Version Flash ?

Messages FaeriumForum
 Ajouter un message Retour au forum 
 Rechercher un message Statistiques 
 Derniers messages Login :  S'inscrire !Aide du forum 
 Masquer l'arborescence Mot de passe : Administration
Commentaires
    Se souvenir de moi
Admin Forum 
 Derniers commentaires Admin Commentaires 

 WA, exercice n°112, participation Voir la page du message Afficher le message parent
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Samedi 10 novembre 2012 à 13:55:44
LA GUERRE EST FINIE






Enfin ! L’armistice a été signé, nous sommes en paix, et André revient demain. Demain ! C’est le général qui me l’a annoncé. Je l’ai vu sur la webcam, il m’a dit qu’André était déjà dans l’avion. André, mon amour. Ma vie va enfin redevenir facile. André sait toujours quoi dire, quoi faire, où aller. Il prend toujours les bonnes décisions, et il n’a peur de rien. Et puis l’enfant va naître, quand il sera là. Notre enfant. Notre fils. André junior. Sa chambre est prête depuis longtemps, avec le papier peint décoré de petits soldats et la moquette vert olive. Le coffre à jouets est plein à ras bord de tanks, de mitraillettes, de poignards en plastique et de fausses grenades. Et le mobile aux cinq avions de chasse est suspendu au dessus du berceau.
André est parti depuis si longtemps, plus d’un an déjà, pour cette guerre au bout du monde où il s’est couvert de gloire. Capitaine à trente ans ! Et moi, depuis tout ce temps, je suis enceinte ; je ne me plains pas, parce que je sais que la vie d’André est bien plus difficile que la mienne. Mais un an de grossesse, c’est long !



Je m’agite dans mon lit, incapable de m’endormir. Je suis trop excitée ! André sera là demain ! Et puis dehors le vent souffle furieusement. André m’avait dit de faire changer la fenêtre de la chambre, qui ferme mal et laisse passer un courant d’air glacial. Mais c’est tellement compliqué, je ne savais pas comment faire, alors que pour André, tout est si facile ! La lumière dans la rue clignote par moments. Le vent est si fort qu’il doit faire trembler les réverbères. Je ne tire jamais les rideaux, j’ai horreur de l’obscurité totale. Ici, au cinquième étage, nous n’avons pas de vis-à-vis, c’est bien commode. En face, il y a le cimetière, c’est calme. Tiens, l’ascenseur de l’immeuble s’est mis en marche. Sa cage est juste derrière le mur de la chambre, on l’entend tout le temps, c’est très mal isolé. Mais nos voisins mènent une vie rangée et sortent rarement la nuit. L’ascenseur s’arrête. Ici ? Nous sommes les seuls sur ce palier. André ? Je sors du lit aussi vite que me le permettent mes vingt kilos supplémentaires et transitoires, comme aime à le préciser André, qui tient à ce que je retrouve au plus vite ma silhouette de jeune fille. Pas question d’allaiter. Ca ne ferait que prolonger cette obésité dégradante, et en plus, c’est dégoûtant. Et puis c’est dangereux. J’ai lu quelque part que si le bébé pince trop fort il peut arracher le bout du sein ! Et certains viennent au monde avec des dents, et il paraît que les dents de naissance sont tranchantes comme des lames de rasoir... Et...
J’arrive à la porte d’entrée et je regarde par l’oeil de boeuf. Le palier est obscur.
« André ? C’est toi ? »
Pas de réponse.
J’attends un peu. Toujours le silence. D’ailleurs André a ses clefs, et ce n’est pas le genre d’homme à les oublier, et encore moins à les perdre. Et puis le général a dit qu’il rentrait demain. J’ai dû me tromper. L’ascenseur a dû s’arrêter un étage plus bas.
Je retourne me coucher. Je compte les hippopotames. Un hippopotame, deux hippopotames... Clonc. L’ascenseur redémarre. Le bruit de son moteur s’éloigne.
Et revient.
Clonc. On dirait bien que c’est à notre étage.
Mais c’est absurde.
Et si j’avais raison ? Qui peut s’amuser avec un ascenseur en pleine nuit ? Sûrement pas les habitants de l’immeuble. Des voyous ? Mais il y a un digicode à l’entrée. Et le code change tous les mois. Des voleurs, des terroristes ? Non, je m’effraie pour rien. Ces gens-là ne font jamais de bruit...
J’ouvre les yeux. Je n’ai pas fermé la porte de la chambre. J’ai horreur des portes fermées. Il y a de la lumière dans le couloir. Pourtant je suis sûre d’avoir éteint. Mais depuis que je suis enceinte, je suis tout le temps distraite, étourdie et négligente. Je ne le fais pas exprès ! J’accumule les bourdes, les gaffes et les erreurs d’inattention. Mon médecin dit que c’est les hormones. Heureusement qu’André n’est pas là. Il froncerait les sourcils et me dirait « Enfin, concentre-toi, que diable ! Tu n’es plus une enfant ! »
Je ne peux pas laisser cette lumière allumée toute la nuit, André n’aimerait pas ça. Je me relève. Ce simple mouvement m’essouffle déjà, Dieu que les hommes ont de la chance de ne pas porter les bébés ! La lampe de chevet a des ratés. Elle émet une lumière faiblarde, s’éteint, se rallume en brillant beaucoup plus que d’habitude... Ca doit être le vent qui bouscule les lignes électriques. Et l’ascenseur qui n’en finit pas d’aller et venir... Tout ceci est plutôt inquiétant, mais ça n’a pas l’air d’affecter mon petit, qui dort tranquille au fond de mon ventre. Il a beaucoup bougé, à un moment, et ça me faisait mal, alors je lui ai demandé de se tenir tranquille. Il a obéi. Depuis au moins trois mois, je ne le sens plus, quel bonheur ! Tiens, oui, c’est depuis que je suis allée à la clinique pour le contrôle, les docteurs disaient que c’était le moment, mais je savais bien que non. Je n’ai pas l’intention d’accoucher avant le retour d’André, c’est pourtant simple ! Est-ce qu’ils l’ont effrayé avec toutes leurs machines, je n’en sais rien, mais depuis, il est sage.
J’éteins le couloir, mais il y a aussi de la lumière dans la cuisine. Ces problèmes d’électricité, c’est à vous rendre fou ! Quand j’entre dans la cuisine, la machine à expresso verse de l’eau dans le vide, le mixer tourne à plein régime, de la fumée sort du grille-pain, la machine à laver est en mode essorage maximum, et les quatre feux à gaz de la cuisinière sont allumés. L’électricité je veux bien, mais le gaz !
« Il y a quelqu’un ? Si c’est une farce, ce n’est pas drôle ! André ?... Mélissa ? »
Mélissa est ma meilleure amie. Elle a les clefs. Elle est vive et enjouée, mais elle ne ferait pas ce genre de blague, pas dans mon état... Je fonds en larmes en criant :
« Arrêtez, pour l’amour du ciel ! Vous me faites peur ! Ce n’est pas bon pour mon bébé ! »
Personne ne me répond. En tremblant de tous mes membres et en claquant des dents (j’ai peur, j’ai peur !), je me force à débrancher tous les appareils et à fermer le gaz. L’appartement est silencieux. J’entends juste le vent qui souffle dehors, mais ce n’est que le vent, c’est déjà arrivé souvent, il n’y a pas de danger. Je suis vraiment très essoufflée, j’ai mal au ventre, j’ai froid... Je n’arriverai pas à dormir de toute façon, et je suis trop bouleversée pour lire quoi que ce soit. Je m’affale sur le canapé, devant la télévision, et je zappe. Un documentaire sur les inondations en Inde, non merci. Un policier... Un volcan qui explose... J’ai la chair de poule... Ah, « La petite maison dans la prairie » ! J’ai dû voir chaque épisode au moins vingt fois, mais justement, je sais qu’il n’y a rien d’effrayant. Je me roule en boule avec un soupir de bonheur. Dès que je me serai calmée, j’irai me coucher. André revient demain, il faut que je sois en forme !
Je pousse un cri de terreur quand le téléviseur explose sous le choc d’un objet qui a fracassé l’écran. Je me tourne malgré moi vers la porte, pétrifiée de stupeur.
« An... André ? Tu ... C’est toi ? Tu... m’as...fait peur ! »
André s’assied sur le fauteuil en face de moi.
« Pourquoi tu as fait ça ? Pourquoi ?
- Mais... je n’ai rien fait, mon amour, je t’attendais... Je regardais juste un peu la télé parce qu’il y avait du vent et ... »
Je réalise tout en parlant que ce que je dis n’a aucun sens.
« Je suis désolée, je...Je voulais dire...
- Mais non tu n’es pas désolée ! Tu n’es pas désolée ! », hurle André en proie à une colère terrible. « C’est toi qui m’a convaincu de partir, moi je ne voulais pas, je voulais rester près de toi ! Pourquoi tu as fait ça ? »
C’était il y a plus d’un an, il faudrait que je me souvienne...
« Mon chéri... Tu as l’air épuisé... Tu veux un bon café ? Ou une tasse de thé vert ? Il me reste des sablés... »
Je fais mine de me lever, mais il me foudroie du regard.
« Reste assise ! Je n’ai plus besoin de rien ! Dis-moi seulement pourquoi, nom de Dieu ! »
Il doit être vraiment très en colère. Je ne l’avais encore jamais entendu jurer. Je fronce les sourcils en essayant de convoquer ma pauvre mémoire.
« Eh bien mais... Il me semble que c’était... parce que tu en retirerais une grande gloire, n’est-ce pas... Un soldat, c’est fait pour gagner des guerres... et puis notre pays avait besoin de toi, et tu avais juré de protéger et servir... Ah oui ! Mais si, bien sûr ! Tu t’en souviens sûrement aussi, mon chéri, fais un effort ! Ils avaient promis une prime de six mois de solde, tu t’en rappelles, non ? Avec ça on pouvait prendre un crédit pour acheter une grande maison blanche avec une balançoire... et tu m’avais promis un collier de perles... et une domestique... et une petite voiture...Mais le plus important c’était la maison, bien sûr, parce que pour Junior c’était vraiment le mieux... Eh bien, André, tu m’écoutes ? »
Il fixe le tapis persan, tête baissée, et on dirait... Mais c’est moi qui vois mal, ses épaules sont secouées de soubresauts...Il pique un fou rire, bien sûr, il ...
« Comment as-tu pu ... » Sa voix est rauque, déchirée. « Je t’avais dit que je ne voulais pas y aller. Je sentais... je savais...
- Oh, une petite année, mon amour... Et puis c’est fini, maintenant, tu es rentré, tu vas vite oublier, et nous...
- Oui, c’est fini, exactement, c’est fini ! »
Il hurle encore. Je ne sais pas pourquoi. Il doit être fatigué. Avec les manoeuvres et tout ça, il n’a pas dû assez dormir. Je me penche sur la télécommande pour éteindre le poste dont j’avais juste coupé le son. Quand je me retourne vers lui, il n’est plus là. Il n’est pas dans la chambre non plus. Ni dans la salle de bains. En fait, il n’est plus là. Et je n’ai pas entendu la porte d’entrée. Il a dû aller marcher un peu pour se calmer. On me l’avait dit, que quand les gars reviennent de la guerre ils sont un peu pénibles au début. Bon, ce n’est pas grave, je vais me coucher.



On sonne à la porte. C’est un militaire, qui m’offre de m’accompagner en voiture.
« Pour aller où ? Mon mari est rentré hier soir... »
Il a l’air un peu déboussolé.
« Bien sûr, madame...Mais... il y a une cérémonie, vous devez venir avec moi... »
Je trouve ça totalement absurde, d’autant qu’André a passé la nuit dehors, ce n’est pas très aimable de sa part. Je soupire en enfilant mon manteau. Je ne suis pas rancunière de nature.
A l’arrière de la voiture, une douce somnolence m’envahit. J’ai si peu dormi la nuit dernière...Je suis bien au chaud, je flotte entre deux eaux... J’étais comme ça quand les médecins sont venus me parler. Je ne me souviens plus de ce qu’ils ont dit. C’est toujours compliqué avec les médecins, on ne comprend jamais ce qu’ils racontent... Je crois me souvenir qu’ils voulaient que je reste, mais je me sentais bien, je suis partie.
Je n’ai rien vu du trajet. Le soldat me guide dans un grand bâtiment très solennel, avec du marbre partout. Normal, pour une cérémonie. Nous prenons l’ascenseur. Il y aura sûrement des ministres, peut-être même le Président ! Zut, je n’ai pas eu le temps de me maquiller, je vais avoir l’air de quoi sur les photos ? Il y aura sûrement la presse... Nous débouchons dans un couloir aux murs de ciment gris, comme ceux des parkings. C’est pas trop la classe, je sais que cette guerre nous a coûté cher et qu’il y a des restrictions de budget, mais quand même... Je suis toujours mon chauffeur dans une immense salle emplie de drôles de coffres oblongs, rangés côte à côte dans un ordre parfait. Des... cercueils ? Quelle drôle d’idée... En même temps, c’est bien d’associer les morts à la célébration de la victoire, mais... un peu macabre quand même... Les militaires sont les rois du mauvais goût, il n’y a qu’à voir leurs uniformes. Tout au bout d’une rangée, un gradé plein de décorations me serre la main chaleureusement. Je crois bien que c’est lui que j’ai vu sur la webcam.
« Chère madame... Je vous prie d’accepter toutes mes condoléances... »
Il a vraiment une gueule d’enterrement. Qu’est-ce qu’il dit ? Tombé au champ d’honneur, une fin glorieuse et digne de nos plus grands patriotes... Il doit se tromper de personne, André est rentré hier soir ! Il soulève le couvercle d’un cercueil. Un peu gênée, je jette un oeil au pauvre soldat mort pour la patrie, en me demandant où est passé André. Je recule d’un pas sous le choc. André est couché là, il ouvre les yeux, ses grands yeux bleus si beaux... Il me sourit, il me murmure quelque chose que je n’entends pas. Il est pâle, son front est recouvert d’un bandage épais. Il a fermé ses paupières, et sa bouche s’est crispée dans un rictus douloureux.
« Il va falloir être courageuse, madame. Il n’y a rien de plus terrible que la mort inattendue d’un être cher... »
Qu’est-ce qu’il a dit ? « Mort inattendue »... Non, il ne parle pas d’André, non. Mais ça me revient... Ces médecins... « Mort inattendue »... « Votre enfant est mort, il faut déclencher l’accouchement... » Mon bébé est mort ! J’ai un bébé mort dans mon ventre depuis trois mois ! Une espèce de cadavre putréfié et visqueux au plus profond de moi ! Je regarde le général avec son air compassé de cérémonie officielle. Et je hurle :
« Faites quelque chose ! Il est mort, là, là ! Il faut le faire sortir, tout de suite, tout de suite ! »
André ouvre les yeux et me fait un clin d’oeil. J’ai l’impression qu’il ricane en me voyant déchirer ma tunique de soie, griffer encore et encore cette peau distendue qui abrite une horrible chose suintante sûrement pleine de microbes, et sûrement pleine aussi de vers grouillants qui vont me dévorer de l’intérieur... Je me débats entre les bras du général qui ne comprend rien.
« Vite, un médecin ! Elle fait une crise de nerfs, il faut lui administrer un sédatif ! Calmez-vous, madame, calmez-vous ! »
Je ne veux pas me calmer ! André ricane toujours dans son cercueil. Il n’est pas si mort que ça, il m’en veut toujours, il se venge ! Je sens une piqûre vive dans mon épaule. Ils vont me faire dormir, et pendant ce temps... Je rassemble mes dernières forces.
« Enlevez-le, enlevez-le ! »
Le général rabat le couvercle du cercueil.
« Voilà, madame, voilà. C’est fini. Vous allez vous reposer maintenant... »
Narwa Roquen, à peine un peu en retard... coincée dans l'ascenseur...


  
Ce message a été lu 6453 fois

Smileys dans les messages :
 
Réponses à ce message :
3 Commentaire WA 112 : Narwa - Estellanara (Ven 14 jun 2013 à 15:37)
3 Enlevez-le ! ... - z653z (Lun 26 nov 2012 à 15:11)
       4 Tu as raison! - Narwa Roquen (Mar 27 nov 2012 à 14:50)
3 Cinquième colonne. - Maedhros (Dim 18 nov 2012 à 17:05)
3 Mais BEURK!!!! - Elemmirë (Ven 16 nov 2012 à 19:57)
       4 Techniquement... - Narwa Roquen (Ven 16 nov 2012 à 23:24)
              5 Glaaaaaaaaaaaaaaauque !!! - Netra (Sam 17 nov 2012 à 14:08)


Forum basé sur le Dalai Forum v1.03. Modifié et adapté par Fladnag


Page générée en 1180 ms - 758 connectés dont 2 robots
2000-2024 © Cercledefaeries