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 WA, exercice n°77 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 22 avril 2010 à 23:54:44
Bizarre, vous avez dit bizarre? Allez, après le concret, cette fois nous plongeons dans l'étrange. La métempsycose, ça vous dit? Non, ce n'est pas une maladie mentale. Mon ami Robert la définit comme une "doctrine selon laquelle une même âme peut animer successivement plusieurs corps humains ou animaux, et même des végétaux". En clair, il s'agit de réincarnation. Laissez tomber les humains. Etes-vous prêts à vous réincarner en animal, ou même en végétal? Nous avons déjà parlé en tant qu'animaux, dans la WA n°30; mais là en plus, il y a la réincarnation, qui ouvre des horizons nouveaux... Laissez libre cours à tous vos délires! Le texte peut être drôle ou terrifiant, à votre convenance.
Vous avez trois semaines, jusqu'au jeudi 13 mai, l'Ascension, enfin un jour férié, vous n'aurez pas d'excuse si vous ne participez pas...
Narwa Roquen,vous avez lu Kafka?


  
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Réponses à ce message :
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2010-05-14 17:37:27 

 WA - Participation exercice n°77Détails
a short story...


CA S’EN VA ET CA REVIENT


La porte a claqué. Elle est partie. Je sors sur le balcon qui surplombe la rue. Juste à temps pour l’apercevoir surgir de l’immeuble et remonter le trottoir vers la bouche de métro. Elle marque un temps d’arrêt mais ne se retourne pas. Je pourrais encore l’appeler. La retenir. La rejoindre et reconnaître que cela n’en vaut pas la peine. Je laisse mourir cet instant unique où tout aurait été différent. Possible. Sans l’ombre d’un regret. Comme d’habitude. A quoi bon? C’est trop mièvre, digne d’une histoire à l’eau de rose. Les histoires d’amour finissent mal. Je ne cesse de le vérifier. Encore et encore. Le monde ne s’arrête pas. Le ciel ne s’est pas ouvert et la foudre ne m’a pas frappé en plein coeur. Elle a disparu quand je reporte mes regards vers l’endroit où elle se tenait. Engloutie. Enterrée. Il n’y a pas eu de crise, pas eu de cris. Une banale histoire s’est achevée. Une histoire comme il s’en est écrit des milliers. Et comme il s’en écrira encore beaucoup plus.

Il fait presque beau en cet après-midi de mai et Paris demeure la plus belle ville du monde. J’aime cette ville. La façon dont elle traverse les époques sans se perdre ni se renier. Je laisse glisser mes regards vers le fleuve qui scintille sous le pont et les vers d’Apollinaire me reviennent en mémoire :

Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent


Les statues contemplent l’onde qui fuit sous les arches. Je connais leur secret mais le tairai à tout jamais. Elle est partie. Je la reverrai. Je les revois toutes. C’est une malédiction. Pour moi. Pas pour les autres non. Mon coeur espère mais ma raison désespère. Elles se ressemblent tellement. Comme les images successives d’un folioscope. Mais il manque toujours un détail, un insignifiant détail qui jette une ombre sur le tableau, qui me fait immédiatement comprendre que je me suis encore trompé. Oh, pas grand chose. Presque rien. Mais cela fait toute la différence et corrompt l’accord parfait. Ce n’est pas elle. Alors inévitablement, je suis aspiré dans une spirale infernale qui me conduit vers la même et tragique fin. Une fin qui se répète inlassablement.

Il n’y a pas de bonne façon de mettre un terme à une histoire d’amour. Ceux qui vous racontent le contraire sont des bonimenteurs. J’ai l’expérience. Une très longue et éprouvante expérience. A présent, ce n’est plus douloureux, juste malaisé. Des approches et des évitements, des phrases en guise de balises et des gestes très légèrement décalés. Un processus irrésistible et infaillible au résultat assuré. Les premières fois, cela fait mal. La douleur est un moyen confortable de se pardonner. J’ai souffert alors cela veut dire que j’ai payé le prix. C’est aussi une illusion. Une forfaiture. Une trahison. Car elles ignorent ce que je sais. Elles ne me reconnaissent pas, contrairement à moi. Cela me confère un avantage déloyal. Je suis conscient de ce qui m’arrive mais je ne parviens pas à m’évader du monde du désir. Telle est ma malédiction.

Alors je laisse dans mon dos la porte-fenêtre grande ouverte et j’enjambe sans hésiter la balustrade. Je reviendrai. L'enfer est fait de tous petits riens.

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2010-05-15 23:13:10 

 WA, exercice n°77, participationDétails
SEPT VIES




Je suis debout dans une pièce toute blanche, sans porte ni fenêtre. Il y règne cependant une lumière douce et vive à la fois, comme si l’air s’éclairait de lui-même. Je suis nu. C’est étrange. Je n’ai pas froid. J’essaie de me souvenir de quelque chose. Ah oui. Je m’appelle Joseph. Joseph Valence. J’ai eu très mal dans la poitrine, c’est ça. J’avais beaucoup travaillé toute la semaine, très peu dormi, beaucoup fumé, beaucoup bu de café, mangé n’importe quoi. Enfin le projet était bouclé, les acheteurs convaincus, et j’avais roulé toute la nuit dans la DS pour rejoindre Marie-Luce à Marseille. Et là, en bas de son immeuble, à l’instant où j’allais enfin rejoindre la femme de ma vie...
C’est injuste. Je n’ai fait de mal à personne. J’ai toujours beaucoup travaillé. Bon, j’aurais pu construire des HLM au lieu de luxueuses villas, mais architecturalement c’est beaucoup moins amusant. Oui, j’ai fait exproprier des pauvres pour construire de grands complexes modernes, mais c’est le progrès. J’ai accepté quelques dessous de table, et alors, tout le monde le fait. J’ai toujours surveillé de près mes chantiers... Je n’ai jamais fait de sentiment, mais le bâtiment c’est dur, si les gars se blessent c’est leur faute, ils n’ont qu’à faire attention. Il faut tenir les délais. Je ne suis pas pire que les autres, je n’ai jamais assassiné personne, j’ai seulement gagné ma vie. Il le fallait, parce que Marie-Luce aime les belles choses et que je voulais lui offrir une vie de rêve. J’ai tout quitté pour elle, Sophie, les enfants, l’appartement de l’avenue Kléber et la maison du Cap Ferrat. Marie-Luce voulait faire une croisière sur le Nil, j’ai les billets dans mon portefeuille. Elle voulait un solitaire de chez Van Cleef, la précieuse petite boîte est dans ma poche... Penser à elle me fait monter les larmes aux yeux. Je dois être encore fatigué. Pourquoi suis-je nu ? Mon corps a l’air d’avoir rajeuni, je marche un peu, je n’ai plus cette douleur au genou qui me gêne depuis trois ans... Je me penche en avant, mes doigts touchent aisément le sol sans que je plie les jambes, je suis tout souple, si mes enfants voyaient ça...
Une porte vient de coulisser devant moi. J’ai l’impression qu’il faut que j’aille quelque part. Il y a un long couloir aussi blanc et aussi désert que cette pièce. L’air est le même, toujours lumineux. Une voix dans ma tête me dit de marcher. Je redresse mes épaules, je rentre le entre, je marche.
« Joseph... tu n’as toujours rien compris... »
La voix qui me parle est douce et féminine. Pas sensuelle, non, plutôt maternelle. Comme la voix d’une mère idéale, toujours aimante, compréhensive, indulgente. J’ai envie d’éclater de rire en pensant à ma propre mère, qui ne m’a toléré que parce qu’elle n’a pas trouvé de faiseuse d’anges... J’étais « l’accident ». Il y avait déjà trois enfants avant moi, c’était plus qu’assez. J’ai poussé comme le chiendent. On me l’a assez reproché.
Et puis, quand j’ai rencontré Marie-Luce...
« Joseph... Est-ce que tu te souviens de tes vies antérieures ? »
De quoi parle-t-elle ? Je m’appelle Joseph Valence, j’ai cinquante-deux ans, enfin... je les avais... J’ai bien l’impression que je suis mort à Marseille ce matin, au moment où je croyais que tout allait commencer... Alors pourquoi suis-je toujours vivant ? C’est une expérience troublante. Et puis cette voix est tellement gentille. Je m’arrête, je cherche autour de moi mais il n’y a personne.
« Ne t’arrête pas. Tu pourras t’arrêter quand tu auras compris. Souviens-toi, Joseph... »
C’est comme un vertige qui me prend et je m’appuie au mur pour ne pas tomber. Ma tête va exploser...
En une seconde je me souviens avoir été un paysan piémontais, dans un lointain Moyen Age. J’avais un petit lopin de terre, non loin de Vercelli, et les seigneurs qui faisaient la guerre chevauchaient sans vergogne dans mon champ de blé et il ne fallait rien dire...
« Grazie, Giuseppe ! »
Elle avait le sourire de la madone quand je lui offrais des fleurs sauvages. Elle venait parfois se promener près de la chapelle, si pâle sous son ombrelle... Elle s’appelait Donna Marialuce et c’était le portrait de... Non, c’était Elle, seulement Elle, et je l’aimais, mais c’était l’épouse du Seigneur Della Rovere et je ne pouvais que frémir en vain quand elle prononçait mon nom.
Un jour Nino est passé me voir, à la nuit tombée, avec des airs de conspirateur.
« Demain on attaque le château.
- Pourquoi ?
- E allora ! Tu n’en as pas assez ? Le gros porc s’engraisse sur notre dos, il viole nos femmes et nos filles quand ça lui chante, les trois quarts de nos récoltes sont pour lui... Ah oui, tes parents sont morts, tu es célibataire, la vie est belle... Mais pense à nous, Beppe ! Il faut que tu nous aides ! Tous les bras seront précieux, demain.
- Oui, oui, bien sûr... »
Après son départ, j’avais filé en douce au château, Elle m’avait reçu, je l’avais prévenue. Elle m’avait fait donner un bol de soupe aux cuisines sans m’accorder un regard, mais je l’avais sauvée, j’étais heureux.
Au matin j’ai accompagné les autres parce que peut-être j’aurais pu la voir encore une fois, la défendre au besoin, et elle m’aurait remercié. Cent archers étaient présents sur les remparts. La première flèche fut pour moi.
Je n’ai jamais eu l’impression d’avoir trahi. J’ai seulement protégé la femme que j’aimais.



« Tu n’as rien compris, Joseph. Que s’est-il passé ensuite ? »
Ensuite... Il y a eu la pièce blanche, la même voix. Et puis ce corps tordu, difforme, ces crises diaboliques qui me faisaient sauter comme un pantin au bout d’une corde, j’étais maudit. Autour de moi des monstres et des fous, qui bavaient et se roulaient dans leurs excréments. Pour tout bagage une chemise en coton et le brouet insipide à tous les repas. Parmi les religieuses, il y en avait une qui illuminait ma vie. Ses yeux profondément bleus étaient empreints de bonté et de compassion, et je restais des heures à genoux à prier Dieu pour que je puisse guérir et l’emmener loin de cet asile immonde et l’épouser.
Et puis le Père Médecin, Ignazio de Cortès, est venu nous examiner tous. Pendant qu’il me prenait le pouls j’ai eu une crise. Je l’ai vu se signer pendant que je sombrais dans l’horrible tempête de mon cerveau malade. Je me suis réveillé sous les coups de sa sandale.
« Debout, chien. Tu t’es encore souillé ! Si tu es un chrétien, lève-toi, et je ferai sortir le Diable de ton corps.
- Soyez patient, mon Père. Ces crises sont épuisantes pour lui. Il lui faut du temps pour...
- Taisez-vous, ma soeur. Que savez-vous des desseins de Dieu ? L’être qui se tord à vos pieds n’a plus rien d’un homme ! »
Je me relevai sur un coude. De ma bouche en sang je parvins à articuler :
« Je ne suis pas un chien. Vous n’avez pas le droit ! Vous ne savez rien de la compassion. Dites-lui, soeur Luzmaria, dites-lui les paroles de Christ : « Bienheureux les simples d’esprit...
- Blasphème, blasphème ! Cet être est possédé ! »
Je vis la fine sandale en cuir de Cordoue se précipiter vers mon visage. De ma large main je la saisis et j’enfonçai mes dents cariées dans la chair grasse du mollet...
Je fus brûlé sur le bûcher. La douleur est encore présente sur ma peau, glaçante, stupéfiante, inhumaine.


« Et puis, Joseph ? »
Le couloir est interminable, mais marcher m’aide à réfléchir.
La pièce blanche, le couloir, la voix.
Un parfum de sous-bois humide, la faim au ventre, la solitude, le froid. Débusquer des lapins dans leur terrier, dévorer leur chair tiède et les os qui craquent sous le croc, avaler jusqu’à la dernière touffe de poils... Pister les poules imprudentes, échapper à la fourche du fermier... Lécher cette blessure à la patte, faite par une pierre tranchante au milieu du ruisseau... Et la faiblesse, la fièvre, l’épuisement...
« Mais tu es folle, Lulu ! Ecarte-toi !
- Mais non, papa, regarde, il est gentil ! Je l’ai trouvé mourant près de la source, j’ai soigné sa patte avec des herbes comme grand-mère me l’a appris. Regarde, il va mieux, il me lèche la main. C’est un bon chien ! »
Elle m’appelait Jo. Pour elle, je gardais les moutons, je rentrais les vaches, je ne touchais plus aux poules. En été, elle me cueillait des fraises des bois. Je n’aimais pas trop ça, j’aurais préféré un lièvre, mais elle riait tant quand je les prenais délicatement dans sa main... Pour elle, je me roulais sur le dos, je courais après les bâtons qu’elle lançait ; j’écoutais ses confidences et je léchais ses larmes en plein soleil au lieu de faire la sieste à l’ombre, je ne la quittais même pas pour aller chasser quand mon ventre grondait de faim – le fermier n’était pas généreux. Mais son sourire et ses caresses, sa manière de me dire « Bon chien Jo, très bon chien », jusqu’au moindre de ses regards m’enveloppant de tendresse, tout cela me rendait tellement heureux que je n’avais envie de rien d’autre.
Un jour, au moment de rentrer les bêtes, elle s’aperçut qu’il manquait un petit. C’était l’automne, les premiers vents froids s’étaient levés, la nuit tombait plus vite. Son père la gronderait et sa main serait lourde si elle avouait sa négligence. Je suivis la piste et je l’entendis courir derrière moi.
Il ne restait plus qu’une carcasse froide dont trois loups malingres se disputaient les restes. Leurs petits yeux cruels se tournèrent vers moi. Je hérissai mon poil plus par habitude que par conviction. Ils étaient maigres, mais ils étaient trois. Je me tournai vers Lulu, souhaitant qu’elle s’enfuie au plus vite, mais elle restait là, sidérée, impuissante... Les loups retroussèrent les babines, espérant sans doute un autre festin.
Je me battis. Personne ne toucherait à mon humaine tant qu’il me resterait un souffle de vie. Les morsures étaient brûlantes mais mes crocs savaient aussi où frapper. Enfin Lulu sortit de sa torpeur et utilisa son sifflet, encore et encore, et elle appela au secours de toute sa frêle voix d’enfant, et elle essaya de me porter secours en frappant les loups de sa petite baguette de noisetier.
Le fermier n’était pas très loin. Il entendit les cris de sa fille. Je perçus sa course pesante entrecoupée de hurlements affolés. Son couteau siffla dans les airs près de mon oreille, transfixiant la bête qui s’accrochait à ma gorge. Alors, je tombai.
Je ne sentais plus la douleur. L’herbe était fraîche, la nuit tombait. Ses larmes tièdes coulèrent sur mon museau en sang. Ce fut mon dernier instant de bonheur.


La pièce blanche, la voix.
« Tu as fait tout ce que tu pouvais. Tu t’es bien comporté. Te souviens-tu de ta vie suivante ? Nous t’avions choisi une époque passionnante... »


Je m’appelais Joséphine. Mon père était boulanger rue Vieille du Temple. J’allais livrer le pain chez les bourgeois et les nobles avec ma petite charrette à bras. C’était un travail d’homme mais j’étais solide et mes deux frères étaient morts de la fièvre. J’adorais aller à l’hôtel de Montigny, parce que parfois je croisais la demoiselle. Elle avait à peu près mon âge, elle n’était pas fière, et nous étions presque devenues amies. Marie-Lucie de Montigny, ça, c’était un nom ! Elle était si belle, et elle avait tant d’esprit...
Mon père disait que les nobles affamaient le peuple, et que le roi aurait mieux fait de quitter Versailles pour le Louvre, comme ça il saurait ce qui se passait dans sa bonne ville ; et puis surtout, il devait chasser l’Autrichienne, cette dévoyée qui ruinait la France... A vrai dire, ça ne m’intéressait pas. Mais je voyais bien que les temps étaient difficiles. En mai 89, nous commençâmes à manquer de farine, les récoltes avaient été mauvaises l’année d’avant. Les gens étaient mécontents, et le vieux Paul, qui tenait la taverne rue des Francs-Bourgeois, venait souvent la nuit, après la fermeture, pour bavarder avec mon père tandis qu’il pétrissait – quand il avait de quoi. Sinon, il allait passer la nuit à boire et à écouter les nouvelles, qu’il nous relatait le lendemain. Ah, que d’espoir ! Les Etats Généraux, l’Assemblée Nationale, le serment du Jeu de Paume, et comment Mirabeau avait tenu tête au marquis de Dreux-Brézé... Et puis il y eut la prise de la Bastille, en juillet, et une belle pagaille dans toute la ville, mon père m’avait interdit de sortir, pas de charrette, j’étais heureuse ! Mais quand le lait vient à bouillir, il déborde même si on le sort du feu. Et la violence s’étendit sur Paris, comme une épidémie de peste. Tous les jours, on racontait que tel duc s’était enfui, que tel baron avait été assassiné avec toute sa famille, et que la Reine voulait envoyer l’armée sur nous !
Avec tout ça, je ne livrais plus grand-chose et Marie-Lucie me manquait.
Le père était à la taverne, la mère en avait profité pour se remettre au lit. Je n’eus aucun mal à m’éclipser sans bruit, toute heureuse à l’idée de revoir mon amie. Si j’avais su !
Le domestique qui m’ouvrit sembla un peu gêné quand je lui demandai si mademoiselle était là. Derrière lui, en habits de voyage, monsieur le Comte eut un sourire étrange.
« Entrez, entrez, mon enfant ! Marie-Lucie est allée en promenade avec sa mère, mais elles ne sauraient tarder. Voulez-vous vous joindre à nous pour le déjeuner ? Ma fille sera ravie de vous voir, elle me parle sa ns cesse de vous... Hem... J’y pense... Voilà plusieurs jours qu’elle me rebat les oreilles à propos... d’une robe qu’elle... voudrait vous donner... Eugène, vois donc avec Marie si elle peut la trouver. Si, si, je vous assure, c’est avec plaisir... »
Je fis donc mon entrée dans la salle à manger, haute de plafond comme une église, avec des portes dorées, des miroirs dorés, des meubles dorés... La servante m’avait aidée à enfiler une splendide robe bleu ciel et d’adorables souliers vernis qui m’étaient un peu petits, mais qu’ils étaient beaux...
Je pris place face à monsieur le Comte, me demandant comment j’allais faire pour ne pas être ridicule. Mais ce n’était pas très important. Je vivais un conte de fées, ou du moins je le croyais.
« Mangez, mangez, chère enfant, ma femme et ma fille nous rejoindront sous peu. »
Je m’efforçai de ne pas me jeter goulûment sur cette viande tendre et parfumée. Dieu me garde, je n’avais de ma vie rien mangé d’aussi bon !
Il y eut un fracas à la porte d’entrée, un bruit de bousculade, des cris, des insultes. La porte de la salle à manger vola en éclats sous le pied d’un sans-culotte. Le Comte bondit de sa chaise et sauta par la fenêtre ouverte. J’entendis le galop d’un cheval sur le pavé de la cour.
« Ah, l’aristo nous a laissé sa rejetonne ! »
La bouche ouverte encore pleine de viande, je regardai bêtement ces hommes armés de pistolets et de sabres, il me sembla en reconnaître quelques-uns.
« Eh bien, citoyenne, on te dérange ? »
Ils se jetèrent sur moi, me ceinturèrent, j’essayai de leur expliquer que j’étais Joséphine, la fille du bou...
Un sabre s’abattit sur mon cou. Je vis le sang tacher la belle robe bleue et je rendis l’âme en pleurant.


« Pas de chance, n’est-ce pas, Joseph ? Mais quelle idée, aussi, d’aller là-bas... Pourquoi attires-tu toujours la violence ? Est-ce que tu as réfléchi à la question ? »
Je ne me souviens pas avoir trouvé la réponse.


C’était en l’an de grâce 1851, et c’était le 13 mai. Mon dernier jour d’insouciance.
Le professeur Alquié nous avait convoqués dans son bureau.
« Messieurs, je suppose que vous avez lu le Messager? Une terrible épidémie s’est déclarée à Pézenas et dans ses environs. Le journal parle de peste, mais d’après la description du mal je pense qu’il s’agit de la suette miliaire. Nous avons le devoir de porter secours à ces pauvres gens. Je vous ai choisis parce que vous êtes les meilleurs médecins de cet hôpital. Chacun de vous peut emmener deux de ses étudiants les plus habiles. Bien sûr, si l’un de vous préfère rester... »
Un grand frisson me parcourut l’échine. Ils étaient tous enthousiastes, Chalmet, Pézac, Lordat, Baumas, Costes, Vieussens...
« Nous partons après-demain matin. D’André, le maire de Pézenas, a succombé, mais son adjoint nous a trouvé une maison pour installer notre quartier général. De là nous irons visiter les villages alentour. Baumas, vous êtes chargé de la pharmacie. Chalmet, voyez avec la lingerie, il faut des draps et des couvertures. Lordat, vous trouverez les voitures. Veillez à ce que les chevaux soient en bon état. Ce sera tout, messieurs. »
Pouvais-je refuser ? Ma femme Marie-Luce était presque à son terme, et c’était notre premier enfant, la consécration de notre amour. Elle était en bonne santé, mais depuis quelques semaines je la trouvais un peu pâle, et elle souffrait du dos. Je ne pouvais pas m’empêcher d’être inquiet. Mais j’étais médecin, je l’avais choisi, je m’étais battu pour ça chaque jour de ma vie depuis que la poliomyélite m’avait laissé boiteux à l’âge de six ans. Epouser Marie-Luce avait été comme une renaissance. Plutôt timide et maladroit avec les femmes, je n’aurais jamais imaginé qu’une si jolie fille m’accepterait comme époux. Il est vrai que j’étais promis à un brillant avenir à la Faculté de Montpellier, et que son père était un ami personnel du professeur Alquié. Mais quand elle levait vers moi ses yeux clairs il me semblait bien y lire plus que de la tendresse et du respect. Alors partir, partir maintenant...


Nous arrivâmes à Pézenas dans l’après-midi. Les rues étaient désertes, la population terrifiée s’était retranchée dans les maisons. Je connaissais le savoir infini, l’humanité et l’intelligence du professeur Alquié. Mais il se montra admirable de par ses talents d’organisateur. En quelques heures la ville décimée avait recommencé à se battre sous ses ordres judicieux. Un grand bûcher incinérait les morts à la sortie de la ville, vingt cinq malades étaient installés dans notre hôpital de fortune et recevaient nos soins, et des rondes régulières étaient organisées pour surveiller l’apparition de nouveaux cas.
A la fin du jour, il déplia sur une table sa grande carte, et tel Napoléon avant la bataille, établit nos missions pour le lendemain.
« Joseph, vous irez à Tourbes avec Henri, qui continuera sur Servian. Georges, vous prendrez la route du sud avec Etienne: Nézignan et St Thibéry. François... »
J’en oubliai presque mon inquiétude pour ma tendre épouse.
« Tâchez d’économiser la quinine ; chaque fois que c’est possible, limitez-vous à la mauve et au tilleul. »


Tourbes. Henri avait refusé de me laisser au bas de la côte ; j’aurais pu finir le chemin à pied au milieu des vignes. Cette concession à mon handicap m’agaça un peu, mais je ne pouvais pas en vouloir à mon camarade.
Le curé m’attendait devant l’église, où il avait fait transporter les malades. Deux femmes âgées vêtues de noir l’aidaient de leur mieux, changeant les draps trempés de sueur, distribuant tisanes et paroles de réconfort avec une sainte abnégation. J’examinai chacun des douze patients, administrant la quinine avec parcimonie, non point tant aux plus fébriles qu’à ceux qui semblaient encore avoir une chance de survivre.
« C’est la peste, n’est-ce pas, docteur ?
- Non, mon père. Céphalées, sueurs profuses, fièvre intense et cette éruption, vous l’avez vue, comme des grains de mil... C’est la suette miliaire. C’est... un peu moins grave que la peste.
- Qu’est-ce que je peux faire de plus ?
- Vous avez fait tout ce qu’il fallait. Trouvez des hommes pour emporter les cadavres et les brûler loin du village. Ensuite, priez. »
Après une nuit de veille, je m’assoupis sur une chaise, juste avant l’aube. Je rêvai de ma femme. Le travail était commencé, elle souffrait le martyre, l’enfant se présentait par le siège, elle saignait, elle allait s’évanouir. Je m’éveillai en nage, affolé, courbatu, épuisé. Je me remis à la tâche aussitôt, mais loin de m’apaiser, ces corps gisant dans la souffrance aux portes de la mort, ces corps innocents que j’avais juré de soigner toute ma vie, tout à coup me révulsèrent l’âme et le coeur.
J’enfilai ma veste et je sortis de l’église. Le jour se levait. Là-bas, très loin, Marie-Luce se mourait peut-être, sans moi... A elle aussi, j’avais juré fidélité, et je l’avais jurée devant Dieu...
« Vous devriez aller dormir quelques heures, mon fils. »
Je ne l’avais même pas vu s’asseoir, il n’avait pas dû dormir depuis deux ou trois jours, et il restait là, souriant, paisible, et il se préoccupait de moi...
Je secouai la tête. Je n’avais pas sa force.
« Je vais partir. Ma femme est en train d’accoucher, à Montpellier, j’ai rêvé d’elle, elle a besoin de moi !
- Je comprends. Soyez béni pour vos bons soins. Je vais essayer de redonner espoir à mes paroissiens, malgré tout. »
Je regardai les collines. Sans réfléchir, je répondis :
« Emmenez vos hommes valides sur cette colline-là. Faites-leur bâtir une chapelle pour Saint Roch. C’est le patron de Montpellier, il vous protègera.
- Saint Roch ? Mais alors, c’est la peste ? »
Je laissai le prêtre à ses pieuses interrogations et je descendis la colline presque en courant, à travers les vignes mouillées de rosée. Je respirais à pleins poumons, j’étais sur la route, je trouverais sûrement une voiture pour m’emmener à Montpellier, et puis je reviendrais, ou pas, ça n’avait plus aucune importance...
Je transpirais à grosses gouttes, les côtes étaient rudes. Le sang cognait à mes tempes, je n’avais pas l’habitude de l’effort physique. En haut d’un promontoire je me laissai tomber au sol. Je devais reprendre mon souffle, je n’en pouvais plus, mon genou gauche me faisait souffrir. Je relevai mon pantalon pour masser l’articulation douloureuse. Et là, en plein soleil, le ciel me tomba sur la tête. Ces petites vésicules sur ma peau...
C’était fini. Si même j’avais pu rentrer chez moi, j’aurais contaminé ma femme... mon enfant...
Je me dressai face à l’horizon désert. Je cherchai la paroi la plus abrupte, et en hurlant le nom de ma bien-aimée je me précipitai dans le vide.


« Considères bien tout ceci, Joseph. Tu as toujours la possibilité de faire le bon choix, celui qui t’ouvrira les portes de la Lumière Eternelle. »
Je ne vois vraiment pas ce que cela signifie. Et tout à coup un gouffre s’ouvre sous mes pieds, je tombe dans un vortex sans fin, j’ai déjà connu ça, je crois que je vais encore me réincarner, je suis las de vivre et de mourir et de souffrir encore...



Et comme tous les mercredis nous croisions madame Fedorovitch, la dame du premier étage, qui allait promener son bichon.
« Dis bonjour, Joseph », me murmurait chaque fois ma mère juste avant la rencontre.
« Bonjour, madame Fedorovitch. »
Je m’arrangeais pour suivre son rythme afin que nos deux voix soient parfaitement à l’unisson.
« Ah, Marie-Luce, bonjour », répondait la vieille femme sans un regard pour le morveux que j’étais, tandis que son chien essayait encore de me mordre les mollets.
« Le piano ne vous dérange pas trop ?
- Mais non, mais non... »
Je savais très bien qu’elle était à moitié sourde, et les subtilités diplomatiques de ma mère me restaient impénétrables.
« C’est que, vous comprenez, il a beaucoup de travail pour le Conservatoire...
- Bien sûr, bien sûr... Ah, Marie-Luce, Igor s’est oublié sur mon palier, tout à l’heure...
- Je vais m’en occuper, madame Fedorovitch. Au revoir, madame Fedorovitch, bonne promenade ! »
Et la vieille dame s’éloignait dans les volutes d’un parfum capiteux qui me donnait envie de vomir, et je m’installais pour goûter tandis que maman partait ramasser les crottes du chien.
Je n’ai pas eu une enfance malheureuse. J’avais la musique. Je vivais avec maman dans la loge de concierge d’un très bel immeuble de Neuilly. Il fallait être poli et transparent, ne pas faire de bruit, être toujours propre. Bien travailler à l’école, bien travailler le piano, pour un jour être un grand pianiste et donner des concerts dans le monde entier. Je portais sur mes frêles épaules de blondinet pâlichon tous les espoirs et tous les rêves d’une femme à qui la vie n’avait rien voulu donner, ni la beauté, ni la richesse, pas même un homme pour la chérir et la protéger. Elle ne se plaignait jamais. J’étais son prince, son magicien, son Eldorado, sa lumière et sa force. J’aurais bien aimé traîner dehors le soir avec les copains, aller aux matches du PSG et siffler les filles en disant des gros mots. Elle ne me laissait pas un instant de liberté. Mais quand mes doigts couraient sur le clavier de cet immonde piano droit qu’elle avait acheté à crédit, je m’envolais vers un éther où aucun aigle royal n’aurait pu me suivre. Je glissais avec délices sur les rayons de l’arc en ciel, je côtoyais les esprits de Chopin et de Liszt et leurs visages iridescents me souriaient avec bienveillance.

Ma vie était un tourbillon. Rome, Vienne, New York. Partout des salles combles, un public enthousiaste, de l’argent à flots. Maman avait pu prendre sa retraite, je lui avais offert un coquet appartement avenue du Roule, et maintenant les commerçants la traitaient comme une princesse. Elle m‘accompagnait toujours quand je partais à l’étranger, mais avec l’âge, elle se fatiguait plus vite. Aussi ce jour-là me laissa-t-elle partir seul à Toulouse, un concert aux Jacobins, retour le lendemain, elle me faisait confiance.
La rocade était bouchée.
« C’est comme ça chaque fois qu’il pleut », me signala le chauffeur du taxi, « et je vous dis pas quand il neige ! Ils sont couillons ! On va passer par la ville, ça sera pas pire... »
Hélas, l’avenue des Minimes était également bloquée. Les policiers avaient installé un barrage.
« Ah merde con, j’avais oublié ! Il y a la manif des Airbus !
- Je vous demande pardon ?
- Mais si, ils arrêtent pas d’en parler aux infos ! Les patrons d’Airbus veulent délocaliser en Chine ! Ca fait un pataquès... »
Comme chaque fois que je restais immobile trop longtemps, mon genou gauche recommença à me faire souffrir. Le docteur de maman disait que c’était le ménisque. Le plus souvent, quand je marchais, ça passait. Je payai la course jusqu’au Mercure pour ne pas avoir à porter ma valise, et je descendis. J’avais le temps. La pluie avait cessé.
Je n’avais jamais vu une manifestation de près. Maman disait que c’étaient tous des terroristes et des bolcheviks. Pourtant, les gens n’avaient pas l’air violent, juste triste et déterminé. Ils portaient de grandes banderoles blanches et par moment scandaient des phrases courtes qui ne m’évoquaient rien. Je ne regardais jamais les informations. Je suivis le cortège. Et là je ressentis quelque chose d’étrange. Un sentiment... d’harmonie, d’unisson, d’accord majeur... Je n’avais que mon vocabulaire de musicien pour l’exprimer. C’était chaud, c’était doux... J’avais vu une fois une portée de chatons blottis sous la mère. C’était un peu la même chose. Une femme qui marchait près de moi m’adressa la parole.
« Ca servira à rien, avec ces pourris du gouvernement, on est faits comme des rats. Mais on peut pas se laisser virer sans rien dire, merde ! Vous me voyez, partir en Chine avec mes trois gamins ? Eh ben, c’est ça ou le chômage ! Et à mon âge, c’est fini, je ne trouverai plus rien !
- Moi c’est pareil », renchérit son voisin. « Avec le salaire d’un chinois je ferai jamais vivre ma famille, et je te dis pas la retraite qu’on aura, on pourra jamais revenir... »
Je remontai doucement la procession jusqu’aux meneurs, et tout ce que j’entendais m’ouvrait les yeux et me brisait le coeur.
« Vous avez un instant à m’accorder, monsieur ? Je peux peut-être faire quelque chose pour vous. »


Je rentrai à Paris avec un jour de retard. Le concert sauvage que j’avais improvisé en plein air à Blagnac faisait la une de tous les quotidiens. J’avais réussi à me faire livrer un Steinway pour l’occasion, je ne m’étais jamais préoccupé du moindre détail matériel, c’était plutôt amusant, j’avais l’impression d’avoir grandi. Ma mère me gronda comme un petit enfant, mais je ne vivais plus dans son monde. Je partis dormir à l’hôtel. Mon agent m’informa que mes deux concerts parisiens avaient été annulés, ça m’était bien égal. Une nouvelle vie commençait.


On m’a surnommé le pianiste rouge, le Robin des Bois du clavier, le révolutionnaire en redingote. On m’a traité de communiste, d’anarchiste, d’hurluberlu. J’ai donné des concerts gratuits pour soutenir toutes les causes qui me semblaient justes, partout dans le monde, et chaque fois la presse était là et les opprimés pouvaient se faire entendre. La vie ne m’avait jamais paru aussi magnifique. Et puis un soir, en rentrant chez moi, je fus pris à partie par des hommes cagoulés. Deux d’entre eux m’immobilisèrent, et le troisième vida le chargeur de son pistolet dans ma main droite. L’enquête n’aboutit jamais.
Je pouvais donner des cours pour survivre, mais je ne pouvais plus jouer. Il me fallait souvent user d’un faux nom, tant je m’étais mis à dos tous ceux qui, de près ou de loin, étaient complices du pouvoir. La gloire la plus prestigieuse finit toujours par s’évanouir comme fond la neige au printemps. Je pouvais continuer à militer, mais je n’avais plus d’arme. En revanche j’avais quelques bons amis avec qui je pouvais jouer à la belote en savourant une anisette dans l’arrière-salle d’un bistrot. J’avais toujours une place à leur table quand les fins de mois étaient trop dures.
La chance ne m’abandonna jamais. Un matin, j’eus simplement mal à la tête. Et je me rendormis. Chopin et Liszt m’attendaient. Ils étaient auréolés d’une merveilleuse lumière, une lumière vivante et douée de parole dont la voix ne m’était pas inconnue.


« C’est la fin du voyage, Joseph », chante la voix, et cette mélodie est plus belle et plus pure que toutes celles qu’il m’a été donné de fredonner sur terre. Il y a tant d’amour autour de moi... Tant d’amour lumineux, tant de lumière aimante, plus de question, plus de doute, plus de désir... Je suis une partie du Tout, je suis Tout...
Narwa Roquen,au four, au moulin, au charbon... et en retard! Demain j'attaque les commentaires!

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2010-05-16 22:56:20 

 Commentaire Maedhros, exercice n°77Détails
Dans ce texte court, si court hélas, voilà le mythe de Sisyphe revisité à la mode maedhrosienne. L'amour, l'amour toujours recommencé, l'amour frère jumeau de la mort, Eros et Thanatos, l'amour passion obsessionnelle d'un pauvre diable perfectionniste condamné à courir éternellement après sa chimère.
J'ai bien aimé "la douleur est un moyen confortable de se pardonner": c'est un peu cynique, mais peut-être pas faux.
Gageons que Cloclo aura été flatté de cet hommage inattendu!
Narwa Roquen,qui coomence par le plus facile!

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shaana  Ecrire à shaana

2010-05-17 11:18:07 

 Miam!Détails
Extraits de la Constitution Galactique

De la nature du Parlement

Art. 1 – “Nous, planètes de la Galaxie Oktalla, déclarons vouloir constituer une fédération, communément appelée “Galaxie”. Toutes les décisions seront débattues au Parlement où siégera un représentant de chaque planète.

Art. 5 – Sera considéré comme représentant tout être désigné par sa planète pour siéger. Toutefois, les êtres destinés à la procréation et à la distraction d’un peuple ne pourront en aucune façon admis. Les entités de type végétal et les entités électroniques disposant d’une unité d’intelligence suffisante ainsi qu’un process d’1 Mu. d’analyse pourront être admis.
De la nature de la Sentence
Art. 1304 – La Galaxie édicte seule la Sentence. Les êtres condamnés par la Sentence seront conduits aux Gardiens de la Sentence
De la nature des Gardiens de la Sentence
Art. 1306 – Les Gardiens de la Sentence seront au nombre de deux et appartiendront aux planètes siégeant au Conseil de la Sentence.
Art. 1309 -
Les Gardiens de la Sentence ne pourront pas refuser leur nomination sans se voir appliquer à eux-mêmes la Sentence.
Art. 1323 – Les Gardiens de la Sentence exerceront sur H2A, huitième planète morte de la Galaxie pour une période de trois rounds, au terme desquels de nouveaux Gardiens seront désignés.

Les deux Gardiens de la Sentence ne pouvaient être plus dissemblables.

La planète Taø avait fourni Taåjin. Il était un parfait produit de l’éducation taorienne qui préconisait que chaque décision se devait d’être longuement réfléchie. Dans le cas de Taåjin, c’était toujours longuement, très longuement, et ce mode de pensée semblait avoir influencé son développement physique. Car si les taoriens mesuraient en général dans les trois mètres, pour ce qui était de Taåjin, son corps atteignait dans les trois mètres cinquante, comme si son propre rythme de réflexion l’avait étiré. Certains, fort mal intentionnés et très peu conscients des débats internes qui se menaient à l’intérieur de cette grande brindille verte, pouvaient dire de cette façon de faire qu’elle était en fait de l’inaction.

Nouvellement admise au Parlement, la planète Gorodyin s’était, quant à elle, débarrassée d’un problème : l’impétueux, l’incontrôlable, le dangereux Gaad. Car tout neveu du roi qu’il était, Gaad semble frappé par une malédiction : tous ceux qui avaient prétendu au trône avant lui n’avaient pu l’approcher sans se retrouver égorgé, étripé, dépecé. Son goût pour le sang et la torture n’était pas de mise sur Gorodyin, surtout pour une planète qui traînait sa réputation de légèreté comme un véritable boulet au milieu des anciens du Parlement. Nommer Gaad comme Gardien de la Sentence avait plusieurs avantages : il permettait au royaume de Gorodyin de placer un de ses rejetons au sein de l’administration judiciaire de la Galaxie, de bannir Gaad en sauvant les apparences et d’offrir au neveu royal des occasions multiples, et surtout autorisées par le pouvoir, de livrer libre cours à ses penchants sanguinaires. Du moins, tout cela était vrai pour trois rounds ...
Pourtant, Gaad paraissait pour le moins inoffensif. Rondouillard, de petits yeux myopes perçant un visage ravagé par la couperose, Gaad ressemblait à un poupon suralimenté.

« Merde ! Qu’est-ce-qu’on va faire de celui-là ? », et Gaad éructa d’ennui.
- « Nous trouverons, nous trouvons toujours », déclara Taåjin.

La Galaxie voulait faire un exemple : cet éleveur de protéines n’avait pas payé ses taxes et s’était engraissé, au sens propre comme au sens figuré, alors que ses ouvriers mourraient littéralement de faim. Il avait été condamné à la Sentence et avait été expédié aux Gardiens accompagné d’une courte note expliquant que le châtiment devait être dissuasif.

«  Merde ! », répéta Gaad. Le cas l’ennuyait, le type l’ennuyait et ce qu’il l’ennuyait le plus, c’est qu’il s’avait que Taåjin ne le laisserait plus faire à sa guise.

« Merde », répéta Gaad et il cracha de dépit. Taåjin et ses principes : il fallait être mesuré, lui avait-il dit, ses excès ne rentraient pas dans le cadre de la Sentence, selon lui.
Gaad se gargarisa avec le vin que lui avait envoyé son père et le recracha à ses pieds. Taåjin, celui qui l’empêchait de s’amuser. Gaad avala une gorgée de ce vin trop jeune, une spécialité de sa planète. Encore une gorgée. Ca l’aiderait peut-être à trouver un moyen de se débarrasser du gêneur. Parce que Gaad savait que le partie ne serait pas facile : il avait déjà vu Taåjin tuer net un pirate qui s’était échappé. Terrifiant d’efficacité ... Gaad avala goulument une autre gorgée : décidément, Taåjin ne savait pas s’amuser.

Ce dernier semblait ignorer totalement son comparse. De fait, Taåjin procédait à une analyse fine du cas du fraudeur et évaluait toutes les possibilités. Le visage fermé, Taåjin réfléchissait et le processus d’analyse aboutit.

- « Un transfert, sortit –il
- Un transfert ? », demanda dans un bâillement Gaad.
- Un transfert, répéta Gaad.
- Que proposez-vous ? 
- Nous procéderons comme la dernière fois. Vous rappelez-vous, Gaad ? »
Gaad fit des vagues avec sa main potelée. Taåjin réprima un soupir.
- « La planète Terre a un flux de transferts qu’il est aisé d’intercepter ou même d’interrompre pour un temps donné. On stocke l’entité mentale sur un de nos disques et on procède au transfert dans l’enveloppe corporelle. 
- Voyons, c’est une planète primitive mais ils ont des pratiques intéressantes. Y’a le choix : écartèlement, chaise électrique, chambre à gaz. Ouais, y’a vraiment le choix mais ce que j’aime vraiment », et Gaad se passa une langue gourmande sur les lèvres, « c’est la décapitation ! C’est un véritable spectacle ! »
- En fait, je pensais ... innover ! »
Gaad jeta un coup d’oeil soudain plein d’intérêt et d’espoir vers Taåjin.
- « Un transfert partagé.
- Quoi ?
- Vous allez voir ...»

L’image apparut devant lui. Un homme obèse, assis sur une chaise de jardin en plastique délabré ployant sous son poids, s’apprêtait à dévorer un hamburger. Gaad s’approcha.

- « Le transférer dans ce type ?
- Non. »

Taåjin lui désigna le chien miteux qui rôdait au pied de l’obèse. Un sourire vicieux se dessina sur le visage rond de Gaad.

« Je ne te croyais pas capable de ... »

Taåjin jeta un coup d’oeil à Gaad : décidément, il n’avait rien compris. Il voulait donner une leçon à cet éleveur de protéines, mais il serait inutile de l’enfermer dans cet état animal. Il était important qu’il revienne chez lui et qu’il raconte ce que l’administration galactique faisait aux fraudeurs comme lui.

« Je n’aurais pas dû, je n’aurais pas dû ... Mon frère me l’avait bien dit, on ne peut pas tromper la Galaxie. Et quand elle vous retrouve ... Me voilà devant les Gardiens de la Sentence, et par Orius, je n’ai même pas compris ce qu’ils allaient me faire. Un transfert ? Qu’est-ce-qu’un pauvre éleveur de protéines comme moi peut y comprendre !»

Voilà qu’ils me mettent dans cette pièce bleue maintenant... Par la Sainte Voix, ils vont me tuer ! Je n’aurais pas dû. Qu’Orius me prenne en pitié et me reçoive dans sa maison !

« Gratte. Gratte. Gratte. Faim. Manger. Maître donner manger. Gratte. Gratte. Gratte.»

Gaad se tordait de rire sur son siège. L’éleveur de protéines était devenu chien dans sa cellule. Il bavait à flots, dans l’espoir de voir un bout du hamburger tomber.

« Gratte. Gratte. Gratte. Faim. Maître-amour manger.»

Sur l’écran, le chien miteux agrippait de ses griffes le rebord de la table en plastique.

« Maintenant, réduisons le taux de transfert », et Taåjin déplaça doucement un curseur. « C’est bon, la conscience se répartit comme prévu ».

« Gratte. Mais où suis-je ? Oh, par la Sainte Voix », l’éleveur regarda ses mains et ne comprit pas lorsqu’il découvrit des pattes couvertes d’un poil collé par la saleté. « C’est un mauvais rêve ... J’ai trop bu de ce bon vin hier soir ».

L’éleveur se gratta frénétiquement derrière l’oreille. Gaad n’en pouvait plus de rire. Taåjin restait impassible.

« Que se passe-t-il ? Ca me démange... de partout. Oh, comme ça me démange. Faim. Mange. Maître. J’ai faim. Oh, comme j’ai faim... Cette chose-là que tient cet homme, j’en voudrais tellement un bout.... J’ai faim ... »

Taåjin était satisfait, il avait obtenu ce qu’il voulait : l’éleveur de protéines avait été déchu de son rang d’homme et avait été ramené à l’état d’animal. L’important dans tout cela, c’était qu’il ressente le même sentiment mêlé de faim et de frustration que ses ouvriers quand ils le voyaient festoyer. Taåjin savait que l’A.D.N. de l’éleveur avait à jamais imprimé cette expérience déplaisante dans ses logs et que celui-ci ne tenterait plus de tromper la Galaxie, ni d’affamer ses ouvriers par sa cupidité. La Sentence avait été rendue.

« Gratte ... Faim ... Mange. J’ai envie de cette viande juteuse et cet homme que j’aime bien pourtant refuse toujours de m’en donner. Cela me démange tellement ... Je suis sale, tellement sale ... Je me dégoûte ... »

Le bipper de Taåjin vibra à sa ceinture : un appel de sa communauté sur Taø. Taåjin jeta un coup d’oeil rapide à l’éleveur qui continuait de souiller la pièce bleue de sa bave, haletant et aboyant. La Sentence pouvait se poursuivre un peu plus longtemps, elle n’en saurait que plus exemplaire. Taåjin laissa le condamné à son sort et Gaad à sa crise de fou rire.

Mais les soubresauts de rire de Gaad finirent pas s’éteindre : regarder l’éleveur se gratter à qui mieux-mieux dans la pièce bleue ne l’amusait plus.
« Fait chier ... Taåjin ne sait pas s’amuser ! »
Gaad se mit devant l’écran et mit toute sa créativité sanguinaire et perverse en action. Il déplaça plusieurs curseurs en même temps, ce qui fit apparaître un sourire satisfait sur son visage de poupon.

« Par Orius, que se passe-t-il encore ? » Cela ne grattait plus l’éleveur mais il se sentait tout de même autre. Il se savait rond, compact et dégoulinant. Il ne voyait plus rien, n’entendait plus rien, ne percevait aucune odeur, à part une forte odeur fétide comme s’il était placé devant un compost à protéines. Son esprit lui indiquait également qu’il n’avait plus de membres, ni bras, ni jambes, ni même de tête. Il était juste rond, compact et dégoulinant.

Gaad ressentait de l’autosatisfaction : il était un véritable artiste. Mais son oeuvre restait incomplète. Ses doigts dodus coururent sur le clavier telle une mygale besogneuse. Puis, il vint se placer dans une seconde pièce bleue.
Gaad ne ressentait aucune étrangeté dans ce nouveau corps qui ressemblait tant au sien. Et puis il avait déjà procédé à tant de transferts de cette planète primitive, toujours dans des corps de dictateurs, et toujours à l’insu de Taåjin, que la sensation habituelle de ne pas être au bon endroit et à la bonne époque avait disparu.

Le chien miteux réclamait toujours de ses yeux larmoyants. Gaad le repoussa d’abord d’une bourrade violente dans les côtes et finit par le tuer par un coup sec sur la truffe. Puis, il se cala confortablement sur la chaise. Maintenant, la partie intéressante du jeu. Il prit le hamburger et commença à grignoter un morceau du pain.

L’éleveur hurla : son nez commençait à être raboté par une lame invisible.
Gaad souriait de plaisir dans la pièce bleue, l’homme sur la planète primitive avait retiré l’hamburger de sa bouche et le faisait tourner comme pour trouver un point d’attaque. Il finit par le trouver et mordit à pleines dents dedans. Sans défense, l’éleveur hurlait à pleins poumons, sa jambe se détachait par bouts sanguinolents de son corps.

Quand Taåjin arriva, son éducation taorienne eut bien du mal à réprimer la vague de dégoût qui lui montait à la gorge. L’éleveur devait payer, il est vrai, mais pas à ce prix. La Sentence s’appliquait à présent de façon injuste. Il regardait le corps à demi-dévoré de l’éleveur, puis Gaad qui jouissait de la souffrance qu’il provoquait.

Alors Taåjin appliqua l’article 1327 qui disait la chose suivante : « Le Gardien de la Sentence qui n’appliquera pas la Sentence telle qu’elle a été décidée devra périr sur le champ. »
Taåjin approcha du central de contrôle et inversa les curseurs. Le visage de l’éleveur s’éclaira, tableau quelque peu grotesque si on considérait qu’il ne restait plus que la moitié de son corps. Celui de Gaad se couvrit d’un manteau d’horreur.
L’homme regarda tristement la dépouille du chien qu’il avait été un moment plus tôt, puis considéra d’un air pensif ce hamburger qui lui avait fait tant envie. Malgré son esprit limité, l’éleveur avait compris la teneur de la Sentence. En mémoire de l’animal au poil crasseux qu’il avait été, il lécha sur ses doigts le jus de viande qui coulait encore quand il eut avalé la dernière bouchée.

La deuxième pièce bleue était à présent vide. Gaad était satisfait de son analyse : la Sentence avait été juste et l’éleveur serait bientôt relâché, diminué certes mais son esprit transformé par son expérience. Taåjin s’en retourna dans ses quartiers : un message devait parvenir au plus vite au Parlement galactique : un deuxième Gardien devait être nommé.
Vous avez dit en retard ?

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2010-05-20 23:19:27 

 Comùentaire Shaana, exercice n°77Détails
C’est délicieux ! C’est frais, diablement original, intelligent, astucieux, drôle... Tu fais passer les pires horreurs avec un humour décalé irrésistible, sur fond de morale irréprochable...
La progression du rythme est très bien dosée. Ca commence très scolaire, on édicte les règles, il faudrait presque les apprendre par coeur. Et puis ça s’accélère, il faut suivre le fil, c’est cruel, c’est immonde, c’est génial ! Le monde SF est très bien maîtrisé, les personnages sont superbement campés, (Taajin rappelle étrangement un ent !) tout est expliqué, cohérent, inéluctable, la construction est béton, ça vit, ça pétille, on s’éclate ! Le passage sur le chien est particulièrement bien vu.
Bricoles :
- Tu aurais pu intégrer le titre dans le texte
- « Ne pourront en aucune façon admis » : manque le « être »
- « Tout neveu du roi qu’il était, Gaad semble frappé » : semblait
- « Tous ceux qui avaient prétendu... sans se retrouver égorgé, étripé, dépecé » : le sujet est au pluriel, donc c’est « égorgés, étripés, dépecés » ; ce qui n’exprime ta pensée que si chacun a subi ces trois violences. Sinon tu peux dire « sans se retrouver qui égorgé, qui étripé ou dépecé » ; ou alors tu bascules tout au singulier « aucun de ceux qui... »
- « Et ce qu’il l’ennuyait » : ce qui l’ennuyait
- « Il s’avait » : il savait
- « Que le partie ne serait pas » : la partie
- Goulument : goulûment
- « Elle n’en saurait que plus exemplaire » : serait
- « Les soubresauts de rire de Gaad finirent pas » : par
- « L’homme sur la planète primitive avait retiré l’hamburger » : le hamburger (h aspiré)

La consigne est respectée... d’une manière un peu détournée, mais je ne boude pas mon plaisir. J’aurais bien aimé que tu précises un peu l'élimination de Gaad, avec quelques détails bien tordus... Ca aurait été la cerise sur le gâteau... Mais en tous cas une chose est sûre : ton talent a explosé, et j’en suis ravie.
Narwa Roquen,clap clap clap

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z653z  Ecrire à z653z

2010-06-01 16:49:10 

 détailsDétails
je rentre le entre, je marche -- ventre
elle me parle sa ns cesse de vous -- faute de frappe
Pourtant, les gens n’avaient pas l’air violent, juste triste et déterminé -- j'aurais remplacé juste par mais.

Sinon, je ne comprends pas trop en lisant la dernière partie pourquoi Marie-Luce l'a suivi dans toutes ses réincarnations. Tout au long de l'histoire, elle sert de fil conducteur mais dans la dernière partie, elle ne semble plus avoir le même rôle.

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Onirian  Ecrire à Onirian

2010-06-18 16:51:03 

 WA-Exercice 77 - MétempsycoseDétails
En retard, comme il se doit, voici ma participation. L'idée de base est un peu trash, mais j'ai essayé de rester à peu près soft dans la forme (quoique...). Ame sensible ou très imaginative, passez votre chemin...

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Cob, Mike, Lydie.


Ce n'était pas vraiment douloureux... Pas vraiment. Juste... étrange, dérangeant, décalé, déroutant.
Désagréable ? Oui, sans aucun doute, mais d'une manière nouvelle, incongrue.
Mike était un cafard. Ce n'est pas une image, en cet instant, il était véritablement un cafard. Un doigt humain, le sien en l'occurence, lui pressait la carapace, jusqu'au point de rupture, qui eut lieu quelques secondes plus tard.
Obscurément, il avait conscience de mourir. Non, d'être mort. Il avait tout autant conscience des organes d'insecte qui maculaient sa main. C'était sale, mais l'insecte ne bougeait plus, ça c'était agréable.

Mike ouvrit les yeux aussi grand qu'il le put, et pris une grande respiration, avant de se souvenir qu'il n'avait plus d'yeux, ni de nez et qu'à priori, rien n'indiquait qu'il fût en un lieu où l'air avait une quelconque raison d'exister. Combien de fois était-il mort, écrasé par ses propres doigts, par ses pieds ? par un bâton qu'il tenait ? Beaucoup, trop.
Les insectes n'ont pas de nerf, ils ne ressentent pas la douleur, ce qui n'empêchait pas l'expérience d'être tout à fait déplaisante. Une mort, suivit d'un instant de lucidité, sans doute pour réfléchir à sa vie et ses actes, puis une nouvelle mort et ainsi de suite. Une forme de purgatoire. L'expérience fonctionnait toujours suivant le même schéma, bien qu'elle fût unique et indescriptible à chaque fois. Il était tout autant le tortionnaire, lui enfant, et le torturé, en l'occurrence des insectes. Pendant ces pauses, il commençait cependant à craindre la suite.
Tout était chronologique. Il revivait chacun de ses petits assassinats, les pattes arrachées, les corps broyés, les antennes brisées. Mais l'anniversaire de ses huit ans approchait à grand pas, et c'est cela qui le terrifiait.

Les insectes ne ressentent pas la douleur, les mammifères si.

Il était Cob. Un labrador de sept ans qui avait eu une très mauvaise idée, allez suivre un rat à la cave. L'escalier était encombré, il était tombé, il avait mal. Mais heureusement, Mike était là, Mike était son ami, il allait le sortir de là.
Le jeune garçon s'approcha et attacha Cob. Cob ne s'inquiéta pas, à chaque fois qu'il allait promener, on lui accrochait un collier autour du cou. Moins serré sans doute, et d'habitude il pouvait bouger la tête plus facilement, mais Cob n'avait pas été sage et Mike était toujours gentil avec lui.
C'est le premier coup de marteau qui avait été le plus douloureux, car il avait frappé en deux endroits à la fois. Sur la patte avant-gauche, écrabouillée plus que brisée et sans sa confiance en son Maître, pourquoi Mike faisait ça ? C'était si douloureux ! Insupportable ! Il hurla. Il voulut mordre, mais le collier l'en empêcha. Le second coup confirma le premier. Cob ne comprenait pas, étrangement, c'était cela le pire.
Mike souffrait d'être ce chien qu'il torturait. Et il prenait plaisir à être le bourreau. Mais la main qui tenait l'outil se mit à souffrir des coups donnés, donc reçus. Il n'avait aucun contrôle. Comme un film que l'on visionne en boucle, la fin ne change jamais. L'expérience devint vite intolérable.
Dans ses souvenirs, Mike avait à peine joué avec Cob, il avait eu trop peur de se faire prendre par ses parents. Si on lui posait des questions, il dirait que les marques de coups venaient des marches de l'escalier. Il psalmodiait cette excuse, tout en frappant, encore et encore, ce sont les marches de l'escalier. C'est avec un soulagement non feint qu'il vit partir le coup qui allait tuer Cob, juste derrière la tête, mais ce soulagement se transforma en hurlement muet quand la douleur explosa dans son crâne.

Il était de nouveau lui même. Essoufflé... non, l'air n'existe pas. Qu'allait-il arriver ? Il tentait de se souvenir. Après Cob, de nouveau des insectes, mais ils seraient fades. Non, l'étape suivante, ce serait sans doute le serpent... Celui à qui il donnait des souris vivantes. Serait-il le serpent ? La souris ? Les deux ? Il savait qu'il n'allait pas tarder à l'apprendre. Un psychologue lui avait dit un jour qu'il ne possédait aucune forme d'empathie, et que c'était un problème. Bien sûr, Mike n'avait rien compris, allez expliquer le bleu à un aveugle, ou Bach à un sourd. En plus, ce n'était pas vrai qu'il ne ressentait rien, Cob avait été un vrai pur moment de jouissance, qu'il avait eu bien du mal à retrouver une fois adulte. Par les enfers, toutes ces...

Il était un insecte, à nouveau. Presque soulagé. Le doigt allait l'écraser, ce serait désagréable, mais pas tant que ça. Il comprit plus qu'il ne sentit que son armure chtonienne se brisait, et qu'il se rependait. Rapide. Puis il devint un autre insecte. Non, une colonie. Des fourmis. A un niveau primaire, il avait conscience de l'urgence, sauver les larves, protéger la reine, ramener à manger, tout se mêlait dans une compréhension primitive. Et il brûlait. Il tenait la loupe de son père, qui lui avait montré comment il était possible de chauffer du bois en concentrant les rayons. Il brûlait, une fois, deux fois, cent fois lui semblait-il. Il brûlait les fourmis ; il brûlait, fourmi. Combien de temps cela dura ? Trop, et pas assez. Il mourut, après la colonie, il y en eut d'autres, d'un insecte au suivant. La gène de ne plus pouvoir voler, la joie de tenir une aile de mouche au bout d'une pince à épiler.

Puis se fut fini. De nouveau seul, dans cet espace éthéré, sans haut ni bas, ce lieu intangible où il existait, à défaut d'être. Il n'avait plus aucun doute sur ce qui allait suivre, prédateur et proie. Le serpent avait vécu trois ans, avant de mourir étouffé par la souris qu'il venait de manger. Trois ans, à raison d'un repas par semaine, cela faisait quoi... cent cinquante morts, digérés par un serpent. Il avait regardé chacune d'entres elles avec délectation, parfois cela pouvait durer quasiment une heure avant que le petit rongeur cesse de couiner.
Mais cela n'était rien. Il l'endurerait. Non, ce qui le terrifiait réellement, c'était les filles. Car il ne s'agissait plus d'heures, mais de jours, de mois pour les plus résistantes, et parfois, plusieurs en même temps.

Il était Lydie, une jeune fille de dix-sept ans. Peu d'éducation, mais jolie, de ces beautés un peu vulgaire, mais terriblement excitante. Pourquoi pas les souris ? Indistinctement, il sut que c'est parce qu'elles ne lui montreraient rien qu'il ne savait déjà, ou peut-être parce que pour un serpent, manger des souris est naturel, ou tout simplement parce que ce n'est pas elles qu'il craignait mais bien Lydie.
Il, elle, était attachée aux barreaux d'un lit. Elle ne savait pas où elle était, rien n'était familier... et ces arbres par la fenêtre, ce n'était pas sa cité. Non, c'était son antre, à lui. Une maison achetée pour une bouchée de pain, en pleine forêt, l'eau était fournie par un puits, et l'électricité n'était qu'un rêve de citadin. Par acquis de conscience, il avait cependant fait rajouter des isolants sonores, mais il n'y avait personne à des kilomètres à la ronde. Il avait drogué la fille, puis l'avait amenée ici. Il voulait jouer, retrouver le plaisir d'avec Cob. Elle était habillée d'un jean moulant et d'un t-shirt trop court. Il sortit son couteau, et, doucement, délicatement, déchira ses vêtements en fins lambeaux. Elle était terrifiée, horrifiée. Il était terrifié, horrifié.
L'empathie, c'était donc ça ? Il était tiraillé entre deux sentiments, une haine pure et profonde de l'empathie, ce monstre immonde qui lui faisait voir le monde par l'oeil de ses jouets, et un océan de peur, blanc, profond, puissant, qui tentait d'emplir tout son être. Les larmes qui coulaient sur les joues de Lydie étaient les siennes. Il approcha la lame de son bras, la pointe du couteau perça la chair et fit naître une perle rouge. Un coup sec et le poinçon devint estafilade. Pas si douloureux, pas encore. Il avait tant rêvé de ce moment, mais moins qu'il le craignait désormais.
Les secondes s'écoulèrent en prenant leur temps. Lentes, s'étirant d'instants d'éternité en infinis. Il plaça son petit doigt de la main gauche dans un étau portatif, amené pour l'occasion. Il serrait tendrement, presque avec amour, et la douleur affluait par vague. C'est au premier craquement qu'elle devint véritablement intolérable, mais il continuait pourtant. Mais pourquoi continuait-il ? Elle avait mal, il avait mal ! Que cela cesse ! Par les dieux, qu'était-il entrain de faire ? Elle hurlait la douleur de Mike, à moins que ce ne soit l'inverse, pitié !

Mais la pitié ne vint pas.
La séance dura une heure, jusqu'à ce que Lydie finisse par s'évanouir, mais lui, vivant, sentait toujours les feux brulants des plaies qu'il avait causé. Le doigt écrasé, les lambeaux de chairs découpées, les brulures, les aiguilles, et cette voix, sa voix, qui murmurait en permanence que c'était l'escalier, qu'elle devait arrêter d'aboyer.
La séance repris plus tard... C'était la première, il ne maitrisait pas bien son sujet, elle vécut trois jours. Il viola son cadavre, mais bien qu'il ne soit plus que lui ; elle était morte ; il ressentit toute l'horreur de son acte et se mit à maudire le plaisir qu'il revivait.

L'espace éthéré. S'il n'avait pas d'yeux, il pleurait pourtant. Le temps n'avait plus de sens. En avait-il jamais eu ? Il revécut toutes les filles, toutes les tortures, toutes les morts. Il devint fou à chaque fois, mais toujours, dès qu'il revenait, sa lucidité refluait.
Puis soulagement ultime, vint sa mort à lui. Une fille qui lui avait échappé s'était emparée de l'étau qui enserrait son petit doigt et lui avait fracassé le crâne.

Conscience, une dernière fois. Dans le ventre d'une femme, sa nouvelle mère. Comment vivre avec ces souvenirs ? Quand la lumière le frappa, il oublia tout, et enfin, il put crier.

--
Onirian, petit copathe.

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2010-06-20 23:34:16 

 Commentaire Onirian, exercice n°77Détails
C’est diablement original ! Je ne connaissais pas la co-pathie, mais le terme est bien trouvé. Même grande lectrice de fantasy et de SF, et donc habituée à être confrontée à des hypothèses plus qu’improbables, j’avoue avoir été un peu soufflée... Le concept est très déstabilisant – ce qui par ailleurs le rend savoureux -, c’est une forme particulière d’ubiquité, une ubiquité sensitive en quelque sorte. L’exercice était périlleux, mais tu as un équilibre de funambule et tu t’en sors très bien.
La progression du désordre mental du héros suit un cursus classique (insectes, animaux, humains), mais la manière de l’aborder est déjà suffisamment atypique !
La fin est abrupte mais bien trouvée. Une nouvelle vie... qui sait ?
Le titre en revanche m’a laissé sur ma faim...

Bricoles :
- et pris une grande respiration : prit (en plus, s’il prend, c’est une inspiration)
- allez suivre : aller
- et sans sa confiance en son Maître : la phrase est un peu bancale : il n’en manquerait pas un morceau ?
- et qu’il se rependait : répandait ?
- un gène, c’est sur un chromosome ; une gêne, c’est un déplaisir
- se fut fini : ce
- de ces beautés un peu vulgaire : vulgaires
- d’instants d’éternité (sans s ) en infinis : le rythme n’est pas bon ; il faut quelque chose après infinis, 2 ou 3 pieds. Eh oui, même en prose, le rythme compte.
- Entrain de faire : en train ; l’entrain, c’est autre chose
- Brulants, brulure : brûlants, brûlure
- La séance repris : reprit


Tu as fait de gros progrès en orthographe, félicitations !
En revanche je trouve un peu dommage que tu aies distancié en racontant ça à la 3° personne. Essaie de le réécrire en « je ». Ca choquera davantage, mais ça sera beaucoup plus fort, et quitte à faire de l’horrible, autant aller jusqu’au bout. Du coup forcément il y aura plus de sensations directes, plus de phrases syncopées, le lecteur sera pris dans une spirale infernale et beaucoup plus bousculé. La plupart adore ça, et pour ceux qui n’aimeraient pas, tu resteras malgré tout... inoubliable ! Evidemment ce genre de texte mobilisera toute ton énergie disponible, je te conseille donc de l’écrire chez toi, dans le calme...
Narwa Roquen, toi, si les petits cochons ne te mangent pas...

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Onirian  Ecrire à Onirian

2010-06-21 10:53:43 

 Je est une île.Détails
La plupart adore ça <== La plupart adorent ça ?
(Oui, c'est le plaisir mesquin de celui qui après plein d'efforts trouve enfin une faute à reprocher au prof ;-pp)

>> et sans sa confiance en son Maître : la phrase est un peu bancale : il n’en manquerait pas un morceau ?

En fait, c'est "dans" et pas "sans", c'est une faute de frappe.

Sinon, pour ce qui est de la première personne, à vrai dire, au tout début, c'est ce que j'avais commencé à faire, et je me suis arrêté justement parce que trop trash. Pas tellement pour le lecteur, mais pour moi.
Quand j'étais au lycée, j'avais dessiné en première page d'un de mes classeurs, un énorme oeil, puis j'ai dessiné un clou qui perforait cet oeil. J'avais, sinon un certain talent, au moins une certaine capacité à rendre le dessin "parlant" (ne serait-ce que pour moi). Et ce dessin m'a... gêné. Non, plus, dérangé (il faudra d'ailleurs que j'en fasse une nouvelle un jour). Ceci étant, j'ai fini par effacer le "trou" et stopper le clou à un ou deux centimètre de l'oeil. Ce faisant, j'ai été pas mal soulagé. De quelque chose d'intangible, évidement, mais le soulagement était bien réel. Maintenant, je pense que j'avais touché à l'époque une représentation des parois de ma folie.
Avec ce texte à la première personne, j'ai ressenti la même chose, alors j'ai reculé le clou, j'ai dit "il". Non pas pour épargner le lecteur, mais bien pour ma santé mentale à moi ;-).
Bref, une longue explication pour dire que je ne réécrirai sans doute pas ce texte à la première personne de sitôt. Ce qui ne veut pas dire jamais, à un moment, il faut se laisser aller complètement.

Ceci étant, le prochain texte devrait être nettement plus léger que les deux ou trois que je viens d'enchainer ^_^.

--
Onirian, qui sait que tout le monde est fou.

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2010-06-21 13:09:00 

 Les deux...Détails
... se dient ou se disent... On peut accorder "la plupart" au singulier ou au pluriel... Va falloir encore bosser avant de me prendre en flag... Yerk Yerk Yerk ( rire de vieille sorcière), c'était un piège...
Je m'aime beaucoup... Je me suis doutée que si tu n'avais pas dit "je" c'est que tu avais une bonne raison, parce que littérairement tu étais assez habile pour savoir que c'était intéressant. Ca me rappelle mes débuts, pendant la guerre de Cent Ans, la première fois que j'ai dû faire mourir un personnage; j'ai résisté longtemps, et puis j'ai pleuré un bon coup et je l'ai fait. Attends, ce ne sont que des histoires! Et si l'auteur ne va pas au bout, c'est le lecteur qui est volé... Cool! C'est bien d'avoir toujours quelques challenges à relever. Si tu ne peux pas maintenant, tu le feras plus tard. J'ai confiance en tes capacités. Et ta sensibilité n'est qu'une qualité supplémentaire!
Narwa Roquen, sorcière pas si méchante que ça

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Onirian  Ecrire à Onirian

2010-06-21 14:23:35 

 Un jour...Détails
Je l'aurai un jour, je l'aurai !
.
.
.
.
.
Ou pas.

--
Onirian,

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z653z  Ecrire à z653z

2010-07-09 16:09:28 

 pssstDétails
"Le titre en revanche m’a laissé sur ma faim."

z653z sifflote.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2010-08-10 17:57:42 

 Exercice 77 : Onirian => CommentaireDétails
Compliment, l'idée est super glauque et pas fastoche à écrire et tu t'en sors très bien. Je n'avais pas tout compris à la preière lecture mais j'ai raccroché les wagons à la seonde à la lumière des jalons (« l’air n’existe pas » ) que tu poses pour suggérer que ton personnage n'est ni mort ni vivant et flotte dans le néant. C'est peut-être ça l'enfer d'ailleurs. Ton personnage est obligé de revivre en spectateur et en victime une vie où il a torturé des animaux. Tout s’entremêle dans un kaléidoscope horrifique. C’est bien fichu, prenant; l’escalade est bien amenée, et tu es bien dans le sujet. Le style est efficace, simple mais avec quelques mots rares de bon aloi. L'ambiance est oppressante, avec le narrateur qui anticipe l’horreur suivante et du coup nous fait anticiper aussi. Bien joué.

Pour développer ton personnage, j'aurais rajouté une explication sur l'origine de son comportement, pourquoi il est comme ça, hormis qu’il n’a pas d’empathie. Est-il anormal de naissance ? A-t-il subi un traumatisme ? Sa mère a-t-elle bu pendant la grossesse... ?
Et s’il a vu un psy c’est que ses parents ont vu qu’il avait un problème. Peut-être aurait-on pu entendre parler de leurs réactions.
Même si ton personnage est séparé de la chair et de ses faiblesses, on comprend qu’il ne regrette ni ne comprend ses actes. Il rejette encore l’empathie. Il n’éprouve que la peur de souffrir et la douleur elle-même en fin de compte. C’est un monstre assez horrible que tu nous as fait là.
Le viol m’a paru un peu déplacé dans le profil de ton héros. Sa jouissance à lui, c'est d'infliger la douleur, pas le sexe.
Et, bizarrement, ça le choque plus que la torture, ce viol. Il n'y a qu'à la fin où tu suggères qu'il commence à comprendre l'horreur de ce qu'il a fait. Mais il ne semble pas regretter pour autant.
Pas sûre d’avoir compris la fin, il se réincarne et repart à zéro c'est ça ? C'est dommage de le sauver car il ne me semble pas avoir compris et être prêt à agir autrement. A-t-il appris l'empathie ? Je pense qu'il commençait tout juste à apprendre à la fin des visions. Dans ces conditions, j’aurais préféré qu’il revive sans fin ce qu’il a fait, jusqu'à ce qu'il soit vraiment puni et changé.

Restent quelques "bricoles" (copyright) :
occurence : occurrence
par un bâton : Par
suivit d'un instant de lucidité : suivie
"ou tout simplement parce que ce n'est pas elles qu'il craignait mais bien Lydie" : je n'ai pas compris ce que tu voulais dire. Tu veux dire qu'il a peur de la revoir parce qu'il va souffrir ce qu'il lui a fait ?

Complètement d’accord avec Narwa pour le choix de la première personne mais si tu ne le sens pas, je respecte. On peut parfois se faire plus de mal que de bien en explorant la boue de son inconscient.

Est', en pleine lecture.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2010-08-17 10:02:53 

 Exercice 77 : Shaana => CommentaireDétails
C’est marrant comme ce thème innocent en apparence a donné lieu à un déchainement de cruauté dans les textes, hihi !
Ceci est une histoire originale avec une ambiance intéressante.
Quelques petites choses m’ont heurtée :
Dans le paragraphe intitulé « De la nature de la Sentence », on n’apprend justement pas la nature de cette sentence. Je comprends bien que tu veuilles garder le suspens mais je changerais le titre alors.
Tu avais insisté sur le fait que Taåjin prenait son temps pour tout. Donc, j’aurais cru qu’il réfléchirait plus longtemps avant de décider quoi faire du criminel.
Le passage aux pensées de l’éleveur est un peu abrupt. Ca nécessiterait une transition.
En tant que biologiste, j’ai été choquée par le passage « déchu de son rang d’homme et avait été ramené à l’état d’animal ». Les humains sont des animaux. Les autres choix possibles dans le vivant étant champignons, unicellulaires et végétaux.
Le passage sur l’ADN qui imprime le souvenir de la torture est un poil rapide. Une idée aussi déroutante devrait, je pense, être développée pour être acceptée par le lecteur.
Bien que la scène avec le hamburger soit savoureuse (on aime bien voir les méchants punis car ça n’arrive pas assez souvent dans la vraie vie), j’ai du mal à me faire à l’idée que le hamburger aie un esprit habitable par une psyché humaine...
J’avais cru comprendre que Taåjin avait tué Gaad mais il est mentionné à la fin du texte. J’ai raté un truc ?
Enfin, si j’avais été dans la peau d’un hamburger, je n’en mangerais sûrement pas quelques secondes après.

J’aime bien les petits détails pittoresques qui font sci-fi et donnent de la consistance à ton monde : les unités de mesure exotiques, « éleveur de protéines », « Par la Sainte Voix »...
Ta description de Gaad est bien vue également, avec la métaphore « Gaad ressemblait à un poupon suralimenté » et surtout les deux passages en écho « et Gaad éructa d’ennui » et « il cracha de dépit ». La répétition accentue le côté répugnant de Gaad tout en lui donnant un air ridicule.

Les bricoles (copyright Narwa) qui restent :
« débats internes qui se menaient à l’intérieur » : il y a une répétition entre internes et intérieur.
« Un transfert, sortit–il » : sortir dans ce sens est familier. Déclarer ou simplement dire ferait l’affaire.
« Gaad ressentait de l’autosatisfaction » : j’aurais mis « débordait d’ autosatisfaction », ressentir est un peu neutre.

Au final, cette histoire a un ton tout à fait original et jouissif. Elle mérite d’être retravaillée pour être parfaite.

Est', en pleine lecture.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2010-08-20 11:27:21 

 Exercice 77 : Narwa => CommentaireDétails
La structure de ton récit avec la succession d’incarnations est intéressante. Selon la tradition indienne, il me semble qu’on s’élève dans les sphères si on a eu une vie méritante et qu’on descend si c’est le contraire. Là, je n’ai pas vu apparaître cette logique. Je pensais au départ qu'elle allait constituer le fil conducteur mais ce n'est pas le cas au vu de l'épisode du chien où le personnage ne commet pas d'erreur mais ne sort pas du cycle des réincarnations. On dirait plutôt une approche gnostique, pour le peu que j’en connais.
Ton personnage est particulier et je n’ai pas pu le cerner dans toute l’histoire. Au départ, il est présenté comme égoïste voire méchant, avec des circonstances atténuantes dans ses antécédents familiaux. Puis, au fil des vies, je me suis demandé s’il n’était pas tout simplement sot et malchanceux. En tous les cas, tu fais preuve d’un bel esprit de synthèse, brossant rapidement et efficacement toutes les époques et toutes les situations.
Le genou douloureux qui revient sans cesse et surtout la femme aimée qui réapparait sous des noms subtilement différents font habilement le lien entre les vies.
Bon, j’avoue que les histoires de chien fidèle, de candeur et de foi chrétienne, c’est pas ma came, mais no souci.
Ca veut dire quoi transfixier ? Mon dictionnaire ne connaît pas. C’est du vocabulaire technique médical, non ?
Deux petits trucs me gênent. Tout d’abord, le médecin se suicide très brutalement. Le texte laisse supposer que cela arrive quelques instants après la révélation de la maladie. J’aurais ajouté un paragraphe sur le cheminement mental du personnage.
Et surtout, je n’ai pas compris pourquoi le pianiste abandonne et rejette soudain sa mère qu’il adorait et qui l’adorait. Des explications ou une confrontation auraient été les bienvenues. Tu suggères qu’elle méprisait les manifestants mais un fils aimant n’abandonnerait pas sa mère pour une simple divergence politique, si ? Et s’il le fait, ça devrait noircir son karma et il ne devrait donc pas pouvoir sortir du cycle, non ? Et puis, du point de vue du fil conducteur, il a toujours trouvé cette femme, il l’a toujours aimée d’un amour malheureux et je me m’attendais donc à ce que leur amour trouve une fin heureuse ou au moins une conclusion dans sa dernière vie (serais-je contaminée par la choubidou attitude ?). Je suis donc d’autant plus étonnée qu’il la largue après l’avoir poursuivie pendant tant de vies.

Est', en pleine lecture.

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2010-08-20 11:33:39 

 Exercice 77 : Maedhros => CommentaireDétails
Un brin trivial ce titre, pour du Maedhros...
Ce texte est drôlement court mais joliment écrit et agréablement mélancolique. Ton héros m’a fait penser au Vagabond des limbes qui cherche son amour dans les dimensions parallèles.

Est', au suivant !

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2010-08-25 15:24:32 

 Fil rougeDétails
En fait la perspective d'évolution qui est proposée au héros c'est de réussir à se détacher d'un bonheur égoïste pour s'engager au service de l'humain; la femme qui est toujours là représente la tentation, sauf dans l'épisode de la petite fille; à la fin, comme le héros est quand même de bonne volonté, "ils" en font sa mère, et non plus sa femme idéale, et en plus une mère possessive et intrusive. Je ne dis pas qui sont "ils", ça n'est pas forcément religieux, même s'il y a clairement une notion de bien et de mal. Le passage où il y a des religieux est dû au fait qu'au Moyen Age c'étaient eux qui géraient les asiles.
Après, le genou douloureux, c'est du Lacan: "je-nous"; tranfixion existe, j'en ai tiré transfixier, mais il me semble bien l'avoir vu quelque part.
Le médecin se suicide parce qu'il ne pourra jamais rejoindre sa femme ( même s'il était encore vivant, il la contaminerait), et en plus la fièvre altère son jugement.
Quant au pianiste, il sait que sa mère n'acceptera pas qu'il s'engage politiquement, elle veut l'enfermer et le garder pour elle. Vraisemblablement, comme c'est un gentil garçon, il subviendra sûrement à ses besoins, mais en gardant sa liberté.
Narwa Roquen,vous avez demandé des explications, ne quittez pas

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Estellanara  Ecrire à Estellanara

2010-08-26 16:44:32 

 Merci pour les explications. Détails
Je n'avais pas vu cette possibilité de se détacher de la femme-tentation. Son amour m'avait paru pur dans plusieurs vies aussi pensais-je qu'il allait finir par triompher.
J'avais bien compris les motivations du médecin, juste que la scène me parait un peu brêve.

Est', pas motivée aujourd'hui.

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2010-10-03 14:32:07 

 Tous les chemins mènent à RomeDétails
La description de cet itinéraire temporel est mené de la plus délicate des façons, tout en nuances malgré le foisonnement épique qui émaille toutes ces existences. La voix qui accompagne le pèlerin en transit est un subtil fil conducteur qui unit tous les récits sur une même trajectoire où tu as placé également quelques balises nominales ancrées dans la grande tradition chrétienne (Joseph , Marie-luce, lulu, jo etc...)

Tu as parfaitement agencé les tableaux de cette grande fresque. Chacun d’eux vit sa propre vie, possède son propre équilibre, à la fois lié et indépendant de ceux qui le suivent ou le précèdent. Chacun est riche de détails qui lui donnent du corps, avec une mise en perspective intéressante (le fermier piémontais, la jeune fille sous la révolution). Tu as rassemblé beaucoup de matériel et de détails donnant une vraie profondeur, chapeau ! Toutes les histoires sont bâties sur le même principe, mêlant la conception chrétienne et les lois du karma. D’ailleurs, la fin unit musique des hommes et musique des sphères.

Comme d’habitude, il se dégage de cette longue histoire en sept chapitres, une fluidité du propos, une narration très structurée, une douceur des expressions et un sens de l'humanité qui caractérisent si bien ton style et tes influences.

Une interrogation néanmoins : l’histoire débute avec cet architecte et il m’a semblé que son trépas était le point de départ de la revue de toutes ses existences antérieures. Cette impression paraît confirmée par la description du passage et de ce que lui dit la voix : « Joseph... Est-ce que tu te souviens de tes vies antérieures ? ».

Je m’attendais donc à ce que la fin du récit boucle avec son début. Or, la manière dont la dernière existence (le musicien) est décrite laisse suggérer que Joseph a enfin atteint le dernier stade de son accomplissement et parvient au nirvana chrétien. Je ne suis pas parvenu à faire le lien avec l’existence de l’architecte ! Celle-ci précède donc celle du musicien ?

Une peccadille :

- je rentre le entre : je rentre le ventre

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2010-10-03 14:55:53 

 In media res...Détails
Exact, l'architecte précède le musicien; j'ai commencé par la sixième vie, au moment où 'Ils" commencent à se dire que ce gars est bien sympa mais qu'ils ne vont pas y passer l'éternité... Donc "Ils "essaient de donner un coup de pouce...
Pourquoi quand je lis ce que tu as commenté sur un de mes textes je me dis que je voudrais bien rencontrer l'auteur dont tu parles?
Narwa Roquen, 6 + 1 = 7...

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2010-10-03 15:13:36 

 L’esprit des loisDétails
Une histoire qui reprend par bien des aspects les recettes éprouvées de la SF « old school ».

C’est à la fois délicieusement kitsch et impeccablement mis en situation. Le choix des protagonistes est judicieux et l’intrigue tient la route. Des juges impartiaux chargés d’appliquer une correcte sentence aux condamnés galactiques. Il y a aussi un côté buddy movie très agréable et très bien vu : ces deux juges que tout sépare sont pour le meilleur ou le pire côte à côte sur le même banc de cette galère. Et puis, il y a une dimension comique que je pense absolument volontaire qui permet de faire tourner à plein régime les gags de situation même si certains sont assez gore (le chien, les diminutions du fermier...).

J'ai la même question que Est’ je crois. Le récit s’achève sur la reprise en main du délire de Gaad par Taajin . Je pensais que celui-ci avait puni son homologue mais le dernier paragraphe jette une certaine confusion. Ou alors, il faudrait expliquer un peu plus. Gaad serait-il passé dans le corps de l’éleveur qui lui, aurait été transféré dans celui du terrien ?

La consigne est techniquement respectée, il y a bien déplacement des « âmes ». Le style correspond au ton léger adopté pour le récit. Quelques tournures sont sans doute perfectibles, trop proches de l’expression parlée.

Au final, un texte sympa qui fait revivre une forme de SF très « amazing stories » pour les connaisseurs !

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2010-10-09 17:07:24 

 L’étau… t’aimes ?Détails
Un récit qui fréquente une contrée où j’ai l’habitude de traîner mes guêtres de temps en temps, une contrée interdite et dangereuse. Il n’est pas si simple de revêtir le masque du démon sauf à être un fils de Sam soi-même. Tu t’en tires avec les honneurs.

La possession progressive du héros est fort bien décrite, avec cette limite peu à peu repoussée vers l’extrême. Tu prend soin d’ancrer ton histoire dans les légendes urbaines américaines. La sinistre maison, la forêt, les adolescentes pubères. On imaginerait facilement la belle Clarice avancer sur les traces du tueur. Là, il n’y a pas de papillon, ton héros leur aurait arraché les ailes.

Comme Narwa et Est’, je pense que l’emploi du « je » aurait donné au récit une noirceur et une profondeur plus grandes. Il aurait aboli la distance que le « il » ménage au lecteur.

Ton style progresse de WA en WA. Pour l’orthographe, tu as éliminé les fautes les plus grossières, les plus visibles, celles qu’ont voit au détriment de l’histoire. Si les accents « gore » sont tous là, tu n’en fais pas des tonnes. Tu préfères plutôt suggérer, esquisser. Le flou et le glauque vont bien ensemble. Cela me va bien.

La consigne est ma foi respectée avec une mise en abyme intéressante. Le titre par contre est assez banal ou il y a un jeu de mots que je n’ai pas trouvé (CO...M..E....DIE ?)

Well done.

M

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