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 Chapitre 1 : Au Fond du Gouffre Voir la page du message Afficher le message parent
De : Telglin  
Date : Jeudi 3 janvier 2002 à 12:29:11
La Princesse de l’Aube se plongea de nouveau dans la lecture de l’épais et ennuyeux volume traitant des règles de succession de la Frontière. Ce nom désignait une longue et étroite région formée d’une plaine et de hautes montagnes accidentées marquant l’extrémité du royaume du Grand Roi. Au-delà s’étendaient des contrées sauvages et inconnues simplement appelées ‘Outrefrontière’.
L’autonomie de la province constituait une exception dans un royaume progressivement unifié sous l’autorité directe du Grand Roi. L’obligation d’assurer une garde permanente et efficace rendait nécessaire un pouvoir omniprésent, que le souverain ne pouvait directement assurer à moins de quitter sa lointaine capitale. Aussi les ordonnances royales ne s’étaient pas attaquées à l’organisation locale, l’histoire pluriséculaire ayant fait la preuve de la solidité et de l’efficacité des structures ancestrales. La loyauté indéfectible et mainte fois prouvée de la Frontière avait rapidement apaisé la crainte du Grand Roi de voir cette région stratégique profiter de son autonomie pour lui nuire.
Les biens se transmettaient ici de mère en fille et il en allait de même pour la suzeraineté sur la Frontière : la femme assurait la réalité du pouvoir et prenait le titre de Reine de l’Horizon, tandis que l’époux se contentait du titre de Seigneur de la Frontière et commandait aux armées. La fille aînée se faisait appeler Princesse de l’Aube en attendant de trouver un mari, qui devenait dès le mariage le nouveau Seigneur de la Frontière. En revanche, la Princesse de l’Aube ne devenait Reine de l’Horizon qu’à la mort de sa mère, ce qui débouchait souvent sur d’étranges situations, le mari entrant en fonction et la quittant avant sa femme. Bien sûr il s’agissait là d’un cadre général et le tout se compliquait nettement avec des cas de figure multiples tantôt cocasses tantôt chimériques.
Lydia s’apprêtait à les étudier dans le détail quand des cris résonnèrent dans l’enceinte d’ordinaire paisible du couvent. Les cloîtres renvoyèrent l’écho de pas précipités qui allaient et venaient dans tous les sens. Le grave et solennel grincement caractéristique de la grande porte vint recouvrir presque entièrement le soudain brouhaha, avant d’être surpassé à son tour par le bruit des cloches sonnant à toute volée. Le massif portail fermant l’entrée principale ne s’actionnait qu’en de très rares occasions ; la dernière fois, il s’était ouvert devant le Grand Roi lui-même, venu marier son frère cadet à l’ancienne Princesse de l’Aube et lui assurer ainsi le gouvernement militaire de la Frontière.


  
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Réponses à ce message :
Telglin  

2002-01-03 12:30:15 

 Chapitre 1 (suite)Détails
La jeune fille délaissa son ouvrage et s’approcha de la fenêtre. Sa chambre se trouvait au sixième étage, et la vue englobait la grande cour intérieure, les hauts murs qui en protégeaient l’accès et le chemin raide et sinueux qui reliait le couvent à la plaine. Une petite troupe hétéroclite d’hommes à pied, quelques uns à cheval, tous en piteux état et la plupart blessés venait d’arriver. Lydia pensa d’abord à une foule de mendiants plus importante que d’habitude mais elle changea vite d’avis en remarquant les armes : ces hommes appartenaient à la garde du Seigneur de la Frontière. Elle n’en crut pas ses yeux : abîmés et méconnaissables, les magnifiques habits noir et or qui se faisait lever une sourde rumeur de crainte et de respect partout où ils se montraient ; fatigués et hagards, les fiers soldats qui dépassaient de loin en prouesse jusqu’à la garde du Grand Roi. Lydia sentit monter une appréhension qui ne cessa plus dès lors de grandir en elle. Il était arrivé quelque chose et elle essaya de se convaincre sans grand succès que ses parents et Jafan, son grand frère, se trouvaient dans ce cortège harassé. Elle se précipita vers la porte mais déjà quelqu’un toquait. Elle reconnut la voix toujours essoufflée de Bragha, sa gouvernante.
« Princesse, le capitaine de la garde dem... ». Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase que déjà Lydia ouvrait en grand la porte de sa chambre en lançant un ‘entrez’ qui ressemblait plus à un cri de désespoir qu’à une invitation. Le capitaine entra. La jeune fille ne l’avait jamais vu ou du moins ne s’en souvenait pas, car elle avait très tôt été placée au couvent pour y recevoir l’éducation réservée à toutes les Princesses de l’Aube. Mais l’apparence du soldat resta à jamais gravée dans sa mémoire. Il avait vraisemblablement fait un long chemin et dû livrer des combats sans pitié pour parvenir jusqu’ici. L’état de ses troupes, du moins de ce qui en restait, en témoignait. Pourtant, si ses vêtements étaient poussiéreux et tâchés de sang par endroits, si sa mine fatiguée laissait présager de ce qu’il avait traversé, le capitaine Jelkine Linak gardait une allure digne qui forçait l’admiration. Il n’était ni jeune ni beau, ni vieux ni laid. Des cheveux bruns courts ébouriffés, des yeux bruns également, un visage grave sans en devenir dur. Une apparence tout-à-fait commune, somme toute, derrière laquelle transparaissait une prestance presque royale. Il demanda à s’entretenir en privé et Bragha ferma aussitôt la porte sans même faire mine de protester. La gouvernante devait lui faire confiance car elle n’avait pas pour habitude de laisser sa protégée seule avec un homme, qui plus est armé. Le capitaine emmena la jeune fille près de la fenêtre et lui désigna les hommes épuisés qui s’amassaient dans la cour sans parvenir à la remplir. Des soeurs évoluaient au milieu d’eux et tentaient de les soigner au mieux.
« Regarde, Lydia... »

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Telglin  

2002-01-03 12:31:13 

 Chapitre 1 (suite)Détails
La jeune fille se tourna vers lui pour protester. Il avait beau être le capitaine de la garde personnelle du Seigneur de la Frontière, il ne pouvait se permettre de parler à la fille de son prince comme à une vulgaire ribaude. Elle voulut lui faire part de son indignation, mais il répéta exactement les mêmes paroles sur un ton qui interdisait toute récrimination. Même de la part de la Princesse de l’Aube. Et, sans raison, la jeune fille eut aussitôt confiance en cet homme qu’elle ne connaissait pas.
« - Regarde, Lydia. Grave le visage de chacun de ces hommes dans ta tête. Et n’oublie jamais. Château-Frontière, la forteresse réputée imprenable, est tombée en trois jours par la traîtrise de ceux qui disaient être fidèles à leur reine jusqu’à la mort.
- Où est Mère ; et Jafan ? demanda Lydia d’une voie brisée qui révélait qu’elle se doutait de la réponse.
- Tu ne les reverra plus. Plus jamais. Et ton père non plus. Ils sont tombés dans un piège, ainsi que ceux qui leur sont restés fidèles. Et à présent il ne reste que ces hommes épuisés. Ils ont risqué leurs vies quand on leur promettait richesses et terres pour prix de leur trahison. Juste pour t’avertir à temps. Et maintenant ils vont se condamner jusqu’au dernier pour te permettre de t’enfuir.
- M’enfuir, mais où ? Vous dites que la Frontière est au main de gens qui veulent me voir mourir, et je ne connais d’autres endroits.
- Tu suivras Fadwell Cormyr, le conseiller de ta mère. Il sait beaucoup de choses et te les enseignera. J’ai confiance en lui. Tu peux donc faire de même. Bragha t’accompagnera, ainsi que trois de mes hommes et le vieux Krijoï. Il saura t’amuser. Tu en auras besoin, car les temps vont être difficiles à présent.
- Vous ne venez pas ?
- L’honneur et le devoir me commande de rester à la tête de mes hommes. S’ils doivent périr aujourd’hui, je ferai de même.
- Et moi je vous ordonne de nous suivre.
- Ah oui ? Et pourquoi devrais-je vous obéir, petite fille ?
- Je suis la nouvelle Reine de l’Horizon, et vous devez agir selon ma volonté. »
Le visage du capitaine se ferma d’un seul coup et son regard se durcit. Lydia, tout en se demandant quelle bêtise elle avait bien pu dire, aurait bien aimer pouvoir se transformer en souris et aller s’abriter sous le lit. Mais Jelkine se remit à sourire. Il l’invita à regarder un point lointain par la fenêtre.
« Que vois-tu ?

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Telglin  

2002-01-04 19:36:23 

 Chapitre 1 (suite)Détails
- Il n’y a rien, ou votre vue est plus perçante que la mienne. Votre doigt ne montre rien de particulier.
- Tu es bien jeune encore, et si tu connais peut être les manières des dames il te faut encore apprendre celles d’une reine. Il n’y a rien, dis-tu ? Pourtant l’horizon s’étend tout autour de toi. L’horizon est vaste, et ton esprit doit être à sa mesure. Ne crois pas tout ce qui est marqué dans ces livres : tu ne deviens pas Reine de l’Horizon uniquement parce que ta mère l’était. Tu le deviens surtout à partir du moment où tu as pu atteindre l’horizon, où tu peux le comprendre, l’embrasser tout entier et le faire tien. Tu deviendras alors comme lui : toujours présent sans être pesant, visible mais insaisissable, si frêle et pourtant éternel. Vers toi se tourneront les espoirs, et de toi viendra une espérance. Rejoins l’horizon, et rien alors ne pourra t’empêcher de recouvrir la Frontière.
- Mais ce sont des fables pour enfants ! personne ne peut atteindre l’horizon : à chaque fois que vous avancez vers lui, il recule d’autant.
- Tu apprendras, Lydia. Il le faut. Car si personne ne peut étreindre l’horizon, personne ne peut gouverner la province de ta mère. Ceux de l’Outrefrontière viendront alors mettre en péril le royaume du Grand Roi. »
Lydia s’apprêtait à rétorquer lorsque Bragha toqua de nouveau à la porte avant d’entrer sur l’invitation de la jeune fille.
« - Capitaine, un de vos hommes vient d’arriver : les troupes qui vous poursuivent viennent d’atteindre le petit poste de garde qui verrouille l’accès au couvent.
- Mes soldats n’auront donc même pas eu le temps de se reposer qu’il leur faut à nouveau se préparer à essuyer un assaut, le dernier de tous. Je dispose d’une petite heure pour organiser les défenses. Pendant ce temps dame Bragha, préparez-vous à partir avec la Princesse de l’Aube. N’emportez que le strict nécessaire.
- Oui, capitaine. »
Ils sortirent tous deux de la pièce.

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Telglin  

2002-01-04 19:37:23 

 Chapitre 1 (suite)Détails
Lydia resta pensive : une heure ? Jelkine Linak était bien présomptueux. Le ‘poste de garde’, comme l’avait appelé Bragha, n’était en fait qu’une petite construction en pierre qui servait à filtrer les visiteurs, pèlerins et mendiants souhaitant accéder au lieu saint. Juste histoire d’empêcher des importuns ou des gens en armes de venir troubler la quiétude du bâtiment isolé. Et sûrement pas de taille à retenir une armée pendant une heure, si petite fut-elle. La jeune fille s’approcha à nouveau de la fenêtre. Et elle commença à scruter chacun des visages de ces soldats, marqués par les traits de la fatigue et les blessures du combat. Et la résignation. Leur dernière heure avait sonné. Soudain, Lydia comprit toute la portée de cette expression. Aussi chacun des visages qu’elle put voir resta gravé dans sa mémoire. Si elle ne se souvenait pas, personne ne le ferait. Elle regarda avec une reconnaissance sincère tous ces hommes qui allaient mourir pour qu’elle vive. Une volonté de vengeance s’empara d’elle : elle allait reconquérir son royaume, faire payer ceux qui avaient trahi et ceux qui les avaient faits trahir, venger sa famille. Venger ses hommes.
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Telglin  

2002-01-05 14:12:44 

 CHapitre 1 (suite)Détails
Lydia, tout occupée à ses observations attentives et presque avides, ne vit pas le temps passer. Les hommes à présent se tenaient un peu partout dans le couvent. Le capitaine Linak avait utilisé au mieux les défenses sommaires du couvent mais il ne faisait aucun doute qu’il ne tiendrait pas longtemps. Bragha fit porter quatre énormes malles dans la cour intérieure. Malheureusement, à son grand désappointement, Jelkine et deux de ses hommes en prirent trois et les jetèrent dans le grand escalier qui menait à la cave. Leur contenu se répandit sur les marches. Lydia ne put s’empêcher de sourire en entendant les jérémiades de sa gouvernante qui parvenaient jusqu’à ses oreilles. Plus la jeune fille connaissait Jelkine Linak, plus elle l’appréciait et le respectait. Il ne s’était pas énervé, ni contre elle ni contre Bragha, devant leurs difficultés à appréhender la situation. Il était même aller jusqu’à le prendre avec le sourire, malgré les événements dramatiques qui se jouaient à l’instant même. Alors la Princesse de l’Aube se fit une seconde promesse : elle apprendrait. Tout ce qu’il y avait à apprendre et plus encore. Elle finirait par atteindre l’horizon et reviendrait réclamer royaume et justice. Et gare à ceux qui tenteraient de s’opposer à elle.

Lydia sortit de sa chambre et descendit l’escalier qui menait à la grande cour intérieure. Son escorte l’attendait. Le capitaine Linak fit des présentations sommaires.
Fadwell Cormyr était un homme énorme et courtaud. Il s’épongeait le front sans arrêt avec un mouchoir blanc trempé. La sueur collait ses vêtements pourtant amples aux bourrelets de son ventre adipeux. Ses seins tombaient comme ceux d’une vieille femme et son menton semblait plus large que son front. Il marchait bizarrement, s’appuyant sur une canne solide et faisant des petits demi-cercles avec ses jambes. Ses yeux minuscules restaient plissés, à peine visibles dans un visage bouffi. Ses cheveux noirs coupés courts présentaient un aspect graisseux révulsant. Il empestait le parfum. Habituée à un environnement empreint de délicatesse et de beauté gracieuse, Lydia ne put s’empêcher d’esquisser une moût de dégoût quand le conseiller s’inclina devant elle pour lui baiser la main.
Krijoï était l’archétype même du vieux fou : vieux et fou. Barbe et cheveux blancs, longs et désordonnés. Des pupilles toujours en mouvement, des gestes brusques et saccadés, des paroles incompréhensibles, une silhouette décharnée qui semblait sur le point de se rompre. Il se mettait parfois à sautiller en tout sens en poussant des sortes de jappements. Puis il s’arrêtait tout net, restant parfaitement immobile, écoutant un bruit qu’il était le seul à entendre. Il souriait tout le temps, riait souvent, dévoilant une rangée crénelée de dents usées et jaunies. Ses lèvres se résumaient à un mince fil rosé à peine discernable, surplombé par un nez crochu impressionnant partant de travers à partir du milieu. En guise de salutations, il caressa le menton de la Princesse aussi grande que lui en lâchant un ‘petite, petite’ à peine compréhensible.

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Telglin  

2002-01-07 21:25:03 

 CHapitre 1 (suite)Détails
L’escorte proprement dite se composait de trois soldats. Le premier s’appelait Djerlakine Nundo. Grand, sec, assez âgé. Cheveux grisés, yeux noirs, mine sévère. Joues creuses, pommettes saillantes, menton volontaire. Rasé de près, tenue soignée, salut militaire rigoureux. Une vilaine cicatrice prenait naissance au-dessus de son sourcil gauche et venait mourir à la base de l’oreille. A l’évidence, un vétéran de la Frontière. Il suscitait le respect au premier regard, mais il ne possédait pas la prestance du capitaine Linak. Un homme de terrain. Redoutable, efficace, sûr. Un homme qu’elle ne tenait pas à croiser au cours d’une bataille dans le camp adverse. Il la salua respectueusement, ni plus, ni moins. Exactement comme le voulait le protocole.
Lydia faillit laisser échapper un soupir en se tournant vers le deuxième soldat. Beau, jeune, vêtu d’un uniforme qui lui allait à ravir, souriant. Presque l’incarnation d’un fantasme de jeune fille. Ses yeux gris-vert possédaient un éclat argenté troublant qui illuminait un visage aux traits avenants. Birkam Réon. Un nom somme toute banal, mais qui résonna à ses oreilles comme un poème. Avec un physique pareil, il devait au moins être stupide, ou brutal, ou méchant. Elle espérait bien que non. Elle regrettait à présent que le protocole n’autorise pas les soldats à baiser la main de la Reine de l’Horizon. Elle s’en voulut de nourrir des pensées à peine dignes d’une adolescente immature. Quand même, il était mignon.
Le troisième soldat était une femme. Elle ne portait pas l’uniforme mais des habits simples de couleur brune. Elle appartenait au corps des Pisteurs, qui comprenait tous les soldats opérant en solitaire comme les éclaireurs ou les espions. Les pisteurs traînaient derrière eux une réputation d’individus asociaux, sombres et taciturnes qui n’aimaient pas la foule et encore moins la fête. Ils appréciaient la solitude et préféraient la nuit au jour. Varane Thal ne semblait pas échapper à la règle. C’est à peine si elle remarqua la Princesse de l’Aube. Elle arborait une mine sombre et renfermée, ne s’intéressant même pas aux discussions. Une capuche cachait ses cheveux et masquait une partie des traits de son visage, des gants recouvraient ses mains. Elle ne dit pas un mot, attendant les bras croisés, impassible. Elle inclina à peine la tête pour saluer sa nouvelle reine. Lydia sentit naître en elle une profonde antipathie à l’égard de la pisteuse.

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Telglin  

2002-01-08 22:45:14 

 Chapitre 1 (suite)Détails
Etrange escorte que lui proposait le capitaine Linak : un vieux fou, un gros lard, une gouvernante écervelée, un vétéran usé, une solitaire antipathique et un jeune premier entourant une reine inexpérimentée. Pourtant un homme de son expérience et de sa renommée devait avoir de bonnes raisons de composer une telle escorte. Chacun des membres possédaient certainement des qualités complémentaires qui se révéleraient sans doute fort utiles. Lydia ne pouvait s’empêcher pour autant de nourrir quelques appréhensions. Mais elle n’avait d’autres choix pour l’instant que de s’en remettre à ce surprenant équipage.


Sept robustes chevaux percherons servaient de montures, plus deux mulets pour les bagages. Les cortèges royaux ou même simplement princiers ne s’embarrassaient d’ordinaire jamais de percherons, moins fougueux et sveltes que les étalons. Leur silhouette massive, leur vitesse moindre et leur apparente lourdeur les condamnaient au rude monde des campagnes, bêtes de traits pour les paysans fortunés ou les monastères. Pourtant les percherons résistaient bien mieux au rigueur de l’hiver et, surtout, possédaient une endurance bien plus importante que les frêles étalons réservés à l’apparat. Dans le monde des combats, les chevaliers en armure, pourtant nobles parmi les nobles, préféraient monter un vil percheron parce qu’aucune autre monture se révélait assez résistante pour supporter le poids du cavalier, de son armure et de ses armes. Les étalons en revanche servaient bien les archers montés, les éclaireurs et toute la cavalerie légère.
Pour l’heure le capitaine Linak avait jeté son dévolu sur des bêtes robustes, capables de supporter la baisse de température la nuit en altitude et de tenir une longue distance sur des sentiers difficiles. La seule destination possible à partir du couvent sans emprunter le chemin d’accès usuel était Montrouge, par-delà les hauts cols des Montagnes Cerclées. Rien à voir avec une promenade bucolique. Il existait une autre possibilité, mais seul un fou oserait y recourir : à une courte distance du monastère, après le poste de garde qui surveillait la Passe aux Echos, s’étendait l’Outrefrontière...une destination qui paraissait soudain moins farfelue à Lydia. Au moins là-bas, la situation se montrait claire : tous les résidents ne pouvaient être que des ennemis. A Montrouge tout serait bien plus compliqué. Déjà en danger dans son propre royaume, que pouvait espérer la Reine de l’Horizon dans une province étrangère ? Bien sûr, Montrouge se trouvait dans les terres du Grand Roi, et la suzeraine déchue pouvait faire appel à son autorité pour recouvrir sa place. Mais le voyage jusqu’à la lointaine capitale risquait de s’avérer long et dangereux, et les traîtres ne quitteraient sûrement pas la Frontière juste pour le bon plaisir du Roi, si Grand soit-il. Les redoutables Chevaliers au Lion Pourpre, corps prestigieux de l’armée royale, devront sans doute intervenir. Que de désolations et de fléaux en perspective ! Mais la Reine de l’Horizon n’avait d’autres choix.

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Telglin  

2002-01-09 21:55:50 

 Chapitre 1 (suite)Détails
Le groupe se mit en selle et traversa la cour du monastère. Les cavaliers s’engouffrèrent dans un haut mais étroit tunnel qui partait d’un encaissement de la cour, passait sous la montagne avant de déboucher sur un sentier rocailleux. Ce dernier descendait légèrement jusqu’à un creux qui ne méritait même pas le nom de vallon, avant de remonter péniblement vers le sommet qui dominait le couvent. Déjà le soleil venait s’entailler sur les arêtes saillantes de cette montagne à la silhouette agressive, annonçant la fin de la journée comme celle, peut-être, d’une dynastie. Nul ne pouvait déjà vraiment l’affirmer, tant que les membres de ce petit groupe survivraient. Mince espoir pourtant.
Lydia se retourna. Jelkine Linak se tenait à l’entrée du tunnel. Elle le salua, tant pour lui dire adieu que pour le remercier de se dévouer encore alors qu’il se savait perdu. Il ne répondit pas, absorbé dans quelque méditation obscure. La porte se referma sur lui mais déjà l’ombre du tunnel l’avait plongé dans l’oubli. Lydia resta songeuse quelques instants puis regarda à nouveau devant elle.
Djerlakine Nundo menait le petit groupe. Parfaitement droit sur sa monture, qu’il dirigeait d’une main sûre et inflexible, il ne se tourna pas une seule fois vers le couvent. L’événement, aussi tragique soit-il, n’affectait en rien ce soldat imperturbable, voire sans doute insensible. Les traits acérés de son visage faisaient oublier toute idée de douceur, tandis que sa silhouette sèche lui donnait un aspect dur et implacable. Il économisait autant ses paroles que ses gestes, et son allure générale donnait l’image d’un homme austère et sérieux à l’extrême. Le capitaine Linak avait remis le sort de la Frontière entre ses mains. A lui d’agir au mieux pour remplir sa mission. Le vétéran collectionnait depuis longtemps les aventures les plus dangereuses pour le compte du Seigneur de la Frontière, mais celle qu’il venait de commencer surpassait toutes les autres. Il devait se méfier de tout le monde ; car, s’il connaissait ceux qui avaient trahi la Reine de l’Horizon, il ignorait tout de ceux qui les avaient aidés. Il fallait donc qu’il ruse sans cesse, et en premier lieu sur l’itinéraire : personne ne devait savoir et encore moins deviner où il était et, surtout, où il comptait se rendre. Les cartes de la région, même les plus détaillées, n’indiquait qu’un seul chemin possible à partir du monastère en traversant les Montagnes Cerclées : la piste menant à Montrouge. Mais Varane Thal lui avait assuré qu’elle les conduirait par un sentier oublié qui les mènerait dans une vallée désertée. De là, ils pourraient se rendre en de multiples endroits. Djerlakine faisait entièrement confiance à la pisteuse : il connaissait la valeur du corps des Pisteurs et leur indéfectible loyauté. Pour le reste, il se montrait plus circonspect. Birkam Réon ne pourrait pas faire grand mal ; juste un jeune soldat un peu fougueux et plein de nobles principes. Rien à craindre de ce côté. Bragha se révélait l’archétype même d’une gouvernante classique : gesticulante, maugréante...mais inoffensive. Lydia était une jeune princesse un peu perdue qui ne possédait rien de cette prestance qui fait l’étoffe d’une reine. Même en apprenant vite et bien, elle ne ferait jamais une suzeraine de la trempe de sa grand-mère.

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Telglin  

2002-01-10 22:04:57 

 Chapitre 1 (suite)Détails
. Fadwell Cormyr appartenait à cette race de gens dont l’apparence ne laissait aucunement présager de leur compétence. ‘Gros lard courtaud et stupide qui doit sa place à des remarques mielleuses’ : voilà ce que devaient se dire la plupart des gens qui le rencontraient. Mais il se rendaient certainement compte par la suite de leur erreur. Cormyr était malin et observateur : son corps flasque abritait des yeux pétillants. Mais il servait avec dévouement ses maîtres. Non, celui dont se méfiait le plus Nundo n’était autre que le vieux Krijoï. Quel talent particulier cachait-il pour avoir été inclus dans cette expédition ? Linak ne faisait rien au hasard : ce vieux fou devait servir à quelque chose. Mais à quoi ? Djerlakine porta son regard sur l’horizon.
Varane Thal avait pris ses distances : elle chevauchait seule, à une centaine de mètres au moins devant les autres. Elle n’avait pas prononcé un seul mot depuis le départ. Mais elle observait beaucoup. Pas les autres membres du groupe, non : ils ne l’intéressaient pas. Sauf peut-être le vieux Krijoï et l’imperturbable Djerlakine. Chacun d’eux l’intriguait à sa manière. Non, pour le moment toute son attention se focalisait sur le chemin et ses environs. Elle cherchait un passage, une grotte. Elle ne savait pas vraiment où il pouvait se trouver, et encore moins où il pouvait mener. Linak lui avait dit de bien faire attention à partir du moment où ils auraient dépassé la cascade, mais elle préférait ne pas prendre de risques et scruter le paysage dès maintenant. Où pouvait donc mener ce passage mystérieux ? Linak avait parlé d’une vallée. Mais au nord se dressaient les Pics Sombres qui séparaient le royaume du Grand Roi de l’Outrefrontière. Difficiles à franchir, ils donnaient sur une contrée honnie aux créatures terrifiantes. A l’est, au-delà du couvent assiégé, se trouvait la Frontière tombée en des mains hostiles. Au sud, de l’autre côté des Montagnes Cerclées, se tenaient les terres immenses du Grand Roi où vivaient sans doute autant d’ennemis que d’amis. A l’ouest...eh bien, Varane n’en savait trop rien. On disait que ces contrées étranges abritaient des tribus éparses aux pouvoirs magiques. On racontait aussi que le Grand Roi avait conclu des pactes secrets qui préservaient sa frontière occidentale de toute intrusion. Nul ne pouvait apporter des preuves tangibles, mais le fait est que rien ne venait troubler l’ouest du royaume. C’est peut-être là qu’ils se rendaient. En attendant d’en savoir plus, la pisteuse restait aux aguets, le corps immobile mais les yeux vigilants.

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Telglin  

2002-01-11 21:00:57 

 Chapitre 1 (suite)Détails
Krijoï se trouvait bien loin de cette image figée : il frétillait littéralement sur son percheron, ressemblant à un nain décharné victime de colique sur une monture trois fois trop grande pour lui. Nul ne pouvait vraiment dire comment il parvenait à tenir en selle tout en bougeant autant. Il regardait de tous côtés, tournant la tête brutalement dans tous les sens ; il se penchait à droite, se redressait sur ses étriers, se retournait en lâchant les rênes, gesticulait sans raisons, s’immobilisait tout d’un coup en tendant l’oreille, puis opinait du chef avant de partir d’un grand éclat de rire. Parfois il arrachait un minuscule bout de roche de la falaise, l’auscultait minutieusement pendant de longs moments, puis haussait soudain les épaules en le jetant au loin. Surtout, il parlait pratiquement tout le temps. Mais personne n’arrivait à comprendre ce qu’il disait. Peu lui importait, il ne parlait qu’à lui. Les autres se demandaient ce qu’il faisait là. Lui le savait. Linak aussi. Mais c’était un secret. Le vieillard se doutait bien qu’ils n’atteindraient jamais Montrouge. Le capitaine était trop malin pour tomber dans un piège aussi grossier. Non, ils allaient au coeur même des montagnes, là où les légendes deviennent réalité. Jelkine se moquait bien de Lydia : elle ne formait qu’un prétexte. Il avait autre chose en tête ; quelque chose de bien plus grand. Krijoï, lui, aimait bien la petite princesse. Bien sûr, elle devait apprendre beaucoup de chose et vite si elle ne voulait pas être happée dans une machination qui la dépassait. Mais elle pouvait y arriver. Il l’aiderait. Cormyr n’était qu’un incapable imbu de lui-même ; Nundo n’avait pas été formé pour réfléchir à grande échelle ; Thal ne s’intéressait pas à tout ce qui l’entourait ; Bragha faisait pitié ; Réon pourrait s’avérer utile à l’occasion. Le groupe censé sauver la Frontière faisait bien pâle figure, et pourtant Linak avait réussi un coup de maître en le composant ainsi. Krijoï était un des seuls à s’en rendre compte et, surtout, un des seuls à savoir pourquoi. Mais il préférait garder ça pour lui. Mieux valait suivre le plan initialement prévu.
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Telglin  

2002-01-14 23:28:58 

 Chapitre 1 (suite)Détails
Bragha maugréait sans cesse. Contre cette foutue neige qui commençait à tomber et recouvrait déjà le paysage d’une mince couche blanche. Contre ces maudits percherons qui se révélaient bien moins confortables que les sièges capitonnés du couvent. Contre l’air qui se faisait plus froid et plus mordant à chaque pas. Surtout contre ces rustres qui l’avait forcée à quitter son havre de paix pour courir l’aventure. A son âge, tout de même ! Elle n’était pas faite pour chevaucher par monts et par vaux et se demandait déjà comment elle allait s’en sortir une fois qu’il faudrait camper. Après tout, elle ne connaissait que les lits aux matelas moelleux du couvent. Certes, les soeurs vivaient de manière bien plus austère qu’elle, mais ce n’était pas une raison pour la mettre brusquement au régime pain sec, eau et planche. Heureusement, elle pourrait continuer l’éducation de sa protégée, qui risquait sérieusement d’être mise à mal. Ces gens d’armes et ces politiciens devaient sans doute avoir sauvé le pays plus d’une fois, mais ils restaient des rustauds mal élevés vivant à la dure pour les premiers, et des hypocrites sournois pour les seconds. Rien de très recommandable, en somme. La pisteuse, au moins, se tenait à distance et gardait ses propos probablement peu civilisés pour elle. Mais Bragha n’aimait pas les petits regards vicieux que Cormyr jetait de temps en temps à la reine, et encore moins le physique de jeune premier de Réon. Pas qu’il s’en soit servi pour l’instant, mais cela n’allait certainement pas tarder. Bragha savait bien ce qui se passait dans la tête de ces jeunes jouvenceaux au langage suffisamment habile pour manipuler sans difficultés une jeune fille naïve. Cependant, Nundo paraissait être un homme suffisamment mûr et intelligent pour surveiller son cadet. Linak l’avait probablement choisi pour cela, en plus, bien sûr, de son expérience qui était difficile à mettre en doute. Le capitaine était réputé pour sa finesse d’esprit et son aptitude à sonder les gens, ainsi que pour sa discrétion et son efficacité silencieuse. De nombreuses personnes ne se souvenaient de lui que comme d’une vague présence alors qu’il connaissait le tréfonds de leur âme. Un personnage bien embarrassant pour les comploteurs. Pourtant certains avaient fini par réussir à s’emparer de la province et à le déborder. Personne n’est parfait, et c’est bien dommage. La gouvernante soupira.
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Telglin  

2002-01-17 18:24:47 

 Chapitre 1 (suite)Détails
Fadwell Cormyr se réajusta une fois de plus sur sa selle. Il appréciait particulièrement les percherons, qui supportaient son poids sans difficultés, mais maudissait la selle qui, comme toutes les autres, se révélait trop petite pour lui. Il n’avait pas eu le temps d’emmener la sienne lorsque Château-Frontière était tombé, et son postérieur l’avait déjà chèrement payé lors de sa fuite vers le couvent. Il aurait certainement pensé que Linak l’avait choisi juste pour le plaisir de prolonger son supplice, s’il ne connaissait pas depuis longtemps le capitaine. Cet homme avait le sens de l’honneur et de la justice, et ne s’abaissait jamais à ce genre de coup mesquin : Jelkine l’avait intégré à l’expédition parce qu’il n’y avait pas de meilleur conseiller que lui. Si la précédente Reine de l’Horizon avait été plus attentive à ses avertissements, elle serait très certainement encore assise sur son trône. Mais peut-être que les choses étaient mieux ainsi : il pouvait dès maintenant orienter l’éducation de la nouvelle reine dans le bon sens et l’extirper des griffes ignorantes de toutes ces bonnes soeurs qui ne connaissaient rien au monde. Bien sûr, il restait la gouvernante, qui semblait en tenir une sacrée couche aussi, mais il n’aurait aucune difficulté à la limiter au rôle de conseillère en couleur de jupon. Il avait l’occasion de former une véritable Reine de l’Horizon, comme la province n’en avait plus connu depuis longtemps, qui gouvernerait avec sagesse et efficacité. Une Reine qui serait respectée par l’ensemble de son peuple, et pas seulement par les gens de la plaine. Pour cela, il fallait l’enseigner sur les différentes tribus formant la province. L’ancienne Reine avait négligé les peuples placés en périphérie de sa contrée, et ils n’avaient rien fait en retour pour lui venir en aide. Il était urgent de les convaincre de rejoindre la bannière de la nouvelle reine. Les gens de la plaine étaient certes les plus nombreux, mais aussi les plus influençables ; les traîtres avaient su en tirer partie. Rallier les tribus de la montagne revenait à s’assurer le contrôle de la Frontière. Fadwell se doutait bien que la véritable destination n’était pas Montrouge, mais les hauts cols et les passes des Pics Sombres : la petite troupe ne fuyait pas, elle entamait déjà la reconquête. Jelkine était bien plus malin que ses silences ne le laissait envisager. Dire qu’un homme d’une telle valeur allait disparaître. Cormyr se laissa aller à un vague sentiment de tristesse sincère, lui qui était plutôt habitué à de sournoises pensées calculatrices. Et bien, puisque les choses devaient se passer ainsi, il ne décevrait pas la confiance que Linak avait placée en lui.
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