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De : Narwa Roquen Date : Jeudi 4 septembre 2008 à 16:19:25 | ||
Je ne suis pas très satisfaite de ce texte; je trouve que le personnage secondaire est trop présent... Peut-être cet exercice était-il plus difficile que je ne le pensais, ou bien ce mode d'écriture est plus adapté au roman qu'à la nouvelle, ou bien me suis-je simplement heurtée à mes limites... L’écran s’est allumé automatiquement en même temps que la lumière, quand je suis rentré chez moi, et la voix professionnelle de la présentatrice m’a agressé une fois de plus ; pour la millième fois je me suis dit que je devrais débrancher le programmateur et décider moi-même chaque soir si je voulais ou non regarder les informations. Mais cette fois... Je n’avais pas fait trois pas sur la moquette que la nouvelle m’a cloué sur place ; je me suis arrêté, le manteau encore sur mes épaules, le courrier dans la main gauche, le pain dans la main droite (je me fais livrer tout le reste, mais j’achète mon pain moi-même : le dernier boulanger de Boston est installé dans mon quartier !). Quand la jeune femme a changé de sujet, j’ai tout jeté sur le canapé et je me suis précipité sur la télécommande. « Replay ». Toujours aussi éberlué, j’ai réécouté intégralement cette nouvelle incroyable, absurde, inadmissible. Et encore une autre fois. Puis j’ai tapé « Print » sur le clavier. Et je suis resté longtemps à relire ces mots que je venais d’entendre, comme pour me persuader qu’ils étaient bien réels... Pauvre Maroussia ! Elle avait raison, et moi, comme un imbécile... Il faut que je l’appelle, il faut que je lui dise... Dix ans ont passé, elle s’est sûrement mariée, elle a déménagé... Mais il faut absolument que je lui dise... Je caressais encore ses courbes gracieuses et pleines quand je la sentis se raidir sous ma main. Elle se releva sur un coude, le front soucieux. « Ecoute... » Elle balaya du regard ma petite chambre d’étudiant comme pour y trouver son inspiration. Puis, dans un soupir contraint, elle souffla : « Il faut que tu viennes dîner chez mes parents. » Je me mis à rire. Elle était délicieuse, avec ses grands yeux noirs et sa moue de petite fille boudeuse. Ce n’était sûrement pas la plus belle fille de l’Université, mais j’étais bien avec elle. Elle était spontanée, directe, et nos corps s’entendaient bien. « Pourquoi pas ? », murmurai-je en pensant à bien autre chose. Mais elle se recouvrit du drap et s’assit. « C’est très sérieux. Mon père est rentré. Tu ne le connais pas, mais... il a assez de relations pour me faire suivre nuit et jour par le FBI, la CIA et sans doute aussi le KGB... - Il fait quoi, ton père ? Il est agent secret ? Agent double, espion, homme politique ? - C’est Morgan Kerkhov. J’ai pris le nom de ma mère pour la fac, c’est plus discret, mais je ... » Déjà je ne l’écoutais plus. Mes yeux se remplirent d’étoiles brillantes, de galaxies inaccessibles et de vaisseaux interplanétaires, tandis qu’avec un sourire béat ma bouche stupide ne pouvait qu’émettre un son digne d’un adolescent attardé. « Wouhaouou... » S’il y avait un homme sur Terra dont le nom était sur toutes les lèvres cette année-là, c’était bien Morgan Kerkhov. Grand explorateur interstellaire, il avait créé sa propre société de prospection ultragalactique, à la recherche de nouveaux débouchés pour Terra. Malgré les efforts désespérés du Consortium terrien, les ressources de la petite planète bleue s’épuisaient de jour en jour, et une colonie habitable devenait la seule perspective réaliste pour la survie de l’humanité. La « Vostok Spatial Investigations » avait lancé trois ans auparavant la plus grande flottille jamais envoyée dans l’espace, même du temps de la guerre contre les Elmuriens ; tous les banquiers de la planète avaient investi dans ce projet, tant la personnalité de Kerkhov était charismatique, avec ces yeux bleus d’acier qui semblaient vous transpercer même à travers l’écran le plus misérable, et ce sourire conquérant qui faisait vibrer les foules quand il disait : « Je donnerai aux enfants de Terra de grandes prairies vierges pour y grandir en paix ». Il était revenu, et n’avait dévoilé son succès qu’à son retour. Il avait découvert, au terme d’un voyage de quatorze mois, une planète deux fois grande comme Terra, inhabitée, dotée de tous les éléments indispensables à la vie, sans nécessité d’aménagements sophistiqués : une gravité, une atmosphère contenant un taux d’oxygène satisfaisant, chaleur et luminosité fournies par un petit soleil orange, avec des journées de vingt-huit heures, de l’eau douce, une végétation abondante et une terre potentiellement cultivable. Il avait ramené toutes sortes de vidéos et d’échantillons d’air, d’eau et de sol, et trois laboratoires indépendants avaient confirmé la véracité de ses dires. Déjà les gens se battaient pour avoir leur nom sur la liste des colons... et moi j’allais rencontrer ce héros, ce mythe vivant, et j’allais dîner avec lui... La tête me tournait à cette seule pensée... Madame Kerkhov me fit entrer dans le somptueux salon de marbre blanc, qui aurait pu aussi bien être le vestibule d’une cathédrale. C’était une femme très distinguée ; les cheveux noirs relevés en chignon, elle portait une longue robe d’intérieur rouge grenat, et bien qu’elle eût l’âge de ma mère je me troublai un peu devant sa beauté sculpturale. « Entrez, monsieur Rossi, asseyez-vous, mon mari ne va pas tarder. Désirez-vous un jus de fruit ? - Papa ne veut pas qu’on boive d’alcool », déclara en riant un jeune énergumène d’une dizaine d’années qui se précipita sur moi pour me boxer amicalement l’épaule. « Alors, tu es Jordan ? Tu as bien fait de mettre une cravate. C’est totale ringard mais ça va plaire au vieux. Moi c’est Alexeï – l’héritier ! » Maroussia, très pâle dans sa robe bleu ciel à petit col blanc, le chassa de la main comme une mouche importune et s’assit près de moi sur le divan de cuir blanc. Elle semblait terriblement angoissée, ses yeux furetant partout comme si un danger imminent nous menaçait, et même la pression de ma main sur la sienne ne l’apaisa pas. Pour ma part, j’étais euphorique. Dans quelques instants j’allais vivre un moment exceptionnel, que je pourrais raconter avec fierté à mes petits-enfants... « Tamara ! » tonna tout à coup une voix de baryton qui fit sauter Maroussia et Alexeï sur leurs pieds, « qu’est-ce que c’est que cette robe de putain ? File te changer, vite ! Alexeï, tes devoirs sont finis ? - Oui, père. - Monsieur ? Ah, oui... » Le regard bleu me transfixia de part en part, me laissant sidéré, maladroit, ridicule. « Jordan... Jordan Rossi, monsieur. Je suis... - Bien sûr, l’amant de ma fille. » Bêtement, je rougis. « Ce n’est pas ça ? Vous n’allez pas me faire croire que vous sortez avec elle pour son intelligence foudroyante ? » Je ne sus que dire. Il était... Il était comme une tornade, un cyclone tropical... J’avais cru m’y être préparé, et dès son apparition il m’avait complètement dépouillé. Madame Kerkhov, vêtue d’une sobre robe noire à manches longues, nous pria de passer à table. Je suis incapable de me rappeler quel fut le menu de ce repas. Je me souviens seulement que Kerkhov critiquait sa femme sans arrêt. Les plats étaient trop cuits, manquaient de sel ou d’épices, ou étaient mal présentés. Comme je regardais autour de moi, surpris de l’absence de robot pour faire le service, Kerkhov s’adressa à moi comme s’il avait lu dans mes pensées. « Non, je n’ai pas de robot domestique. Je ne veux pas d’espion chez moi. Vous me trouvez paranoïaque, jeune homme ? Si un jour vous avez le quart des responsabilités qui pèsent sur mes épaules, vous comprendrez... » Je souris poliment en cherchant un sujet de conversation qui me mettrait à mon avantage, mais il ne m’en laissa pas le temps. Il se mit à raconter sa vie, ses études brillantes intégralement financées par des bourses, car son père était un minable qui n’avait jamais un sou devant lui. Pire encore, il l’avait affublé de ce prénom ridicule, en reniant ses propres origines, comme s’il était possible d’effacer le noble sang qui coulait dans ses veines, le sang de l’antique Russie, le sang des Tsars ! Je n’avais jamais été féru d’histoire, et je supposai qu’il se rapportait à un quelconque moyen âge. Ingénieur en aéronautique, docteur en astrophysique, il avait collectionné les diplômes comme d’autres les petites amies. Recruté par l’armée, il avait suivi avec succès la formation de pilote spatial, avait été décoré pour sa bravoure pendant la guerre elmurienne, et avait finalement démissionné pour fonder sa propre compagnie de navigation. « L’armée est une bonne école, mais il vient un moment où l’homme de valeur doit cesser d’obéir. » A brûle-pourpoint il me demanda : « Que comptez-vous faire dans la vie, jeune homme ? - Je... Je ne sais pas encore. L’an prochain je devrais être diplômé d’Informatique Spatiale... Je ferais bien une spécialisation en Communication Transgalactique... - C’est un bon choix. Encore que, pendant la guerre, si les officiels avaient pu nous donner des ordres en direct, nous nous serions probablement fait écraser... » Il partit d’un rire tonitruant et regarda sa montre. « Il est tard. Vous rentrez comment ? - Il y a un arrêt de navette, pas très loin. - Je vous raccompagne. De toute façon je dois repasser au Siège. » C’est là que le jeune Alexeï, en me saluant, me glissa : « Moi quand je serai grand, je serai Sauveur de planète, comme papa ! - Toi pour l’instant », l’interrompit Kerkhov, « tu vas te dépêcher d’aller au lit, ou personne ne pourra sauver le bas de ton dos ! » Une pensée incongrue me traversa l’esprit : était-il télépathe, ou avait-il seulement une ouïe fine et une intelligence supérieure ? Pendant le trajet, il me déclara : « Si vous cherchez un job pour l’été, j’aurai quelque chose à vous proposer. Mes informaticiens pataugent lamentablement sur le nouveau prototype. Un regard neuf serait le bienvenu. Je vous attends jeudi en quinze à sept heures, au Siège. » Je le regardai partir en trombe au volant de son glisseur. Il était vingt-deux heures trente. Est-ce qu’il lui arrivait de dormir ? Cet été-là fut sans doute le plus passionnant de toute ma vie. Je travaillais quatorze heures par jour à la Vostok SI, et je n’avais même pas osé demander à Kerkhov si je recevrais un quelconque salaire ! Je n’avais plus guère le temps de fréquenter Maroussia ; elle me laissa quelques messages puis se tut, après m’avoir annoncé qu’elle partait quelque temps chez sa tante, sur la côte ouest. Il ne se passait pas de jour sans que Kerkhov ne vienne m’encourager personnellement. Plusieurs fois, il m’invita à déjeuner. Mes collègues de travail me battaient un peu froid, mais c’est à peine si je m’en rendais compte. De toute façon, personne n’était très bavard dans l’entreprise. Le travail était très prenant, des sirènes réglaient les temps de pause, et les caméras de surveillance étaient branchées jour et nuit («une simple question de sécurité », m’avait dit Kerkhov). Ce jour-là il m’avait emmené dans un aéronef de la Vostok, avec une dizaine de techniciens, visiter la base de Demon Creek, à quelques deux mille kilomètres de Boston. J’étais tellement émerveillé que quand l’appareil fit demi-tour et se posa en plein désert je ne me posai aucune question. Mes compagnons de vol, livides, s’agitaient déjà sur leurs sièges quand Kerkhov sortit de la cabine de pilotage. « Que personne ne bouge. Nous avons été détournés par un champ magnétique. Il s’agit probablement de pirates, ou d’espions d’une autre compagnie. Restez tranquilles, et il ne vous arrivera rien. » Kerkhov descendit à terre, seul. Par un petit hublot je réussis à voir un homme cagoulé et armé d’une espèce de grosse mitraillette. Quelqu’un dans la cabine s’exclama : « Ils sont quatre ! - Non, cinq... » Il y eut une fusillade, puis le sifflement aigu d’un désintégrateur à répétition. Puis le silence, étouffant, interminable. Nous étions perdus... La porte de la cabine s’ouvrit et Kerkhov, un grand sourire aux lèvres, nous dit : « Désolé pour ce petit contretemps. Nous allons redécoller incessamment. - Mais il faut appeler la police ! », s’écria mon voisin. Kerkhov lui jeta un regard méprisant. « Et pourquoi pas les services sociaux ? Ils ont eu leur compte. Warden, décollage immédiat. » La visite se déroula banalement. Nous étions tous encore sous le choc, nous traînions un peu les pieds et nos esprits n’étaient pas très vifs. Seul Kerkhov était très à l’aise, enchaînant explications scientifiques et traits d’humour, comme s’il rentrait frais et dispos d’une bonne semaine de vacances. Je me disais qu’il devait sans doute son sang froid à son entraînement militaire, mais une petite voix encore inquiète au fond de moi me soufflait que ce n’était pas sûr. A la fin de l’été je croisai Maroussia devant la bibliothèque. J’étais sincèrement heureux de la revoir, mais elle semblait préoccupée. « Alors », grimaça-t-elle, « mon père a fini de t’exploiter ? - Mais... - Travailler plus de douze heures par jour sans le moindre salaire, tu appelles ça comment ? Oh oui, je sais, quand tes employeurs potentiels liront ton curriculum avec sa lettre de recommandation... » Je restai sans voix. Comment savait-elle ? « Euh... C’est un grand homme, il... - Non ! », me coupa-t-elle abruptement. Mon frère a raison, c’est un Sauveur de planète, et tous les gens qui l’entourent sont sacrifiés sur l’autel de sa gloire ! - Tu exagères... - Mon pauvre Jordan ! Cela fait des années que je les vois passer à la maison, les grands chercheurs, les mathématiciens de génie et autres chirurgiens prestigieux ! Ils n’ont en tête que leur réussite, leur renommée, leur narcissisme incommensurable! Autour d’eux femme, enfants, amis, doivent se prosterner, s’annihiler, ou disparaître ! Ils tueraient père et mère sans sourciller si cela pouvait représenter, à leurs yeux, un progrès pour l’Humanité ! L’Humanité ! Ils n’ont que ce mot à la bouche, alors qu’ils ne savent même plus ce que c’est, que de se comporter comme un humain ! - Comment peux-tu dire ça ? » Elle me regarda, longuement. J’étais choqué, estomaqué, déçu, je la trouvais puérile et inconvenante. Peut-être une larme perlait-elle au coin de sa paupière, mais elle me salua froidement. « Adieu, Jordan ». Je ne l’ai jamais revue. J’ai beaucoup travaillé pour réaliser mon rêve. Sans doute est-ce pour cela aussi que je suis resté célibataire. J’ai repensé à elle, quelquefois, et à cette révolte adolescente qui lui avait fait juger son père si injustement. Jusqu’à ce soir... « Nous apprenons de source sûre que plusieurs charniers humanoïdes ont été découverts sur la planète Volga, ainsi baptisée par Morgan Kerkhov lors de sa découverte, il y a dix ans .Une des hypothèses envisagées, et qui, bien que troublante, semble être la plus plausible, est qu’il pourrait s’agir de cadavres d’autochtones, massacrés par les émissaires de la Vostok SI sous les ordres de Kerkhov, puisque celui-ci a toujours déclaré que la planète était inhabitée. Morgan Kerkhov est activement recherché par le Comité d’Ethique Interplanétaire. Sa femme déclare ne pas l’avoir revu depuis six mois. Cette affaire incroyable nous a été révélée par notre envoyé sur Volga, qui a bénéficié de la toute nouvelle avancée technologique de Baltimore Communication, le transmetteur instantané basé sur la dilatation temporelle, couramment dénommé ansible... » Je travaille chez Baltimore Communication depuis cinq ans. Je fais partie de l’équipe qui a mené à bien ce projet insensé, cette petite merveille... l’ansible ! Le rêve de toute ma vie ! L’ironie de la situation me frappe de plein fouet. L’horreur, aussi. Je ne suis même pas surpris. Je sais que cette information est vraie. Maroussia avait raison. Comment ai-je pu être aussi aveugle ? Il faut que je la retrouve. Même si je ne sais pas quoi lui dire. Même si elle se moque. Lui demander pardon de ne pas l’avoir crue. Il faut toujours se méfier des Sauveurs de planète. Narwa Roquen, avec une grosse bosse sur la tête Ce message a été lu 6880 fois | ||
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