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 WA, exercice n°98 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 22 septembre 2011 à 22:24:46
Je ne sais pas pour vous, mais en ce qui me concerne, chaque fois qu'un concours de nouvelles commençait par une phrase imposée, je n'ai jamais pu écrire la moindre ligne... J'ai décidé de mettre fin à cette malédiction, et par la même occasion de vous y confronter!
Pour éviter que mon subconscient ne fausse les cartes, j'ai ouvert le dictionnaire au hasard, et mon doigt a marqué le mot "gérontologie". Tel quel, impraticable. J'ai donc dilué un peu la contrainte, et voici la phrase par laquelle devra débuter votre texte:
"Le vieillard se leva. "Il est temps", déclara-t-il."

Il me semble que ça ouvre pas mal de possibilités. Vous avez trois semaines, jusqu'au jeudi 13 octobre, mais vous savez que, n'étant moi-même pas toujours ponctuelle, je ne refuserai pas les textes en retard.
Je vous rappelle que dans neuf semaines paraîtra la consigne pour la WA n°100, que je souhaite spéciale. Toutes les suggestions sont les bienvenues!
Narwa Roquen, destructrice de malédictions


  
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Réponses à ce message :

Pages suivantes : 1 - 2
Onirian  Ecrire à Onirian

2011-09-29 11:39:06 

 Le meilleur du best, en mieux.Détails
Bientôt 100. Le temps passe, il file drolement vite.
Sans doute l'occassion pour féliciter une fois de plus (on ne le fera jamais assez) Narwa et Maedhros qui, presque à eux seuls, font vivre cette idée géniale.
Bientôt 100. Temps ou pas, inspiration ou pas, je la ferai.

J'ai dit.

Quand aux suggestions, j'en ai une, à faire en parallèle de la WA 100 plutôt ? Que chacun reprenne un (ou deux ?) texte déjà posté, le meilleur, le préféré ou celui qui n'a pas été traité comme on l'aurait voulu, bref, un texte qui d'une manière ou d'une autre touche vraiment l'auteur.
Ce texte, il faudrait le reprendre, et l'améliorer encore si nécessaire/possible, et le reposter, pour avoir dans un même sujet, la crème de la crème.
(Quitte à demander à notre mage à l'envers favoris de prévenir tous ceux qui ont déjà posté, pour avoir une vision vraiment exhaustive).
Ca ressemble sans doute un peu à de l'auto-congratulation, mais je crois que, de temps en temps, ce n'est pas une si mauvaise chose.

A l'instars des philosophes, l'idée grimper sur nos propres épaules pour voir plus loin.

--
Onirian.

Ce message a été lu 5861 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2011-09-30 14:18:21 

 DélaiDétails
En raison des circonstances, je nous accorde, à Maedhros et à moi, deux semaines de plus pour venir à bout de l'exercice n°98. Et si d'autres auteurs daignaient, pour une fois, participer... ils bénéficieront eux aussi de ce temps additionnel. Nouvelle date limite: jeudi 27 octobre
Narwa Roquen,ce soir: dodo!

Ce message a été lu 6551 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2011-09-30 14:25:54 

 Une idée à suivre...Détails
... et qui, si tu veux bien, fera l'objet de la WA 109 (ben oui, c'est un jeu de mots). Mais pour la 100, je rame toujours...
Narwa Roquen,rame, rame, rameurs, ramez, on n'avance à rien dans c'canoë

Ce message a été lu 5533 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-09-30 17:30:13 

 Hourra...Détails
Mille mercis pour ce délai de grâce! j'étais un peu dans la panade!

J'ai fusillé coup sur coup 2 mobo!

M

Ce message a été lu 6093 fois
Estellanara  Ecrire à Estellanara

2011-10-06 11:54:44 

 WA100Détails
Je suis bien d'accord que la WA100 devrait être quelque chose de spécial. Il faut saluer cette remarquable et vénérable institution comme il se doit.
Cela dit, je n'ai pas l'ombre de l'atome de la miette d'une idée... Peut-être pourrions-nous juste nous engager formellement à y participer quel qu'en soit le thème, comme le suggère Onirian ? Ce serait déjà un sacré défi.
Que chaque contributeur régulier poste quelque chose à cette occasion. Mais qu'appeler contributeur régulier ? Quelqu’un qui aurait posté au moins 10 WA sur les 100 ? (j'en suis à 21 pour info; je viens de les recompter)

Est', une liche, tout au plus une liche.

PS : j'aimais bien l'idée de la ré-écriture mais je ne suis pas sûre d'en sortir quoi que ce soit. D'une, je ne parviendrai jamais à choisir entre mes textes. De deux, pas sûr que j'arriverai à améliorer quoi que ce soit. Mais j'aime bien l'idée de la rétrospective. Du best of. Où chacun re-soumet son texte préféré.

Ce message a été lu 5861 fois
Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2011-10-10 07:48:38 

 FDEALRDétails
Comme je suis très clairement passée de la fédération des écrivains (juste) en retard à celle des écrivains à la ramasse, qui n'écrivent plus, ne lisent plus, ne commentent plus et oublient même régulièrement de passer dire bonjour... Je ne sais pas si je peux promettre de participer à la centième. Peut-être que oui, mais même quand les thèmes sont clairement faits pour moi ("gérontologie", si c'est pas un signe dans ma direction, je sais pas ce que c'est!!!), je ne jure de rien, alors...
Quant à proposer une idée pour cette n°100... 100, sans, sang, sens, on donne une médaille aux centenaires, 100% c'est 1, et voilà, rien ne sort de mon chapeau...

Je m'en retourne travailler, déjà lundi, encore lundi...

Elemm', cernée!

Ce message a été lu 6522 fois
Hivernale  Ecrire à Hivernale

2011-10-12 19:57:20 

 Parce qu'un zombie peut très bien manger à la table d'une princesse...Détails
Bonsoir :-)

J'aime bien cette idée de reprendre des textes passés. Mais pourquoi rester dans ses propres textes ? N'avez vous jamais regretté en lisant l'essai de quelqu'un d'autre de ne pas avoir pensé à la meme chose ? De ne pas avoir créer un personnage si drole, émouvant, pathétique ou féerique ou de ne pas avoir trouvé un monde si enchanteur que celui dans lequel vous venez d'entrer ?
Naturellement, un tel exercice pose de gros problèmes de droits d'auteur.
Mais pour ma part, j'aurais aimé mixer deux textes passés, de deux auteurs différents et décrire la rencontre de deux mondes. Certaines passerelles seraient plus évidentes que d'autres...

Hivernale,
ps : je suis désolée j'ai des problèmes d'accents circonflexes :-)

Ce message a été lu 6496 fois
Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2011-10-14 19:55:54 

 J'aime beaucoup cette idée!Détails
Si les auteurs sont d'accord, moi, j'adore! Et personnellement, je me fiche des droits d'auteur (d'autant qu'ici tout est libre d'accès et donc de droits, non?)
Ce message a été lu 5998 fois
Fladnag  Ecrire à Fladnag

2011-10-15 00:10:07 

 DroitsDétails
Une oeuvre reste la propriété de l'auteur, même si elle est diffusée.

Ce n'est pas parce que tu écoutes une chanson a la radio que l'auteur n'a plus de droits dessus.

Ici c'est pareil ;o)

Bref, c'était une petit parenthèse légale, parce que "c'est libre d'accès donc de droits" je pouvais pas laisser passer ^^

Fladnag

Ce message a été lu 5936 fois
Onirian  Ecrire à Onirian

2011-10-18 16:49:53 

 MélangeDétails
Après, on peut aller dans le domaine du "fan art". Par exemple, si tu cherches un peu, tu trouveras plein d'histoires de "fan" sur Harry Potter.
Tant que tu cites les sources, et que ça reste dans le cadre d'un exercice sur le cercle, je pense pas qu'un auteur se prennent la tête à venir râler parce qu'on a utilisé ses personnages, il y a quand même une certaine tolérance.
Ou sinon, il y a moyen de mélanger des contes ou de vieilles histoires. ;-)

--
Onirian, emberlificoté.

Ce message a été lu 6898 fois
Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2011-10-18 20:31:48 

 Bah oui en faitDétails
Merci Flad', c'est vrai que dit comme ça, ça paraît évident. Mes A coulent pas. :)
Ce message a été lu 6387 fois
z653z  Ecrire à z653z

2011-10-19 13:50:29 

 oouuhh lalalalalalalaDétails
3 messages en 8 jours... sans échauffement en plus, attention au claquage !

Sinon, bon retour par minous :)

PS : peut-être que la sortie d'un film sur des oeuvres de Pratchett le fera remonter dans ma PAL comme le SdA en son temps.
PPS : il faudrait aussi que je finisse de lire les dernières nouvelles ici et les commenter au lieu de faire le méchant.

Ce message a été lu 6424 fois
Estellanara  Ecrire à Estellanara

2011-10-20 17:28:27 

 FDEALRDétails
Je peux m'inscrire ?? Dis steupl' !

Est', et en plus, les cours du soir ont repris...

Ce message a été lu 6628 fois
Estellanara  Ecrire à Estellanara

2011-10-20 17:30:47 

 Ah ouais, tiens !Détails
C'est sacrément une bonne idée !
En ce qui concerne mes quelques textes, je vous autorise à en faire ce que vous voulez !

Est', une frangipane dans une main...

Ce message a été lu 7509 fois
Estellanara  Ecrire à Estellanara

2011-10-20 17:42:30 

 Coucou Flad !Détails
Mais dis-moi, pendant que je te tiens : ne t'avais-je pas envoyé une participation libre il y a quelques éons ?
Et sinon, ça va la vie ? La santé ? Les loisirs ? Tu as vu la série adaptée du Trône de fer, au moins ? (ouais chuis curieuse) Parce que tout fan de méd-fan (méd-fan-fan ?) devrait avoir vu ça.

Est', ... et je tape avec les pieds, sisi.

Ce message a été lu 6628 fois
Fladnag  Ecrire à Fladnag

2011-10-20 17:52:51 

 ... :/Détails
Oui, tu m'avais envoyé une participation... et Narwa Roquen aussi.

Le terme d'éon n'est pas usurpé, ainsi que son pluriel... Faudrait que je publie ca.

Sinon oui, ca va, c'est juste que j'ai super honte de pas m'occuper du site alors je me fait discret :/

Non je n'ai pas vu la série, mais on arrête pas de m'en parler (en bien) mais j'ai lu les bouquins (dont l'avant dernier sorti en anglais)

Fladnag

Ce message a été lu 6490 fois
Netra  Ecrire à Netra

2011-10-20 18:29:09 

 3 mêmeDétails
Ouais ben écoute je vais prendre ma carte aussi...
Netra, toujours en vie mais à 7 jours des premiers enregistrements du CD

Ce message a été lu 6733 fois
Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2011-10-21 09:31:36 

 Game of throne, yyyeeeaaaahh!!Détails
J'ai pas lu les bouquins (mais je me remets à lire, si-si! En ce moment un thriller neuropsychologique, "Avant d'aller dormir", plutôt sympa), mais la série est géniale. Seul défaut: elle est beaucoup trop courte et on attend la suite avec trop d'impatience!

Décors splendides, bons acteurs, intelligence du scénario ("Attends, mets sur pause! Donc là, si j'ai bien compris, en fait c'est lui qui a tué untel, et pas l'autre, mais elle elle croit que c'est bidule parce que le beau-frère de truc... T'as compris comme moi? OK, tu peux relancer.") mais qui est donc dû aux bouquins, de la bagarre, de la sensualité, des intrigues, des complots, un peu de fantastique mais pas trop, bref tout y est!

Ce message a été lu 6508 fois
Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2011-10-21 09:33:40 

 z, tu sors!Détails
Non mais, pas gentil de se moquer... Voilà que j'en rajoute, des messages, ça t'apprendra!! C'est que depuis que j'ai été virée en période d'essai, tout d'un coup j'ai du temps libre, et j'ai besoin de l'occuper ^^ Ecrire? Bientôt peut-être!
Ce message a été lu 7568 fois
Onirian  Ecrire à Onirian

2011-10-22 01:12:51 

 Game of throne, +1Détails
Vu la série, franchement, c'est excellent. Et Tyrion Lannister est juste un personnage génial.

--
Onirian, une fois n'est pas coutume, fan du nain.

Ce message a été lu 6402 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-10-22 16:07:37 

 WA - Participation exercice n°98Détails
Houlà! Bon courage aux téméraires!

Musique....

L’HORIZON DES SENTIMENTS


Le vieillard se leva.

"Il est temps !", déclara-t-il.

C’était comme si je pensais déjà à moi en tant qu’objet, de chose... morte.

Car ce matin, j’ai eu une grande surprise. Mon père était là. Je l’ai dévisagé comme jamais auparavant. Je ne le lui ai jamais confessé mais il est évident que je lui ressemble vraiment. Non! Pas mes traits pris séparément. Non ! C’est l’impression d’ensemble que mon visage dégage. Cette tournure là, près des pommettes, cette ligne profonde de partage au-dessus des yeux et ce regard intense dans lequel une toute petite lumière ne s’était jamais tout à fait éteinte... Oui, mon père était là mais il ne souriait pas.

Cela faisait longtemps que nous ne nous étions vus. Très longtemps. Et il fallait qu’il réapparaisse juste ce matin. Quand ma propre vie fout le camp. Quand mes doigts blêmes ne retiennent plus que le vide. Quand la fatigue et le renoncement me voûtent les épaules un peu plus chaque jour. Oui, ce n’était pas le moment rêvé. Nous ne nous sommes jamais beaucoup parlé. Encore moins étreints. Nous sommes tous deux façonnés dans le même moule. Peu loquaces et peu démonstratifs. Je ne lui ai jamais dit que je l’aimais. Je suis l’aîné. J’ai dû être fort. Fort comme deux depuis l’accident.

C’est aussi douloureux dans ma mémoire que si cela s’était déroulé hier.

L’excitation de la chasse, l’exubérance de l’adolescence, les boutades de... de Jim... mon frère cadet. Jim l’espiègle. Jim l’insouciant. Jimmy et ses bouclettes blondes. Comme celles de Maman. Jim, qui faisait tout comme moi, prenant garde à ce que je ne remarque pas son manège. Nous avions trois ans d’écart. Ce n’est pas beaucoup au regard de toute une vie mais c’est la distance de la Terre à la Lunedeux quand on a seize ans. Je me souviens parfaitement de l’odeur des pins et des exhortations de Père quand nous avons pénétré dans l’immense forêt. La première chasse en vrai pour Jim qui avait nettoyé son fusil avec beaucoup de soin. Il avait dormi d’un oeil, ne voulant surtout pas rater l’ouverture. Jimmy. Je revois l’éclat du soleil matinal allumant un incendie dans ses cheveux. J’entends le rire léger de Mère déposant le grand panier d’osier à l’arrière de la Jeep. Cette Jeep, c’était la fierté de Père. Il l’avait remise en état avec ingéniosité et système D. Il y tenait comme à la prunelle de ses yeux. Les vitesses grinçaient un peu, la direction avait tendance à tirer sur la droite et elle bouffait plus d’huile que de diesélec mais elle crapahutait partout et c’était le principal.

J’entends encore Père nous expliquer comment cela allait se passer. L’itinéraire que nous allions suivre. J’entends ses derniers conseils de prudence. Comment tenir le fusil, comment mettre en joue, comment vérifier avant de tirer. Jim et moi l’avions écouté assez distraitement. Jim n’arrêtait pas de lancer des vannes en bois. Cela avait toujours été sa manière de maîtriser sa nervosité. Nous entrâmes tous les trois dans les bois mais seulement deux en ressortirent vivants. J’avais tué Jim. Un accident. Un tragique accident. Un banal et horrible accident.

Quand j’ai vu bouger dans les buissons, J’ai cru... j’ai cru que la bête avait percé notre stratagème. J’ai épaulé. J’ai posé l’index sur la gâchette. En retenant ma respiration, j’ai attendu deux secondes supplémentaires mais le mouvement a continué. J’ai fait feu. Jim, c’était Jimmy ! J’ai senti mon sang refluer du haut de mon corps. Jim, le torse en sang, a surgi du buisson en poussant un grand cri. Un seul. Et il s’est abattu face contre terre. J’ai noté que ses jambes ont tremblé à plusieurs reprises avant de s’immobiliser. Le bruit assourdissant du coup de feu refusait de quitter mes oreilles. Il m’a semblé qu’il claquait tout autour encore et encore, rebondissant contre les troncs d’arbres qui le renvoyaient sans cesse. Ce vacarme a duré de longues semaines encore. Un acouphène avec lequel je dus composer. J’ai tué Jim. Père a serré les poings et a tourné la tête. Mère a pleuré. J’ai imité Père. Je me demande encore pourquoi. Pourquoi je ne ressens rien au fond de moi ? Juste rien. Père ne m’a pas accablé. Ne m’a rien reproché. Mais j’ai senti une sorte de fossé se creuser entre nous. Mère a vieilli de vingt ans en une seule nuit. Au matin suivant, ses cheveux avaient blanchi d’un coup. Elle refusa de m’adresser la parole. Les repas devinrent mornes et silencieux. Puis Mère nous quitta. Elle rejoignit ceux de son peuple, plus loin dans le Nord, sous les tentes nomades. Père ne dit rien, une nouvelle fois. Il est fait de ce genre de matériau qui accumule mais qui ne rend jamais rien. Et moi, je suis comme lui.

Alors nous restâmes tous les deux, face à face. Et les jours succédèrent aux jours. Jusqu’au moment où la vie se chargea de nous séparer pour de bon. Les larmes ne montèrent pas jusqu’à nos paupières. Nous nous revîmes de loin en loin. Souvent à l’occasion des fêtes du Solstice du Nouveau Soleil. Père demeura dans la petite maison sur la colline, la dernière maison habitée avant les grands bois qui chaque année, devenaient plus sombres et plus dangereux.

Quant à moi, je partis pour la ville. Une bonne partie de celle-ci était toujours ensevelie sous les décombres. Je me suis engagé dans une firme de déblaiement souterrain. J’aimais explorer les vieilles galeries, obscures et suffocantes, ainsi que les collecteurs enterrés que les eaux boueuses engorgeaient régulièrement. A l’intérieur, je respirais des odeurs différentes, de celles que mes collègues pourtant endurcis trouvaient absolument écoeurantes. Moi non. Cela sentait simplement le moisi et le décomposé. Je m’engouffrais le premier dans les boyaux qui avaient abrité de pauvres hères terrorisés entassés les uns sur les autres. Quelques fois je tombais sur une salle non répertoriée. J’ôtais alors un gant et j’apposais doucement mes doigts dénudés sur le sas circulaire et blindé, à peine froid. Je tentais de percevoir des vibrations. Des sensations insolites. Bien sûr, je n’entendis jamais aucun bruit. On apportait les foreuses militaires à têtes renforcées et on découpait la paroi de béton tout autour du sas. Quand la poussière retombait au sol, je ne laissais à personne le privilège de pénétrer avant moi dans la pièce de survie. L’air sec et renfermé avait momifié les derniers cadavres. Ils me faisaient penser à ces momies italiennes retrouvées après une éruption volcanique. J’étais le dernier à interroger encore et encore les ombres du passé.

Ah, le fil de mes idées s'est dévidé bien trop loin !

J’ai reporté mon attention sur Père qui me faisait toujours face. Ce n’était pas bon pour moi de ressasser ces vieux souvenirs. Les médecins me l’avaient dit quand ils étaient venus me voir. Père se murait toujours dans son mutisme. Aucun reproche dans ses yeux.

J’avançai ma main et la passai sur le miroir. Ce n’était que mon reflet qui me regardait de l’autre côté de la glace posée au-dessus de l’évier. C’était mon visage et non celui de mon père que je voyais devant moi. J’avais tellement vieilli. Sans m’en rendre compte. Le temps a posé ses mains sur moi et a sculpté sur mes traits le visage buriné de mon père comme un masque de chair que je ne pouvais plus retirer.

« Alors c’est ainsi, pensai-je soudainement, que l’on devient vieux !? »

J’ai nié durant toutes ces années l’évidence. J’ai enfoui tout ça à des kilomètres de profondeur, là où nul n’irait fureter. Pas même les inspecteurs qui m’avaient arrêté. Je me suis enfui dans le silence jusqu’à aujourd’hui. Ils n’ont pas eu de prise sur moi. Ni mon avocat ni le Procureur. Je me suis contenté de fixer le mur d’en face et d'attendre que cela passe. Le Juge a eu beau tempêter, me menacer des pires avanies, j’ai continué tranquillement à me taire. C’est un magistrat hors de lui qui m’a condamné à huit cent quatre vingt deux années de réclusion assorties d’une clause de sûreté ne pouvant être inférieure à la moitié de la peine. Autant dire qu’il m’a condamné à mourir derrière les barreaux. Cela m’est égal. La forêt ne livrerait pas mes secrets facilement. Les monstres rôdent plus près des lisières maintenant, s’éloignant du centre contaminé. Des bêtes étranges et cruelles. Plus redoutables saison après saison. Elles évoluent lentement mais chaque année, elles font un pas de plus vers l’orée de leur domaine. Un jour viendra où elles émergeront des sous-bois. Ce jour-là commencera le crépuscule des hommes.

Aujourd’hui, le temps a passé. Combien ? Je ne peux le dire de façon certaine. Beaucoup en tout cas. Des dizaines d’années sans doute. Mais ce matin les choses ont changé. Ce matin, j’ai vu le visage de mon père hanter la glace de plastique.

J’ai lu que le temps n’est pas autre chose que de la lumière déguisée. Ou l’inverse peut-être ! Je n’en suis plus très sûr. Pour moi, le temps est synonyme d’obscurité. Mon existence est un trou noir d’où rien ne s’échappe jamais. Ce que je prends, je ne le rends pas. Les psychiatres ont défini cette pathologie. Je souffre du syndrome de l’horizon des sentiments. Une incapacité psychologique à exprimer la moindre émotion ou le plus petit sentiment. Ils ont essayé par tous les moyens de me faire parler. De me faire avouer. Ils m’ont drogué et hypnotisé. Ils n’ont obtenu aucune information, consciemment ou inconsciemment. Cela les a rendus fous. Presque autant que moi. Je n’ai rien laissé apparaître.

Ah oui ! Il y a eu aussi ce prêtre qu’ils ont dépêché quand ils se sont aperçus que leurs efforts ne menaient nulle part. Les verrous ont claqué dans leurs gâches et les barreaux ont coulissé pour céder le passage à un homme jeune et au crâne rasé, une expression de commisération infinie benoîtement posée sur son visage couperosé. Il tenait entre ses mains chastement croisées devant lui un exemplaire bon marché du Rituel des Saints. Il s’est assis sur l’étroite couchette fixée au mur. Il a attendu que les gardiens repartent avant de s'adresser à moi :

« Mon Frère en Ciel, souhaites-tu confier aux Saints ce lourd fardeau qui pèse sur ta conscience ? »

J’ai souri en soutenant son regard angélique. Sa paupière gauche palpitait par à-coups, trahissant une légère tension mal dissimulée ou étaient-ce les séquelles d’une opération sub-oculaire récente. La pose d’une caméra cristallinienne peut-être. Que m’importait. Je restai sourd à sa question. Il ne se démonta pas. Il était en sécurité. Son profil n’était pas compatible avec ma folie. Il le savait.

« La Déesse Marine accueille toutes les brebis égarées car sans limite est sa miséricorde! Accompagnée de ses fils, n’a-t-elle pas modelé ce monde à son image. Ses larmes ont donné naissance aux fleuves, aux lacs et aux océans. Sa chair est devenue notre terre nourricière. Ses os ont enfanté les montagnes titanesques. Son souffle divin a protégé ce monde du Grand Vide. Ses cheveux ont tissé les immenses forêts et les vertes prairies. On entend sa voix chaque fois que le tonnerre gronde. Et enfin, nous, pauvres créatures, ne sommes-nous pas nés de ses entrailles bénies. Elle a voulu que tout soit comme elle l’a commandé et ses fils immortels ont ployé leur genou pour lui jurer fidélité. Les Ecritures racontent que, si grand que fût leur chagrin, ils obéirent jusqu’à ce que le corps de la Déesse, leur propre Mère, fut indissociablement lié à notre monde. Les Saints allumèrent alors les étoiles dans le ciel pour que nous n’oubliions jamais le sacrifice de la Déesse... »

Je lui ai coupé la parole :

« Ne te fatigue pas Saint Homme ! Tu perds ton temps. Si tu t’approches trop près de moi, en actes ou en paroles, alors tu pourrais bien ne plus jamais repartir ! »

Il a blêmi malgré les chaînes qui me maintenaient hors de sa portée.

« Retourne dans ta Cale marmonner tes saintes paroles devant tes fidèles. Là où je me trouve, je ne crains pas les foudres des Saints. Roméo ne me frappera pas de sa grande épée et Juliet ne viendra pas hanter mes rêves. Pas plus qu’Oscar et Charlie ne lanceront leurs chars sur moi. Non Saint Homme, rebrousse chemin. Tu ne peux vraiment rien pour moi ! »

Il a décampé sans demander son reste. Il n’est jamais revenu !

Pourtant aujourd’hui, après toutes ces années, j’ai croisé le regard de mon père et je me suis aperçu qu’il s’agissait du mien. Il est temps de tourner la dernière page et de refermer mon livre. Mon père est mort il y a bien longtemps. Mon propre temps touche à son terme également. Je le sens au plus profond de mes os. Alors autant déposer le fardeau. J’ai vécu tout ce temps pour m’apercevoir que je ne suis rien d’autre que le fils de mon père. Quel temps perdu !

Je me suis levé pour aller tambouriner comme un forcené sur la porte de ma cellule.

« Ouvrez-moi ! Ouvrez ! Il est temps... que je vous apporte les réponses que vous attendez ! »

Ce qui m’a décidé, ce qui a fait pencher la balance pour de bon, c’est cette marée humide que j'ai ressentie aux coins de mes paupières. J’ai vu couler des larmes sur le visage dans le miroir.

Non, je me mens. Ce n’était pas réellement ça! Non !
La seule raison qui a emporté tout le reste, c’est que, pour la première fois de toute ma satanée existence, j’ai vu mon Père pleurer !

M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2011-11-02 14:04:19 

 WA, exercice n°98, participationDétails
L’ETRANGER



Le vieillard se leva.
« Il est temps, déclara-t-il. « Que le Jury rende son verdict ! »
Silence. Trois cents Valederisiens entassés sur les bancs, hilares et impatients, sept jurés sur leurs sièges contre le mur de droite, austères et hautains. Un accusé, entre deux Gardes. Un jeune homme, coupable d’être entré dans la ville sans autorisation écrite, sans savoir parler notre langue, et de surcroît en remontant le fleuve à la nage. Nager est interdit à Valderis. Nous ne sommes pas des animaux.
Le premier Juré se leva, la main sur le coeur.
« A mort !
- A mort !
- A mort ! »...
La foule hurla de joie, scandant le nom du bourreau qui venait d’apparaître entre les deux colonnes de marbre noir encadrant la Dernière Porte. Une exécution capitale, c’était une demi-journée de travail en moins, qui aurait voulu s’en priver ?
Je n’aimais pas ces rassemblements haineux qui se donnaient bonne conscience au nom de la conservation d’une race pure et de traditions non contaminées par une barbarie étrangère. Mais mon siège était réservé à chaque audience, et je ne pouvais pas refuser. En un sens, j’étais moi aussi prisonnier.
« Puisque le Jury est unanime, je déclare...
- Vénérable Juge, j’en appelle à la Loi du Garant. »
C’était moi. Mon corps s’était levé et ma bouche avait prononcé des paroles dont le sens m’avait fait frissonner. Une folie ! Moi si pondéré, si prudent, si consensuel... Moi seul debout, face à tous, en pleine lumière, moi le silencieux qui marchais toujours les yeux baissés !
« N’est-il pas écrit dans la Loi que si un Citoyen se porte garant pour l’étranger, il peut le soustraire à la Sentence ? »
L’assistance se figea dans un silence glacé. Une partie de moi s’attendait à être foudroyée par le Feu du Ciel. Et pourtant mon coeur restait calme, et je ne ressentais pas de peur.
Fardyas, le Juge Suprême, fronça les sourcils.
« Sarroyan, tu es notre Guérisseur et nous te respectons tous. Ce détail de la Loi est ... hem... eh bien mais... tout à fait exact. Mais qui oserait mettre en jeu sa vie et son honneur pour un chien vagabond incapable d’articuler une syllabe de notre langue ? Un pouilleux en guenilles, un fugitif, un parasite, sans doute un voleur et un assassin !
- Je le ferai », m’entendis-je répondre sans détourner le regard. « Je le vêtirai, je le nourrirai, je lui apprendrai à parler.
- Et si tu échoues, dans un an et un jour tu seras condamné à la même mort ignominieuse que lui, le sais-tu ?
- Je le sais.
- Et tu persistes ? Allons, Sarroyan, tu t’es égaré un instant, et nous sommes tout prêts à te pardonner. Depuis plus de dix ans tu ne ménages pas tes forces pour veiller sur la santé de notre communauté. Nous te sommes tous redevables, et nous avons besoin de toi ! Tu ne vas pas risquer ta vie pour... pour... ça !
- J’ai deux apprentis très sages et très compétents. Ils en savent plus que moi quand j’ai été investi de cette charge. Valderis n’aurait pas à souffrir de mon absence, si jamais je devais... manquer...
- Je ne sais quelle drogue absurde tu as expérimenté sur toi-même ! Mais soit... La Loi est la Loi. »
Le marteau d’airain s’abattit sur le bois noir du grand bureau.
« Qu’il en soit ainsi ! Le Jugement est dit. »



Il trottinait derrière moi comme un chiot suit sa mère, souriant d’un air béat et les yeux fixés sur les étoiles, tandis que levant ma lampe je surveillais les pavés inégaux des ruelles qui nous menaient chez moi. J’entendais son pas léger et dansant faire écho à ma démarche mesurée, mais je me retournais souvent, comme si mon regard eût pu suffire à le retenir dans mon sillage. S’il avait décidé de me fausser compagnie... aurais-je pu le rattraper ? J’en doutais. Il était jeune et vigoureux, et je n’étais pas entraîné à la course. Sa fuite, c’était mon arrêt de mort. Etait-il simple d’esprit ? Je ne lisais en lui aucune crainte, aucune colère. Mais aussi, qu’avait-il compris de son étrange aventure ?
C’est en longeant la rue des Commerces, devant la maison de Tyxès, que la vérité me frappa de plein fouet. C’était là précisément, deux jours auparavant, que cet homme dans la force de l’âge avait rendu son dernier soupir dans mes bras, malgré tous les soins que j’avais pu lui prodiguer. Et le pire, le pire de tout, c’était que j’ignorais pourquoi. Malgré mes demandes répétées depuis dix ans, le Conseil se refusait à me laisser pratiquer des autopsies. Mais comment progresser dans mon art si je ne pouvais me confronter à la réalité quand j’avais échoué à sauver une vie ? L’étranger avait à peu près le même âge que Tyxès. Les mêmes yeux d’un bleu pur. La même démarche aérienne, le même sourire d’enfant...
Cette vie-là, je pouvais la sauver.


Je le fis asseoir à ma table et lui servis une assiette de ragoût avec une belle tranche de pain. Pour ma part, je n’avais pas faim, mais je remplis deux verres de vin d’été. J’avais besoin de courage et d’un peu d’insouciance. Je le laissai manger en paix, tandis qu’il me prodiguait hochements de tête et sourires ravis, puis résolument je me désignai du doigt.
« Sarroyan. »
Je pointai l’index vers lui d’un air interrogatif, en accentuant ma mimique. J’ouvris grand les yeux, je relevai mes sourcils, j’ajoutai un petit mouvement du menton. Il resta silencieux, figé dans son sourire stupide. Etait-il possible qu’un peuple humain ait un code gestuel différent du nôtre ?
Je montrai le plat. « Viande ». Puis la miche, « Pain », et la carafe : « Vin ». Et je me désignai à nouveau.
« Sarroyan. »
L’homme éclata de rire.
« Ako, ako, Sarroyan, almi du chimal benk Sarroyan ! »
Il répandit du vin sur la nappe blanche en me souriant. Je gardai mon calme. Il n’avait pas l’air agressif. Je me nommai à nouveau, et tendis le doigt vers lui. Ses yeux se plissèrent. Il faisait un effort pour comprendre, c’était déjà ça.
Sa main tapota la mienne.
« Sarroyan », prononça-t-il. Puis il tapota son autre main.
« Abratz. »
Autre pays, autres gestes. Je me levai, je pris une feuille de parchemin et une mine de graphite. J’esquissai des maisons, avec un chemin au milieu où je dessinai des bateaux pour figurer le fleuve. Puis je griffonnai une silhouette, entre deux formes qui tenaient des épées.
« Abratz ?
- Ako, ako, Abratz ! »
Je soupirai. Je connaissais son nom, il connaissait le mien. Il me restait toute une nuit pour lui expliquer la Loi, et lui faire comprendre que sa vie était entre mes mains autant que la mienne dépendait de lui. Et le dessin n’avait jamais été mon fort...


Il avait un sourire candide et des coutumes différentes des nôtres, mais il était loin d’être idiot. En trois mois, il parlait ma langue presque couramment alors que je ne baragouinais qu’une cinquantaine de mots de son idiome, dont la syntaxe me restait toujours hermétique. J’avais voulu l’emmener avec moi dans mes tournées, mais mes concitoyens le considéraient avec méfiance, quand ils ne lui fermaient pas la porte au nez. Il n’en prit pas ombrage, et seul chez moi tout le jour, ne demeura pas inactif pour autant. Il transforma mon petit lopin de terre en un jardin original et coloré, et grâce à lui mon coin de potager quitta ses airs de jungle sauvage pour devenir une source inépuisable de légumes goûteux. Dans la maison, il chassa jusqu’à la dernière araignée, ramona les cheminées et fit scintiller le vieux chaudron en cuivre. Le soir, quand je rentrais, je pouvais sentir le fumet du ragoût depuis le fond du jardin... Je voulus le rémunérer pour ses services, mais il refusa. Je l’habillais et je le nourrissais, m’expliqua-t-il. Il ne faisait que payer sa dette.
Il noua bientôt un lien de camaraderie avec Drexias, mon plus jeune apprenti. Il l’accompagnait souvent quand ce dernier allait cueillir les herbes médicinales. Drexias ne tarissait pas d’éloges à son égard, sans doute impressionné par le récit de son long périple.
Chaque soir nous parlions longuement, et j’appris qu’il parcourait le monde depuis deux ans déjà, car en Uthoria, sa terre d’origine, il était valeureux de voyager longtemps. Sa patrie était un pays de hautes montagnes et de landes arides, où la population nomade se déplaçait de camp d’hiver en camp d’été. Ils élevaient des kajinas, animaux intermédiaires entre le boeuf et le mouton, recouverts d’une épaisse fourrure grise, et d’un naturel placide et résistant. Il avait deux soeurs aînées et déjà six neveux et nièces. Son père était le chef de leur tribu et sa mère fabriquait le meilleur fromage de la contrée. Et puis, elle savait convoquer les Esprits.
Bien entendu, ce dernier point, je ne le crus pas. Il le perçut tout de suite et ajouta :
« Moi aussi, je sais un peu. »
J’éclatai de rire. Je me tordis sous l’effet de spasmes incontrôlables, je sanglotai d’une hilarité effrénée en retenant ma vessie qui menaçait de se vider d’une manière aussi incongrue qu’inappropriée. Il ne manifesta pas la moindre colère.
« Quelques jours avant mon procès », reprit-il calmement, « un de tes patients est mort. Un homme de mon âge, qui me ressemblait un peu. »
Je blêmis. Mon fou rire céda la place à une incrédulité effarée.
« Je ne comprenais pas votre langue, mais j’avais senti une immense hostilité autour de moi. Alors j’ai convoqué Smurt, l’Esprit des Morts. C’est lui qui m’a montré le trouble dans ton âme. C’est lui qui t’a soufflé tes paroles. »
Je revécus en un éclair ce moment tellement étrange, cette sensation de ne pas contrôler mes propres mots... Etait-ce possible ?
« Mais... si tu as ce don... Pourquoi être resté ? Tu avais sûrement le pouvoir de t’échapper !
- Je l’avais », répondit-il simplement, et sa sincérité tranquille me gela le sang. « Mais tu avais l’air d’un homme honnête, et j’ai été élevé dans le respect de la parole donnée. Et puis », et son visage s’éclaira d’un sourire radieux, « n’est-ce pas une merveilleuse aventure ? »
Je le contemplai longuement, me sentant à la fois stupide et ému. Mais aussi émerveillé, humilié, honoré, ébahi...
Je posai ma main sur la table, la paume vers le ciel.
« Je voudrais être ton ami », demandai-je humblement.
« Je t’aime dès le premier jour », entendis-je dans ma tête tandis que sa main se posait sur la mienne. J’étais sûr de n’avoir bu qu’un verre de vin, autant que j’étais sûr que sa bouche n’avait pas prononcé une parole. Et dans son regard bleu intense et profond il me semblait voir d’autres cieux lointains, surmontant des montagnes blanches où régnait le parfum vertigineux d’une liberté qui m’était étrangère...



Le lendemain, un vertige me prit au réveil. Je frissonnais, mon coeur battait la chamade et ma gorge était plus sèche que le plus aride des déserts. Toute la semaine j’avais soigné des caravaniers atteints de la fièvre bleue. Je me traînai jusqu’à la fenêtre pour inspecter mes ongles à la lumière du jour. Leur couleur ne me laissa aucun doute. J’appelai Abratz, lui demandai d’aller chercher au plus vite Drexias et Cotan, mes apprentis.
« Préparez-moi deux litres d’infusion de saule. Ensuite, que personne n’entre dans cette pièce pendant trois jours. Je suis contagieux. Occupez-vous de la ville à ma place. Et toi », ajoutai-je à l’intention d’Abratz, « désolé... je suis contraint de te délaisser un peu. » J’omis de mentionner que j’avais une chance sur deux de mourir. Mes assistants le savaient, et je préférais qu’Abratz l’ignore.
Je sombrai bientôt dans un délire brûlant, où je m’enfuyais devant les vagues de lave d’un volcan en furie ; ou bien, je m’enfonçais dans des sables mouvants ; ou encore, le sol se dérobait sous mes pieds et je tombais dans un précipice qui n’avait pas de fin. Mais toujours une voix, rassurante et tranquille, me murmurait :
« Je suis avec toi. J’ai convoqué Smurt. Tu ne vas pas mourir. Sois patient. Résiste. Tu ne mourras pas. Je suis avec toi. »
Et quand cette voix se faisait entendre, une eau fraîche coulait sur mon front, comme une source bienfaisante et salvatrice. J’étais emporté loin de mon lit de douleurs, et je sentais le goût un peu amer de l’infusion de saule qui apaisait ma gorge en feu.
Vint le moment où la fièvre commença à décliner. Je reconnus Abratz à mon chevet, et je forçai mon filet de voix rauque à devenir audible.
« Non... tu ne... dois pas... Va-t-en... La fièvre... »
Mais joyeusement il défia mon autorité vacillante.
« Tu seras guéri demain. Ne crains pas pour moi, Smurt me protège. Il ne pourrait pas laisser mourir le fils de Septa ! Ma mère le poursuivrait dans les cinq enfers pour le transformer en pâté d’Esprit ! »


La fièvre cessa. Je recommençai à m’alimenter lentement, je fis quelques pas dans ma chambre, soutenu par Abratz qui m’encourageait comme une mère quand son enfant commence à marcher. J’étais épuisé, et contrarié de l’être. Les caravaniers que j’avais soignés avaient tous récupéré très vite, et moi, au huitième jour, j’étais encore une loque humaine. Tandis que je combattais ma nausée pour avaler une cuillère de plus du succulent civet de lapin qu’avait confectionné Abratz, je sentis une pointe de feu traverser mon crâne, heureusement brève comme un éclair.
« Pardonne-moi, mais j’avais besoin de comprendre. Tu n’es pas du genre bavard ! J’ai lu en toi, Sarroyan. Tu es furieux parce que ton corps ne répond pas à tes attentes. Mais voilà des années que tu le malmènes... Et il te fait dire qu’il en a assez !
- Tu...
- Je suis désolé. C’est une intrusion impardonnable. Mais tu portes le monde sur tes épaules et jamais tu ne penses à toi ! Si tu voulais être un peu raisonnable... Je connais un endroit, pas très loin de Valderis. Tu pourrais t’y reposer quelques jours... Je suis sûr que tu recouvrerais tes forces bien plus vite qu’à tourner ici comme un animal en cage. »
Le feu brillait dans ses prunelles. Sans doute voulait-il ainsi me manifester sa reconnaissance. Reconnaissance de quoi, puisque j’avais été forcé... Mais rien n’était clair dans ma tête, et je n’avais pas la force de réfléchir. Il avait l’air enthousiasmé par son idée. J’acceptai pour ne pas le décevoir.
« Alors, en route ! Dynias le boulanger m’a prêté sa deuxième charrette. Nous serons là-bas dès ce soir. »


Je somnolai à l’arrière pendant tout le trajet, ballotté comme un sac de farine et comme lui incapable d’esquisser la moindre protestation. Enfin la charrette s’immobilisa, et j’entendis Abratz s’affairer à l’extérieur. Puis il vint m’aider à descendre et je découvris, dans la douceur du couchant, qu’il avait monté une tente avec des couvertures, et que la marmite mijotait sur le feu. Il semblait vraiment heureux d’être là, tandis que je regrettais déjà la chaleur de mon lit et ma chambre paisible. Nous étions au bord du fleuve, en amont ou en aval de Valderis, je n’aurais su le dire. Les grenouilles croassaient à qui mieux mieux, et l’eau clapotait doucement sur les cailloux de la rive. J’avais beau être contrarié de m’être laisser entraîner par faiblesse si loin de chez moi, à la fin du repas, tandis qu’Abratz toujours souriant et toujours silencieux faisait bouillir de l’eau pour la tisane, une étrange sensation de paix s’installa en moi. Une sorte de délivrance, comme si quelqu’un avait ôté de mes épaules un lourd fardeau trop longtemps porté. La nuit gagnait lentement, le feu faisait danser les ombres, le silence se posait comme un oiseau qui rentre au nid, un silence vivant, le silence du repos de la terre. Pas d’oppression, pas d’angoisse, pas de souci pour l’avenir. Tout était tel qu’il devait être, et j’avais l’impression d’être à ma place, de faire partie du monde, sans fierté déplacée ni gêne honteuse. Mourir me sembla alors sans aucune importance, puisque j’étais chez moi, humain entre le ciel et la terre, créature vivante au milieu d’autres vies tout aussi importantes. Et je soupirai de bonheur.



« Viens, je vais t’apprendre à nager.
- Sûrement pas ! D’abord c’est interdit, et puis je te rappelle que je viens juste d’échapper à la fièvre bleue, et que si je prends froid, je risque...
- La pneumonie, la méningite, la paralysie... Est-ce que tu crois que je te voudrais du mal ? L’eau va t’apporter son énergie et sa force. Je t’en prie, Sarroyan, fais-moi confiance ! »
J’entrai dans le fleuve avec réticence. Non loin de moi, Abratz plongeait et ressortait comme une carpe prise de folie. L’eau était claire comme le cristal et des poissons frôlaient mes jambes. Dans l’ordre des choses, j’étais leur prédateur potentiel et pourtant c’était moi que la peur tenaillait. Je m’accroupis dans le faible courant, les pieds bien ancrés dans la vase, et j’esquissai quelques mouvements des bras.
« Oui, c’est ça ! Et maintenant, pousse sur les jambes et bats des pieds ! »
Quelques bonnes tasses plus tard, j’arrivais à ma grande surprise à flotter sur deux ou trois brassées.
« Demain, je t’apprendrai à nager sous l’eau ! » me cria Abratz en me précédant sur la rive, et cette assertion qui m’eût semblée absurde encore deux jours plus tôt fit naître sur mes lèvres un sourire plein d’espérance. La tisane de thym au miel d’acacia, brûlante dans mes mains glacées, ma peau frissonnante se revigorant devant la bonne flambée, et cette sensation à l’intérieur de moi de plénitude chaude, de lumière inaltérable et douce... Avais-je déjà connu pareil bonheur ? Je découvrais que mon corps n’était pas seulement une bête de somme qu’il fallait talonner pour la faire avancer, pas seulement une masse de chair qui réclamait toujours à manger ou à dormir, freinant ma volonté de travailler encore par ses exigences bassement matérielles. Ce pouvait être aussi une source de plaisir.


Après le déjeuner, j’avais dormi longtemps, dans la tiédeur de la tente, tandis qu’Abratz était parti poser des collets. Pour la première fois depuis bien longtemps, sans doute depuis ma lointaine enfance, le sommeil n’était pas une défaite mais un abandon voluptueux, librement consenti. Et je pensai à ces chats qui somnolaient tout le jour sur le haut d’une murette, et me toisaient d’un oeil méprisant quand je passais devant eux, l’échine courbée et l’âme aiguillonnée de vaines exigences. Que je les avais détestés ! Et pourtant, ils étaient plus savants que moi. Je rêvai. Je rêvai d’un ciel limpide, d’une couleur bleue profonde et brillante, parcourue de nuages étincelants dont les formes changeaient sans cesse. Et dans mon rêve, je pensais que l’être humain est semblable à un nuage. Fait de pas grand-chose, gonflé d’orgueil, et comme lui poussé par un vent tout puissant qui le transforme et le modèle selon son bon plaisir. Je flottais dans mon rêve, observateur détaché et bienveillant, intemporel et sans contrainte. Les caresses d’Abratz sur mon front et mes cheveux me ramenèrent doucement à la conscience.
« Viens dîner. J’ai pris deux lièvres, et ils sont à point ! »
Sans cesse il veillait sur moi, me distrayait, me nourrissait, pendant que je dormais sans remords et sans honte. A Valderis, les apprentis exécutaient mes tâches, remplissaient mes devoirs, pendant que mes heures n’étaient que repos et plaisir. Et je n’en concevais ni amertume ni scrupule.
« Tu n’as jamais pensé à prendre femme ? », me demanda Abratz tandis que je suçais les derniers os de notre festin.
- « C’est compliqué », répondis-je évasivement, en songeant aux quelques compagnes d’un soir qui n’avaient pas souhaité me revoir, à mon plus grand soulagement.
« Les femmes, il leur faut des robes, il leur faut des bijoux, et puis il leur faut des enfants... J’ai si peu de temps... et je ne suis pas riche !
- Si tu te faisais payer plus souvent ! », s’exclama-t-il en riant, « au lieu de te contenter d’un poulet, d’un demi sac de farine... ou d’une vague promesse... Une femme s’occuperait de toi, veillerait à ton bien-être... »
Je secouai la tête.
« Où étais-tu, qu’as-tu fait, tu rentres bien tard, que feras-tu demain, il faut que tu ramones la cheminée, j’ai besoin d’argent pour un chapeau, il me faut une servante, tu devrais leur dire... tu devrais faire ceci, faire cela... »
Je soupirai.
« Non, merci.
- Ta mère était comme ça ?
- Pire encore ! »
Cet aveu me fit sourire. C’était du passé, j’étais seul maître de ma vie, et personne ne m’y reprendrait.
« Septa m’a toujours laissé libre », murmura-t-il. « Chez nous, les enfants sont encouragés à partir. »
Mu par une intuition soudaine, je demandai :
« Tu as envie de rentrer, n’est-ce pas ? Ta famille te manque ?
- Oui. Beaucoup. », souffla-t-il avec des yeux un peu trop brillants. Mais c’était sans doute le reflet du feu.


J’avais traversé le fleuve à la nage, j’avais plongé et parcouru le fond au milieu de poissons multicolores et amicaux, je me sentais fort, je me sentais neuf, et j’étais heureux. Les félicitations d’Abratz me gonflaient de joie, je me découvrais courageux, vaillant, habile, et les Esprits n’y étaient pour rien. Une nouvelle vie s’ouvrait devant moi, plus riche et plus complète. Pour la première fois j’avais à mes côtés un être qui me comprenait, m’appréciait, me secourait et me rendait meilleur. Quand son regard se posait sur moi, je me découvrais toutes les audaces, et son sourire était la plus belle des récompenses.
Nous sortions juste de l’eau quand j’aperçus deux cavaliers qui venaient à notre rencontre. Deux Gardes, sans doute à la poursuite d’un voleur de chevaux. Mais en nous voyant l’un deux s’écria :
« C’est lui ! On le tient ! »
Le coeur battant, je m’approchais d’eux. Je reconnus Betsian, dont j’avais veillé la fille six jours et six nuits, quand elle avait contracté la fièvre des marais, et Ermelion, dont la femme avait eu un accouchement difficile ; j’avais pu sauver et la mère et l’enfant.
« Eh bien, mes amis ? Que se passe-t-il ? »
Je les vis échanger un regard gêné. Ermelion me parla en fuyant mon regard.
« Guérisseur... Nous ne te voulons pas de mal. Tu as enfreint la Loi, mais cela restera entre nous. C’est cette vermine perverse que nous sommes chargés de ramener. Fardyas s’en méfiait, et il avait bien raison.
« Cet homme est mon ami. Il m’a sauvé de la fièvre bleue. Je ne vous laisserai pas... »
Déjà Betsian avait dégainé son épée en mettant pied à terre et menaçait Abratz. Je ne m’étais jamais battu. Mais mon poing le frappa au menton avant que j’aie pu réfléchir, et je me retournai vers son acolyte interloqué qui hésita un instant de trop. Je le jetai à bas de sa monture et je l’assommai proprement lui aussi.
« Tu es fou ! », intervint Abratz, «comment pourras-tu rentrer chez toi après ça ?
- Je n’ai rien à faire là où tu n’es pas. »
Il me considéra d’un oeil étonné mais ravi, et ses mains se posèrent sur mes joues. Ses lèvres effleurèrent les miennes, me laissant essoufflé, déconcerté, autant qu’avide et passionné. Je l’embrassai sauvagement, comme on se perd, comme on se noie, comme on saute dans le vide non pas pour mourir mais pour renaître. Il m’étreignit de ses bras puissants et la caresse de sa main dans mon cou me fit frissonner davantage que la plus violente des fièvres.
« Je pense qu’il serait sage de partir avant que ces deux-là ne se réveillent ! »
Il dessella un cheval, l’enfourcha et me tendit la main. Je ne connaissais rien aux chevaux mais je sautai derrière lui, nouant mes mains autour de sa taille. La bête s’élança.
« Tu es sûr de ne jamais regretter ? », me demanda-t-il quand les tours de Valderis disparurent derrière une colline.
« Je suis sûr.
- Septa va être ravie d’avoir un fils de plus. Tu verras, mes neveux sont déjà très habiles à cheval, et mes nièces sont mignonnes à croquer. Nous arriverons juste avant la transhumance d’hiver, et nous aurons le temps de nous confectionner une tente avec l’aide de mon père, qui nous donnera aussi... »
Nous. Ce seul mot avait un pouvoir enchanteur. Je ne l’avais jamais prononcé, et je le recevais maintenant comme un don du ciel, comme une bénédiction, comme une évidence.
Narwa Roquen, en retard, mais qui s'accroche

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Onirian  Ecrire à Onirian

2011-11-02 18:06:14 

 WA-Commentaire 98 - Narwa RoquenDétails
(Attention, spoiler dans le commentaire !)

Le texte commence par le début imposé, bon point ^_^. Par contre, il n'est pas question de vieillard dans le texte.
Tant pis, il y a là, une vraie bouffée de fraicheur qui est très agréable. On a l'impression de se mettre à respirer en même temps que le narrateur découvre la liberté et cette sensation m'a accompagnée tout du long. Très agréable !

Est-ce que le baiser de la fin était nécessaire ? Je ne sais pas, d'autant que je m'étais fais spontanément la remarque que ces deux là s'entendaient bien et qu'il s'agissait sans doute de plus qu'une amitié. D'un autre côté, ça donne un côté un peu transgressif qui du coup sort du texte pour atterrir sur le lecteur qui s’attend peut-être à une demie-mesure, et ma foi, ça n'est pas plus mal.
Liberté liberté chérie ;-)).

En tout cas, ça se lit tout seul et donne le sourire, et ça, c'est le bien. ^_^

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Onirian, on est jamais assez libre.

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Onirian  Ecrire à Onirian

2011-11-03 17:01:25 

 WA-Exercice 98 - Début imposéDétails
Un petit texte, un monde à peine esquissé et le début imposé ^_^.

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Le roi de trèfle.


Le vieillard se leva. « Il est temps », déclara-t-il. La peur au ventre, je lui emboitai le pas. Je ne savais presque rien de ce type, juste qu'il était là tous les jours, sauf le weekend, qu'il ne se plaignait jamais et avait un regard parfois cynique sur la vie qui me plaisait bien. Pas le genre de gars à vivre d'illusions, il avait vu passer du monde, et pas le plus joli. Des rebelles, des paumés, des fous, des salauds, des pourris jusqu'à la moelle, des pas-de-chance... Je dois avouer qu'en le suivant, ce jour-là, je ne savais plus trop où me situer dans cette galerie de la lie.
Je n'avais pas de regret, c'est déjà ça. Quelques tâches sur la conscience bien sûr, et l'envie d'en faire quelques autres, pour le geste, pour le plaisir, ou pour mon côté idéaliste forcené. J'aurai aimé des journalistes aussi, pour leur lâcher une citation mémorable avant de disparaitre, un truc qui claque pour qu'on se souvienne de moi. Un bon mot et c'est la une ! La presse a beau être contrôlée, la phrase assassine reste une des dernières choses capable de braver la censure, économie oblige.
Je l'aimais bien mon vieux, sa barbe rasée de frais le lundi, et broussailleuse en fin de semaine, sa façon d'être présent en restant discret. Il m'avait apporté un jeu de carte une fois. Il parait que c'est pas réglementaire, selon les autorités, avec ça, j'aurai pu tuer la moitié de notre bel état tellement épris de sécurité, alors même que j'avais des chaines aux pieds et aux poings, qu'on me surveillait en permanence, et que derrière chaque porte, un type armée d'une mitraillette avait ordre de tirer à vue s'il me voyait non accompagné. L’as de pique comme arme fatale.
Il était lent mon vieux, ce jour là. Je crois que c'était encore un petit cadeau, quelques secondes de vie en plus qu'il me donnait, parce que ça ne lui coûtait rien, et parce que, sans doute, je n'avais pas été le pire de ses hôtes. Un véritable agneau, je faisais tout ce qu'on me disait, pas de jérémiade, pas de cri, pas de sanglot. Quitte à partir, autant le faire dignement non ?
Je crois qu'on peut mesurer la vie d'un homme à sa dernière minute. Est-ce qu'il se redresse devant les fusils pointés vers lui ? Est-ce qu'il tente de plonger au dernier moment pour échapper aux balles ? Est-ce qu’il sourit ? Est-ce qu'il fait dans son froc ?
Mon vieux ne se posait pas ces questions, il avait vu passer toutes les réponses. Là, je montre le côté sans peur, mais je dois vous avouer que j'avais le trouillomètre à zéro. La mort me terrifie. Alors je savourais la lenteur offerte de ses pas, en regardant les murs d’un blanc triste qui voyaient de plus en plus de condamnés se faire griller la cervelle. Si l’on survit, on est gracié, intervention divine, tout ça. C'est arrivé, quelques fois. Moi je crois que c'est double peine, vivre avec le qi d'un légume frit et considérer que deux minutes sans baver c’est un exploit, très peu pour moi.
A pas mesurés, nous sommes finalement arrivés dans la dernière salle. Il y avait un grand miroir sur tout un pan de mur, et derrière, cachés à mon regard, mes accusateurs se réjouissant sans doute de me voir partir définitivement. S'ils savaient. Pendant le trajet, j'avais gardé en main le jeu de carte de mon vieux. Mon vieux... On dirait que je parle de mon père, non ? Je l'ai pas connu longtemps mon paternel, il est mort jeune, tué par un flic zélé, au début de la Nouvelle Ère, mais c'était un type bien, comme mon vieux quoi, quelqu'un du genre à faire de son mieux et à égayer la vie en faisant de petits cadeaux à ceux qui savent les apprécier, parce que les grands, on peut plus vraiment les faire.
Le couloir de la mort, ça c'était effrayant, la grande marche vers son propre destin, le silence, l'écho... Y vraiment de quoi flipper. Mais une fois dans la salle, avec son grand fauteuil confortable (nous sommes entre gens civilisés non ?) et ses instruments de tortures pour vérifier l’encéphalogramme et l’état du coeur, j’ai finalement réussi à me détendre. Que le ballet commence, et tant pis si c’est ma dernière danse.

Alors j'ai fait tomber une carte, devant mon geôlier : le roi de trèfle.
- Celle-là, c'est moi, conserve-là, elle te portera chance.

Les autres gardes n'avaient pas bronché, pas même fait mine d'être intrigués par ma remarque. Un condamné qui fait son show, qui veut se rentre intéressant une dernière fois, c'est du classique. Mais moi, je souriais, parce qu’une question venait de me percuter l’esprit. J’ai même éclaté de rire, un grand rire irrépressible. J'imagine qu'ils ont du penser que je devenais fou. Mon vieux a eu un regard un peu condescendant sur moi, du genre « dommage, il foire sa dernière minute ». Mais je l'aimais bien quand même, alors je l’ai bousculé pendant qu'il ramassait la carte, juste avant de plonger. Moins d’un quart de seconde plus tard, le miroir sans tain explosait dans un fracas assourdissant, blessant tous ceux restés debout.
Dans cette société pourrie et aseptisée, ce qu'il y a de bien dans le fait d'être du côté des méchants, c'est que l'honneur y existe encore. Mes gars étaient là, tous, même le petit Jimmy avec son éternel cure-dent au coin de la bouche, pile poil au rendez-vous, armés jusqu’aux dents, une merveille d'opération militaire et de corruption. Avant de partir, j'ai pris le temps d'installer le Premier Sénateur - y avait du beau monde pour voir mes poils roussir - dans mon fauteuil, de le sangler et d'abaisser la manette à étincelles. Il n'est pas mort, mes gars avaient coupé l'arrivée d'énergie, juste au cas où. Mais je voulais voir sa tête, histoire qu'il se souvienne que quand il vote une guerre, ça fait des victimes, et pas forcément où on les attend.

Au dernières nouvelles, mon vieux est toujours gardien de prison, la faute aux maisons de retraites obligatoires aussitôt qu’on est plus en état de bosser, et il ne quitte jamais son roi de trèfle, ça lui rappelle que faire son job correctement, ça peut épargner des soucis. La plupart des autres gardes sont morts durant l'opération ou ont été blessés. Pas que j'aime ça, mais y pas toujours le choix.
Ah oui, dernier détail, la question que je me posais... Il me reste cinquante et une cartes et deux jokers pour la moitié d'un état. Vous croyez que je vais réussir ?

--
Onirian, presque à l'heure.

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2011-11-04 15:14:27 

 Commentaire Maedhros, exercice n°98Détails
Dans un décor post-apocalyptique fait d’horreurs passées et de menaces à venir, voici un texte d’une finesse et d’une intelligence redoutables, maîtrisé de bout en bout avec le talent d’un virtuose. L’histoire est terriblement masculine, et sous ses aspects de SF-catastrophe, rappelle en filigrane la vérité fondatrice. L’amour de la mère donne la vie au fils, mais pour qu’il se structure dans son humanité, il doit être reconnu par le père. Il n’y a pas place ici pour la femme. La mère ne fait que passer ; le fils cadet, trop semblable à la mère, disparaît, et devient un poids supplémentaire dans un monde abruti de lourdeur, l’objet inaccessible d’un impossible pardon. Reste la quête d’un homme pour sa reconnaissance, sa longue errance dans l’horrible et la mort, et son enfermement pour un crime qui n’est pas précisé mais dont on devine qu’il a à voir avec des bêtes sauvages – comment être humain si l’on n’est pas reconnu ? De plus, la condamnation vient à point pour expier le crime originel dont l’absence de punition était intolérable. Le miroir et le masque, objets récurrents de la Maedhrosie, ont ici un rôle bénéfique, malgré la mort omniprésente. L’idée de cette reconnaissance tardive mais bien réelle et rédemptrice est originale et forte. Et le cheminement qui lui sert d’écrin est aussi foisonnant que dépaysant.


Bricoles :
- me voûtent les épaules
- j’avis tué : faute de frappe
- elle a rejoint : elle rejoignit, ou elle alla rejoindre
- quelques fois : quelquefois
- alors s’est ainsi : c’
- je me suis contenté de fixer le mur et attendre : d’attendre
- si grand que fut leur chagrin : fût


Cette fois tu es vraiment dans le format de la nouvelle. Et raconter une vie en quatre pages, c’est déjà en soi un challenge. Peut-être même aurais-tu pu raccourcir le sermon du prêtre, qui proportionnellement, prend beaucoup de place. Et enlever « un tragique accident », qui est un peu éculé. J’aurais dit « Juste un accident », mais tu peux sûrement trouver mieux, pour garder la double répétition, qui va bien.
Mention spéciale pour le masque de chair, et pour la lumière déguisée.
C’est un texte qui ne laissera personne indifférent, même s’il est, à l’image de ton héros, tout en retenue. De la très belle ouvrage.
Narwa Roquen, miroir ô mon miroir...

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Onirian  Ecrire à Onirian

2011-11-04 18:08:43 

 WA-Commentaire 98 - MaedhrosDétails
Un petit commentaire, juste pour dire que j'ai trouvé ce texte excellent. On est emporté dès le début, ça sonne juste.
Je trouve amusant les échos que je trouve entre ce texte et le mien (je n'ai pas lu le tiens avant), du "je" et un gars seul en prison, mais pour une fin très différente ;-).

J'ai beaucoup aimé la fin aussi. Par contre, deux "!" m'ont un peu dérangé : "Il n’est jamais revenu !" et
surtout "j’ai vu mon Père pleurer !", pourquoi un point d'exclamation ici ? Ça ne colle pas avec la voix du texte.

En tout cas, chapeau bas ;-)

--
Onirian, en prison.

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-11-05 17:53:05 

 Back to mountains.Détails
Une quête d’identité. Le héros, malgré son statut enviable, se sent à l’étroit au sein d’une communauté figée dans ses certitudes inébranlables. A cet égard, l’interdiction de nager illustre bien le refus du changement ou de la remise en question, de l’impossibilité culturelle à se « laisser aller ». Apparemment seul ce qui est expressément autorisé n’est pas défendu.

L’intrusion d’un étranger, forcément perturbateur, même s’il est fascinant, vient bouleverser ses conceptions et changer diamétralement les perspectives de sa propre existence. De cette rencontre, forgée dans l’épreuve, la relation de ces deux âmes va s’épanouir, pure et irrésistible, surpassant l’amitié. Elle sera également synonyme de liberté et d’émancipation pour le guérisseur.

Le thème de l’homosexualité plane sur ce texte, même s’il me semble qu’il peut être lu à divers degrés. Il est subtilement amené par petites touches jusqu’au ravissement final.

Tu dépeins un univers dépaysant et contrasté, où le surnaturel affleure discrètement, comme la violence sous-jacente. Tes personnages sont attachants, une de tes marques de fabrique, doués d’une humanité qui fait si souvent défaut aux miens, trop baignés dans la lumière violente de Mars sans doute !

Au final, un très joli texte sur une libération. Quelqu’un a dit que l’amour c’était comme les montagnes. Il fallait grimper, et encore grimper pour l’atteindre.

Au rayon des bricoles :
-...intense et profond il me semblait voir ... : il me sembla voir..

Nous avons eu une façon assez similaire de respecter la consigne pour s’en débarrasser rapidement !

M

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Maedhros  Ecrire à Maedhros

2011-11-06 16:46:17 

 Passage en forceDétails
Un scénario de polar plongé dans une époque à venir, suffisamment décrite pour comprendre qu’elle ne sera pas très joyeuse même si elle a été baptisée la nouvelle ère ! Les plans de rigueur ont dû se succéder les uns aux autres. Dans ce contexte, un caïd raconte le pied-de-nez qu’il a fait à tous ceux ayant cru qu’ils allaient le retirer une fois pour toutes de la circulation. Et dans ce récit, qui oscille entre langueur et nervosité, tu insères une figure paternelle et bienveillante, celle de ce vieux gardien dont le comportement digne va lui sauver la vie.

La narration est à l’image du héros, une gouaille qui fleure bon, dans certaines tournures et expressions, l’argot des gangsters, popularisé par les films noirs! Le jeu de cartes est une trouvaille. Cela m’a rappelé le jeu des 55 cartes utilisé par l’armée américaine pour mettre la main sur les principaux dignitaires irakiens, sauf que dans le tien, toutes les cartes ne sont pas à charge ! (l’as de pique étant Saddam Hussein en personne, l’ace of spades!). Aujourd'hui, le roi de trèfle court toujours!

Tu as beaucoup mieux respecté la consigne que moi, car tu t’es servi du vieillard alors que j’en ai tout de suite détourné le sens. L’histoire se tient, mue par une belle dynamique. Pas de temps mort, les réflexions du méchant sonnent vrai, le côté « hors-la-loi » est bien rendu.

Au rayon des bricoles :
- Tâches : tache
- J'aurai aimé des journalistes aussi : je n’ai pas bien compris le sens de cette phrase.
- Y vraiment de quoi flipper. : y a vraiment de...
- mais y pas toujours le choix... : idem : mais y a pas...

En conclusion, beau travail !

En bonus, le jeu des 55 cartes!


M

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Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2011-11-06 19:54:04 

 Commentaire Onirian, exercice n°98Détails
Une histoire courte qui respecte indubitablement la consigne, avec le mérite de garder le vieillard comme personnage jusqu’au bout de l’histoire (mais je n‘avais pas mentionné cette obligation dans la consigne). Le portrait du vieil homme, revenu de tout et pourtant toujours généreux, est bien tracé, et le rend sympathique. J’aime bien « il avait vu passer toutes les réponses ». Ton héros fait partie de ces méchants qu’on a plus envie de traiter de garnement que de crapule, et auquel on s’attache pour son humour, son panache et sa conception particulière mais bien réelle de la justice. L’idée de mesurer la vie d’un homme à sa dernière minute est contestable, mais chacun son opinion.
L’intrigue est cohérente, l’idée du jeu de cartes est originale, et le suspense est ménagé de bout en bout. La fin est sûrement drôle, mais il doit me manquer une référence, je n’ai pas compris la plaisanterie...


Bricoles :
- Quelques tâches sur la conscience : taches ; une tâche est un travail
- Une des dernières choses capable : moi je dirais « capables » ; ce sont les choses qui sont capables ; mais je ne suis pas sûre à 100%. Si quelqu’un veut donner son avis ?
- Un jeu de carte : cartes
- Paraît
- Quelques fois : quelquefois
- Y vraiment de quoi flipper : oubli de « avait », probablement
- Instruments de tortures : torture
- Ils ont du penser : dû
- Maisons de retraites obligatoires : retraite
- Y pas toujours le choix : oubli de « a »


C’est joyeux, délicieusement amoral, et bien enlevé. Tu attends le « mais » ? Tu as raison. « Faire son job correctement, ça peut épargner des soucis ». OK. Même les truands ont de l’honneur, d’accord, il y a plein de films pour dire ça, ça permet de rendre le héros sympathique et de nous identifier à lui sans trop de scrupules. J’aurais aimé un petit peu plus qu’un bon moment ludique, sur lequel par ailleurs je n’ai rien à te reprocher et où je n’ai pas boudé mon plaisir. Mais... un petit peu plus, pour vraiment marquer les esprits. L’excellence, c’est quand après avoir lu un texte, le lecteur y repense, parce que ça l’a troublé, ou que ça l’a fait réfléchir... Et je sais que tu peux, tu l’as déjà fait. Là, on est bien dans l’atelier, mais ça manque de mirage.
Narwa Roquen, toujours aussi chiante

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Onirian  Ecrire à Onirian

2011-11-07 10:53:04 

 RéférencesDétails
> La fin est sûrement drôle, mais il doit me manquer une référence, je n’ai pas compris la plaisanterie...

C'est tout bête, ça fait référence à ce qui est juste au dessus, le jeu de cartes pas réglementaire parce que "selon les autorités, avec ça, il aurait pu tuer la moitié de l'état (...). L’as de pique comme arme fatale.". De fait, il est dehors, libre, avec son jeu de carte (arme de destruction massive s'il en est), du coup, pourquoi ne pas tenter de la tuer, la moitié de l'état ? (En l’occurrence, même s'il n'y a pas vraiment de moyen de le voir, il parle ici de l'état-institution qui est pourri et qu'il compte réformer à sa manière, en cassant la moitié qu'on ne peux plus sauver).
Après, je peux aussi faire mon érudit et citer les 55 cartes dont à parlé Maedhros (bien vu !), mais en vrai, au moment d'écrire ça n'était pas conscient de ma part, alors ce serait quand même un peu de la triche.

> Là, on est bien dans l’atelier, mais ça manque de mirage.
> Narwa Roquen, toujours aussi chiante

Même pas peur (d'autant que jusqu'à présent, c'est quand même souvent toi qui a raison ;-pp). Rendez-vous pour la Wa 100 ! (C'est bien de pas du tout se mettre la pression en annonçant deux fois qu'on va la faire, et en plus en se vantant avant de connaître le sujet qu'on va faire quelque chose qui déchire ^^).

Je cherche en complément un essai pour les C, mais c'est carrément compliqué. ^^

--
Onirian, dans le désert.

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