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De : Narwa Roquen Date : Mercredi 1 avril 2009 à 23:09:13 | ||
Tiens, pour une fois je vais faire une intro, comme Maedhros. Le premier texte est celui que j'ai écrit dans la quinzaine pour la WA. Le deuxième, je l'ai retrouvé en cherchant autre chose sur l'ordi, il date de l'année 2000 mais il est bien dans le sujet. Pour les deux, âmes sensibles s'abstenir. En rentrant de l’école, j’ai fait mes devoirs et j’ai mis le couvert, la carafe d’eau, la bouteille de vin, les serviettes en papier que j’ai pliées en accordéon dans les verres, le sel, le poivre. Tout bien. Puis je me suis mis en pyjama et j’ai attendu. J’aurais pu jouer mais je n’étais pas sûr d’avoir le temps de ranger ma chambre avant que maman rentre. Alors je me suis assis sur le canapé, devant la télé éteinte, pour ne pas faire de bruit. « Qu’est-ce que tu fous là ? Pourquoi tu n’es pas couché ? » Je la regarde mais aucun mot ne vient, je dors encore en dedans. Son maquillage a un peu coulé, elle a lâché ses longs cheveux noirs, et elle a les yeux avec le feu qui sort. La sorcière l’a encore prise. Elle m’attrape par les cheveux, me jette à terre, commence à me donner des coups de pied en criant. « Tu m’espionnes, hein, morveux ! Tu voudrais quoi, que j’arrête de travailler ? Mais il faut bien que je te nourrisse ! » Ne pas bouger, ne rien dire. C’est trop tôt. Parfois cela suffit, elle se détourne et c’est fini. Mais ce soir la sorcière est en colère. Je repasse dans ma tête ce que j’ai pu faire de mal. C’est peut-être parce que j’ai parlé avec Léa. On n’en parle pas souvent. Mais c’est mon amie, et quand je lui parle elle me caresse la joue et elle me dit que quand je vais grandir ça ira mieux, et je la crois. Il y aura un jour où j’arriverai à chasser la sorcière. Mais pour l’instant j’ai presque neuf ans et je suis le plus petit de la classe. « Tu as mangé, bien sûr ? - Oui maman. » J’ai grignoté quelques biscuits en l’attendant. La dernière fois j’avais dit non et ça avait tout déclenché. « Et alors tu aurais dû être dans ton lit et me foutre la paix. Debout, relève-toi, je vais te faire passer l’envie de m’espionner ! » Elle défait la boucle de sa grosse ceinture, qu’elle porte large sur sa robe courte. Elle est si belle, toujours si bien habillée. C’est la plus belle des mamans de l’école. Je les vois bien, toutes, le soir, quand elles viennent chercher les autres. Pas une n’est aussi jolie que ma maman. Je suis debout, face à elle, j’attends. La sorcière réclame son dû. La ceinture se lève, siffle dans l’air. Brûlure. Pas trop forte. Brûlure, encore, encore. Mon coeur commence à battre plus vite, le dernier coup m’a un peu coupé la respiration. Les yeux de la sorcière lancent des flammes à travers les yeux de maman, mais je dois tenir. Un coup plus fort que les autres me permet d’oublier les picotements laissés par les précédents, mais me fait tomber. Je pose mes mains au sol pour me relever. Comme elle écraserait une araignée, elle marche sur ma main, me clouant à terre. J’ai mal, très mal, je respire vite, très vite, je me rapproche de ma main comme si ça pouvait la protéger, elle a mis les chaussures noires à talon haut, le talon, comme l’énorme dard d’une gigantesque abeille, il est à quelques centimètres devant moi, je le surveille, il ne faut pas qu’il me pique... La ceinture pleut sur mon dos exposé, je ferme les yeux, ce ne sont que des brûlures, ça me fait oublier ma main, je ne la sens plus. Peut-être elle va rester collée sur le plancher. Ca va être embêtant de n’avoir qu’une main, surtout pour faire du vélo. Je ne sens presque plus les coups. Il y a une immense douleur sur tout mon dos, une espèce de feu qui brûle et me fait frissonner. Et une fatigue, aussi, lourde, qui me fait tourner la tête, comme si je portais un éléphant. Mais je ne dois pas lâcher. Je sais qu’elle a besoin de moi. Elle s’est arrêtée, s’est reculée, libérant ma main. Je relève la tête, je la regarde. Au fond des yeux de la sorcière, je vois le regard malheureux et désespéré de ma petite maman chérie. Je sais qu’elle n’y est pour rien. Elle s’accroupit près de moi, me prend dans ses bras. Ses mains dans mon dos me brûlent aussi mais ce n’est pas sa faute. Je lui murmure « tout va bien, maman, tout va bien », et elle pleure, elle sanglote sur mon épaule. Un immense soleil se lève au fond de moi, c’est une chaleur délicieuse qui part de mon ventre et me réchauffe tout le corps. Ma peau picote de partout mais c’est seulement un gros coup de soleil. Tout va bien. La sorcière est partie. Le réveil sonne. Il faut que je me lève sans bruit pour ne pas déranger maman si elle dort encore. Je ne sais jamais si elle est au travail ou pas. J’ai dormi sur le côté, sans bouger. M’asseoir, d’abord. Toutes les brûlures d’hier se réveillent et ça me cogne un peu partout dedans, comme si j’avais cinquante coeurs. Je me mets debout mais j’ai le vertige. Il y a du sang sur les draps. Vite, je refais le lit. Il faudra que je les change si je rentre avant elle, surtout qu’elle ne s’en aperçoive pas. Le sac à main est sur la table de la cuisine. Elle est là. Il va falloir que je me douche. Je redoute le contact de l’eau sur ma peau. J’avale vite un bol de lait froid. J’ai fini les gâteaux hier soir et il n’y a plus de pain. Nu dans la salle de bains, je regarde la douche couler en comptant. Trois minutes. Un crocodile, deux crocodiles. Mais la porte s’ouvre à la volée. « Eh bien, qu’est-ce que tu fais ? Dépêche-toi de te doucher, je suis pressée, moi, je travaille ! » Elle reste là, elle se démaquille devant le miroir. J’entre dans la douche, je referme la porte translucide et je reçois l’eau tiède d’un seul coup sur mes épaules. Je suis sûr qu’elle est tiède. Mais j’ai l’impression qu’elle est bouillante, qu’elle m’arrache la peau, et qu’elle contient des centaines de lames de rasoir. Ca me coupe le souffle. Je ne dois pas crier. Quelques larmes s’échappent de mes yeux mais sous la douche ça ne se verra pas. Elle est toujours dans la salle de bains, je suis obligé de rester sous l’eau et je grelotte, j’ai les dents qui claquent, je ne sais pas pourquoi ça brûle et ça me fait trembler de froid. Je ferme l’eau, j’enfile mon peignoir. Le contact du tissu sur ma peau. Ne pas crier. Alors que j’ai la main sur la poignée de la porte, maman me frotte le dos pour me sécher. « Allez, mon garçon, ne sois pas en retard à l’école. » J’ai seulement fermé les yeux. C’était en train d’exploser dans ma tête. La pauvre, elle ne peut pas savoir, et je ne peux pas lui dire, la sorcière se vengerait. Je file aux toilettes, je vomis mon bol de lait, je crois que tout mon ventre va me sortir par la bouche, je vais me retourner comme un doigt de gant, peut-être je vais mourir, ça doit être comme quand on dort, on ne sent plus rien, c’est bien mais ça ferait de la peine à maman et puis il faut que je sois là pour la protéger. J’ouvre les yeux. Les coeurs cognent toujours. J’ai du mal à respirer. Je ne dois pas être en retard à l’école. Heureusement c’est l’hiver, je peux mettre des gants, un pantalon long et un sweat noir à manches longues. Même quand ça resaigne un peu, ça ne se voit pas. J’ai du mal à plier les doigts de la main gauche, elle est bleue et enflée. Pas grave, je suis droitier. La maîtresse veut qu’on joue au basket pendant la grande récré de midi. J’ai du mal à courir, et je redoute de recevoir le ballon sur la main. Je fais exprès de trébucher et de tomber. Comme chaque fois, elle s’agace. « Mon pauvre Martin, toujours aussi maladroit ! Va te mettre sur le banc, tu gênes tout le monde ! » Ma ruse a réussi. Léa me regarde, elle a compris, elle me sourit. Je l’aime beaucoup. Quand je serai grand je l’épouserai et on vivra avec maman et comme on travaillera tous les deux maman pourra se reposer. Je serai grand, et j’aurai chassé la sorcière. C’est mon anniversaire, c’est dimanche et dans deux jours c’est Noël. Maman m’a acheté un éclair au chocolat et elle m’a offert un livre sur les volcans. Tout à l’heure elle va m’emmener au cinéma, quand elle aura fini la vaisselle. Je suis fier d’avoir neuf ans. Le téléphone sonne. Je décroche. « Allô, Marie ? » Maman m’arrache le combiné des mains en me foudroyant du regard, mais tout va bien, je n’ai pas parlé. Je ne dois pas parler au téléphone. « Oui... Maintenant ? ... Mais... D’accord, j’arrive. » Elle me jette un regard froid et tandis que je feuillette mon livre je l’entends se changer et se maquiller en maugréant. Son parfum l’entoure comme un nuage de beauté. Je la regarde, je lui souris, je voudrais lui dire... « File dans ta chambre, fais tes devoirs, je ne rentre pas dîner, au lit à huit heures. Tu m’entends ? » Je ne sais pas par où est entrée la sorcière. Peut-être par les fils du téléphone. Je cligne des yeux, j’ai peur, j’ai encore des bleus partout et je... La main couverte de bagues me frappe comme une porte qui claque, avec une telle force que je tombe presque de ma chaise. « Et ne ricane pas quand je te parle ! » Je baisse les yeux. Je ne dois pas défier la sorcière. Maman est trop malheureuse, après. « Je t’ai dit de faire tes devoirs ! » Elle me prend par une oreille, m’entraîne dans ma chambre. Je me fais tout petit tout mou, j’ai du sang dans la bouche, ma lèvre a dû exploser, mais mon oreille me fait plus mal encore. Elle me fait asseoir à mon bureau, attrape la ceinture de ma robe de chambre et attache ma jambe au pied de la chaise. Elle serre fort, ça me résonne dans le ventre d’une drôle de manière, presque ça me fait du bien, c’est comme si c’était trop plein dedans, un peu comme quand on a envie de faire pipi. Je rentre la tête dans les épaules, je ne la regarde pas, je voudrais lui dire que je serai sage, que je ferai tout bien, mais ça énerve toujours la sorcière quand je parle. Alors je pense très fort en fermant les yeux « je t’aime, maman », et j’entends sa voix dans ma tête qui m’appelle son petit garçon chéri et la sorcière se venge en me cognant la tête sur le bureau, une fois, deux fois, trois fois, et puis elle me donne un coup de pied dans la jambe attachée et elle plante ses griffes dans mon bras nu et elle laboure... Haletant, j’attends le coup suivant avec des frissons de trouille et des sanglots que je retiens de toutes mes forces. Mais les pas s’éloignent, la porte se referme, la clé tourne dans la serrure. Je m’écroule sur le bureau. Tiens bon, maman chérie, on va y arriver, je te promets, on va s’en sortir... J’ai eu du mal à défaire le noeud, ma main gauche ne m’aide pas beaucoup. La nuit tombait quand j’ai réussi. J’ai essuyé le sang sur le bureau, je me suis lavé la figure. Heureusement c’est les vacances, pas de mensonge à inventer pour l’école. Je me souris dans la glace. Aïe, ça tire sur la lèvre ! Mais j’ai de la chance, quand même. Dans le frigo il reste un demi pot de sauce tomate et deux pommes. Avec un bout de pain, ça ira. Je me glisse dans les draps, je soupire de bonheur. Il n’y a pas école demain... Je me réveille dans la nuit, en nage. J’ai du mal à respirer. Une quinte de toux me force à m’asseoir. Elle me vide de tout mon air, je vais m’étouffer si je n’arrive pas à... Je hoquette, je salive, je m’étrangle à moitié. Je reprends enfin une bouffée d’air, mais ça m’arrache la gorge et ça fait un bruit bizarre, comme si des mains invisibles me serraient le cou... J’allume la lampe de chevet. Il n’y a personne. Je vais à la cuisine boire un peu d’eau, j’ai du mal à avaler, par toutes petites gorgées je peux mais c’est comme de boire des aiguilles et j’ai chaud et j’ai la tête qui tourne... « Maman ? » J’ai voulu l’appeler mais je n’ai plus de voix. De toute façon son sac n’est pas là. Il ne faut pas que je meure, je vais marcher un peu dans le salon, quand elle rentrera elle saura ce qu’il faut faire... Je tombe de fatigue. Je me niche dans un coin du canapé, avec ma couette, je grelotte et j’ai peur de m’étouffer et si la sorcière rentre avec maman... Mais non, ça va aller, d’ailleurs je n’ai plus froid, je suis dans un grand bain brûlant, la sorcière m’a jeté dans son chaudron qui bouillonne, c’est de la lave de volcan, les montagnes se soulèvent tout autour de moi, il va y avoir une éruption et un tremblement de terre, il faut que je prévienne maman pour qu’elle se mette à l’abri, mes clés sont dans mon anorak, il faut les clés pour ouvrir la porte de la grotte, c’est tout noir dehors mais je dois trouver mon chemin. Le sol se dérobe sous mes pieds, je bascule vers l’avant, je tombe, on dirait un escalier, ça fait du bruit, je ne dois pas faire de bruit... Il y a eu l’hôpital et des gens qui parlaient à voix basse à côté de moi et qui me souriaient d’un air bizarre. Une dame sans blouse blanche m’a demandé où était ma maman et j’ai dit qu’elle devait être au travail. « Je sais ce qui s’est passé. Nous en parlerons plus tard, si tu veux. Tu vas te reposer et puis tu iras chez une gentille dame qui va bien s’occuper de toi. C’est fini, maintenant, tu n’as plus rien à craindre. » Je n’ai rien compris. Les grandes personnes parfois il vaut mieux les laisser dire. Cette dame est revenue et m’a emmené dans une grande maison à la campagne. Il y a un couple, leurs deux enfants plus grands que moi, et le chien, Titou. « Qu’est-ce que je fais là ? - Tu vas vivre ici, maintenant. » Mon coeur se casse en deux. « Où est ma maman ? - Ecoute... Elle est malade, très malade. Tu seras bien ici. - Mais je veux voir maman ! » La dame détourne les yeux comme si j’avais dit un gros mot, elle soupire. « Nous en parlerons plus tard. Tu sais bien... Ici personne ne te fera de mal. » Qu’est-ce qu’elle s’imagine ? Que maman me battait ? Ma pauvre petite maman chérie, elle n’aurait jamais pu ! Mais je ne peux pas lui parler de la sorcière, les grandes personnes n’y croient pas. Maman me manque. Léa me manque. Ils sont tous très gentils, ici, mais ce n’est pas ça que je veux. Et puis ils me font trop manger, je ne peux pas, une fois sur deux ça déborde et je vais vomir aux toilettes et c’est pas marrant. Ils m’ont emmené à l’église, dimanche dernier, il faisait froid, j’ai pas l’habitude, je me demande à quoi ça sert ; dans un coin il y avait une statue de la Sainte Vierge, avec son bébé dans les bras. Elle m’a souri, ça m’a fait drôle, c’était le même sourire que maman. Demain je vais retourner à l’école, leur école, dans le village. J’ai pas envie. Léa ne sera pas là, je connaîtrai personne, j’ai pas envie d’être tout seul. C’est la dernière nuit avant la rentrée et je n’arrive pas à dormir. J’ai du trop plein dans le bas du ventre, ça me pèse, ça me gêne, il me manque quelque chose. Je ne sais pas pourquoi je me lève, je trouve à tâtons la grosse armoire, je glisse mes doigts dans la porte et j’appuie. Ca ne fait pas assez mal, je ne suis pas assez fort. Alors je passe la main dans la charnière et j’appuie de tout mon poids pour fermer la porte. La douleur est fulgurante, intense, lumineuse, extraordinaire. J’ai le souffle coupé, j’entends enfin la voix de maman qui résonne dans ma tête. « Mon petit garçon chéri, mon amour, mon tout petit... » Une immense chaleur m’envahit, je suis bien, je suis au paradis. Ave Maria. Enfin, le silence. Plus que la douleur, c’est le bruit qui est insupportable. Je peux enfin m’entendre soupirer. Tout mon corps n’est que douleur, brûlure, écrasement, masse informe tellement confusément souffrance que je ne peux plus me souvenir. Une larme roule sur ma joue, c’est une délivrance. Le sol est dur, humide. De toute façon, je n’ai pas la force de bouger. Par chance, j’ai le nez cassé, les odeurs doivent être épouvantables. Je râle un peu par la bouche en avalant mon sang, mais qu’est-ce que je suis bien ici, seule ! J’ai des vagues de lumière qui passent devant mes yeux, des déferlantes de chaleur qui m’inondent le corps, je suis heureuse ! J’ai tenu. Ils ne savent pas où tu es, Gerry, mon amour, ils ne te trouveront pas ! Moi la gamine, quinze ans à peine, fragilotte, pas cinquante kilos, la blondinette qui les faisait ricaner ... je n’ai rien dit. Bien sûr ils m’ont violée, frappée, torturée, brûlée. Comme si j’étais un homme fait. Peut-être pire. Mais je n’ai rien dit. Eh, je la connais sa planque, à Gerry, je la connais ! Il a rendez-vous avec des potes, ce soir, ils vont recevoir des armes, la révolution est en marche ! Je suis un insecte écrasé mais mon coeur est un papillon libre. Quelque chose loin à gauche me fait plus mal que tout le reste. Ma jambe, je crois. Je me suis évanouie quand ils ont descendu la presse. Je suppose qu’elle est cassée. Ca n’est pas très important puisque je vais mourir. C’est drôle, je n’ai pas peur. Je vais m’envoler doucement vers le paradis. Déjà quand la douleur m’oublie j’ai l’impression de planer légèrement, je ne sens plus le froid de cette dalle en béton. J’ai soif. Je me souviens quand on allait se baigner au ruisseau avec mes soeurs. Lola faisait les yeux doux à Gerry ; ils ont le même âge, moi j’étais la petite, celle qu’on envoie cueillir des fleurs. Mais Gerry venait cueillir des fleurs avec moi, et Lola était furieuse ! Allez, Lola, tu pourras l’épouser, notre Gerry, je ne serai pas jalouse, pourvu que tu l’aimes autant que j’aurais pu l’aimer ! Ca ne m’a pas gênée qu’ils me violent. Je veux dire, ça ne fait pas plus mal que les cigarettes écrasées sur les seins ou les ongles arrachés. Peut-être cela aurait pu être difficile de vivre après ça. Mais je n’aurai pas à le faire. J’aurais voulu être heureuse avec Gerry. Ses baisers sont les plus doux du monde, s’ils avaient envoyé Gerry pour me torturer, j’aurais sûrement tout avoué ... J’ai la tête qui tourne, je n’ai pourtant rien bu. Je m’envole, je suis légère ... Il y a quelque chose qui cogne dans ma tête, mais en volant je suis sûre que ça va passer. Je me souviens : j’ai eu très mal. Je ne savais pas que je pouvais avoir aussi mal. Le pire, c’est que ça durait, et ça recommençait ; dès qu’une douleur se calmait, il y en avait une autre. C’est la répétition qui est épuisante, parce qu’on commence à avoir mal avant d’avoir mal. Et quand on a mal, finalement, c’est pas pire. Maintenant j’en frissonne. Frissonner de douleur, je ne savais pas. Tout à l’heure j’étais un peu débordée. La seule solution c’était de partir. Sinon je serais morte avant, et Gerry avait besoin de temps. Partir, je sais faire. Quand maman m’enfermait dans le placard, je partais. Gerry ne le sait pas, mais c’est peut-être grâce à ma salope de mère qu’il va survivre. Je ne lui en veux pas, la pauvre, elle était folle à lier ... Je ne voulais pas parler. Je me suis dit : "Maintenant, tu ne sais plus parler. Aucun son ne peut plus sortir de ta bouche. Tu n’as plus de langage, c’est comme quand tu étais bébé, tu n’es plus qu’un corps sans parole." Et je n’ai rien dit. Et puis c’est comme si mon corps m’avait été étranger. Une douleur constante, diffuse, avec parfois des soubresauts plus forts, mais loin, très loin de moi. Le bruit, gênant. Des hommes qui hurlent, m’insultent, rient ... Je ne les écoute pas. Je ne sais même plus s’ils parlent ma langue. De toute façon je ne saurais pas leur répondre. J’ai tenu. Je me souviens du sirop d’orgeat que faisait ma grand-mère. C’était sucré, ça consolait de tout. Ces pauvres hommes ont perdu leur temps. Je ne leur en veux même pas. Ils vont mourir, eux aussi, tôt ou tard. J’aime le monde entier, je suis en paix avec le monde. Gerry va venir. Il me trouvera morte mais il saura que je n’ai pas parlé. Ne sois pas triste, mon amour. Donne-moi un dernier baiser sur le front avant de me mettre en terre. Pardon, je serai froide, mais si tu savais comme je brûle à l’intérieur de moi ! Je suis bien ! Je suis une boule de feu, un brasier ardent, je peux réchauffer le monde entier ! J’entends du bruit, très loin, dehors. Des coups de feu. Prends garde, Gerry, ils sont au moins dix, peut-être douze, à la fin je ne comptais plus bien ... Je me dilue lentement dans l’espace. Des oiseaux blancs s’envolent de moi et remplissent le ciel .Je m’en vais mais tu es vivant, je suis heureuse. "Niña, Niña, où es-tu ?" C’est drôle que tu ne m’aies jamais appelée par mon prénom. La porte s’ouvre, je reconnais tes bottes près de mon visage. Ta main dans mes cheveux. Je ne sais pas si ma bouche peut encore te sourire, mais j’essaie très fort. Tu es venu, tu es vivant. Je ne peux plus rester, mais je ne te quitterai jamais. Je t’ai donné ma vie pour que tu saches que je Narwa Roquen,moi c'est Arnica 7 CH, et vous? Ce message a été lu 7013 fois | ||
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