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De : Netra Page web : http://terredelune.eu Date : Mercredi 19 juin 2024 à 21:38:11 | ||
J'ai tardé à écrire ce texte. Plus précisément, je me refusais à l'achever, parce que l'achever, c'était admettre. C'était donner réalité. Parfois, la phase du déni est plus longue qu'on ne s'y attend. C'est z653z qui m'a annoncé la nouvelle alors que j'étais sur un salon du livre. J'aurais pu n'y être que visiteuse ou autrice en dédicace, mais non. J'y étais pour la première fois en tant que directrice littéraire. Il semble que le monde ait un certain sens de l'ironie dramatique : serais-je jamais devenue directrice littéraire d'un salon du livre sans devenir autrice ? Non. Et je ne serais pas devenue autrice sans le Cercle de Faeries, et particulièrement sans Narwa Roquen. Et voilà que parvenue à un stade de ma carrière que je lui dois, j'apprenais le départ de celle qui m'avait mis le pied à l'étrier, et je pleurais sa mort devant une dizaine de grands auteurs de Fantasy. Voilà que je pleurais parce qu'elle était morte sans que j'aie jamais eu l'occasion de lui redire : merci. Alors je voudrais vous raconter, non la première chose que Narwa a fait pour moi ici, ni les suivantes puisque vous y avez assisté. Vous étiez là, et j'étais le bébé du groupe, arrivé un peu tard, après la grande époque. Il en est une pourtant, une seule, qui n'eut pas lieu ici. J'avais 18 ans et j'étais en classes préparatoires, mathématiques supérieures spécialité physique, des études non-choisies et éminemment douloureuses, lorsque je tombais fortuitement sur un concours de poésie. Après avoir écrit un sonnet et une ode, je me tournais donc vers la meilleure plume de ma connaissance pour m'aider à le relire : Narwa. Ni une ni deux, la voilà qui s'attaque à mes quatrains et tercets à bras raccourcis, recompte les pieds, lamine les rimes faibles, me le fait recommencer, une fois, puis deux, et fait ensuite subir le même sort au second avec la même verve. Elle ne fustigea que la forme. Au fond cependant, au cri douloureux d'une gosse de 18 ans perdue et malheureuse, elle ne toucha pas. Elle ne corrigea rien non plus ; une fois le problème pointé, elle me laissa me débrouiller pour trouver une solution. Elle me signala que le sonnet était meilleur que l'ode. En trois aller-retours de mails, son verdict enfin tomba : envoie. J'envoyais. Le sonnet obtint le premier prix de sa catégorie. C'est en recevant la nouvelle qu'elle et moi découvrîmes de concert qu'il s'agissait d'un concours international, réunissant plus de 800 oeuvres pour quelques 600 participants. Je tombais des nues. Elle se contenta d'un : "c'est bien." Je la remerciai bien sûr, mais je n'avais pas les mots justes alors. Merci ne semblait pas assez, pourtant je n'avais que "merci." Ce n'était pas grand-chose peut-être, c'était énorme pourtant. J'avais un besoin terrible d'exister aux yeux du monde. J'avais besoin que quelqu'un soit fier de moi. Narwa m'a donné le droit d'exister à ses yeux. J'espère aussi qu'elle a été fière de moi, au moins un peu, parce que ce que je suis, je le lui dois, au moins un peu. Je sais que ce temps qu'elle m'a consacré, a consacré à mes écrits, que ce soit ceux qui sont ici ou ces poèmes dont un brilla par ce concours, ont maintenu ma plume à flot, même quand la page restait blanche, même quand l'heure était noire. Je n'ai jamais osé lui dire, mais le personnage de Narwa Roquen, l'Istar qu'elle faisait arpenter la Terre du Milieu, a en partie inspiré le Taliesìn de la Dernière Geste, majoritairement dans son rapport à l'éternité, à ce vertige de demeurer quand passe le monde. Ce n'est pas grand-chose sans doute par rapport à tout ce qu'elle était, l'autrice, la médecin, la femme, mais c'est l'hommage que je peux lui rendre. Elle n'était pas seulement une étoile. Elle était ce genre précieux d'étoile qui brille autant qu'elle permet aux autres de briller. Que ce souvenir allège notre affliction. Netra Ce message a été lu 302 fois | ||