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De : Maedhros Date : Mercredi 4 fevrier 2009 à 22:45:36 | ||
Bon, première de 2 courtes parties... --------------------------- Jay est un professionnel. Il aime le travail bien fait et évite les embrouilles. Dans un segment parfaitement concurrentiel, il n’est pas vraiment bon marché mais la qualité de ses prestations est telle que son carnet de commandes est plein pour le semestre à venir. Dans sa profession, il compte parmi les tous meilleurs. Finition impeccable, célérité irréprochable et garantie zéro défaut. Pas de retard, pas de réclamation et un client satisfait à tous les coups. Jay est un mélomane averti, incollable sur les oeuvres des plus grands compositeurs. Il ne se sépare jamais de son baladeur à grande capacité où il a chargé des dizaines d’heures de musique classique qu’il savoure grâce à ses écouteurs intra-auriculaires horriblement onéreux. La haute-fidélité est à ce prix. Il ne lésine pas dessus. Il a les moyens. D’ailleurs, la plupart du temps, Jay vit dans un monde à part. C’est lui qui décide des moments où il partage la même réalité que le commun des mortels. Il a jaugé ses semblables et son verdict a été définitif. Il n’est pas fait à leur image. Il est différent. Il habite au dernier étage de la plus haute tour de l’hypercentre, bien au-dessus des nuages. Quand il se lève, il aime contempler le soleil émerger de la masse cotonneuse, une tasse de café noir à la main, la symphonie du matin caressant ses oreilles. Jay est amoureux. C’est un amoureux inconstant et collectionneur. Comme il n’a pas de temps à consacrer aux parades amoureuses, chaque matin une femme différente s’étire dans le grand lit panoramique. Blonde, brune ou rousse, peu importe. Il regarde ailleurs quand elle se rhabille pour disparaître discrètement en refermant la porte derrière elle. Jay ne regarde jamais en arrière. Est-ce qu’une chose est désirable parce qu’elle est désirée ou est-elle désirée parce qu’elle est désirable ? Jay n’a jamais répondu à cette question. Jay est redoutable car Jay est un tueur professionnel. Pourtant aucune police ne le recherche, aucun mandat n’a été délivré à son encontre. Il croise régulièrement le chef de la police au hasard d’une partie de cartes dans le club très fermé qu’il fréquente près de la rivière Hudson. Ils se saluent de façon très guindée comme l’étiquette l’exige en pareille circonstance. Dans sa profession, il faut être accrédité par les plus hautes instances gouvernementales et obtenir un agrément particulier de l’Organisation des Empires Unis. Un visa indispensable qui permet d’exercer cette activité en toute légalité. Jay est plus précisément un tueur fiscal. Sa confrérie est née dans le tumulte des grands troubles sociaux du siècle précédent. Parmi les différentes spécialités, Jay a suivi la voie royale, celle réservée aux éléments les plus brillants et les mieux notés. Il a choisi la Grande Chasse. Celle qui l’amène à évoluer dans les plus hautes sphères économiques, les castes dirigeantes des puissants conglomérats industriels chinois, romains voire même aztèques. Le revers de la médaille, c’est que ses gibiers s’entourent également de mercenaires aguerris, rompus à toutes les techniques noires du combat fiscal. Ceux-ci, quelques fois débauchés à prix d’or parmi les promotions annuelles de la Guilde, n’hésitent pas à employer des méthodes expéditives. Aujourd’hui est une belle journée. Jay a étudié longuement le profil psychologique de sa prochaine proie. Le dossier lui a été transmis par une officine du Sénat Romain. La signature du questeur est apposée sous les aigles impériales enlaçant la croix catholique. Un sceau d’inviolabilité numérique garantit que le document n’a pas été falsifié. Jay sourit. La watermarque latine est assez vaniteuse, stylisant l’hydre légendaire Le motif de la décision est par contre légitime et ne souffre aucune critique. La dissimulation de revenu imposable est un crime passible de l’oblitération quel que soit l’Empire ou le rang social du criminel. C’est une infamie, une perversion. Aucune indulgence ne pourra soustraire le fraudeur à son juste châtiment. Une projection holographique dessine en 3D le visage de son contrat. Des traits fins et réguliers, des yeux noisette qui trahissent un léger épicanthus, un nez tout patricien et une bouche sensuelle. Une femme MIU sans aucun doute, loin de la banalité affligeante et standardisée des femmes MEU. Ce n’est pas non plus le même prix. Hors d’atteinte du salaire moyen annuel du vulgum pecum. Jay n’admet dans son lit que des profils MIU attestés. Le privilège de son statut. En d’autres circonstances, celle-là aurait pu partager sa couche. Elle s’appelle Li-Anne. Une eurasienne de toute évidence. Son profil génétique la répertorie dans l’arbre métissé d’une puissante famille vénitienne dont une branche cadette est implantée près de Canton. Li-Anne y dirige une holding spécialisée dans le textile à mémoire de forme. Malgré les bataillons d’experts-comptables de la famille, un audit financier conduit par une brigade de questeurs romains a révélé des mouvements comptables suspects de nature à dissimuler de la matière imposable. Aucune phase contradictoire, les questeurs sont assermentés et ne peuvent se tromper. Pas de poursuites judiciaires. Quel intérêt ? Le crime est avéré, la sentence est automatique. Jay en est le bras armé. La prime est conséquente, proportionnelle aux droits non recouvrés. Jay ne dédaigne pas ce côté lucratif qui lui assure le train de vie qui est le sien. Le ciel de la Nouvelle-Angoulême est d’un bleu étincelant. Les gratte-ciels couvrent l’île de Manhattan comme une forêt d’arbres de béton et de verre d’une prodigieuse hauteur. Dans le vaste hall, Jay salue le concierge apache. « Hugh ! » lui répond le peau-rouge, toujours aussi loquace, en secouant les longues plumes de sa coiffe. Jay s’engouffre dans la bouche du métro toute proche. Chaque minute le rapproche de son rendez-vous. Sur le quai, il se tient à l’écart de la foule des travailleurs qui rejoignent leurs bureaux. Des visages gris, souvent enfantins, qui attendent en silence. La présence de Jay les inquiète. Personne ne se sent à l’aise en présence d’un tueur fiscal. Le code général est tellement inextricable que nul n’est certain d’être parfaitement en règle avec les taxes. Il y a deux choses qui sont irrésistibles en ce bas monde, la mort et les taxes. Aucune ne fait de remise gracieuse. C’est le piment de l’existence. La rame entre en gare. Les portes coulissent et dans le wagon où monte Jay, la scène est surprenante. Tous les voyageurs se serrent d’un coté, Jay dispose du tiers restant. C’est toujours comme ça. Qui voudrait la Mort près de lui ? Coupé du monde, Jay écoute la symphonie d’un homme sourd. L’orchestre philharmonique gronde en vagues successives, dominé néanmoins par un choeur épique. L’hymne à la joie. L’apothéose. Le quatrième mouvement. La quatrième partie. Le duel des choeurs. Le fugato... Jay éprouve une plénitude extraordinaire. M Ce message a été lu 6526 fois | ||
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