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De : Maeglin Page web : http://Maeglin Date : Lundi 26 octobre 2009 à 16:01:57 | ||
Ô vie heureuse des bourgeois En quittant la salle du trône, je n'ai pas pu m'empêcher de leur dire que j'étais « extrêmement déchu » par leur décision. L'Angely s'est esclaffé, a récupéré ses effets puis m'a suivi en feignant de grotesques sanglots. Mon pauvre bouffon! Le pitre a pleuré pour de bon lorsque nous avons été recrutés comme charbonniers dans ce village des Marches Brunes. Ah il faut le voir suer à chaque coup de pelle! « Mon bon Roi! Mon bon Roi! Qu'avons-nous fait pour mériter une telle humiliation?». Avec ses larmes qui creusent un sillon clair le long de ses joues noires, le bougre continue à me faire rire comme au temps du Palais. Je dois être le seul à me souvenir des cocasses broderies enfouies sous sa chemise sale et nous ressemblons désormais tous deux à des gueux dépenaillés, mais L'Angely reste ce qu'il est: un fantasque tragédien de cour au service de son roi. Ce qui nous a évidemment plongé dans toutes sortes de situations délicates et incongrues. Lorsque l'abolition des privilèges a été votée à l'unanimité par le Conseil des Pairs du Royaume -qui s'est de facto dissout dès la promulgation du décret- le tout nouveau citoyen L'Angely a expressément tenu à faire porter à chacun de ses membres deux lettres portant mon sceau: l'une se morfondait sur le funeste destin prêt à bondir sur le pays privé de ses plus brillantes élites, et l'autre s'épanchait en insultes furibondes sur le ramassis de traîtres à la solde des meutes paysannes que la fine fleur du Royaume était devenu. J'eus beau lui expliquer que mon sceau ne valait désormais que son poids en argent et qu'il nous servirait une dernière fois pour payer notre gîte, il ne s'est pas démonté et a passé sa nuit à haranguer la taverne où nous avions pris nos maigres quartiers, en passant en revue de manière bruyante les insidieux méfaits de la lubie démocratique dont s'était amouraché notre pays. Éberlués, les quidams qui venaient de passer la lune précédente à fêter l'instauration de la nouvelle république l'ont même applaudi et lui ont offert plusieurs bolées de cidre, rendant ainsi un hommage décalé à ses inextinguibles talents d'humoriste. Aussi paradoxal que cela eut pu paraître, L'Angely parut flatté de ces attentions et se convainquit même d'un possible retour en grâce d'ici l'été suivant. Bientôt trois années... Ce sont de petites choses, mais il continue d'ouvrir les portes avant moi et goûte systématiquement le brouet du midi avant que je n'y porte la main. A chaque fois que nous arrêtons le travail, je me sens obligé de sourire aux douteux calembours mondains – que je connais par coeur – dont il ponctue ses rengaines. Il insiste d'ailleurs pour me conter régulièrement une « savoureuse et croustillante anecdote toute fraîche » sur d'anciens nobles désormais morts, en exil ou ayant connu le même sort que nous. Au fil des jours, j'ai abandonné l'idée qu'il puisse réellement s'adapter aux substantiels changements de notre époque. Pour moi? Et bien j'imagine que ma situation n'est pas pire que celle de mes concitoyens. Plutôt meilleure, dans le sens où j'ai grassement profité quelques années de faste. Mais le coeur n'y était plus. Toutes ces histoires de Droit Divin, plus personne n'y croyait depuis des lustres. Les trente officiers de cour sur le pied de guerre de l'instant où j'ouvrais l'oeil jusqu'à celui, le plus heureux, où je m'endormais, les applaudissements de mes médecins à chacune de mes selles, je m'en suis passé plutôt facilement. Le pouvoir? Principalement symbolique, quelques breloques dorées pour incarner un jour l'Armée, l'autre la Justice, le surlendemain la Nation... les bourgeois ont pris le véritable pouvoir depuis une dizaine de générations, en refusant intelligemment les relents désuets et nauséabonds des majestés consanguines qui forniquaient entre cousins à travers le continent depuis des siècles pour perpétrer jusqu'à l'absurde le privilège de se sentir au dessus de leur condition. Ma chance fut d'être un bâtard, de ceux dont il est bienvenu qu'ils accèdent aux trônes pour barrer la route de tel ou tel ambitieux. Le droit des affaires a supplanté le droit du sang... Qu'ils s'en débrouillent désormais! L'Angely a assez de rancune pour nous deux. Je suis encore en bonne santé, et bon gré mal gré mes précepteurs m'ont inculqué quelques bribes de savoir dont ils étaient à des lieues de se douter qu'elles puissent m'être utiles un jour. Alors quand le charbonnier ira s'installer l'hiver prochain dans l'autre vallée, j'essaierai de reprendre l'exploitation du village avec l'aide des paysans. L'Angely fulminera, évidemment, mais il ne me quitterait pour rien au monde. Ici, j'apprends chaque jour un peu de ce à quoi on m'a soustrait durant ces années: la sensation d'être en vie... Parfois dans la douleur et souvent dans la misère, mais j'ai confiance en l'idée de faire partie d'une histoire qui nous dépasse. Naïf? Sans doute, mais le peu d'espoir qu'il nous reste à tous s'épanouira toujours plus au grand air que dans les alcôves intrigantes des châteaux, et je demeure le mieux placé pour tenter de vous en convaincre. Il est un peu tôt, bien sûr, mais il faudra un jour ou l'autre régler le sort des négociants qui ont investi l'ancien royaume. Vous n'avez fait que la moitié du chemin. Demain, les bourgeois en demanderont encore et c'est vers le peuple qu'ils tourneront leurs griffes. Nous devrons être vigilants et nous organiser. Je me proposerais peut-être: le projet séduira L'Angely, il y verra certainement un regain d'ambition de ma part. Ce message a été lu 7093 fois | ||
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3 Exercice 69 : Maeglin => Commentaire - Estellanara (Mer 6 jan 2010 à 16:40) 3 Tiens Manant... (1) - Maedhros (Sam 14 nov 2009 à 19:19) 3 Commentaire Maeglin, exercice n°69 - Narwa Roquen (Ven 6 nov 2009 à 22:54) |