me demandant où elle voulait en venir.
- Et bien, tu viens pourtant d'en faire l'expérience. A vrai dire, tous les jours, tu l'utilises, mais surement jamais aussi précisément qu'aujourd'hui. Je vous ai guidé, mais toi seule est parvenue au résultat escompté. Le but était de vous relaxer, et pour cela j'ai suscité à vos esprits la tranquillité des vagues berceuses. Par le biais de ton imaginaire, du pouvoir naturel de l'imaginaire, tu as pu de détendre. En début de séance, tu as concentré tes pensées sur ta respiration, puis sur les positions et les sensations qu'elles te procuraient, n'est-ce pas ? Enfin j'espère, dit-elle en souriant. Tu as fait abstraction du monde extérieur en fixant ton esprit sur quelques points essentiels, et au moment du repos, cette concentration absolue t'a permise de créer un lieu, un univers où règne le calme, la tranquillité, la paix. L'imagination est un don. L'imaginaire, un paradis. Et la concentration en est la clé, mais aussi celle d'une meilleure compréhension. Avec de l'entrainement, tu pourras y revenir dès que le stress se fera sentir.

Puis elle se lève, récupère des documents dans son sac et me les tend.

- A coté du yoga, il existe des ateliers où l'on applique la visualisation créatrice. J'aimerais que tu y assistes. Voici les horaires et le lieu.

Je prends les documents, la remercie et répond que j'y réfléchirais.

Cela fait six mois que je fais ces ateliers, dont un en cours particulier. Six mois seulement, qui ont bouleversé mon univers. Il est merveilleux de constater qu'une fois le monde, le stress, le tourbillon de folie évincés quelques instants, ce n'est pas le silence, ce n'est pas le vide, mais un chant, des chants. La voix de la Terre, du Ciel, des âmes, de mon âme.

Il me reste encore beaucoup à apprendre, mais j'ai déjà expérimenté, sans le vouloir, quelques pouvoirs incroyables. La première fois me provoque toujours un certain émoi dès que j'y repense.

C'était en revenant d'un cours de yoga. Mes sens étaient aiguisés comme des cure-dents. Le paquebot ayant sombré, je dus prendre le bus. Evidemment c'était l'heure de la sortie des classes. Des légions entières de gosses assaillirent le bus et attaquèrent mes oreilles à coup de sonneries et hurlements stridents. J'entrepris de me concentrer pour retrouver mon océan de plénitude. C'est à ce moment que je la vis, cette petite grand-mère aux cheveux floconneux et à l'allure dédaigneuse. Elle semblait assez déboussolée, et par le bus, et par ses occupants. Je me levai pour lui céder ma place, ce qui sembla la prendre au dépourvu. Elle me fixa, hébétée. Je crois, il me semble qu'elle me remercia, mais je n'en suis pas sure, car à ce moment, j'étais déjà loin. Proche de mon lieu de tranquillité par l'aspect mais éloigné par le ressenti. Ce n'était pas le calme qui régnait là bas, mais une tristesse sans nom, infinie. Un océan de larme. Un ciel au tendre éclat. Une lune à la lueur caressante, douce, maternelle. Les vagues de mélancolie ballotaient mon âme et saisirent mon coeur. Soudain une secousse ébranla le bus. La grand-mère était toujours en face de moi et me souriait. Dans ses yeux, les mêmes notes de mélancolie et de tendresse. Je déglutis un " je vous en prie ", et m'enfuis du bus sans prendre la peine de noter l'arrêt.

J'appelais immédiatement mon professeur en pleurant. Je ne comprenais pas ces larmes. Je ne comprenais pas ce que j'avais vu, et surtout ressenti. Maintenant je sais. Tout ce travail sur moi, cette prise de distance, cette sérénité face au monde m'apportait une meilleure écoute, une incroyable compréhension de mon être, des autres, et de ce fait, une nouvelle vision. Une vision véritable. J'avais vu le chagrin de cette dame ainsi que sa douceur. J'avais saisi une partie importante de son état, de son être. Parce que j'étais concentrée et que je partais en contemplation ? Parce qu'elle avait baissé sa garde, surprise par mon geste ? Peut-être que sa peine était si grande, qu'elle débordait de son âme. Mais je pense que si j'avais fait attention à elle, j'aurais vu, sans l'aide de vision, à quel point elle était mal.

C'est à ce moment que je compris l'importance de ce don. A quoi bon l'imaginaire s'il nous isole sans nous révéler, à quoi bon cultiver son jardin si l'on ne peut en partager les fruits, à quoi bon le paradis si l'on s'y sent terriblement seul ?

J'ai donc cessé de me concentrer uniquement sur moi. Je savais désormais qui j'étais et pourquoi. J'ai regardé les autres, je les ai vus, véritablement, et aidés. C'est souvent douloureux, rarement déroutant, parfois drôle, agréable. Gênant aussi, ça arrive.

Je me souviens de ce garçon qui travaillait avec moi, il y a encore un mois. Il ne cessait de se moquer, de me rabaisser. Difficile de ne pas se sentir blessée, salie. Il m'avait inspiré un endroit agréable, un jardin ensoleillé au parfum printanier où je m'allongeais nonchalamment dès qu'il venait jacasser à mes oreilles. Je lui donnais les traits d'une pie et riais de sa stupidité. Mais ce n'était pas la bonne conduite à tenir. Le rabaisser, agir comme lui, ça, c'était stupide. Je devais être forte, être fière et le regarder dans les yeux.

Ce que je fis un jour. Je plongeai mon regard dans ses deux fentes de taupinette et lui demanda pourquoi cet acharnement contre moi. Ce à quoi il répondit un tas d'avanies, de " pourquoi quoi ", " rien à t'dire ", " arrêtes de me casser les ", castagnettes et compagnie. Je gardai mon calme, appelant les vagues à bercer mon âme. Je ne parvenais pas à le comprendre, à le voir, il ne pouvait pas être réellement ainsi ! Ressentons-nous vraiment du plaisir à humilier une autre personne ? Est-ce si agréable d'être le roi des crétins ? Il fallait que je me recentre. J'étais déboussolée mais remarquai toutefois sa nervosité. Qui ne l'aurait pas vu d'ailleurs ? Il faisait une quantité de gestes inutiles, incertains. J'entendais presque son coeur battre au rythme d'une valse à douze temps. C'était mon ouverture, je m'y engouffrai aussitôt. Son coeur battant la chamade. Son coeur apeuré. Son coeur... gonflé. Gonflé ?? Je pensais qu'il aurait la taille d'un raisin sec, mais non, il était imposant, prêt à exploser. Il y avait quelque chose. Une sorte de cicatrice, de terrible balafre qui le ravageait. C'était un mot gravé au scalpel, un nom marqué au fer rouge. Quand je réussis à le déchiffrer, je poussai un cri d'effroi et sorti précipitamment de ma vision. Je le fixai, horrifiée, pointa un doigt accusateur et brailla :

" Mais ! Aaah ! Bon sang, mais tu m'aimes !! "

Il ne répondit pas, bien sûr, le temps de passer au rouge tomate et il s'enfuit à toutes jambes. C'était comme si la Mort lui avait lancé un " Allez, viens, j't'emmène ! ". Sauf que je n'étais pas la Mort et c'est tant mieux ! Une éternité avec lui !! Et puis quoi encore !

Ok, lui, je ne l'ai pas beaucoup aidé. Voir et reconnaître certains êtres semble pourtant les avoir aidé, c'est ce dont ils avaient besoin, être reconnus. Une expérience bien gênante, parmi tant d'incroyables, d'époustouflantes... De tristes également. De tragiques même. Certains chants sont des pleurs. Certaines voix crient, hurlent, agonisent. La Terre meurt, nous avec.

Un jour peut être ne pourrais-je plus les supporter. Je ne veux pas revenir en arrière, je ne veux pas fermer les yeux. Mais plus j'avance dans mon travail de visualisation, d'écoute, plus ces pleurs m'enchainent et me tuent. Je n'arrive plus à me concentrer. Il faudra que je trouve un moyen pour ne plus les entendre quelques temps, un instant seulement. A vrai dire, je l'ai déjà trouvé, mais j'hésite encore, bien que ce soit le seul. Il est possible de se concentrer sur le néant, de faire un " vide mental ". Mais c'est une pratique dangereuse. L'esprit peut s'égarer et ne jamais revenir dans son corps. Ou pire, le retrouver mais ne plus pouvoir le réintégrer car " quelque chose " l'occupe, le possède. Je n'ai jamais vraiment compris ce que mon professeur entendait par " quelque chose ", et je ne tiens absolument pas à le savoir.

J'ai déjà expérimenté une pratique approchant le vide mental. J'avais laissé mon esprit flotter, vagabonder et il ne retrouva pas mon corps. Je ne savais plus où se trouvait ma tête, mes jambes. Je dus redoubler d'efforts pour visualiser et ordonner à mes mains de bouger pour pouvoir les localiser. Et j'y suis parvenu.

Je sais que je ne suis qu'un point insignifiant dans le dessin, une poussière dans l'univers. Dans la balance, je ne pèse pas plus qu'un nouveau-né, mais toutefois pas moins qu'une reine. Ma volonté, aussi imparfaite soit-elle, peut faire de mon existence un maillon unique et essentiel au Monde. Je sais que je peux partir en vide mental et revenir, saine et sauve. Et quand bien même mon existence ne serait qu'évanescente, elle est belle et cela me comble. Mais j'ai besoin d'échapper à ces chants de cygnes qui hantent mes nuits et noient mon regard. Je reviendrais, je trouverais le moyen et je ferais en sorte qu'ils ouvrent les yeux, eux aussi, avant qu'il ne soit trop tard. Je reviendrais.


Mais le vide ne rend personne.

Une âme s'en va au-delà du monde....

... Puis renaît.

Dans un de ces pays dorés par le soleil, un petit être voit le jour. Porté par la brise, il s'envole, libre, enfin. Il est si heureux qu'on pourrait l'entendre rire. Mais c'est un chant qui s'élève et apaise pour un temps le coeur des hommes, avant que le tourbillon de la vie ne les emporte à nouveau dans sa course effrénée.

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© Indy's



Publication : 01 février 2009
Dernière modification : 01 février 2009


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signifie que la participation est un Texte.
signifie que la participation contient un Dessin.


5 Commentaires :

Narwa Roquen Ecrire à Narwa Roquen 
le 09-02-2009 à 23h07
Joli voyage
Sois la bienvenue dans notre Cercle!
Ta participation répond tout à fait au thème du Concours. Le texte est fluide, le style agréable, malgré les (grrr...) fautes d'orthographe, surtout sur les temps des verbes. Pourquoi ces quelques familiarités dans un texte sensible et délicat? On dirait que tu as voulu dire au lecteur: j'écris mais vous voyez, je ne me prends pas au sérieux. A mon avis, elles...

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Netra Ecrire à Netra 
le 03-02-2009 à 10h40
Moi non plus j'y connais rien au Yoga...
Par contre je vais pas te refaire le coup de noter les fautes d'orthographe, Elemm' s'en est chargée.
Alors globalement, ton texte je l'ai trouvé... concis. En tout. Partout. Tout plein.
Par exemple, le cours de yoga : un prof qui se permet dès la fin de la première séance un "J'aimerais que tu y assistes." c'est fort !!! A moins qu'elles ne se connaissent déjà, on ne balance pas ça comme ça à...

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Elemmirë Ecrire à Elemmirë 
le 03-02-2009 à 10h07
Commentaire alors :)
Bon, comme je disais, je n'y connais rien au Yoga, donc je laisse les connaisseurs traiter de ce sujet :)
Sur la forme: quelques fautes d'orthographes qui, ici en Faeries, font souvent grincer les dents ^^ J'ai repéré surtout une difficulté à distinguer le futur (ex: "Je reviendrAI, je trouverAI le moyen...") du conditionnel (si ça n'était pas une certitude que tu vas revenir, par exemple, si tu...

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Indy's Ecrire à Indy\'s 
le 02-02-2009 à 17h19
Autorisation acceptée!
Et comment! Toute critique est bonne à prendre! Evidement de mauvaise critiques ne sont jamais une partie de plaisir, mais elles sont necessaires pour avancer, alors sois saignant!
Je connais ce site depuis quelques mois seulement, je suis tombé dessus en cherchant des infos sur Jean-louis Fetjaine. Une agréable découverte je dois avouer.
Elemmirë Ecrire à Elemmirë 
le 01-02-2009 à 22h40
Bienvenue Indy's!! :)
Tout d'abord, youpi! Sois la bienvenue dans l'univers de Faeries, on est toujours ravis d'avoir des nouveaux, pleins d'idées et de choses à partager.
Je ne sais pas si tu connais le site depuis longtemps et si tu connais son mode de fonctionnement, ni si tu l'apprécies. Nous aimons partager nos textes, mais aussi et surtout, je crois, puisqu'aucun de nous n'est professionnel (bien que ça me sembl...

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