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Vivre

Et si jamais je danse encore
Sous les étoiles si je danse
Je danserai vivante et seule
- Je sais que tu ne m’aimes pas.

Lou Rigel, poète du XIIème (arrondissement)

L’air froid de la nuit me réveilla. J’ouvris les yeux. Un mal de tête intense, comme un Balrog tambourinant dans mon crâne. Je me dressai. Nuit noire. Je fis quelques pas, et me heurtai à une paroi de terre, froide et humide. Aucun souvenir de l’endroit où je pouvais être. Je me souvenais de Grader s’éveillant dans la grotte d’Elemmirë, après qu’ Oromë m’ait concédé sa vie (1).

Je marchai en suivant la paroi, encore et encore. Donc je tournais en rond. J’étais dans une fosse. Comment y étais-je tombée, aucun souvenir. Je lançai mon cri. Pas de réponse, ni de Rolanya, ma jument fidèle, ni de Frère Loup qui ne me quittait pas d’une foulée, ni de Kyo l’oiseau de proie qui aurait donné sa vie pour moi.

La paroi était verticale, faite de terre argileuse. Je sortis mes poignards, lames fines offertes par mes amis de Khazâd-dûm. Creuser deux trous pour les pieds, deux prises supérieures pour les mains, puis un à la fois, à bonne distance, creuser, monter, creuser, monter...Je glissai une fois, deux fois, me rattrapai en poignardant sauvagement la paroi. La montée n’en finissait plus. Une chose je savais : quel que soit le temps, je sortirais. Encore et encore. Monter, glisser, monter, creuser, monter, glisser. Pas d’état d’âme, pas de peur ni de colère. Monter. L’air enfin me sembla plus frais, et en tendant la main je sentis de l’herbe sous mes doigts. Je me hissai à la surface, dans la nuit noire. J’eus le temps de pousser un soupir de soulagement, le nez dans l’herbe humide, quand je me sentis poussée, soulevée, projetée, une chute vertigineuse...

L’air froid de la nuit me réveilla. J’ouvris les yeux. Où étais-je ? Aucun souvenir récent, depuis l’image de Grader ressuscité dans la grotte. Un mal de tête lancinant, étourdissant, et une cheville douloureuse aussi. Je palpai. Rien de cassé, une entorse. J’appliquai quelque magie rapide, au moins pour ne pas avoir mal. Je me dressai, tâtai la paroi de terre humide qui m’entourait. Cela me rappelait quelque chose. A un autre moment, j’avais escaladé une semblable paroi, mais quand ? J’avais toujours les poignards de Khazâd-dûm. Creuser, monter. Encore. Une demi-éternité. J’avais des courbatures, pourquoi? Ma cheville recommença à me faire mal. Déjà ? Combien de temps que je montais ? L’air se fit plus frais, et en tâtant loin devant, je trouvai le bord, parsemé de brins d’herbe. Je le franchis, j’appuyai ma poitrine sur la terre plate, yallume ! (2)... et puis je fus poussée, soulevée, projetée, une chute...

L’air froid de la nuit. Où suis-je ? J’ai mal à la tête. Ma cheville droite est cassée, j’en suis sûre, mon épaule gauche me fait hurler de douleur. Je pousse mon cri. Pas de réponse. Où sont-ils ? Comment peuvent-ils ne pas être là ? Je me reprends. J’efface les douleurs, je réparerai plus tard. J’ai déjà vécu cette situation, j’en suis sûre... Je cherche mes poignards, ils ne sont pas là. Je transforme mes ongles en griffes. Monter, creuser, encore et encore. Mes charmes n’agissent plus. J’ai mal. Creuser, monter. Je ne sais pas qui m’a mise là. Il y avait la grotte, Grader. Je suis déjà tombée. Je suis déjà remontée. Quand ? Pourquoi ? Je ne cèderai pas. Je remonterai. Creuser, monter... Je glisse, je tombe, un choc sur la tête, je...

La nuit. Froid. J’ai mal partout. Je suis fatiguée, je dormirais bien encore, le froid m’engourdit, je me laisserais bien glisser... Signal d’alarme. Reprends-toi, Narwa Roquen, c’est la mort qui te guette. Je me redresse. Mon corps est une immense douleur, et aucun charme ne me calme plus. Je n’ai plus de poignards, je ne peux plus me faire de griffes. Je suis aussi faible qu’un humain. Mais je ne me laisserai pas mourir. J’ai déjà vécu tout cela. Je suis déjà montée, je suis retombée, je suis remontée... Pourtant la paroi est lisse, aucune trace. J’ai beau faire le tour de la fosse en boitant, aucune trace d’un quelconque passage. Une magie supérieure à la mienne. Soit. Mais je remonterai. Mon instinct de survie est d’une violence sauvage. Je suis capable de tuer pour survivre. C’est ainsi que tu m’as voulue, Oromë. Alors prive moi de mes bras et de mes jambes, de ma bouche encore j’essaierai de m’agripper pour m’en sortir. Ou alors prends ma vie tout de suite, si c’est ce qui t’amuse. Tant que tu me laisseras un souffle de vie, je me battrai. M’en veux-tu tant que cela de t’avoir arraché la vie de Grader ? Ta vengeance est mesquine, tout Valar que tu sois. La mort ne me fait pas peur, la souffrance ne m’est rien. Si c’était à refaire, je le referais. Creuser, monter. Lentement, en fermant les yeux sur le paquet de douleur vive qu’est devenu mon corps. Centimètre après centimètre s’il le faut, de mes mains nues. Tu me tueras, mais je n’abandonnerai pas. Monter, encore. Un vertige, je perds le contrôle, je ne sais plus...

L’air frais de la nuit. La lune en croissant devant moi. Rolanya me souffle dans le cou, Frère Loup me lèche le visage, Kyo posé tout près m’interroge d’un cri.
“ Je ne sais pas ”, dis-je ,“je ne sais pas ”.
J’essaie de m’asseoir. Je suis un bloc de souffrance. Mais la magie opère à nouveau, je peux me calmer. Frère Loup me fait la courte échelle pour monter sur Rolanya qui s’est assise pour me faciliter la tâche. Je m’écroule, sur l’encolure, je la sens marcher dans la nuit, je suis bien, mes amis sont là, je suis sauvée, je pleure d’épuisement... un seul mot me vient aux lèvres : “Cuina ! (3)

Le jour se lève. Je me redresse. J’ai encore un peu mal, mais ça ira. Je projette mon esprit vers celui de Grader. Il est debout à l’entrée de la grotte, il a envie de partir. Je comprends. Valar valuvar (4). J’arrête Rolanya. Je griffonne un mot que je confie à Frère Loup.
“ Va chez Tilac, tu le connais, la ferme en bas. Ramène un cheval. ”
Il s’éloigne. Kyo me dit :
“ Je suis désolé .
- Ce n’est pas grave, Toron (5). Je ne peux pas gagner à chaque fois. ”
Grader fait les cent pas devant la grotte.
“ Ah te voilà ! Que s ’est-il passé ? Tu m’as enlevé ? Ma femme doit être folle d’inquiétude, et mes enfants... ”
Je le regarde. Je reviens d’un enfer éternel, mon corps n’est qu’une mine de souffrance.
“ Un cheval arrive pour toi. Frère Loup t’escortera jusqu’à Chiswarta. Laisse repartir le cheval. Il saura revenir.
- Peux-tu m’expliquer ?
- A quoi bon ? ”
Je murmure encore : “Anar caluva tielyanna (6)”, mais je sais qu’il ne m’entend pas .
Je me laisse tomber dans l’herbe. Les autres lui diront. Au moins une partie. Ce que j’ai fait pour lui, il ne le saura jamais. Quelle importance, puisqu’il ne m’aime pas. Ce qu’Oromë m’a donné, Oromë me le reprend. Bien. Valar valuvar. La seule éternité qu’il m’ait offerte était faite de souffrance. J’ai compris la leçon.

Je dormirai un peu, puis je repartirai. Je suis Narwa Roquen, la sixième, la dernière, la seule femelle, mais fière et libre. Les amours humaines me sont inaccessibles, bien. Pourquoi cet acharnement à vivre cette vie, quand les douceurs de Valinor m’attendent peut-être ? Avoir froid, avoir mal, avoir faim, avoir soif, et j’en redemande ? Est-ce d’avoir aimé un humain qui me rend si stupide ? Mais j’aime l’effort, je suis une guerrière, j’aime me battre, j’aime le risque, j’aime la victoire quand elle m’est échue. J’aime le jour qui se lève, j’aime le vent sur mon visage, j’aime ces humains vaniteux que je sauve chaque jour et qui ne me remercient pas, j’aime éprouver le peu de puissance que j’ai, j’aime sentir ce coeur battre en moi d’émotions surprenantes...J’ai encore des missions à remplir. Les humains ne pourront jamais comprendre, ni le sens du devoir, ni le sens du don. Je n’ai pas de haine. Demain, peut-être, plus de douleur. La liberté sur la Terre du Milieu, l’envie de me battre encore et encore, seule. Non, pas seule. Mes compagnons. Mes amis fidèles, avec qui chaque peine partagée est un demi bonheur, avec qui chaque seconde de répit est une éternité de quiétude. Je ne suis pas humaine. Je ne pleurerai plus.

Sin simen, inye quentale equen, ar atanyaruvar elye enyare (7).

N.d.A.

(1) : cf Le creux céleste in “ La montagne du destin ”
(2) : Enfin !
(3) : Vivante !
(4) : La volonté des Valar sera faite
(5) : Frère
(6) : Que le soleil brille sur ta route
(7) : Ici et maintenant je vous ai conté ce récit, et vous le raconterez à votre tour

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© Narwa Roquen



Publication : Concours "Un zeste d'éternité" (Février 2002)
Dernière modification : 07 novembre 2006


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