Version HTML ?

Messages FaeriumForum
 Ajouter un message Retour au forum 
 Rechercher un message Statistiques 
 Derniers messages Login :  S'inscrire !Aide du forum 
 Afficher l'arborescence Mot de passe : Administration
Commentaires
    Se souvenir de moi
Admin Forum 
 Derniers commentaires Admin Commentaires 

 WA, exercice n°151 Voir la page du message 
De : Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen
Date : Jeudi 13 octobre 2016 à 22:33:06
Donc, comme vous vous y attendiez, il va falloir maintenant montrer. La même histoire, écrite différemment. Bien sûr, vous pourrez modifier le point de vue, le vocabulaire, et même ajouter ou enlever des personnages secondaires. Il faut quand même que ça ressemble un peu à l'histoire originale... Ca prend quand même moins de temps que d'inventer une histoire, donc vous avez trois semaines, jusqu'au jeudi 3 novembre, plus bien sûr les aléas temporels...
A vous ensuite de trouver quelle version vous convient le mieux, aidé en cela par les innombrables commentaires qui ne manqueront pas de se manifester. Ironique, moi? Allons donc. Intriguée, déçue, parfois en colère ou à la limite du désespoir, mais ironique...
Narwa Roquen, qui n\'a pas vu passer les semaines...


  
Ce message a été lu 8106 fois

Smileys dans les messages :
 
Réponses à ce message :
Asterion  Ecrire à Asterion

2016-11-27 20:04:48 

 WA, n°150 et 151, participationDétails
LE CONTE DE LA DAME RENARDE

(dyarn cexm i-hevel afesedrin)


Note du traducteur a dit :

Le poète Keldre nous a transmis deux variantes de ce conte ancien, l’une relatée simplement, ainsi qu’il semble l’avoir entendue lui-même, dans ses carnets de voyage (Nuleldean elad Celder), l’autre rapportée, sous une forme plus romanesque, en annexe de son exemplaire personnel de l’encyclopédie des mondes (Herchallas e-veiris almaqindo). Sa plume est adroite et ma présente traduction ne saurait lui rendre totalement justice. Les protagonistes et les péripéties du conte sont en partie mythiques, ou du moins se confondent et se perdent dans une longue tradition légendaire qui n’hésite pas à revisiter l’Histoire. Le Ier siècle de l’ère siléenne en fait ici les frais. Transposant la légende et la remodelant au goût de son époque, Keldre inscrit sa propre version dans ce même mouvement littéraire, sans s’en cacher outre mesure : Les artifices de narration sont trop évidents pour ne pas être volontaires. Ainsi, par exemple, la cité à laquelle il prête vie est décrite telle qu’elle était à la fin du Xe siècle, avec ses remparts multiples et ses grands jardins (dont la conception remonte en réalité au IVe siècle), et sa structure sociale déjà bien établie. Alors que la neuvième guerre cyclique est sur le point de déchirer le continent, le poète fait l’expérience de l’actualité du mythe fondateur et en ressent toute la puissance d’évocation.



a) Version des carnets

Un livre à la main, Merith, huit ans passés, s’est timidement approchée de la matriarche en tirant sur le bas de sa robe pour attirer son attention.
— Grand-mère, lis-moi encore Dame Renarde !
— Enfant, tu la connais déjà par coeur. Je t’ai souvent raconté les histoires des princesses des jours anciens. Et d’ailleurs, tu devrais pouvoir la lire toi-même, maintenant.
— Oui, oui, mais s’il te plaît ! Celle-là, j’aime bien l’entendre.
— Bon, bon, d’accord, fait la matriarche, conciliante. Mais au lit sans faute, après, petite coquine.


« Il était un roi fou, qui s’appelait Lurein le premier, régnant d’une main de fer dans les contrées du Nord. Un jour, il lui prit l’envie de se désigner empereur, haut seigneur de toutes les provinces. Ces choses sont dans la nature des hommes. Alors il convoqua ses gens à la guerre, promettant aux uns de grandes richesses s’ils le suivaient, aux autres des tourments sans fin s’ils lui désobéissaient. Il leva de grandes armées, plus nombreuses à chaque bataille et à chaque victoire. Bientôt, elles furent aux portes d’Almaq, des hordes de soldats au cheveux roux, dévastant champs et vergers, pillant bourgs et villages, installant devant les remparts d’immenses machines qui lançaient des pierres et des troncs. À leur tête, un triste sire au coeur noir, Hurfaest le balafré, criait des ordres et menaçait de raser la ville. Il pensait que le monde entier lui appartenait... »

— Il était très laid, commente Merith.
— Tu ne crois pas si bien dire. Une balafre, c’est une vilaine blessure au visage, ça ne devait pas lui faire un très beau visage. Tu as bien vu comment il est représenté dans ton livre, non ? Mais bref, je continue si tu le veux bien...


« Du haut de citadelle, où elle voyait les troupes ennemies, la princesse était furieuse... »

— Elle était très belle, interrompt encore Merith.
— Oui, mais là, elle était aussi très en colère. Tu veux que je te raconte l’histoire, oui ou non ?
La fillette aux yeux brillants acquiesce de la tête, taisant les mots qui lui viennent, de peur que l'aïeule ne se fâche elle aussi.


« La princesse était furieuse. Elle fit mander ses guerriers, ses gardes et ses soldats, et leur dit alors à peu près ces mots : Ces gens dévastent champs et vergers, qui donc sortira de la cité s’opposer à eux et les chasser de notre pays ? »
« Mais les générales et généraux aux médailles d’or baissèrent tous la tête, car ils ne voulaient pas quitter la cité. Ils se sentaient à l’abri de ses puissantes murailles et craignaient une défaite au dehors. »
« Alors, la princesse convoqua son conseil et leur dit à peu près ces mots : Ces gens pillent bourgs et villages, qui donc sortira de la cité pour négocier avec eux une paix honorable ? »
« Mais les conseillères et les conseillers aux habits pourpres baissèrent tous la tête, car ils ne voulaient pas abandonner les murs de la cité. Ils n’en étaient jamais sortis et craignaient le monde du dehors. »
« Alors encore, la princesse fit venir les représentants des guildes marchandes, et leur dit à peu près ces mots : Ces gens installent trébuchets et catapultes sous nos murs, qui donc sortira de la cité discuter d’un tribut à payer pour qu’ils repartent sans combat ? »
« Mais les commerçantes et les commerçants vêtus de riches étoffes baissèrent tous la tête, car ils tenaient à leurs biens et à leurs échoppes. Ils ne voulaient pas s’en séparer sans compensation et se pensaient plus sûrs en dedans des murs. »
« Alors enfin, la princesse fit venir ses soeurs nobles et ses hautes prêtresses, et leur tint à peu près ce langage : Hurfaest le vilain, le laquais du roi fou, crie ses ordres et veut raser nos maisons. Qui donc sortira de la cité l’amadouer par de belles paroles et de beaux sourires ? »
« Mais les jumelles aux longues chevelures noires et cendrées comme la sienne baissèrent les yeux, n’osant affronter sa colère. Elles craignaient toutes l’homme et ses manières brusques. »
« Soit, dit la princesse, s’il en est ainsi, j’irai moi-même au devant de mon ennemi, à la nuit tombante. S’il n’est pas fou comme son roi, je saurai le ramener à la raison. »
« Générales et généraux, conseillères et conseillers, marchandes et marchands, tous du peuple d’Almaq derrière eux, se tordirent les mains, car il leur en coûtait de laisser ainsi leur princesse seule régler le problème des envahisseurs — mais aucun ne dit mot, aucun ne s’opposa, sauf le bouffon de la cour, qui prononça à peu près ces mots : je suis des Nautes, bien qu’en ces lieux moqué, je vous conduirai, dans un carrosse, jusqu’à la tente du Hurfaest ; et je vous en ramènerai, sauve sinon saine. »
« Sitôt dit, sitôt fait, le carrosse fut apprêté et préparé. Le soir venu, la princesse descendit dans la basse ville, donna l’aumône aux mendiants, qui par chemins détournés et sentiers boueux connus d’eux seuls, la firent sortir de la ville. Là aussi, aucun ne dit mot, aucun ne s’opposa, sauf un garde d’azur, qui tint à peu près les propos suivant : je suis de la Citadelle haute, bien qu’en ces lieux déplacé ; je garderai pour vous le passage ouvert. »
« Elle s’en alla au soir, et s’en revint au matin, conduite par le bouffon. Elle était belle, d’une beauté féroce, et déterminée, prête à tout pour sauver la Cité. Toute la nuit, elle avait conversé avec le seigneur ennemi, défendant sa cité. Ils se dirent ce qu’ils avaient à se dire, haussant parfois le ton, et firent ce qui était à faire pour mettre un terme à leur querelle. La princesse était fine et elle sut trouver les mots et les gestes qui apaisèrent Hurfaest et emportèrent son accord. À l’aube venue, la princesse se présenta devant les portes, demandant qu’on les lui ouvre. Générales et généraux, conseillères et conseillers, marchandes et marchands étaient aux remparts, mais ils se dirent quelque chose comme : Si nous ouvrons maintenant, la cité est perdue, ruinée. Peut-être vaudrait-il mieux perdre une princesse, que de risquer nos richesses. Lors, les mendiants se dirent : Si nous n’ouvrons pas maintenant, la cité est perdue, brûlée. Hurfaest le balafré a retiré ses troupes, mais il nous observe depuis la colline, et ses yeux sont rouges de fatigue, et ses cheveux sont semblables à des flammes. Cependant, personne ne bougea, de sorte que le bouffon conduisit le char jusqu’à la poterne dérobée que le soldat fidèle gardait. ».
« Et celui-ci dit, et tous l’entendirent : Ô princesse sage, dans les temps à venir, on vous appellera Barnithir, le bouclier de la cité, car à vous seule vous avez tenu tête à l’ennemi et vous l’avez emporté avec fermeté. »
« Et le bouffon dit, mais nul ne le comprit à cet instant : Ô princesse rusée, dans les temps lointains, on vous nommera Fesevel, la dame renarde, car l’ennemi vous a retenu en tête-à-tête, mais vous l’avez emporté avec grâce. »
« Les gens du Nord se retirèrent et la paix fut ainsi gagnée sans verser le sang. Les saisons passèrent sans encombre et la cité prospéra de nouveau. C’est la raison pour laquelle les princesses, les bouffons et les soldats de la citadelle sont toujours honorés du peuple. À l’automne, la princesse enfanta deux jumeaux, une fille au visage doux et un garçon au corps musclé, qui avaient tous deux, la chose n’étaient pas commune alors, des cheveux roux. C’est de cette lignée juste et droite que descendent les protecteurs de la Cité, à la crinière de feu. Et c’est ainsi que se termine le conte de la princesse renarde. »

— Des cheveux roux comme les miens, frétille Merith.
— Et puis quoi encore, ne fais pas ta princesse pour autant ! Maintenant au lit comme promis, petite renarde, rappelle la matriarche, en refermant le livre d’un geste sec.


b) Annexe à l’encyclopédie

Les portes claquaient derrière la princesse d’Almaq tandis qu’elle traversait à pas vifs les couloirs de la citadelle. Ses dames de compagnie peinaient à la suivre et les serviteurs s’effaçaient en hâte à son passage. « C’est intolérable » criait-t-elle d’une voix perchée, en agitant les bras dans tous les sens. « Comment... Comment ces rustres osent-t-ils nous défier de la sorte ? C’est insoutenable... inadmissible... inacceptable. »
Le chambellan, qui la précédait, soufflait bruyamment en accélérant le pas. Le front brillant de sueur, il se mit promptement de côté quand elle déboula dans la salle du conseil. Dans les gradins, les murmures feutrés des représentants de la cité et des guildes se turent aussitôt.
Un silence s’ensuivit, seulement ponctué de quelques toussotements discrets, alors qu’elle montait à l’estrade sans même jeter un regard à la noblesse réunie. Ses lèvres rouges tremblaient et sa longue chevelure brune volait en désordre. L’intendant à la guerre était resté debout, le visage tendu, les mains crispées sur le dossier de son siège. S’arrêtant aussi brusquement qu’elle était entrée, elle pointa un doigt accusateur vers lui. « Et alors, par la Chimère et le Dragon, qu’attendent encore mes chefs militaires, mes conseillers, et les représentants des guildes ? Où sont nos troupes, tandis que les chiens de Lûr pillent notre campagne, tuent ou violent nos paysans ?  »
Ses yeux volèrent rapidement au-dessus de l’assemblée. « Ce matin encore j’ai vu la foule grandissante des réfugiés s’entasser sous nos murs. De pauvres gens contraints à abandonner leur peu de biens, des femmes, des petits enfants et des vieillards fuyant devant l’avancée des Siléens. Combien de fois m’avez-vous assuré, à grand renfort d’arguments, que ce roi du Nord, ce Lûr de mauvais augure, était en disgrâce, pris de démence ? Qu’il pouvait bien s’attribuer un sceptre d’empereur du monde si cela lui chantait, mais que jamais les peuples du Nord ne le suivraient dans ses rêves de guerre ? Combien de fois ? »
Baissant la tête vers les cartes étendues sur son bureau, l’intendant soupira.
— Nos derniers rapports indiquaient qu’il serait contraint à abdiquer sans descendance et que la dissension régnait dans les rangs de ses anciens partisans. Son propre frère a craint pour sa vie et a préféré s’exiler dans les îles. Les autres seigneurs ne le tiennent pas en haute estime et ne rêvent que de le déposer. Nous pensions... Je pensais que les roitelets des autres provinces du Nord se déchireraient à l’idée de lui succéder.
— J’entends, mais il a su les faire ployer et les rallier à sa cause belliqueuse. Que ce soit par attrait pour nos richesses ou par crainte de représailles envers ses familles restées au pays, l’ennemi cogne à nos portes à présent... Il se prépare à tenir un siège en hiver... Au beau milieu de l’hiver, tandis que nos greniers sont pleins à craquer ! Cela en dit long sur sa préparation et notre propre incompétence, notre manque de discernement. Cela fait des mois que je vous entends hésiter et vous atermoyer... Le front s’est déployé, et voilà où nous en sommes rendu, félicitations ! »
Baissant la tête vers les cartes étendues sur son bureau, l’intendant soupira.
— Mieux vaut garder nos remparts, princesse Delfen. C’est la position que j’ai défendue hier et je la maintiens encore aujourd’hui, même si j’étais à mille lieux d’imaginer la situation présente. Pour autant qu’on le sache, les forces des Siléens comptent plus de quinze mille hommes, pour l’essentiel enrôlés dans les provinces assujetties. Même nos anciens adversaires en appellent à notre aide. L’ambassadeur de Sitar nous a supplié d’intervenir. Mais nous n’avons pas assez de moyens pour couvrir un théâtre d’opérations aussi vaste. Dans l’est, les terres Léranes ont capitulé. Nous n’avons pas de nouvelles fraîches des steppes de l’Ouest, car les routes sont coupées. Les armées semblent converger de tous les horizons à la fois... et nos renseignements ne sont pas fiables. Nous sommes coupés de tout, aussi la défense de la Cité est-elle la meilleure des résolutions. Même nos informateurs au sein de la puissante Confrérie Fluviale des Nautes sont muets, eux dont les routes commerciales traversaient pourtant tout le continent.
— Allons bon, vos Nautes ont trahi, admettez-le, Carmal ! grogna une voix dans la salle. Ils ne pouvaient pas ne pas savoir ce qui se tramait... Nonobstant leur défection, il ne m’en chaut, l’important en la matière est qu’Almaq, esseulée, ne peut soutenir un très long siège. Nous ne le croyons pas. Dans l’isolement qui est le nôtre, nos réserves ne tiendront pas longtemps. Eux ne semblent pas prêts à céder si nous résistons, ni même à se tourner vers des proies plus faciles à atteindre. C’est qu’ils savent qu’en prenant Almaq, tout le Sud tombera ensuite sans un combat. Adoncques, nous devons user de diplomatie, dame Delfen, et rechercher une issue politique à cette crise. C’est la seule alternative sensée pour l’immarcescible Almaq !
Delfen se retourna brusquement vers l’homme qui venait de parler. Celui-ci ramena sa robe pourpre sur ses épaules, épongea son front et se dressa lentement sur son siège. Elle lui répliqua avec une moue sarcastique :
— Et quelle sorte de diplomatie peut encore tenir, selon vous, conseiller Lenveth, quand les engins de siège s’alignent devant nos murailles ? Les belles paroles que voilà, de la part d’un conseil qui s’est trop longtemps tu ! Quelle sorte de traité proposez-vous de leur porter ? Je suis sûre que le commandant de cette armée sera ravi de vous recevoir en personne et de vous écouter, vous où l’un de vos confrères.
— C’est une brute barbare, à l’évidence, ma dame, et ma couardise est notoire, fit l’homme d’une voix faiblissante. Mais il n’est pas nécessaire pour le conseil de le rencontrer en dehors des murs. Il est de notre avis de lui offrir des richesses suffisantes pour qu’il ne ressente pas le besoin de piller la cité. Ne lui en donnons pas le motif. Ce type d’homme peut s’acheter. Devant ses hommes, devant son roi-empereur, il s’en retournera avec un gage de notre soumission et pourra annoncer que nous reconnaissons la suprématie des Siléens. Les apparences seront sauves et la Cité préservée.
Un grondement de protestation enfla dans une autre partie de la salle.
— Ben voyons, petit Lenveth, il t’es facile d’ordonner. Et quoi d’autre encore !
À la tête de la délégation des représentants des guildes, la femme qui avait protesté se leva à son tour. La princesse la regarda sans aménité, mais la laissa poursuivre.
— Ça oui, il te serait bien facile, soudain, de vider nos caisses à nous, les honnêtes travailleurs. Que nenni ! Un tribut ferait un précédent regrettable. Si nous montrons de la faiblesse, leurs demandes n’en seront que plus démesurées. Et puis quoi ! Voilà ce qu’on en dit, nous, de ton traité négocié dans notre dos et à notre détriment. Tu sais ce que tu peux en faire !
Un concert d’approbations s’éleva depuis les bancs voisins, où les autres commerçants étaient déjà prêts à applaudir. Ils n’allèrent cependant pas jusqu’au bout du geste. Serrant les poings, Delfen dardait sur eux un regard froid.
— Ce mercenaire, ce laquais à la solde du roi foi, voudrait mettre la ville à sac, et c’est tout ce que cela vous inspire ? Ce que vous ne lui donnerez pas, ce pourceau le prendra sur les ruines de vos maisons. Car vous avez raison sur une chose au moins. À supposer que les murailles tiennent lorsqu’un orage de pierres et de troncs viendra s’y abattre, nous ne sommes pas en mesure d’endurer un long siège. Nous exposons le peuple à la plus cruelle des famines.
La matriarche des commerçants grimaça, mais tint tête à la princesse.
— Nous ne céderons aucun de nos trésors sans compensation, Delfen.
— Nous sommes donc du même accord, finalement, dit Carmal, ignorant les protestations molles de Lenveth. Nous ne tenterons pas de sortie et subirons un siège. S’ils parviennent à briser nos enceintes, nous combattrons rue par rue et quartier par quartier.
— Il n’est pas en mon pouvoir de vous faire changer d’avis, fit Delfen d’un ton glacial.
— Non, de fait, rétorqua l’intendant à la guerre en affrontant son regard.
***

De retour dans ses appartements, Delfen fulminait devant ses consoeurs de la Citadelle. « À quoi servent les princesses, si leur avis ne compte pas ? Mon titre n’est-il qu’honorifique ? »
— Tu incarnes la cité et tu distribues les aumônes aux pauvres, répondit une fille aux longs cheveux noirs.
— Tu es le ciment d’un peuple, fit une autre.
— Vous récitez fort bien la loi antique, tacla Delfen, mais ce sont des mots vains, écrits par des utopistes vieillissants, en temps de paix. Le respect du peuple n’est jamais loin du mépris.
Son air se fit songeur.
— Par cette même loi, je suis libre de mes actes... C’est un fin stratège à leur tête, pour avoir organisé pareille armée et l’avoir conduite jusqu’ici... Probablement un homme avec qui nous pourrions discuter...
— Tu n’y songes pas, s’offusquèrent les soeurs.
— Probablement en homme avec qui je pourrais discuter, moi, et l’amener à la raison...
— Non, non, insistèrent-elles en choeur. Ce n’est pas un homme, c’est la mort qui rôde au dehors.
— Puisque vous citiez les textes fondateurs, ne suis-je pas aussi la source de vie ? rétorqua Delfen d’un ton sans appel. Trouvez-moi une escorte, parmi les gens qui me sont fidèles.
***

L’étoile du soir scintillait faiblement à l’ouest et l’horizon couleur de sang s’assombrissait. Dans une ruelle sombre de la cité basse, la princesse évaluait les deux hommes et la femme qui se tenaient devant elle.
— C’est là tout ? soupira-t-elle.
— Gerneg pour vous servir, fit le premier en claquant des talons.
L’écusson de son blason figurait une tour d’argent sur un ciel d’azur. Delfen lui fit signe de poursuivre.
— Les portes sont closes par ordre du conseil, mais je me suis assuré qu’un passage vers l’extérieur restait ouvert. Le chef de garnison est de mes amis. Pour le retour, en revanche, si vous tardez trop, ce sera plus compliqué après la relève. Je trouverai d’ici là le moyen de vous faire rentrer. Les habitants de la cité basse vous apprécient et connaissent des passages détournés. Ils m’ont indiqué le chemin des égouts du ruisseau qui traverse leur quartier, et d’autres sentiers de ce genre.
— Je suis la matriarche de ce quartier pauvre, appuya la femme à ses côtés. Nous aiderons votre garde, soyez-en assurée. Vous avez toujours été bonne avec nous. Nous désobéirons aux intendants et vous aiderons de notre mieux, même si nous ne comprenons pas ce que vous voulez faire.
Le dernier individu portait un habit coloré et arborait un bonnet à grelots.
— On ne présente plus Corphen le Troubadour, j’espère.
— Je vous reconnais et j’apprécie les pantomimes que vous donnez à la cour, acquiesça Delfen, mais je ne comprends pas la raison de votre présence.
L’homme compta sur des doigts :
— D’une, j’ai un chariot au dehors des murs, cela ne nous sera pas inutile. De deux, si vous voulez parvenir jusqu’au commandeur des troupes ennemies, il nous faut passer ses sentinelles et personne ne se défie des bouffons. De trois...
— De trois ? s’enquit la princesse alors qu’il se taisait.
— Oh, un presque rien. Cela a rapport avec la Confrérie des Nautes, dont j’étais membre...
La princesse grimaça et ouvrit la bouche, mais le saltimbanque l’arrêta d’un geste.
— Je sais ce qui s’est dit à ce propos dans la halle du conseil. Cela étant, je connais aussi la disposition de l’adversaire. Je suis tenu au secret, mais je peux vous dire que les Nautes ne veulent pas la chute d’Almaq. Nous comptons quelques amis de l’autre côté aussi... Je saurai vous faire parvenir saine jusqu’au commandeur et vous ramener, s’il permet votre départ. Ce qui se passera entre vous et lui est entièrement de votre ressort, cependant.
— Bien... Je suppose que je ne peux que vous suivre, alors.
***

Le campement ennemi se tenait entre deux collines où brûlaient de grands feux. Dans la grande tente centrale, un homme corpulent déplaçait avec brusquerie des pièces de bois sur une table ressemblant à un échiquier. Posant un doigt sur la balafre qui lui barrait la joue jusqu’à l’oeil, il prit un air songeur. Il attrapa un bout de peau qui dépassait de la blessure mal cicatrisée et se mit à le tirailler en grognant. Un peu de pus suinta. De sa main libre, il bougea encore un bloc à l’image d’une tour d’assaut, puis donna, d’un mouvement sec de la tête, un semblant d’assentiment à la carte : « Ah ! Excellent ! »
Un soldat fit irruption, l’arrachant à la contemplation du plan de bataille.
— Sire commandeur, nous avons pris un de leurs chars aux abords de la cité, avec un genre d’arlequin à sa tête, et aussi une femme.
— Ils pensent à quoi ? Ils nous envoient leurs putes maintenant ?
— Non sire, c’est... euh... on dirait... comme un genre de dame.
— Çà veut dire quoi, « on dirait » ? C’est un arlequin comme l’autre, tout peinturluré, au visage fardé et aux manières précieuses ? Soit plus précis, sentinelle !
— Non, enfin... J’veux dire... C’est bien une femme, là... tout comme une femme quoi...
Le soldat accompagna ses mots d’un geste sinueux.
— Mais euh, précieuse, oui... du genre de la haute, quoi.
— Et moi, je suis quoi dans tout ça, le Dieu Borgne en personne ? Tu en connais beaucoup des dames de la haute conduites par des arlequins, à la faveur de la nuit, dans le camp d’un ennemi ?
— Non, mais je m’y connais quand même un peu et c’est pas le genre des femmes qui suivent les convois militaires et... et vendent leurs charmes, que vous diriez. D’abord, elle est seule avec lui, et elle parle notre langue... avec un accent... mais quand même un peu comme eux, là, les nobles. Et même si ce qu’elle a dit a l’air stupide, si vous me l’demandez. Qu’on la conduise à not’ chef, c’est ce qu’elle a dit. Alors on vous l’a amenée, mais on garde l’autre type à l’oeil.
Le garde écarta la tenture d’un geste, et la princesse entra dans la lumière des torches. Le commandeur des armées haussa les sourcils.
— Ah. En effet... Tu peux te retirer, soldat.
Son regard brillant s’attarda sur les courbes de la princesse.
— Tu sais qui je suis ? Je suis le Hûr-Feset. Le briseur de foyers, dans ta langue. Tu ne trouveras pas plus haut rang, ici. C’est le titre que Lûr le Sérénissime m’a donné quand il m’a retiré mon nom. Sérénissime de mon cul, la folie lui ravageait déjà les traits et il empestait la mort à plein nez. Détruire pour servir ou servir pour détruire, qu’il braillait comme un dément, les yeux injectés de sang. Je suis las de toute cette merde qu’on nous chie à la gueule. Mais je suis quand même le Hûr-Feset. C’est ma fonction depuis le début de cette campagne et mon unique objectif au sein de cette fichue armée. C’est ma vie, jusqu’à son terme. Rien d’autre ne m’est permis. J’ai le coeur plus noir que la nuit. Alors, tu peux trembler de terreur, quelle que soit la raison de ta venue.
Delfen avança vers lui d’un pas mal assuré.
— Je ne tremble devant personne, fit-elle d’une voix pourtant chevrotante. Quant à ma venue... La princesse d’Almaq veut négocier les conditions de votre retrait.
— De mon... de mon quoi ?
Il éclata d’un rire féroce et écarta amplement les bras pour englober l’espace autour de lui.
— C’est tout un monde, ça ! Joli fessier, beaux petits seins en poire, mais aucune cervelle. Tu fais un drôle d’émissaire. Et où est cette princesse à présent ? Elle se croit à bien assez à l’abri derrière ses hauts remparts, pour ne m’envoyer qu’une faible femme accompagnée d’un baladin ?
— Non. À cet instant, elle est devant vous.
— Ah. En effet...
Son attention se reporta sur le petit morceau de chair qu’il avait arraché à son visage. Il en fit une boulette entre ses doigts.
— Vous... non, je ne vais pas te vouvoyer pour autant. Tu dois avoir bien peu de pouvoir, si ton peuple t’a laissé sortir ainsi. Je pourrais te donner à mes hommes, puis te faire écarteler devant vos murs. Je présume cependant que cela ne servirait à rien.
Sans attendre de réponse, il désigna la table quadrillée.
— J’ai bien assez de trébuchets et de catapultes...
— Pour prendre la cité basse et le premier cercle de murailles, oui. Après, ce sera un combat autrement plus incertain...
— Je vais t’avouer une chose, qui ne sortira pas de cette tente. Je ne pense pas que Lûr passera l’hiver... Et quel que soit son successeur au trône, je suis trop attaché à mon roi pour espérer un retour en grâce, même avec Almaq et toutes les cités méridionales sous mon joug. Mon allégeance ancienne est une entrave pour beaucoup, qui chercheront à m’éliminer. Le nouveau pouvoir voudra effacer l’ancien. Ici, en revanche, si je l’emporte, j’aurais pu me tailler un royaume. Et qui sait, fonder une dynastie...
— Allons, comme si la paix, les honneurs et les richesses faisaient partie de vos rêves. Vous l’avez dit, vous êtes le Hûr-Feset et vous ne connaissez que le fracas des armes. Souverain du Sud ? Laissez-moi en rire. Quand bien même, jamais les gens d’Almaq n’accepteraient un souverain étranger. Votre avenir ne serait pas plus assuré que chez vous. En ce moment, je ne suis peut-être pas la princesse de grand chose, mais vous ne serez le roi de rien.
— Nous ne représentons que nous-mêmes, alors ? Soit. Je ne suis que celui qui apporte le chaos. Je n’ai pas d’autre nom et aucune histoire ne s’écrira sur moi. Le destin est sévère. Quelle était ton idée en venant me rencontrer ?
— Vous écouter. Connaître l’homme derrière ses masques. Comprendre ses motivations.
— Ah.
— Quelle femme voudrait d’un homme avec votre visage ? lâcha-t-elle à brûle pourpoint.
Le commandant écarquilla les yeux, puis éclata d’un rire sonore.
— Voilà autre chose à présent. Tu m’insultes ? Je peux prendre toutes les femmes que je veux, toi comprise !
— Tu ne seras le roi de rien, mais ta descendance serait d’Almaq.
— Finalement, je n’avais pas complètement tort sur ta nature. C’est assez de paroles, donc.
Il la poussa violemment et elle tomba dans la poussière sale.
— C’est seulement ainsi que toi et moi pouvons nous jouer du destin, s’écria-t-elle.
— Ah. Qui me dit que tu enfanteras, ou même que tu garderas mon enfant ? fit-il en s’abaissant pour lui tordre un poignet.
— Une parole contre une parole, répondit-elle en se débattant.
L’homme la maintint fermement à terre et un sourire en coin se dessina à ses lèvres. Il vint coller sa joue purulente contre la sienne.
— Et bien soit, que tout le panthéon de mes dieux en prenne acte, je relève le pari. Ce n’est pas une folie moindre que celle de mon roi et ton audace me plaît.
***

La silhouette du Hûr-Feset se découpa au sommet de la colline. Les épaules basses, le casque au bras, il leva lentement le poing. Puis, tournant le dos à la cité, il s’en revint vers ses troupes. Tandis qu’il disparaissait derrière le relief, il déplia néanmoins la main et l’agita lentement. Le soleil levant se refléta une dernière fois dans sa chevelure rousse, puis il s’en fut.
Corphen tira sur les rennes et le carrosse s’ébranla en direction de la ville.
— Les portes restent closes, par le rot du dragon et le pet de la Chimère, qu’est-ce qu’ils attendent pour ouvrir ?
Il se dressa sur son siège : « Eh, du château ! »
Seul le bruit du vent qui sifflait dans la plaine lui répondit. Lorsqu’ils furent au pied des remparts, il les harangua de nouveau. Les murmures assourdis de nombreuses voix parvinrent jusqu’à eux, mais les herses ne bougèrent pas. Le vent enfla, portant quelques mots, quelques bribes éparses que les bourrasques rendaient presque inaudibles. « Traîtresse... Héroïne... Courtisane... Protectrice... Catin... Sainte... »
Delfen se mit à grelotter. Les larmes sur ses joues étaient noires de la boue et de la cendre du campement. Enfin, une lampa à huile oscilla à une poterne à ordures. Le soldat Gerneg apparut, retenant d’un bras la trappe ouverte.
— Qu’est-ce qu’ils foutent la dedans, lança le saltimbanque lorsqu’ils l’eurent rejoint, c’est un conciliabule de sages ou un concerto de grincheux ?
— Le conseil et les guildes ne savent pas ce qu’ils doivent conclure de votre retour et ne parviennent pas à un accord. Mais ne restez pas là au froid, par ici !
Voulant aider la princesse à gravir la pile de détritus, un lambeau de sa robe déchirée et souillée lui resta entre les mains. Il eut le souffle coupé par l’horreur de la situation. « Enroulez-vous dans ma cape, et prenez mon bras, vite ! »
***

Le givre céda la place aux floraisons colorées, les jours s’allongèrent, le soleil brûla de nouveau au-dessus des champs. Les paysans étaient aux semailles dans les champs, les caravanes des marchands sillonnaient les routes et ralliaient les villes voisines.
Dans les fortins abandonnés, les épées se teintèrent de rouille et les araignées dansèrent librement entre les piques des lances. Les récoltes eurent lieu, puis les vendanges approchèrent à leur tour.
***

Dans les jardins de la cité, les feuilles des arbres commençaient à tomber, recouvrant lentement l’herbe et les graviers d’un voile rouge-orangé. Dans sa chambre, dont la fenêtre à petits carreaux était ouverte, Delfen se frotta le nez et remonta la couverture sur son ventre rond. Un parfum de terre humide chatouillait les narines. On frappa à la porte. Cherchant à se redresser dans sa couche, la princesse grimaça, un peu de sueur perlant à son front. Elle regarda vers l’angle de la pièce. La femme ridée qui s’y tenait, voûtée sur son canevas, reposa son ouvrage et se leva lentement. Ses articulations craquèrent tandis qu’elle se penchait pour attraper la canne posée contre le mur. D’une voie éraillée, elle entonna un chant lent. D’autres femmes entrèrent, portant des bassines fumantes et des linges blancs. Depuis le couloir, Gerneg referma la porte derrière elles, non sans avoir jeté un oeil vers le lit à baldaquin. Ses mains tremblaient faiblement, aussi croisa-t-il les bras sur sa poitrine. Dehors, dans les rues étroites jouxtant la citadelle, des marchands criaient. Leurs étals étaient couverts de coings, de figues ou de châtaignes. Un groupe de corbeaux freux traversa le ciel, une cloche résonna dans le lointain. Gerneg dodelina de la tête, sursautant lorsque la porte s’ouvrit de nouveau. Il arqua un sourcil vers la matriarche au visage cireux. De la chambre parvinrent les vagissement d’un nouveau-né ; non, plutôt de deux, semblait-il, se répondant en écho. « De beaux jumeaux ! » confirma la vieille femme d’un ton enjoué. « Et ma filleule se porte bien. »
***

Delfen se tenait droite en haut des remparts supérieurs, le regard vissé vers l’horizon. Dans ses cheveux tressés, le gris cendré venait le disputer au noir profond. Tout en bas, une population toujours plus nombreuse s’affairait devant les portes. La princesse se mordit les lèvres. Gerneg s’avança dans son dos et vint la prendre par la taille. À grandes enjambées, sautant quelques marches, Corphen arriva à leur hauteur en riant. Les enfants couraient à sa suite en s’aidant des mains pour gravir les marches. Ils cherchaient vainement à attraper les franges de son costume bariolé.
— Assez de bêtises, bougres de petits renards roux !
— Chuis pas un renard, fit le garçon en boudant des lèvres et en serrant ses petits poings.
— Chuis pas une bougre, fit la fille en mimant son frère.
— Une bougresse, corrigea le saltimbanque à bout de souffle.
— Surveille ton langage, tout bouffon que tu es. Ils entendent déjà bien assez de mots orduriers à mon propos ou au leur... grogna la princesse en fronçant les sourcils.
— Allons, ma dame, tu es aimée de tous, et tes enfants aussi. Dans les chants de ton peuple, n’es-tu pas le bouclier protecteur de la cité ? intervint Gerneg.
— La belle affaire, fit-elle en chassant l’idée d’un geste de la main. Dans mon dos, ils disent bien autre chose. J’ai évité que leur sang ne soit versé, mais la gratitude cède vite place à la moquerie. Et moi...
Elle baissa la tête. Son compagnon la serra plus fort, alors que d’une voix brisée, elle murmura : « Et moi... j’en cauchemarde encore souvent... et je vois chaque jour son visage... »
— Allons, allons, tes enfants aimants ont ta beauté et ta grâce.
Le bouffon vint à son tour les prendre tous deux dans ses bras.
— Eh, le peuple est comme il est... La chansonnette de la Dame Renarde, c’est plutôt joli, pas vraiment méchant, lâcha Corphen avec nonchalance. En fait, j’aime assez l’air, il se laisse fredonner sans déplaisir, si l’on oublie les paroles, écoutez donc !
Alors qu’il éclaircissait sa voix, il se prit un coup de pied au bas du mollet, et tout aussitôt un second. Le regard dur, deux marmousets aux cheveux flamboyants le dévisageaient en serrant la mâchoire. La princesse eut un bref éclat de rire. « Oh, vous avez raison tous deux, mes doux amis, séchons les larmes et laissons le chapitre des blessures se refermer. Chante donc à la façon de mon peuple, mon histrion, et que l’Histoire retienne ce qu’elle veut de nos vies ! »
Mais Corphen se contenta de déposer un baiser sur son front. Gerneg en fit autant, tout en laissant les enfants aux cheveux de feu entrer dans leur cercle. Tous se tinrent ainsi enlacés, ignorant le tumulte de la ville à leurs pieds, partageant en silence ce moment entre eux. Une nuée d’hirondelles vint pépier au sommet de la tour voisine.

Ce message a été lu 6094 fois
Asterion  Ecrire à Asterion

2016-11-27 20:50:44 

 PrécisionDétails
De la dame renarde, je ne connaissais que la trame générale, imaginée il y a presque une dizaine d'années, d'un conte légendaire qui devait notamment "expliquer" la couleur de cheveux d'une partie de la population de la ville (et, pour les férus de linguistique imaginaire, l'origine du mot actuel pour "renard" en langue d'Almaq, fesed, qui s'est substitué à l'ancien terme, un peu comme "renard" a remplacé le "goupil" chez nous). Je n'aurais pas su sous quel angle aborder l'histoire, restée dans un recoin de ma mémoire (mes notes d'alors étant perdues)... mais ces deux sujets de WA, avec leurs deux approches possibles, m'ont (re)donné envie de tenter l'expérience... Merci donc à Narwa de les avoir proposés !

A propos de l'exercice, justement, c'est bigrement difficile ! "Raconter" permet la brièveté mais est parfois aride, "Montrer" part vite en longues circonvolutions. Et mettre les deux formes en miroir, pour ce qui est au final un même récit, est délicat - Les mêmes choses ne veulent pas venir au même moment, ou alors les faits demandent un traitement différent pour fonctionner... J'ai sans doute un peu triché, volontairement par ici ou sans m'en rendre compte par là...

Un exercice de style, en tous cas, que je ne peux que recommander !

Ce message a été lu 6145 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2016-12-18 22:50:52 

 Commentaire Astérion, exercices 150 et 151Détails
Tu as réussi la quadrature du cercle ! Cette idée de réunir deux textes sur la même histoire, qui se répondent et se complètent, justifiés par ton introduction, est absolument magnifique. De deux consignes contradictoires tu as fait une seule nouvelle riche, innovante, cohérente, une !
Personnellement je préfère la première, mais la seconde version est passionnante.
L’ensemble est excellent. Il y a des longueurs dans la seconde partie, mais c’est bien écrit, on se laisse porter, et même si on connaît déjà la fin ( et c’est là la preuve de ton talent) on a envie de la lire jusqu’au bout. Je suis épatée !

Bricoles :
- « du haut de citadelle, où elle voyait... » : Je suppose que c’est : « En haut de la citadelle, d’où elle voyait... »
- Qui tint à peu près les propos suivant : suivants
- Hésiter et vous atermoyer : atermoyer n’est pas un verbe réfléchi, encore qu’atermoyer suppose de la réflexion. Si tu veux une forme réfléchie, je suggère : vous perdre en atermoiements
- Où nous en sommes rendu : rendus
- J’étais à mille lieux : lieues
- Vous où l’un de vos confrères : ou
- Il t’es facile d’ordonner : est
- Le laquais à la solde du roi foi : fou ?
- Tacla Delphen : certes... mais je ne suis pas sûre qu’on jouait au foot en ce temps-là à Almaq...
- Probablement en homme avec qui : un homme
- La halle du conseil : la salle
- Elle se croit à bien assez à l’abri : un « à » de trop
- Si ton peuple t’a laissé : laissée
- Si je l’emporte, j’aurais pu me tailler un royaume : pourquoi pas « je pourrais », voire même (mais c’est audacieux) « je pourrai »
- Elle tomba dans la poussière sale : il y en a de propres ?
- Corphen tira sur les rennes : les rênes !
- Une lampa à huile : lampe
- Un parfum de terre humide chatouillait les narines :ses



L’introduction est plus vraie que nature ! Outre qu’elle est le ciment de la nouvelle, c’est une petite prouesse technique...
La première version : J’ai bien aimé la progression, quand la princesse convoque son entourage, avec un leitmotiv « qui donc sortira ». C’est tout à fait dans le style d’un conte, et ça m’a rappelé l’histoire de la petite poule rouge, qui trouve un grain de blé, et que personne ne veut aider...
La consigne est respectée, non pas tant parce que c’est le récit d’une grand-mère, mais surtout parce que tu racontes ce qu’on montre difficilement, les sentiments des personnages.
La longueur est idéale, un conte doit être vite lu, avant que les enfants ne s’endorment... Et les enfants n’ont pas besoin des détails sordides...

La deuxième version : à part la première description ( une vingtaine de lignes), qui correspond dans le conte à « la princesse était furieuse »), tu mènes toute l’histoire sous forme d’un dialogue, solution habile pour montrer ce que les gens pensent...
La scène entre le Hûr-Feset et le serviteur est trop longue.
La suite m’évoque certains aspects de « Le Diable et le Bon Dieu »...
Bien, le cycle des saisons pour parler du temps de la grossesse...
La dernière scène... Je ne t’ai pas trouvé très à l’aise. Ce n’est pas toujours facile, on est fatigué, on a hâte que ça soit fini, il n’y a plus trop d’action, et en même temps on se dit que c’est important, que le lecteur s’attend à une apothéose...
Ca a failli virer au mélo, mais tu t’es bien contenu. Je pense que simplement montrer de loin aurait été plus pudique et plus majestueux (mais ce n’est que mon avis).
Au total, tu as très bien travaillé. Et j’espère que tu ne t’arrêteras pas en si bon chemin !
Narwa Roquen, impresssionnée

Ce message a été lu 6650 fois
Asterion  Ecrire à Asterion

2016-12-20 13:04:01 

 Merci pour ta lectureDétails
Merci pour tes encouragements et ta lecture précieuse et précise (Je me sens penaud, pour les rennes, tacles et autres vilaines coquilles !).

J'ai hésité à raccourcir le passage avec le soldat, où je voulais exposer le commandant, mais qui finalement expose davantage son soldat, sans nous apprendre grand chose de neuf sur la princesse... Ton impression est donc assez juste, il me faudrait retravailler ce passage...

Ah, la fin de la seconde version... Touché ! Le tout premier jet était vraiment, mais vraiment, mélo et... plus que mauvais. Ma moitié, en toute première lectrice, a essayé de ma ramener à la raison, de reprendre avec plus de réserve et de gravité. C'est déjà un tout petit peu mieux ainsi, mais c'est très vrai, ton ressenti est juste. Loin d'être à l'aise, j'ai trouvé difficile de "nouer" les derniers thèmes que la version "conte" abordait en quelques phrases intemporelles et sentencieuses, sans vrai sentiment. C'est tout l'écart entre l'idée, qui paraît fonctionner dans l'absolu, et sa forme ensuite couchée sur le papier, qui me laisse aussi un peu insatisfait, pour le moins. J'ai sans doute aussi cédé à la tentation de trop vouloir "systématiser" l'écriture en miroir (dans le conte, seul "Hurfaest" a un nom, les autres protagonistes ne sont évoqués que par leur titre ou fonction, dans la seconde version, le "Hûr-Feset" devient un titre tandis que tous les autres sont nommés) - dans cette veine, j'ai sans doute trop cherché à finir par une scène vivante et vibrante, au risque de me perdre en chemin ^^

Ces thèmes de WA, en tout cas, m'ont enchanté - et l'écriture est bien l'un des rares domaines où "Peut mieux faire" invite à davantage de textes ;)

Si je n'ai pas l'occasion de repasser bientôt, je te souhaite, ainsi qu'à tous, d'excellentes fêtes de fin d'année.

Ce message a été lu 6445 fois
Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2016-12-20 18:23:03 

 WA 151, participationDétails
Pfiou!!! Eh ben c'est pas ma tasse de thé, de montrer! Je hais les descriptions, définitivement ^_^
Merci Roquen pour cet exercice difficile ! Mais c'est là qu'on apprend, il paraît...
---------

La porte s’ouvrit et une toute jeune fille, brune, très mince, passa rapidement devant l’homme. Un effluve sucré la suivait. Elle disparut rapidement dans l’escalier.
« Monsieur Galtier ? Je vous en prie, entrez. »
L’homme se leva. Il était massif, un bon mètre quatre vingt cinq, de longs cheveux noirs lâchés où pointaient quelques mèches blanchies, de larges poches sous des yeux fatigués, une courte barbe inégale grisonnant au menton, les épaules rondes et trapues, le front barré de deux rides profondes. Il portait un tshirt sombre délavé, dont le tissu s’étirait pour contenir son ventre mou, un sweat-shirt à capuche noir, un jeans de même couleur d’aspect crasseux, des chaussures de vieux cuir marron à lacets. Il traîna un peu des pieds, claudiquant légèrement à droite, sur les 5 à 6 pas qui le séparaient de la pièce. Il toucha brièvement la main tendue par l’autre jeune femme, qui se tenait dans l’embrasure de la porte, et remit aussitôt son poing fermé dans la poche du sweat. Il entra et s’assit.
Le local était clair. La large fenêtre permettait la diffusion de la lueur blanche de ce début d’après-midi, à peine filtrée par un paravent bas en bois et lin naturel, qui masquait aux passants la vue du canapé situé à droite de la porte d’entrée. La suédine vert d’eau de celui-ci était rehaussée de deux coussins aux motifs ethniques, dans les tons de vert tendre, framboise et gris. Une table d’angle blanche et un guéridon en bois clair encadraient le canapé. Au-dessus, deux cadres : dans le premier, deux adolescentes vêtues d’un voile musulman rose sombre, se tenant bras dessus-bras dessous et souriant au photographe ; dans le second, une enfant de 7 ou 8 ans au visage fier, portant un sarong brodé et un corsage en soie gris pâle, des bijoux dorés aux chevilles, aux poignets et sur le front, se contorsionnait dans une pause de danse traditionnelle khmère. A ces portraits répondaient ceux situés au-dessus du bureau, de l’autre côté de la pièce : un groupe d’enfants bouddhistes priant sous un arbre, et une toute petite fille, la tête couverte d’épaisse fourrure, les yeux rieurs, de lourds colliers chamarrés autour du cou sur une simarre tibétaine un peu grande pour elle. Dans l’angle gauche, un petit évier ; contre le mur face à la fenêtre, une commode blanche à quatre tiroirs et une minuscule lampe à abat-jour vert, surmontées de trois étagères chargées de livres, et d’une seconde lampe, également allumée malgré la luminosité naturelle. Enfin, au sol, un épais tapis gris couvrait partiellement le parquet crème.

La psychologue prit place dans le fauteuil haut, en face de l’homme. Elle tenait un bloc notes sur ses genoux et un stylo plume dans la main droite, qu’elle posa aussitôt sur la commode. Elle commença d’un ton calme mais enjoué :
« C’est donc aujourd’hui notre premier rendez-vous, et je vous remercie de l’avoir honoré. Nous avons à présent une heure devant nous, pour que, d’une part, vous puissiez m’expliquer ce qui vous amène, et ce que vous attendez de mon aide, et d’autre part, que... vous puissiez apprécier si vous vous sentez à l’aise et en confiance pour travailler avec moi. Je ferai de mon mieux pour ça, mais il est important pour moi que vous n’hésitiez pas à me poser toutes les questions que vous pourriez avoir, ou me signaler si je fais ou dis quoi que ce soit qui vous met mal à l’aise. ... D’accord ? »
L’homme ne répondit pas, ses yeux restant fixés sur le sol, ses poings crispés au fond de ses poches. Elle reprit rapidement. « Comme je, comme je vous l’avais expliqué au téléphone, la séance est à quarante-cinq euros, et je propose qu’on se voie initialement tous les quinze jours. Par la suite on pourra adapter au besoin. Si vous manquez un rendez-vous, ce n’est pas grave, ça peut arriver d’oublier. Il n’est pas dû, mais bien sûr je préfère qu’on me prévienne quand c’est possible. » Elle esquissa un sourire par habitude, qui s’effaça aussitôt. L’homme était un colosse de pierre planté sur le bord de son canapé, il restait silencieux, la tête enfoncée dans ses larges épaules.
« Bien... Comme vous le savez en venant ici, je travaille avec les thérapies cognitives et comportementales, ce qui signifie que notre... travail va surtout s’axer sur ce que vous vivez actuellement, et comment les... les pensées que vous pouvez avoir, interagissent avec vos émotions, et vos comportements, ce que vous faites. On fixera ensemble les objectifs que vous souhaitez atteindre, de façon très concrète, et si, et ce que vous souhaitez changer dans vos comportements et vos émotions au quotidien, et ensemble on essaiera de... d’améliorer tout ça. »
Elle s’éclaircit la gorge. Un silence s’étira quelques secondes, bâilla, puis fut interrompu par le bruissement léger des mains de la psychologue qui se joignirent sur ses genoux, puis par un nouveau râclement de gorge, plus discret, avant qu’elle n’ajoute :
« Racontez-moi, qu’est-ce qui vous amène ? », et elle tordit maladroitement ses poignets.

L’homme ouvrit à peine la bouche pour inspirer quelques atomes d’oxygène qui peinèrent à entrer dans ses poumons. Il prononça d'une voix atone :
« J’ai 46 ans, je bois de l’alcool depuis que j’ai 15 ans. Je consomme modérément, sans jamais être saoul, mais j’ai peur de déraper, parce que ma mère est malade. Donc je veux faire une thérapie pour tout arrêter. Même si ma mère... »
Il s’arrêta net et les muscles de sa jambe droite se contractèrent brutalement. Il sortit rapidement une main de sa poche, qui resta d’abord suspendue dans l’air ; son regard dévia brièvement sur les trémulations fines qui l’agitaient. Il déglutit difficilement, s’essuya la moustache de son poing toujours fermé, qu’il maintint quelques secondes sur sa bouche. La lourde main retomba sur sa cuisse. Le dos était toujours courbé, peut-être un peu plus encore ; le cou tendu vers le sol comme pour s’y nicher. Il cligna des yeux deux fois, puis les riva à nouveau sur le tapis gris.

« Bon... »
La psychologue desserra les mains et saisit ses genoux, se redressa en inspirant, inclina la tête à droite, contracta et détendit ses orteils dans ses baskets, déglutit à son tour.
« Poursuivez... » ajouta-t-elle, et sa voix chevrotait faiblement, « Prenez votre temps. ».

L’homme resta interdit, et une goutte de sueur perla sur son front déjà luisant.


Elemm', qui est incapable de tenir toute une séance!! ;-)

Ce message a été lu 6560 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2017-02-05 20:30:04 

  WA - Participation exercice n°151 (part 1/2)Détails
LA CONVICTION DU PECHEUR


Une Odyssée Hégélienne


Partie 2 - La dernière planète simple à l'est de l'univers


La bande-son

Entourés par un feu de Saint Elme, ils réapparurent au centre d'une vaste salle circulaire aux parois de roche lisse où une multitude de cristaux enchâssés renvoyait de brefs incendies aux flammes verdâtres. Lew leva la tête pour embrasser du regard, loin au-dessus de lui, la voûte d'une majestueuse coupole géodésique. Chacun des hexagones qui la composaient semblait une fenêtre ouverte où brillaient, comme épinglées sur l'écrin sombre de l'espace, toutes les étoiles de l'univers. Lew refréna la nostalgie familière qui montait en lui. Il remarqua plusieurs polygones contigus plongés dans le noir, telle une poignée de pixels éteints. Le sol de la rotonde était recouvert de larges dalles octogonales qui formaient à l'évidence un motif que Lew ne parvint pas à déchiffrer. Il lui aurait fallu pour cela des ailes et s'envoler jusqu'au lanternon à colonnettes qui surmontait la coupole. Une lumière froide descendait des cintres. Lew s'aperçut qu'elle ne projetait aucune ombre.

Théokéno patienta, se contentant de sourire devant l'étonnement de Lew qui sifflait entre ses dents sans même s'en rendre compte.

"Fichtre, c'est beau!" finit par lâcher Lew avec un geste ample du bras qui englobait toute la salle. Cette géode est parfaite.

- Ce n'est qu'un hall d'accueil, protesta Théokéno qui poursuivit avec gravité. Qu'est-ce que la beauté à l'échelle de l'univers? Les canons du Beau ne sont pas forcément les plus partagés. Ce qui te semble beau l'est-il pour tous? Est-ce que la beauté s'impose comme un principe universel? C'est une question qui habite notre pensée depuis des éons et nous ne parvenons toujours pas à trouver la bonne réponse. Regarde, Lew, tu dis que cette géode est belle. Peux-tu me dire pourquoi?"

Cette conversation ramena Lew longtemps en arrière, quand lui et Théokéno cheminaient au milieu des jardins suspendus d'Europe, la sixième lune jovienne. Au cours de ces promenades hebdomadaires, ils abordaient les sujets les plus variés, souvent anodins, parfois polémiques. L'émissaire des étoiles ne se départait jamais d'une patience bienveillante et d'un calme olympien qui avaient le don d'exaspérer Lew. Impulsif, il donnait alors des coups de botte dans le béton qui galbait les allées, pour libérer la frustration accumulée. Il était toujours le seul à s'énerver, ce qui rajoutait à son agacement.

Lew fronça les sourcils, sentant bien le piège sous les propos du Veilleur. Il y avait toujours un piège derrière leur banalité apparente. Qui plus est, Lew détestait la philosophie.

"Je ne sais trop quoi dire... il y a d'abord la pureté des lignes et des formes qui naît de la symétrie. Je trouve que ses proportions sont idéales tant elles sont harmonieuses. Et puis, malgré ses dimensions, elle dégage une telle impression de légèreté, comme si elle n'était qu'une construction de bulles de savon flottant au-dessus de la pierre et non une structure métallique en nid d'abeilles. Elle semble vraiment aérienne. Je n'ai aucune compétence en architecture, mais je ne crois pas que les hommes aient la capacité d'atteindre un tel degré de perfection. Ensuite, on a la sensation d'être propulsé vers l'espace, comme si cette salle était au sommet d'une incroyable montagne émergeant au-dessus de l’atmosphère de la planète. J'ai l'impression que si je donnais avec mon talon une toute petite impulsion, je filerais droit au coeur du cosmos..."

Lew s'interrompit et éclata de rire.

"Vous m'avez encore eu... Europe est bien loin d'ici, Théokéno, mais vous avez réussi à m'embobiner une nouvelle fois. Quel ramassis de lieux communs, n'est-ce pas? Mais peut-être que je ne pense qu'en termes de lieux communs! Les limites de mon intelligence sans doute. Je suis un militaire de formation, pas un de vos... comment les appeliez-vous déjà? Oui, un de vos esthéticiens pré-archaïques favoris!"

Théokéno sourit :

"Les péripatéticiens n'étaient qu'une poignée de promeneurs avisés qui devinrent à la fin qu'une bande de commentateurs autocentrés radotant une révélation de plus en plus floue. C'est comme si toi, en regardant l'éclat d'une nova, tu pensais l’événement contemporain. Dans le fatras poussiéreux de leurs thèses, inhérent à leur connaissance limitée de ce qui les entourait réellement, je ne retiens de ces doux rêveurs que l'intellect agent, cette supposée partie de votre âme qui serait d'essence divine et réellement éternelle. Non, nous deux n'étions que d'inoffensifs promeneurs cherchant à tuer le temps en devisant sur le tout et le rien pendant la construction d'un grand vaisseau par-delà le dôme européen. Pourtant vois-tu, cette géode qui te semble parfaite est bâtie sur un mensonge habilement camouflé. N'importe quel étudiant en géométrie t'affirmerait, sur la foi de la seule règle d'Euler, qu'il est impossible d'ériger une telle structure en utilisant uniquement des hexagones. Si tu cherchais bien, tu trouverais six pentagones placés aux sommets de l'icosaèdre initial. Et, pour finir de ruiner ton bel émerveillement, il y a une flétrissure bien visible qui altère la splendeur de la voûte étoilée, mais tu l'avais remarquée non?"

- Un défaut d'alimentation ou bien une synchronisation défaillante, je dirais? proposa Lew.

- Non, nos équipements ne connaissent aucun dysfonctionnement. Je ne vais pas te révéler tout de suite l'origine de cette flétrissure. Il y a tant de choses plus intéressantes à découvrir pour toi en ce moment et plus encore d’interrogations qui te brûlent les lèvres, je me trompe?"

Ces mots agirent comme une formule magique qui brisa le sortilège. Lew recouvra toute sa lucidité et les questions qui l'avaient assailli se bousculèrent à nouveau dans son esprit.

" La bataille a-t-elle eu lieu? L'Empire est-il sauf? Ma...famille...mes amis...ma planète...? Les mots se bousculaient dans la bouche de Lew. Qui a désactivé mon vaisseau ? Et pourquoi ? Est-ce que je pourrai un jour repartir d’ici ? Si vous êtes-là, avez-vous une part de responsabilité dans ce qui m’arrive ?

Théokéno resta impassible mais le long bâton oscilla dans sa main. Cela n'échappa pas à Lew qui sentit son coeur cesser de battre. L'air lui manqua. Même s'il avait cru se préparer à cette éventualité durant les phases de veille de son interminable périple, il comprit que ses efforts n'avaient servi à rien.

L'émissaire céleste fronça les sourcils et inspira longuement. Son regard se porta au-dessus de l'épaule de Lew comme s'il s'attendait à recevoir l'aide opportune de la Providence.

« Il n’y a rien que je puisse dire qui infirmera ou confirmera tes craintes, mon jeune ami ! Sur cette planète, nous sommes simplement retranchés du cours du temps et des événements. La bataille, ah oui, la bataille que nous vous avions annoncée, les préparatifs, l’appel aux armes et les drapeaux levés sur le front des légions. Oui, je me rappelle la ferveur qui animait les interminables rangs de guerriers descendant les avenues bondées de patriotes. Oui, je revois les visages en feu des tribuns qui se succédaient sur les estrades, face caméra, et qui haranguaient les foules traversées de mouvements organiques. Est-ce de cela dont tu veux que je te parle ? Ont-ils agi avec honneur et vaillance quand les Mange-Mondes ont déferlé sur leurs positions le long de la ceinture d’Orion ? Les glorieuses escadres terriennes ont-elles repoussé les assauts de ceux que rien n’arrête ? L’homme a-t-il terrassé l’animal ? Les Anges ont-ils eu raison des Démons ? Le Bien a-t-il vaincu le Mal ? Ou est-ce que la digue s’est rompue, débordée, fracassée par le flot tumultueux? Les lumières se sont-elles éteintes au fur et à mesure que les ténèbres recouvraient l’Empire ? Je ne peux répondre à ces questions, mon jeune ami, même si j’en connaissais les réponses. En fait, il n’y a qu’une unique réponse.. que je ne peux te dévoiler. Toi, et toi seul, détiens la clé de cette énigme. Je ne suis qu’un messager et tout messager a un maître auquel il doit rendre compte. Alors, au nom de la proximité que nous partageâmes, là-bas, près de Jupiter, durant un trop court instant, je te supplie d’écouter mon conseil. Je ne le répéterai pas. Tu vas devoir emprunter un chemin étroit et escarpé. Un faux pas et tout ce qui a été bâti s’écroulera encore et encore. Je ne parle pas de ton Empire. Je ne parle pas de ton foyer ou de tes amis. Je ne parle pas de l’immortalité de ton âme. Je ne te parle même pas du Bien ou du Mal. Ces notions appartiennent aux philosophes et aux fous. Je suis un modeste messager qui obéit à un dessein qui nous dépasse tous, qui existait déjà lorsque ton lointain ancêtre a appliqué un doigt maculé sur la voûte de la caverne pour y dessiner des formes familières. Il existait déjà bien avant que ton soleil ne commence à briller et que ses planètes n’entament leur ballet autour de lui. Il y a une loi plus ancienne, plus sombre, plus terrible, née à l’instant même du commencement. Elle assujettit chaque atome de l’Univers. C’est contre elle que nous luttons depuis des éternités. Sache bien que je ne suis ni juge ni bourreau. Moi et les miens, nous avançons et en cela déjà nous contrevenons à son commandement. Aussi je te souhaite bonne chance, mon jeune ami! »

Lew sursauta quand, dans un éclair de lumière, Théokéno s’évanouit dans l’air, laissant derrière lui flotter d'ultimes paroles :

« Souviens-toi de nos conversations et tu trouveras le chemin qui te délivrera de tes doutes. N’oublie pas ! »

Lew s’interrogeait encore sur la signification de cet avertissement quand tout ce qui l’entourait se mit soudain à tanguer. Il fut happé par un maelström surgi du néant.

X X X


Xael'ling rabattit les élytres sur ses ailes moirées et translucides. Ses yeux à facettes renvoyaient mille reflets identiques des parois de roche brute qui s'élevaient à la verticale de part et d'autre. Elles formaient un étroit canyon dans lequel la Kaeliferane s'était engagée. Elle n'arrêtait pas de trembler, cherchant en vain le réconfort de l'essaim qui lui manquait. Ses mandibules barbelées s'agitaient sous un labre argenté tandis que ses antennes aristées frémissaient en tous sens, en quête d'informations. Ses mémoires immédiates étaient encore surchargées des toutes dernières séquences du vol qui l’avait amenée là. A la sortie d’un saut routinier, ses instruments de bord n’avaient pu identifier les constellations qui peuplaient l’espace autour du chasseur foudre.

En revanche, ils eurent à peine le temps de calculer une trajectoire d’évitement pour échapper à un danger bien plus grand qui était tapi non loin. Mais à la vitesse où évoluait le fringuant chasseur de Xael’ling, la correction de vol avait causé des dommages critiques à l'appareil, entraînant un atterrissage catastrophique. Les flammes avaient contraint Xael'ling à fuir et l'explosion des réservoirs avait ruiné ses espoirs de récupérer quoi que ce soit d'utile. Un paysage désolé l'entourait à perte de vue et cette vision l'avait plongée dans le désarroi. Elle était seule et vulnérable sur une planète étrangère. Les évents de son système respiratoire, munis de filtres cellulaires hautement capacitifs, lui assuraient néanmoins sa survie. Cette caractéristique génétique avait permis à la civilisation kaeliferane de se lancer à la conquête des étoiles quand les ressources naturelles de son monde originel avaient été totalement épuisées.

Mais elle avait vu le monstre qui occultait la lumière, là-haut dans l'espace. Elle se savait condamnée, comme cette maudite planète et tout ce qu’elle contenait. L’horizon était trop proche.

Xael’ling était loin de l’essaim. Elle ne percevait aucun contact. Le désert était rempli de bruits étranges qui désorientaient ses délicats organes sensoriels. Elle tentait de se protéger de la chaleur en cheminant à l’ombre du rocher. Elle se vit si pitoyable qu’elle en suffoqua de dépit. Ses antennes, la fierté de sa caste, se dressèrent vivement, en signe de défi. N’était-elle pas née dans les champs consacrés aux guerrières ? N’était-elle pas née pour protéger l’Essaim, durant son éternelle migration, de tous les dangers qui en menaçait l’intégrité ? Décorée des plus prestigieuses distinctions, n’était-elle pas la fierté de tous les Kaeliferans ?

Quand elle déboucha du canyon, les dunes succédaient toujours aux dunes. Elle sentit sa toute fraîche résolution se lézarder. A l’aide de ses fragiles et précieux appendices sensoriels, elle sonda les champs d’énergie qui crépitaient devant elle, vagues fluctuantes que son système cognitif décodait en informations compréhensibles mais désespérantes. Elle commençait de se décourager quand une légère oscillation au loin attira son attention. La perturbation était manifestement artificielle.

Au point où elle en était, la notion d’ami ou d’ennemi n’était plus un paramètre significatif. Elle ne voulait pas mourir sur ce sable. Elle ne voulait pas être grignotée petit à petit par les invisibles créatures qui y fourmillaient sûrement. Elle évalua la distance qui la séparait du foyer d'activité qu'elle avait repéré. Cela serait long. Long et pénible. Aussi attendit-elle la nuit, s’accordant un répit réparateur. Elle régurgita une boulette alimentaire de son deuxième estomac et se mit à mastiquer la matière molle pour recouvrer quelque force. Elle suivit le soleil étranger de ses yeux composés où chacune des dix mille ommatidies réfléchissait la course de l'astre diurne descendant lentement du ciel.

Quand le crépuscule recouvrit le désert, la famélique lumière des étoiles naissantes fut incapable d’illuminer le ciel vespéral bien qu’aucune lune ne se fut levée au-dessus de l’horizon. Tout en remarquant que son éclat terni bavait vers la région orientale de la voûte céleste, Xael’ling entreprit son voyage vers l'oscillation perçue dans ses champs sensibles. De sombres pensées ne la quittaient pas. La fin de toutes choses semblait la seule promesse du futur. Devant elle, les dunes moutonnaient comme un océan de vagues figées, baignées par la lumière fantomatique qui échappait encore à l'insatiable voracité du monstre galactique. Xael'ling était une guerrière de la caste la plus élevée et le défaitisme ne faisait pas partie de son patrimoine génétique.

Toute la nuit, elle lutta contre une nature qu'elle ne comprenait pas, pour avancer sans trop dévier de sa trajectoire. Dix fois, cent fois, elle roula au bas d'une dune, déséquilibrée par de traîtres mouvements du sable que ne purent contrôler ses pattes réticulées, inadaptées à ce terrain mouvant. Dix fois, cent fois, elle se releva, recouverte de cette poussière cristalline qui s'immisçait sous les plaques de sa carapace, provoquant d'horribles démangeaisons. Elle mettait un temps infini à extirper jusqu'au dernier grain avant de poursuivre sa route. Ses bulbes d'écholocalisation, qui glanaient en temps réel des informations précises sur ce qui l'entourait, lui fournissaient des bilans inquiétants. Son but demeurait éloigné. Elle avait consommé beaucoup d'énergie pour un résultat décevant.

Quand l'aube frissonna sur l'horizon, elle sut qu'elle aurait à payer le prix du temps perdu. Elle était au beau milieu d'un immense désert où la température allait vite devenir insupportable. Il n'y avait autour d'elle aucun endroit suffisamment proche où elle aurait pu s'abriter de la chaleur intense qui s'annonçait. Comme ses pattes locomotrices ne tiendraient pas longtemps sur le sable brûlant, elle se résolut de déployer son système alaire, bien que son éducation et sa formation kaeliferanes aient profondément ancré en elle la négation de cette aptitude atavique. Comme toutes les guerrières, elle avait subi des opérations chirurgicales destinées à styliser ces appendices. Les élytres, plus rigides, avaient été finement sculptés et des motifs claniques et d'obédience y avaient été tatoués. Les ailes proprement dites, teintées et très amincies, étaient utilisées, tels des étendards, à l'occasion des grandes cérémonies martiales ponctuant une victoire conquise de haute lutte. Elles jouaient aussi un rôle plus intime lors des parades nuptiales, ce qui avait fini de les reléguer au rang d'attributs purement esthétiques. Aussi son autonomie de vol serait plus que symbolique et elle devrait encore puiser dans ses forces qui n'avaient pas eu le temps de se reconstituer.

Elle s'éleva au-dessus du sable, éprouvant une gêne passagère. Pour autant, la capacité de portance de ses ailes la surprit. Elle remercia la densité de l'atmosphère de la planète. Xael'ling orienta l'inclinaison des élytres et son vol stationnaire se mua en accélération progressive vers l'avant. Les dunes se mirent à défiler sous elle. Xael'ling n'aurait jamais imaginé pouvoir voler si vite. Instinctivement, elle se servit de son corps pour ajuster ses trajectoires et de ses élytres pour maintenir la stabilité de son assiette. Elle avalait la distance si facilement qu'elle sentit fondre la patine de sophistication que des siècles de civilisation kaeliferane avaient modelée sur elle. Elle découvrit des sensations dont elle ignorait l'existence et qui remontaient à des âges où son peuple essaimait au gré des saisons sur sa planète originelle. Elle s'autorisa, euphorique, quelques figures de voltige qu'elle effectuait aux commandes de son chasseur foudre. A présent, sur cette planète inconnue perdue au diable vauvert, ces acrobaties aériennes, réalisées sans la moindre technologie, la transportèrent jusqu'au seuil de l'ivresse et abaissèrent son niveau de vigilance.

Se croyant invulnérable, elle décida de grimper tout en haut du firmament pour apercevoir l'espace libre où, quelque part dans les profondeurs, les flottes de l'Essaim poursuivaient leur périple au milieu des étoiles.

Xael'ling débuta son vol ascensionnel. Bientôt les dunes formèrent en-dessous un motif géométrique qui répétait à l'infini les mêmes signes cursifs. Elle fut envahie par un étrange sentiment où se mêlaient liberté et légèreté tandis que l'horizon s'échappait dans toutes les directions au fur et à mesure qu'elle prenait de l'altitude. Envolées ses pensées mortifères, oubliées ses conditions précaires, elle avait l'impression de rentrer chez elle. Ses ailes translucides battaient à l'unisson et l'air s'écoulait autour d'elle comme une caresse fluide et rafraîchissante. Sous elle, la ligne d'horizon, bordée d'azur, s'arrondissait lentement.

Dans le vertige de ses émotions, Xael'ling ne prêta pas d'attention aux premières alertes que lui adressèrent les centres neuronaux logés dans ses métamères. Elle ne tint aucun compte des premières manifestations de la fatigue. Les terminaisons préhensiles de ses pattes antérieures s'engourdirent légèrement mais elle s'obstina à s'élever encore, obnubilée par le désir irraisonné de contempler la splendeur de l'espace, au-delà de la plus haute couche atmosphérique.

Il lui semblait, dans la désorientation sensorielle qui s'était emparée d'elle, que cette ultime frontière n'était plus vraiment très éloignée. L'air ne se raréfiait-il pas? Le bleu du ciel ne devenait-il pas plus sombre ? Elle se persuada que quelques battements d'ailes supplémentaires l’affranchiraient de la gravité qui la clouait sur cette planète. Il lui importait peu de ne pouvoir survivre dans le vide spatial. Le syncrétisme Kshat-Herjar, très en vogue dans les castes guerrières kaeliferanes, ne considérait-il pas l'espace comme le foyer calme et silencieux qui accueille le guerrier honorable de retour d’un trop long voyage?

Xael'ling refusa d'admettre qu'elle s'épuisait trop rapidement tandis que le soleil dardait plus violemment ses rayons. La belle cadence de ses ailes s'enraya. Leurs battements souffrirent d’une désynchronisation de plus en plus prononcée. La vitesse ascensionnelle ralentit jusqu'à ce que la Kaeliferane eut la sensation de lutter en vain contre un plafond invisible. Recouvrant une partie de sa lucidité, elle mesura avec horreur combien l’espace libre demeurait inaccessible. Il était trop tard. Ses dernières forces l'abandonnèrent. Ses ailes tétanisées se replièrent vaincues sous les élytres.

Alors, la gravité reprit ses droits. Se renversant en arrière, la Kaeliferane bascula du haut du ciel. Son esprit à la dérive, Xael'ling hésita entre le renoncement et la révolte. Loin de l'Essaim, échouée sur un monde voué à disparaître, elle pouvait abréger une histoire qui ne menait nulle part. Elle commençait de réciter intérieurement les mantras du Kshat-Herjar destinés à préparer son esprit au Grand Voyage quand une voix familière interféra dans la litanie apaisante des versets consacrés. D'emblée elle la reconnut à son timbre, à son rythme et à ses intonations. Tel un signal sonore amplifié progressivement, la voix recouvrit bientôt les mantras rituels et Xael'ling entendit le conseil prodigué par Schistros, l’un des Guides qui conduisaient l’Essaim dans sa longue marche entre les étoiles.

« N'abandonne pas, il n’est pas temps. Ne renonce pas, ton destin n’est pas encore accompli.»

La musique atonale qui sous-tendait ces mots, bien plus que leur signification littérale, pénétra sans effort les couches stratifiées de la conscience de la Kaeliferane en perdition. Elle provoqua une réaction en chaîne d’impulsions qui fulgurèrent le long de ses faisceaux neuronaux coaxiaux. Des routines enfouies dans les spirales de son code génétique se réveillèrent sous leur induction, saturant les ganglions cérébraux d’ordres impérieux. Ceux-ci libérèrent à leur tour des enzymes particulières qui précipitèrent un changement de phase quasi-instantané chez Xael’ling. Une cartographie inédite se déploya dans ses cortex longitudinaux, sièges de la personnalité profonde et des instincts primaires des kaeliferans. Ses schémas comportementaux furent réinitialisés tandis que des micro-mutations remodelaient ses formes externes.

Le polyphénisme phasaire influait directement sur le comportement, la morphologie et les aptitudes des kaeliferans. Il leur permettait de faire face à toutes les situations pouvant être rencontrées au cours de leur périple. Schistros et les siens détenaient des savoirs mystérieux en cette science touchant à la programmation biologique au stade infra-moléculaire. Ils étaient indispensables à l’Essaim et à ses dirigeants pour déterminer les routes les plus sûres et les régions les plus nourricières. En perpétuel mouvement, les flottes kaeliferanes étaient innombrables et leur volume global augmentait de façon exponentielle au fur et à mesure de leur progression. L’Essaim moissonnait des quantités toujours plus considérables de nutriments essentiels à son insatiable appétit. Incapable de freiner sa course sous peine de famine, il était devenu au fil du temps une nuée boulimique qui s’étendait sur des parsecs à la ronde. Quand il émergeait du grand vacuum, il enveloppait les centres galactiques jusqu’à obscurcir la clarté des myriades d’étoiles les composant. Aucune force ne lui résistait.

N’importe quel Kaeliferan aurait été stupéfait d’assister au changement de phase que subissait Xael’ling. Trop rapide et trop altératif, il ne correspondait à aucune typologie recensée dans l’Essaim.

De façon presque instantanée, les pattes intermédiaires se soudèrent aux élytres pour former une ossature articulée sur laquelle s’attachèrent les ailes membraneuses de la Kaeliferane. Celles-ci se recouvrirent aussitôt d’un système tégumentaire sur lequel fleurirent de longues plumes assemblées en couches superposées. D’autres modifications morphologiques adoucirent les lignes trop anguleuses des tagmes de la Kaeliferane. Le sol tournoyait encore très loin sous elle quand le changement de phase fut parachevé. La matière superflue résultant de ces transformations fut convertie en énergie qui irrigua ses nouveaux muscles. Sentant une partie de ses forces revenir, Xael’ling déploya ses ailes toutes neuves pour freiner autant que possible sa chute vertigineuse.

Le vent l’étourdissait et elle ressentait avec acuité la pression qu’il exerçait sur ses nouveaux membres. Les changements qui s’étaient opérés en elle ne l’étonnaient pas. Chaque phase embarquait ses propres schémas comportementaux qui effaçaient les précédents. Xael’ling, à cet instant, se sentait toujours et absolument kaeliferane. L’enveloppe extérieure n’était qu’une forme d’adaptation à un environnement étranger. Coupée de l’Essaim et des siens, elle ne pouvait se rendre compte que sa nouvelle apparence aurait été jugée au mieux hérétique, au pire abominable, par n’importe quel Kaeliferan. De toute façon, Xael’ling était trop affaiblie pour s’attarder sur cet aspect philosophique. Elle luttait contre des vents malicieux qui se jouaient d’elle en s’engouffrant entre ses rémiges qu’elle contrôlait à peine. La chute se mua en une longue suite de glissades qui ramenèrent la Kaeliferane à la lisière du désert, là où les vestiges d’une très ancienne chaîne montagneuse hérissaient la plaine de contreforts solitaires.

La vitesse était encore trop grande quand Xael’ling reprit contact avec la terre ferme. Ses pattes postérieures tentèrent bien d’absorber l’énergie cinétique mais en vain. Déséquilibrée, elle fut projetée en avant sur un éboulis de rochers accumulés au pied d’une paroi rocheuse. Sous la violence du choc, une articulation craqua sèchement et l’une de ses ailes se tordit en formant un angle anormal. La douleur fut si forte que la Kaeliferane perdit connaissance.

X X X


Quand elle revint à elle, Schistros marchait auprès d'elle. Elle avait reconnu sa silhouette anguleuse et sautillante, haute et imposante, et la stupéfiante teinte verdâtre de sa carapace. Toutes ces caractéristiques l'écartaient définitivement de la race kaeliferane. C'était un Mantis, un conducteur de l'Essaim, versé dans les arts divinatoires et les mystères qui présidaient aux mutations phasaires. C'était aussi son ami, une marque rare et enviée qui avait conféré à Xael'ling un certain prestige et lui avait permis d'accéder à des niveaux élevés dans la structure hiérarchisée des castes et maisons de la société kaeliferane. Il l'avait suivie durant toute sa formation et lui avait sans relâche prodigué maints conseils qui s'étaient toujours révélés judicieux.

Son esprit était encore en proie à la confusion et la douleur sourdait toujours de son aile droite. Aussi Xael'ling ne s'étonna pas de le voir cheminer à son côté. Elle se contentait de savourer la fraîcheur procurée par une ombre bienfaisante qui repoussait la chaleur écrasante du soleil carnassier. Il lui semblait qu'elle flottait sans effort au-dessus du sol au milieu d'un paysage où les dunes avaient cédé la place à un tapis végétal luxuriant. Ses multiples capteurs sensoriels percevaient la présence d'une vie abondante. Cela réveilla en elle des routines familières qui remontèrent le long de ses complexes neuronaux, déclenchant des processus ataviques. Même éloignée de l'Essaim par des distances incommensurables, la réaction de son organisme tout entier ne se fit pas attendre. Xael'ling commença à trembler. Elle devait assouvir ce besoin.

Elle se força pourtant à réfréner cette pulsion primale qui essayait de prendre le contrôle. Plus loin, parmi les arbres qui bordaient la périphérie de son champ de vision, elle devina des structures masquées dont la géométrie ne devait rien à la nature. Il y en avait de toutes les dimensions et de toutes les formes. Cela n'éveilla rien en elle.

« Te rappelles-tu, Xael'ling... »

Schistros s'adressait à elle. Elle tourna les regards vers lui. Elle était de retour sur Na'Ymbrang, le grand vaisseau amiral de la Flotte des Sept Soleils qui abritait l'escadron de chasse où elle était affectée. De la large baie d'observation, ouverte après le saut dimensionnel, elle pouvait contempler une partie de l'armada kaeliferane fonçant à travers l'espace profond pour atteindre l'objectif défini par le Conseil des Mantis : un groupe de systèmes solaires regorgeant des ressources organiques et métallurgiques que recherchait constamment l'Essaim.

«... l'histoire que je t'avais contée quand tu étais encore une jeune étourdie batifolant dans les parcs collectifs ?
- Tu m'en as raconté tant que j'ai du mal à m'en rappeler une en particulier !
- C'est vrai, mais celle dont je te parle est spéciale. Elle t'a poussée à entreprendre la formation de pilote. Tu te souviens maintenant ?
- Bien sûr, reprit de volée Xael'ling. C'est l'histoire du petit photon qui rêvait de courir plus vite que tous ses frères. C'est bien celle-là, n'est-ce pas ?
- Oui, confirma Schistros. Il a couru longtemps. Il a fait deux fois le tour de l'univers et chaque fois qu'il se tournait sur sa droite ou sur sa gauche, ses mêmes frères et soeurs étaient toujours à sa hauteur. Il ne parvenait pas à les distancer et devant son désappointement, ils finirent tous par se moquer de lui. Qu'a-t-il fait alors ?
- Il a voulu ralentir mais ça n'a pas marché non plus. Cela le rendit malheureux. Il comprit alors qu'il courait à la même vitesse que tous les autres de son espèce et que, malgré ses efforts, rien ne pourrait jamais dépasser d'un iota cette vitesse. Leur course était aveugle et ne menait nulle part mais ils couraient quand même. Ils continueraient ainsi jusqu'à ce que la dernière oscillation du vide ait vibré quelque part dans l'univers revenu à son point de départ. Jusque là, rien ne changerait dans leur course.
- C'est exactement ça, poursuivit Schistros. Mais le petit photon était décidé à changer de point de vue. A tracer son propre sillon quitte à renier sa nature profonde. Alors qu'a-t-il fait ?
- Il a fait en sorte de changer de direction puisqu'il ne pouvait changer de vitesse. Il n'a pas écouté les avertissements que lui adressèrent pour son bien ses frères et ses soeurs, à sa droite et à sa gauche, quand il leur confia son projet. Une mort horrible et solitaire l'attendait au bout du chemin sur lequel il voulait s'engager. Une prison sans lumière et éternelle. Il ne les a pas écoutés. Il a infléchi sa trajectoire afin qu'elle le mène tout droit vers le seul endroit de l'Univers où il espérait que, peut-être, d'autres lois s'appliquaient. Quand il a franchi la dernière limite, plus aucun de ses frères ne l'a jamais revu. Il disparu en entrant dans une sphère parfaite à la noirceur absolue qui ne relâche jamais ce qui pénètre son domaine. Ses soeurs ont pleuré un temps sa disparition mais nul n'a jamais su ce que le petit photon rebelle a trouvé de l'autre côté de l'horizon. Moi, ce qui m'avait fascinée dans cette histoire, c'est la vitesse, la sensation de vitesse ahurissante...
- Dis-moi, Xael'ling, la vitesse est-elle pour toi synonyme de liberté ?
- Je ne sais pas, avoua-t-elle. La liberté est une notion floue pour les Kaeliferans, malgré toutes tes explications. C'est l'Essaim qui compte. C'est lui qui justifie ce pourquoi nous existons et qui légitime ce que nous faisons. Il apporte sécurité et prospérité.
- Tu as raison, dit Schistros. Regarde le photon. Rien dans l'univers n'est plus rapide que lui et pourtant est-il libre ? Apparemment non. De bien des manières, il est prisonnier du paradigme dans lequel il évolue. La vitesse n'a rien à voir avec la morale de l'histoire. Te souviens-tu de ta réflexion sur le destin de ce petit photon ?
- Euh... Xael'ling fouilla ses ganglions mémoriels secondaires où étaient archivés ses souvenirs les plus anciens. Oui, j'en ai gardé la trace. Le petit photon a eu raison de quitter les siens et d'essayer de trouver un moyen de recommencer ailleurs et différemment. J'ai dit aussi qu'à sa place, j'aurais fait comme lui.
- Exactement. Avec des mots simples, tu avais dit ce que je voulais entendre. Toi seule, parmi tous les autres Kaeliferans à qui j'avais raconté cette histoire, tu avais eu un point de vue différent. Les Kaeliferans ont une tradition grégaire poussée à son paroxysme, une conscience quasi-collective qui les fait agir comme un seul organisme. Alors que tous tes camarades avaient condamné l'action individuelle du photon, tu l'as reprise à ton compte. Quand une situation apparaît sans issue, il faut savoir repartir de zéro. Vous êtes peu nombreux, dans l'Essaim, à posséder cette tournure d'esprit, quelques uns dans une multitude.
- Je suis loyale à l'Essaim et comme tous, j'oeuvre toujours dans l'intérêt collectif, se défendit Xael'ling. Chaque Kaeliferan doit protéger les plus vulnérables et défendre les valeurs de l'Essaim.
- Combien de batailles as-tu livrées, demanda Schistros, depuis que tu fais partie des forces de protection de l'Essaim ?
- Une bonne centaine, je crois, répondit Xael'ling.
- Dans quel but les as-tu livrées ?
- Pour atteindre l'objectif. L'espace est rempli de menaces et de dangers. C'est vous, les Mantis, qui nous le répétez sans cesse. Nous ne sommes pas bellicistes mais l'Essaim ne doit pas être immobilisé. Sa survie en dépend.
- Que voilà une séduisante façon de présenter d'horribles choses, s'amusa Schistros. Il tambourinait sur l'épaisse paroi transparente de la baie. Vois-tu ces immenses barges, de l'autre côté ? Elles forment une procession interminable, n'est-ce pas ? Dans leurs flancs, des milliards de Kaeliferans vaquent à leurs occupations. Des milliards s'ajoutent aux milliards et le nombre de ces barges, capables chacune d'engloutir une petite lune, croît régulièrement. Sais-tu combien de temps faudra-t-il encore pour atteindre le point critique ?
- Tu cites le Kshat-Herjar à présent ? s'exclama Xael'ling. Je connais ce passage. L'Essaim y est comparé à une étoile. Selon le Texte, c'est le point d'expansion maximale au-delà duquel l'Essaim s'effondrera sous son propre poids, comme le ferait une étoile agonisante. Ce n'est qu'une allégorie. Cela voudrait dire que la taille de l'Essaim coïnciderait avec celle de l'Univers.
- Tu esquives la réponse, constata Schistros. Je vais te poser le même problème mais en utilisant un autre champ lexical. C'est conforme à toute démarche scientifique. Utiliser un autre paradigme ayant ses propres lois permet souvent de franchir aisément un obstacle qu'on croyait infranchissable dans le domaine initial. D'après toi, où mène la Migration ? "

Le ciel indigo était revenu à sa place au-dessus de Xael'ling. Elle ne s'en émut pas. Schistros se penchait vers elle, ses longues antennes oscillant en cadence, s'appuyant sur ses pattes ravisseuses garnies de leurs poignards acérés. Sur le champ de bataille, comme dans le flot animé des coursives, les Mantis affectionnaient les postures contemplatives. Seule la fulgurante détente de leurs pattes antérieures, qui clouaient infailliblement leur victime expiatoire, rappelait à tous que la bête n'est jamais loin du divin. L'Ordo Praedatio était l'ordre duquel se revendiquaient les Mantis. L'ordre des Prédateurs. Schistros attendait sa réponse :

" L'important n'est pas le but, mais le chemin, récita pieusement Xael'ling.
- A ton tour de me citer le Kshat-Herjar. C'est là ta seule réponse ? Elle me paraît bien courte, s'étonna Schistros.
- Le Texte renferme toutes les vérités, protesta Xael'ling. Même les Mantis respectent le Texte.
- Ce qui a été écrit peut être réécrit, argumenta Schistros. N'as-tu jamais remis en question les dogmes officiels? Quand tu ouvres le feu sur les ennemis qui barrent le chemin, quand tu assistes aux Moissons, ne t'es-tu jamais posée de questions?
- A propos de quoi?
- Des causes et des conséquences, par exemple?
- La cause est la Migration et ses conséquences, eh bien, nous y faisons face vaille que vaille. Nous devons assurer notre survie collective. Le voyage brûle nos ressources, nous obligeant à les reconstituer régulièrement.
- Au prix du pillage et de la dévastation? insinua Schistros. Au prix de l'extinction de civilisations entières?
- Tu blasphèmes, toi, un Gardien de la Foi? s'insurgea Xael'ling. Tu remets en doute la légitimité de notre course, la légitimité de l'Essaim? Nous semons la mort sur notre passage? Sans doute. Nous affrontons des Xénos, certes, mais que sont-ils à nos yeux? Que représentent-ils? Je ne suis pas suffisamment cultivée pour répondre à ces questions. J'obéis aux préceptes du Kshat-Herjar et chacune de mes actions est dictée par le besoin collectif. Nous voyageons, nous nous multiplions, nous prélevons au passage ce dont nous avons besoin pour poursuivre la course et qu'advienne la promesse ultime du Kshat-Herjar. Telles sont mes certitudes.
- N'as-tu jamais eu l'impression, même la plus infime, que tu pouvais être instrumentalisée? Que la Migration, la Route et même le Kshat-Herjar n'étaient qu'une immense supercherie, une machiavélique mascarade? Que sous les apparences, il y avait une abominable vérité?"

Xael'ling ne répondit pas. Les dernières paroles de Schistros avait éveillé en elle un souvenir dérangeant qui émergeait lentement d'un réservoir mémoriel profond. Elle lutta pour l'empêcher de se déployer. Elle ne pouvait admettre qu'il était sien sans même en comprendre toute la portée. Mais cette réminiscence était intégrée dans la nouvelle cartographie émotionnelle induite par sa récente mutation phasaire. Elle se sentit gênée quand une perspective inédite s'ouvrit devant elle, jalonnée par les dizaines de confrontations auxquelles elle avait participé. Des soleils avaient brûlé, des mondes avaient été ensevelis sous le poids des myriades de Kaeliferans qui s'étaient abattues sur eux, submergeant les défenses et ravageant leurs richesses, celles dont l'Essaim avait besoin, vitalement besoin. Elle se revit aussi dans son chasseur foudre, pourchassant sans relâche ni pitié des vaisseaux aux formes diverses. Elle avait étrillé leurs écrans de protection jusqu'à ce qu'ils explosent sans bruit dans le vide spatial. Elle avait exulté et ses cris d'allégresse s'étaient mêlés aux milliards d'autres, saturant le réseau de communication. Elle revit alors les Mantis exhorter les légions qui attendaient dans le flanc des barges de débarquement. Elle entendit à nouveau leurs sermons sur la nécessité et l'obligation, la course et l'Essaim. Une pensée lui vint qu'elle ne put bâillonner. Les Mantis avaient fait d'eux des fanatiques qu'ils avaient lâchés sur des systèmes solaires entiers.

"Pourquoi?" ne put-elle retenir quand les images se tarirent enfin, la laissant nauséeuse.

M

Ce message a été lu 6859 fois
Asterion  Ecrire à Asterion

2017-03-19 10:28:40 

 Commentaire Maedhros, exercice n°151Détails
Je ne saurais dire si le thème est respecté, je me suis laissé (trans)porter par la lecture, les yeux rivés à l'écran. Il faut dire que tu nous en mets plein les mirettes...

Le passage qui m'a le plus marqué est celui qui a trait à Xael'ling, où tu déploies, je trouve, beaucoup de virtuosité. Comment faire passer l'altérité, sans trop céder à l'anthropomorphisme, mais sans perdre pour autant le lecteur et le détacher du personnage? Ce n'est jamais un exercice facile, et j'aime assez la façon dont tu t'en sors ici.

Loin du simple "techno-babble" que nous assène parfois la science fiction, le vocabulaire pseudo-scientifique inhérent à ce type d'exercice est ici distillé avec parcimonie, voire même poésie. J'aime assez, par exemple, ces "mutations phasaires", qui conservent une part de mystère et donnent à imaginer plus que ce que l'on voit à l’oeuvre dans le cas présenté ; ou encore ce "réservoir mémoriel" à la fois sien et étranger, et ces nouveaux "schémas comportementaux" qui se déploient et s'imposent tandis qu'elle se transforme.

Bien que créatures fondamentalement terriennes, et contraintes par leur corporéité, l'on parvient à ressentir avec Xael'ling les impressions du vol, les modifications corporelles, ses changements même d'identité alors qu'elle se modifie, son attitude qui évolue.

Exercice difficile, aussi, sur la longueur: j'ai plus que hâte de voir jusqu'où tu peux le conduire de cette façon, sans en faire un personnage trop humain...

Une coquille:
"Les dernières paroles de Schistros avait éveillé en elle un souvenir" = avaient.

Ce message a été lu 6206 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2017-04-16 20:15:16 

 Naissance par le siègeDétails
Deux faces de la même médaille. Deux versions de la même histoire. Deux bras de la même rivière. Deux exercices pour une même narration. Excellente idée! Le conte et l'envers du décor. Les deux parties liées par une introduction qui les met en perspective, sans trahir vraiment l'une ou l'autre. Re-bonne idée.

Tu as donc campé l'histoire dans le décor de ton univers médiéval familier en y intriquant en plus l'apparition récurrente du poète Keldre que nous croiserons ailleurs et encore.

L'intrigue en tant que telle est d'une simplicité abstraite. Comment éviter le sac de la Cité? On dirait une scène de la guerre de Troie où les troyens se croient à l'abri derrière les murailles érigées par Poséidon et les grecs amènent avec eux la fureur des dieux ligués. Mais Hélène n'est pas descendue parler à Ménélas. Tandis que la Princesse va tenter d'amadouer l'homme de guerre. Et les talents de l'une vont terrasser les certitudes de l'autre. La guerre n'aura pas lieu. De cette étrange rencontre vont croître des fruits prodigieux et le feu qui n'a pas consumé la Cité va se répandre d'une toute autre façon. La légende travestit dans de beaux atours les côtés prosaïques de l'Histoire. Deux versions, la Dame Renarde ou une Princesse prête au sacrifice ultime? On ne bâtit pas une dynastie à partir de la poussière d'une tente de soudard. C'est la chanson qui fera l'Histoire et Corphen le troubadour Bouffon a des airs qui rappellent un peu un autre naute, Dongann!

Le style est fluide et les images sont belles. Tu tiens ton univers et on sent que tu t'y plais. J'ai bien aimé la parité que tu installes dans tous les corps institutionnels. On ne peut pas dire que ta société est misogyne. Tu as beaucoup mieux respecté la consigne que moi, mais Narwa l'a déjà souligné. Je n'y reviens donc pas.

Ton histoire m'a rappelé un très vieux disque " The Geese and the Ghost", dont les sillons dégageaient ces mêmes ambiances.

Well done.

M

Ce message a été lu 5978 fois
Maedhros  Ecrire à Maedhros

2017-04-17 19:35:01 

 Serial couleursDétails
En fait, dans cette seconde version de l'histoire, tu montres mille et un détails qui racontent la structuration psychologique des deux protagonistes.

D'un côté, l'univers de la thérapeute est décrit minutieusement et c'est comme si elle avait voulu bâtir une espèce de cocon protecteur, tout en couleurs douces et apaisantes et avec des photographies qui ouvrent des petites fenêtres vers des philosophies orientales prônant la sérénité et l'innocence. Tout le contraire des tumultes, j'imagine, qui peuvent sourdre des cabinets des psys.

D'un autre côté, le patient est tout en brisures et en refus et son accoutrement et chacun de ses gestes parlent pour lui, parlent de lui. C'est un être minéral qui mure tout derrière la pierre qui le constitue.

In fine, c'est donc un énorme bloc de pierre, lourd et immobile, auquel va s'atteler la jeune praticienne . Tout ce que j'ai pensé à la fin de la lecture, c'est que cela n'était pas gagné.

Grâce aux détails abondants, tu parviens à montrer plus qu'à raconter quitte à peut-être trop en mettre. L'exercice était ardu et tu ne t'en tires pas mal.

Au rayon des bricoles :

- dans les tons de vert tendre, framboise et gris : dans les tons vert tendre, framboise et gris (plutôt)
- et je propose qu’on se voie initialement : c'est très technique, non?
- (...), et si, et ce que vous souhaitez (...) au quotidien, et ensemble on essaiera... : je n'arrive pas à comprendre le sens de "et si", sauf si elle bredouille vraiment?
- râclement : raclement

M

Ce message a été lu 6307 fois
Narwa Roquen  Ecrire à Narwa Roquen

2017-05-01 22:29:46 

 Commentaire Elemmirë, exercice n° 151Détails
Voilà ce qui arrive quand on se cherche les emmerdements: on les trouve!
Montrer, soit écrire des choses qui se voient ou qui s'entendent. Facile dans les scènes d'action ou les dialogues expressifs.
Montrer les sentiments ambigus ( inquiétude, timidité, frustration) d'un phobique social ( peu à l'aise dans l'expression orale) face à une spécialiste de l'âme (invisible: rien à montrer!) et qui plus est débutante... Le seul pire possible aurait été qu'elle soit aveugle!
Décrypter les émotions sur un visage est évident pour un technicien mentaliste, rompu à l'analyse des microexpressions fugitives du visage. Mais comme les lecteurs le sont rarement, décrire une microcrispation de la commissure de lèvre gauche ne les aidera pas beaucoup...
Ma foi, tu as fait ce que tu as pu. Comme c'est la suite du 50 et qu'on connaît l'histoire, on ne peut qu'admirer ton louable effort pour décrire l'indescriptible. C'est là que la description du cabinet devient un pur moment de bonheur vis à vis de la tension palpable qui émane de la suite du texte ( tension des 2 personnages, et tension de l'auteur, ça c'est de l'empathie!)
Donc l'horrible et soporifique Balzac suivait peut-être une consigne cachée...
Honnêtement, je ne suis pas sûre que quelqu'un aurait pu mieux faire ( si ça tente un challenger...) ... Mais en revanche, quand tu sais que la WA comporte 2 volets, le raconter et le montrer... Profites-en pour choisir une histoire moins extrêmement inadaptée à l'une des deux manières...
L'avantage de la WA c'est qu'on apprend sans cesse les uns des autres...
Narwa Roquen, non, on est déjà en mai? Vous êtes sûr?

Ce message a été lu 6081 fois
Elemmirë  Ecrire à Elemmirë

2017-05-17 10:31:45 

 Comm' de comm' (my baby come, comme dirait Jane!)Détails
Merci pour vos commentaires!
M, en effet elle bredouille, j'ai tenté de montré son malaise et ses hésitations face à l'absence de réactions du bonhomme.
Narwa, évidemment que je me suis mis des bâtons dans les roues et des balles dans le pied! Mais en fervente partisane de ce qui se passe à l'intérieur, et vu que le débat initial tendait à dire que montrer était mieux que raconter, je voulais militer pour le récit : ben voilà, montrer quand ça se passe dedans et que ça parle des âmes, ça marche pas! Mon échec est donc une démonstration réussie :D

Cela dit si quelqu'un veut jouer à reprendre ce texte et tenter d'en faire quelque chose de compréhensible (comment on fait comprendre au lecteur qu'il est phobique social sans lire dans les pensées de la psy?), je veux bien, c'est libre de droits :)

Elemm', pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? :)

Ce message a été lu 6644 fois


Forum basé sur le Dalai Forum v1.03. Modifié et adapté par Fladnag


Page générée en 2155 ms - 1162 connectés dont 2 robots
2000-2024 © Cercledefaeries