Résumé des épisodes précédents :
Mélamine Courtepointe vit en dimension V ( le violet est la couleur officielle des sorciers) ; les deux principales puissances sont le Territoire de l'Est et le Territoire de l'Ouest, que dirige d'une main de fer Maîtresse Orchidée Hautecour.
Dans le même Monde se trouvent trois autres dimensions importantes : la dimension H (Humains), la dimension T ( Turquoise), regroupant les Anges sous la houlette du Grand T, et la dimension R (Rouge) pour les Démons, commandés par le Grand R.
Mélamine s'est mariée avec Iriador Kersigatt, vaillant sorcier de l'Est ; ils habitent la chaumière de Mélamine, non loin de Calidysme, la capitale du Territoire de l'Ouest. Ils viennent d'avoir une petite fille, Emeraude, qui, profitant de ses pouvoirs de Pur Esprit pendant la grossesse, a réalisé un des rêves de Mélamine : avoir enfin des chats verts à la naissance, et non par un sortilège post-natal, comme c'était le cas jusque là. Emeraude se révèle être une enfant particulièrement précoce, et très douée pour la magie.
" Mon petit papa chéri, je t'en prie, je t'en supplie, ne pars pas ! Je serai sage tous les jours, je finirai mon assiette, j'irai me coucher de bonne heure... Je ne ferai plus énerver maman... "
Devant le silence souriant de son père, l'enfant réfléchit un instant et ajouta d'un air triomphant :
" Et je ne ferai plus de magie !
- Mais j'espère bien que si, au contraire ", répondit Iriador en ébouriffant la tête blonde, " mais seulement quand tu en as l'autorisation ! N'insiste pas, Emeraude, ta mère et moi allons partir quelques jours en amoureux.
- Mais moi aussi je t'aime, papa !
- Bien sûr, ma chérie. Et je t'aime aussi. Mais je t'aime comme ma fille, et ce n'est pas la même chose qu'entre un papa et une maman. Quand tu seras grande, tu auras un amoureux à toi et tu comprendras ce que je veux dire.
- Ah ça non, alors, jamais ! Je ne veux pas d'autre papa que toi !
- Ca je peux te l'affirmer ", intervint Mélamine. " Tu n'auras pas d'autre papa que le tien. Mais plus tard, tu auras sûrement un amoureux. Allez viens, maintenant, tante Walky t'attend, c'est l'heure. "
Le coeur gros et la larme à l'oeil, la fillette se laissa soulever par sa tante, qui l'installa devant elle sur son balai.
" A bientôt, les tourtereaux ! ", les salua celle-ci. Amusez-vous et profitez-en bien !
- Compte sur nous ! Et merci encore ! "
Les deux parents se regardèrent avec soulagement.
" Ces quelques jours vont nous faire le plus grand bien ", déclara le père.
- C'est vrai ", confirma la mère. " Je donnerais ma vie pour elle, mais certains jours si je ne me retenais pas, je la hacherais menu ! "
Iriador éclata de rire et déposa un bref baiser sur les lèvres de sa femme.
" Les sacs sont prêts ? En route ! Direction, le nord...
- Il me tarde d'arriver ! Depuis le temps que Déliria me rebat les oreilles avec Odpeg, j'ai vraiment hâte d'admirer cette merveille !
- Si tout va bien nous y serons avant ce soir. "
Iriador avait réservé une chambre à l'auberge du Chat-qui-pêche, malgré les protestations de Mélamine.
" Je ne veux pas te voir lever le petit doigt pendant quatre jours ", avait été son argument massue, devant lequel elle avait finalement cédé.
Au terme d'un voyage sans encombre où ils survolèrent gaiement les paysages tranquilles et colorés des Territoires de l'Ouest, ils laissèrent leurs balais dans la remise et entrèrent dans l'auberge. Le patron discutait avec trois clients accoudés au bar, et tout le monde faisait grise mine. Paprika Fincordon, l'aubergiste, leur montra leur chambre et prit la commande pour le dîner, en laissant échapper malgré lui un soupir à fendre l'âme.
" Quelque chose ne va pas ? Vous avez eu un malheur ?
- Hélas, Maîtresse Courtepointe, c'est plus qu'un malheur, c'est une catastrophe ! Vous aussi, n'est-ce pas, vous êtes venus voir la Source qui Chante ? Eh bien, elle ne chante plus ! Depuis trois jours, elle ne chante plus !
Le pauvre homme éclata en sanglots.
" Est-ce déjà arrivé ?
- Jamais, jamais, Maître Kersigatt ! Depuis la nuit des temps, jamais ! C'est la neuvième merveille des territoires de l'Ouest ! La Merveilleuse Source de la Potame, le fleuve légendaire qui baigne Calidysme, la Source magique dont le chant est si pur qu'il emplit d'une joie intense tous ceux qui l'entendent... De partout dans le Monde on vient l'écouter ! Les gens se pressent ici, hiver comme été. Nous vendons des images animées, des galets chantants, de petites fioles d'eau... C'est toute l'économie de la région qui est en danger !
- Vous pouvez nous raconter comment ça c'est produit ?
- Je n'en sais rien , Maîtresse. Il y a trois jours je me suis levé comme d'habitude, il faisait beau, j'ai préparé le petit déjeuner, et j'ai envoyé mon fils remplir quelques fioles, pour les touristes qui devaient arriver dans l'après-midi. Le petit est revenu en hurlant :
" Papa, papa, la Source ne chante plus ! "
Sur le moment j'ai cru qu'il me faisait une blague. Je l'ai suivi, en lui promettant une bonne fessée s'il me faisait perdre mon temps. Hélas, trois fois hélas ! J'aurais préféré que ce soit une blague ! La source est complètement silencieuse ; à part cela rien n'a changé. Je suppose que vous allez repartir demain ?
- Sûrement pas ! ", s'écrièrent les deux sorciers à l'unisson.
- " Ce sont nos premières vacances depuis que nous avons eu notre petite fille, et nous avons bien l'intention d'en profiter jusqu'au bout. Et qui plus est ", ajouta Mélamine, " je suis bien curieuse de découvrir ce qui s'est passé. "
Le lendemain, après un copieux petit déjeuner ( pâté de chevreuil, fromage de licorne, confiture d'hibiscus sur de belles tranches de pain de maïs, le tout arrosé de thé aux orchidées), ils se mirent en route par le petit sentier qui grimpait sur la colline, bordé de framboisiers et de mûriers sauvages, dont les énormes fruits gorgés de soleil les régalèrent tout du long. Le soleil jouait à travers les branchages, les oiseaux pépiaient gaiement et les deux amoureux marchaient en se tenant la main , tout à leur bonheur. Iriador s'arrêta brusquement, faisant signe à Mélamine de se taire. Elle tendit l'oreille à son tour.
" Tu as entendu ? Il y avait un bruit dans les fourrés, à gauche.
- Un autre promeneur, non ? Ou un animal ?
- Un animal se serait enfui. Et un promeneur, dans ces épais taillis... Restons sur nos gardes, ma chérie. Je ne cherche pas l'aventure, mais après tout si la source ne chante plus, ce n'est peut-être pas d'une cause naturelle. "
Au bout d'une demi-heure ils arrivèrent au point d'eau, qui naissait entre des rochers, au pied d'une grotte creusée à flanc de colline. Un grand panneau posé à l'entrée signalait : " Entrée interdite, risque d'éboulement ". Les deux sorciers s'y engouffrèrent d'un accord tacite sans la moindre appréhension. Iriador fit de la lumière. La grotte était magnifique, , décorée de fresques anciennes représentant des paysages, des animaux et des scènes de chasse. Elle se terminait en cul de sac. Néanmoins Mélamine passa la main sur la paroi du fond, attentive à la moindre aspérité, à la moindre sensation particulière.
" Là ! " s'écria-t-elle.
Il y avait trois petites encoches creusées dans le coin droit ; elle y glissa les doigts... et la paroi de la grotte bascula, découvrant une autre salle, faiblement éclairée par un puits de jour.
Iriador sourit.
" Voilà qui est intéressant. "
Ils passèrent dans la nouvelle grotte, mais cette fois sans faire de bruit. Quand la lumière du jour apparut derrière un virage, ils décidèrent d'un commun accord de se rendre invisibles. Ils s'arrêtèrent sur le seuil, médusés par l'incroyable découverte qui s'étendait devant leurs yeux.
Ils étaient en haut d'une colline, dont tout le sommet était cerné de fils barbelés sur quatre mètres de hauteur. Tous les dix mètres, un soldat casqué, mitraillette au poing, se tenait prêt à faire feu. Dans la plaine qui s'étendait au delà, se dressait une ville avec ses maisons et ses immeubles hérissés d'antennes, ses usines, ses jardins, ses commerces... A n'en pas douter, ils étaient en dimension H.
" Une porte ! ", émit mentalement Mélamine. " Une porte sauvage !
- Mais comment les Humains ont-ils pu la découvrir ?
- Les Humains n'y sont pour rien, à mon avis. Ils n'ont pas le pouvoir d'ouvrir une porte.
- Tu veux dire qu'il y a un Sorcier qui...
- Cela me semble évident. Et sûrement en échange d'une coquette somme d'argent.
- Mais pourquoi cette clôture, ces soldats ? On dirait qu'ils veulent empêcher quelqu'un de revenir chez eux !
- C'est étrange, en effet. Il faut condamner cette porte.
- Bien sûr. Mais si des humains sont passés chez nous...
- Tu as raison. Il nous faut d'abord les retrouver, et leur extorquer le nom du traître.
- Et il faut faire vite, Iriador, avant que d'autres ne les rejoignent.
- A vos ordres, Maîtresse."
Iriador lui prit la main en souriant. Mélamine était inquiète, mais son mari semblait bien s'amuser. Ils retraversèrent la porte.
" Des soldats... Et tout ça ne nous dit pas pourquoi la source ne chante plus.
- C'est vrai ", concéda Mélamine, " mais je parierais bien que les deux affaires sont liées. "
Des cris montèrent du sentier qui menait au village.
" Maîtresse Courtepointe ! Maître Kersigatt ! Au secours ! "
Les deux sorciers se précipitèrent.
" Je suis si content de vous trouver ", articula non sans peine l'aubergiste tout essoufflé. " Venez vite, par pitié ! Mon fils Romarin a disparu ! Je l'avais envoyé aux champignons, et je n'ai retrouvé que son panier, dans l'herbe, à moitié écrasé... Il a dû se débattre... Pauvre petit... "
Fincordon avait parfaitement décrit la scène. L'enfant avait dû tenter de résister à son agresseur, mais ensuite, d'après les traces profondes sur quelques mètres, avant qu'elles ne se perdent dans les sous-bois, le kidnappeur l'avait chargé sur son épaule droite, comme en témoignait l'asymétrie des empreintes.
" Y a-t-il dans les bois un abri, une cabane ?
- L'ancienne bergerie... Suivez-moi !
- Non ", l'arrêta Iriador. Il se peut que l'individu soit dangereux. Expliquez-moi comment y aller, et restez loin derrière. "
Invisibles, ils suivirent à la lettre les indications de l'aubergiste. De la fumée s'échappait de la cheminée de la vieille bergerie. Les deux sorciers échangèrent un regard.
" On s'approche sans bruit et on traverse le mur. J'assomme le gars, et tu mets le gamin en sûreté.
- Et s'ils sont plusieurs ?
- Eh bien... J'assomme les gars, et tu...
- Je suis moins forte que toi, mais je peux utiliser la magie.
- Si ce sont des Humains, il serait plus prudent de l'éviter.
- Tu as raison. Mais si ça tourne mal, je n'hésiterai pas. "
Avant de traverser le mur de pierres, ils jetèrent un coup d'oeil par la fenêtre. L'homme était seul. Il portait un uniforme à grosses rayures horizontales, noires et blanches, avec un numéro matricule imprimé au milieu du dos. Accroupi devant la cheminée, il aiguisait un morceau d'ardoise en le frottant contre la pierre de l'âtre. Près de lui, appuyé contre un montant de la cheminée, Romarin Fincordon jetait de droite et de gauche des regards effrayés. Un bâillon lui barrait la bouche, et ses mains et ses pieds étaient ligotés avec de la ficelle à ballots.
Sans bruit ils pénétrèrent dans l'unique pièce.
" Tu vas voir, mon grand, on va bien s'amuser... Je vais te dessiner un beau sourire... Ca va être chaud, ça va être bon... Ca va être sucré, ça va couler partout... "
Iriador s'approcha, souleva une chaise, mais un des pieds racla le sol. L'homme bondit sur ses pieds en se retournant, l'ardoise brandie, et écarquilla les yeux, éberlué devant cette chaise qui se dressait à un mètre du sol et qui se précipitait sur...
- Bien joué ! ", s'exclama Mélamine.
Elle libéra le petit garçon qui se blottit contre elle avec reconnaissance. Puis elle l'emmena dehors, où son père l'attendait, caché derrière un arbre. Il courut vers eux avec des cris de joie émis d'une pauvre voix rauque dont les larmes retenues voilaient le timbre.
" Rentrez chez vous. Le petit a eu très peur, et vous avez tous les deux besoin de vous reposer. "
Quand le malfrat reprit connaissance, c'était lui qui était prisonnier. Deux personnages étranges discutaient autour de la table.
" Vu son aspect hirsute, ce doit être un vagabond.
- Pas forcément. Il porte l'uniforme des détenus de la dimension H. Cela voudrait dire que les Humains l'ont fait passer ici, et l'empêchent à tout prix de revenir...
- Mais pourquoi ?
- Si je me souviens bien de ce que j'ai lu dans "Actualités du Monde H ", à la bibliothèque ", continua Mélamine, " leurs prisons sont surchargées. La peine de mort ayant été abolie, ils ont peut-être trouvé un moyen de se débarrasser des individus les plus gênants, ceux qu'ils sont sûrs de ne jamais pouvoir réinsérer...
- Mais c'est totalement aberrant !
- Je ne pense pas que les Humains sachent que notre Monde existe, ni que cette porte y mène. Tant que les prisonniers qu'ils envoient dans la grotte ne réapparaissent pas, pourquoi se poseraient-ils des questions ? Ils ont réglé leur problème ! "
Mélamine se tourna vers l'homme encore assoupi et le regarda profondément. Elle eut un mouvement de recul. Elle le regarda encore. Elle se força à ne pas s'arrêter de le regarder. Puis enfin, comme elle détournait les yeux dans un demi sanglot, elle fut secouée par un long frisson d'horreur.
" Iriador... ", murmura-t-elle, " si tu savais...
- Qu'as-tu vu ?
- Cet homme est fou... Pire, c'est un monstre... Une sorte de monstre sanguinaire, qui n'est heureux que dans la mort et le sang... Oh... Il égorge ses victimes, il se lave les mains avec leur sang, il s'en barbouille le visage, il le lape goutte à goutte... Ah, c'est affreux... des femmes, des enfants, Iriador, des nourrissons...Son cerveau est un grand désert, peuplé de fauves qui passent en hurlant... Parfois les choses s'ordonnent, il y des maisons, des paysages, un jeu d'échecs... Et puis le désert revient... Ici, ici même... Il y a eu deux autres détenus avant lui. Il les a tués... même pas enterrés... les bêtes sauvages... Oh... "
Mélamine eut un vertige et s'accrocha au bras d'Iriador qui l'enlaça aussitôt.
" Ma chérie... Je savais que tu possédais l' aléthidégnosie(1), mais te voilà aussi visionnaire...
- Je ... C'est la première fois... Mais il est totalement ouvert, Iriador, il ne cache rien, il clame haut et fort ce qu'il est et ce qu'il veut... Il est fou...
- Je suis là, ma chérie, tout va bien.
- Qu'allons-nous faire de lui ?
- Il faut le rendre aux Humains. Sa place n'est pas ici.
- Mais là-bas...
- Il sera en prison, étroitement surveillé.
- Mais il ne changera pas. Il faudrait pouvoir modifier son cerveau, remettre de la structure, supprimer ce besoin de violence...
- Et le laisser conscient face à de pareils souvenirs ? Ou effacer sa mémoire et qu'il ne sache jamais pourquoi il est en prison, à moins qu'on ne le rende à une vie normale, donc sans punition... Même si notre magie nous permettait de le faire, Mélamine, cela soulève trop de questions difficiles, voire insolubles. La folie existe. C'est une réalité aussi cruelle qu'injuste, mais c'est une réalité que ni toi ni moi ne pouvons changer.
- Mais alors, peut-être, trouver un moyen de les guérir avant... pendant l'enfance... Tant de souffrances...
- Ecoute, tu feras des recherches si tu veux, mais pour l'instant nous ne pouvons rien faire de plus que de le renvoyer chez lui.
- Attends, il nous faut d'abord savoir qui lui a fait passer la porte. Sinon, les Humains nous le renverront, ou en feront passer d'autres...
- Tiens, justement, je crois qu'il se réveille... Alors, bien dormi ? "
L'homme en gémissant se souleva sur un coude et s'assit, le dos à la cheminée.
" Tiens, j'ai de la visite... En voilà une jolie petite dame... Approche-toi, ma belle, Albert va te chuchoter un secret à l'oreille... "
Iriador se leva.
" Silence. Ne lui manque pas de respect, ou tu auras affaire à moi !
- Mais oui, mon prince... C'est quoi vos déguisements ? C'est pour une fête ? Un jeu de rôles ? J'adore les jeux ! Quand j'étais gamin...
- Comment êtes-vous arrivé ici ? ", l'interrompit Mélamine.
- J'ai pas choisi ! On m'a dit tu vas là, et Albert va là... Remarque, le grand air ça fait du bien, je me sens en pleine forme... Mais tu m'as enlevé mon petit garçon, vilaine, c'est très méchant, ça...
- Qui vous a fait passer la porte ?
- Sais pas. Tu veux jouer avec moi ? Je connais un jeu super...
- Qui t'a fait passer ? ", insista Iriador. " Réponds, sinon...
- Sinon quoi, Monseigneur ? Tu me descends ? Tu sais, mourir ou passer sa vie en prison...Mais si tu me rends mon petit garçon, je pourrais peut-être me souvenir... "
Iriador levait déjà la main pour le frapper, mais Mélamine arrêta son bras.
" Laisse-moi faire. Ca ne va pas te plaire, pas plus qu'à moi, mais souviens-toi que c'est dans l'intérêt des Territoires. "
Elle se concentra un moment pour annuler sa propre réticence, et être parfaitement unifiée. Puis le regard fixe, elle pointa l'index vers la main droite du prisonnier, le temps d'un éclair.
" Algedon ! "
L'homme hurla et se roula en boule autour de sa main.
" Parle. Je t'écoute.
- Te fâche pas, ma poupée. On a tout le temps. Viens donc t'asseoir près de ... "
Mélamine tendit à nouveau l'index, mais cette fois elle compta lentement jusqu'à cinq. Pendant ces longues secondes, l'homme se tordit au sol avec des glapissements d'animal blessé, en se débattant en vain contre l'horrible douleur qui tenaillait sa main.
" Assez ! Pitié ! Non... "
Le visage de Mélamine restait figé, sans expression. Iriador la contemplait avec inquiétude. Il lui faisait totalement confiance, mais en même temps lui découvrir cette capacité de torturer froidement un être humain le mettait singulièrement mal à l'aise. L'homme se redressa un peu, respira profondément.
" Ouf ! Eh ben, princesse, je sais pas comment tu fais ça, mais ça m'intéresse ! Tu veux pas me donner ton truc ? "
Cette fois Mélamine ouvrit la main et dirigea ses doigts tendus vers tout le bras de l'homme, qui recommença aussitôt à hurler.
" Viens, Iriador, il n'y a rien à en tirer, on s'en va. "
Elle se dirigeait d'un pas assuré vers la porte quand l'homme rassembla ses dernières forces pour crier :
" Non ! Arrêtez ! Ne me... laissez pas...comme ça... Je ... vais tout...vous dire ! Je vous le jure... Pitié... Non..."
Sa voix mourut dans un sanglot convulsif.
Mélamine se retourna et fit cesser l'enchantement. Elle s'assit de nouveau près de la table.
" Je vous écoute.
- Je... J'arrive. Je... respire juste ... un peu... Oooh... Que ça fait mal... Qu'est-ce que vous voulez savoir ?
- D'où venez-vous ? Que faites-vous ici ? Qui vous y a fait entrer ?
L'homme ferma les yeux et récita d'une voix presque indifférente.
" Abraham Ghosper, dit Albert, quarante-deux ans, détenu à la prison de Longpeace depuis dix ans, condamné à perpétuité pour ... vingt-cinq ? trente meurtres ? Sais plus. On se fatigue si vite, là-bas, ça vous porte sur la tête. Réussi à en tuer un de plus en prison. On m'a dit qu'on m'amenait dans un nouvel endroit où je serais libre ! Le pied ! Pas demandé pourquoi ni comment, tu penses ! De toute façon ç'aurait été un piège pour me faire crever j'aurais pas dit non... Y a trop de monde en prison. Suis pas en danger, z'ont tous peur de moi, savent que j'suis fou... Mais y font un boucan d'enfer, on est jamais tranquille, ça me tape dans la tête, ça me fatigue... J'ai suivi l'aut'gars...
- Comment était-il ?
- Grand...Mince, brun. Cheveux longs. Pas de barbe. Une petite moustache. Des habits... Ca lui allait pas, c'était trop grand pour lui. Y causait pas. M'a amené dans la grotte, il a appuyé quelque part sur le mur en marmonnant. La grotte s'est ouverte, y m'a enlevé mes menottes... Pas demandé mon reste ! Y avait rien à béqueter, mais être libre ! Bordel de Dieu, je le croyais pas ! T'as gagné le gros lot, Albert, que j' me disais. C'est eux les fous, mais ça m'arrange ! Et pis j'ai rencontré deux gars que je connaissais, de Longpeace, qui étaient là depuis une semaine. Sympa, les gars. M'ont fait bouffer du lapin, m'ont laissé dormir ici, avec eux... C'était la colo, quoi, on a bien rigolé...
- Où sont-ils ?
- Ben... C'est pas que j'fais exprès... Peux pas faire autrement... C'est tellement bon... Les ai tués... Pis mis les corps dans les bois, sinon ça aurait empesté ici, avec la chaleur...
- Vous allez nous montrer l'endroit.
- Oui madame.
- Et après je vous ramènerai chez vous. Vous n'avez rien à faire ici. Notre... communauté... n'a pas pour vocation d'accueillir les assassins. "
L'homme les mena à travers bois. Dans les buissons, il restait deux crânes, et quelques os dispersés. Les bêtes sauvages avaient suivi leur instinct. Mélamine fit apparaître une pelle. Sans qu'elle ait eu besoin de parler, le criminel creusa une sépulture sommaire pour ses victimes. Puis ils retournèrent vers la grotte. L'homme n'essaya pas de s'échapper.
Mélamine ouvrit la porte.
" Allez-y. Faites attention, il y a des soldats partout. Marchez lentement. Dites-leur... De toute façon, je crains qu'ils ne vous croient pas. Prenez garde à vous. "
L'homme se tourna vers elle, et avec un regard qui la troubla profondément, où se mêlaient le respect et la gratitude, il murmura :
" Merci, madame. "
Puis il s'éloigna, les mains croisées derrière la nuque, en appelant :
" Ohé ! Vous êtes là ? Y a quelqu'un ? Ne tirez pas... "
Les deux sorciers revinrent dans leur dimension.
" Voilà pourquoi la source s'est tue ", déclara Mélamine en se laissant tomber dans l'herbe. Il y a sûrement une nymphe ou un farfadet, et toutes ces horreurs l'auront bouleversé. Il nous faudra aller le rassurer... Mais d'abord...
- Il faut absolument retrouver ce sorcier !
- Oui, et le capturer, et ensuite fermer cette porte. Je vais aller le chercher en dimension H.
- Je viens avec toi.
- Non. L'un de nous doit surveiller la porte pour le cas où il revienne.
- Alors tu resteras ici, pendant que j'irai chez les Humains.
- Mais tu ne connais pas cette dimension !
- Je la connais sûrement moins bien que toi, mais de toute façon je resterai invisible.
- Oui, mais...
- Ma chérie, tu es complètement épuisée ! Tu vas te reposer un peu en montant la garde. De toute façon tu as le médaillon(2) pour me suivre où que j'aille.
- C'est vrai. "
Mélamine étouffa un bâillement.
" Et c'est vrai aussi que cet... interrogatoire m'a éreintée. "
Sérieuse, elle lui prit la main.
" Tu crois que j'ai eu tort de... faire ça ? "
Iriador sourit en lui caressant tendrement la joue.
" Ma foi, si je ne te connaissais pas si bien, j'aurais eu très peur de toi... Mais nous n'avions pas le choix, et j'admets que c'est une magie que tu maîtrises mieux que moi.
- Tu sais, c'était la première fois... Mais j'ai pensé à Romarin... et à tous ceux qui ont eu moins de chance...
- Tu as été très courageuse... "
Et par l'esprit, même si personne n'était là pour entendre, il ajouta :
" Et il me tarde d'être à ce soir pour te montrer combien je t'aime. "
Mélamine rougit violemment et son mari éclata de rire. Il l'embrassa légèrement.
" A tout à l'heure, ma chérie. Repose-toi. "
Iriador se téléporta, en restant invisible, jusqu'à la petite cahute à flanc de coteau qui servait de QG aux soldats. Par la fenêtre il vit Albert menotté, entre deux gardes. Un fourgon pénitentiaire était garé devant l'entrée. Avec un peu de chance...
Son voeu se réalisa. Albert fut poussé dans le camion et Iriador eut recours à la téléportation fractionnée(3) pour le suivre d'instant en instant jusqu'à la prison de Longpeace. Il se faufila à la suite de la petite troupe à l'intérieur des grilles, puis poursuivit son chemin vers les bâtiments administratifs. Pour l'instant, tout lui semblait extrêmement facile. Il trouva sans peine le bureau du directeur et y pénétra en traversant la porte. La pièce était déserte, cela lui simplifiait la tâche. Il fouilla dans les dossiers sur le bureau et trouva un classeur intitulé " Opération Tourisme ". Le projet expliquait en effet que, vue la surpopulation carcérale, la nécessité s'imposait de diminuer le nombre de détenus à Longpeace, sans contrevenir à l'abolition de la peine de mort. Un individu dénommé Cortinaire Lièvrefol y était mentionné comme co-auteur de ce projet avec le directeur. Il avait trouvé dans les collines un lieu sécurisé où l'on pouvait relâcher les prisonniers sans aucune conséquence fâcheuse. Déjà trois détenus lui avaient été confiés avec succès.
Iriador referma le dossier. Où trouver le scélérat qui était prêt à menacer la dimension V uniquement pour s'enrichir en dimension H ?
Il réfléchissait à la question quand un appel d'urgence retentit dans sa tête.
"Viens vite... Vite !"
C'était Mélamine.
Il sortit en courant du bâtiment et claqua des doigts pour se télétransporter. Il ne bougea pas d'un pouce. Il recommença avec angoisse, mais rien ne se produisit. Il se força à se calmer et à réfléchir. Certes il était un peu fatigué, mais pas au point d'avoir épuisé toute son énergie magique. Il regarda autour de lui : l'édifice était entouré d'une clôture électrifiée haute de quatre mètres, qui devait sûrement générer un champ magnétique... D'une de ses poches il sortit un petit boîtier bleu et pianota sur le clavier. Un désactivateur de champ s'installa autour de lui. Néanmoins la téléportation s'avérait impossible. Et Mélamine l'avait appelé au secours, Mélamine était en danger ! S'il lui arrivait quelque chose, il ne se le pardonnerait jamais...
Mélamine s'était allongée au soleil, du côté V de la porte, juste à l'entrée de la grotte. Elle jeta un oeil à l'émeraude magique. Iriador suivait le fourgon pénitentiaire, tout allait pour le mieux. Elle laissa ses pensées vagabonder. Comment des individus tels que cet Albert pouvaient-ils exister ? Elle n'avait jamais rien vu d'aussi horrible en dimension V. Il y avait bien des barbares sanguinaires, dans le Grand Nord, mais c'étaient des guerriers. Et quand on les arrêtait, on les tuait, c'était normal. Elle se redressa d'un bond, épouvantée par sa propre pensée. Il était normal de prendre une vie ? Normal de se comporter comme un barbare sanguinaire au nom de la justice ? Quelle justice ? Celle du plus fort ? Mais les prisons... Si la peine de mort devait être abolie en dimension V, il faudrait construire des prisons, et y enfermer les coupables pendant des années, voire toute leur vie... Oui, la société serait protégée, mais pour les détenus , cette vie n'avait pas de sens... Jusqu'à présent, le système judiciaire du Monde Violet était relativement simple. Tout crime de sang ou atteinte à la sûreté des Etats était puni de mort. Les délits entraînaient, pour les sorciers, une suppression totale ou partielle de leurs pouvoirs, et pour les humains sans pouvoir, une amende était en général suffisante. En pratique, les humains du Monde V étaient rarement malhonnêtes : ils n'avaient aucun moyen de dissimuler leurs méfaits aux sorciers télépathes... Il n'y avait qu'une seule prison par Territoire, où les prévenus restaient en attente de leur jugement, et elles étaient le plus souvent vides... Mais pourquoi le Mal existait-il ? N'y avait-il pas un moyen de modifier la structure d'un être vivant afin qu'il rejette aussitôt toute idée criminelle ? Le dernier regard que cet Albert lui avait lancé... A cet instant précis, il n'y avait aucune trace de folie dans ses yeux... Il était redevenu un homme ordinaire, capable de sentiments et qui sait, de regrets ?
Mais où pouvait donc se situer le centre cérébral du Mal ? Quelqu'un avait-il déjà étudié la question ? Il faudrait...
Un craquement de branche la fit sursauter. Devant elle, s'apprêtant à entrer dans la grotte, se tenait un homme habillé à la manière H, grand, mince, brun, avec des cheveux longs et une petite... Elle se leva d'un bond et concentra son regard sur lui.
" Cortinaire Lièvrefol ! Comment as-tu osé menacer ainsi nos Territoires ? Tu seras sévèrement puni ! Tu... "
Un sort-coup de poing la jeta à terre violemment. Pauvre Mélamine ! Elle n'avait aucune expérience du combat magique. Elle essaya tout en même temps de se souvenir d'un sort de protection, d'un sort d'attaque, de la formule pour appeler la FBI(4)... et la seule chose qui lui vint fut un hurlement silencieux vers Iriador.
"Viens vite !..."
Dans la seconde qui suivit, comme son assaillant levait à nouveau la main, elle se transforma en chat. Cela ne servait pas à grand chose, mais elle savait le faire instantanément et sans réfléchir. Lièvrefol tenta de l'attraper, elle le griffa, puis se transforma en moustique(5) comme au bon vieux temps de ses jeux avec Walkyria. Elle s'engouffra dans l'oreille du sorcier, et se mit à bourdonner tant et plus. L'autre secoua la tête encore et encore, en proie à une agitation désordonnée et féroce. Puis il trouva la seule parade efficace. Il se boucha l'oreille avec la main, serra les dents, et attendit. Mélamine était prise au piège. Impossible de changer d'apparence, le sorcier avait scellé magiquement sa main sur son oreille, elle n'avait pas la place. Combien de temps pourrait-elle survivre dans un endroit aussi exigu ? Quelle était la consommation d'oxygène par minute du moustique moyen ? Elle n'en avait aucune idée. En désespoir de cause, elle piqua le conduit auditif et aspira longuement le sang de sa victime. Son corps de moustique s'en trouva tout revigoré, quand des mots lui revinrent à l'esprit :
" C'est chaud, c'est bon, c'est sucré... "
Un sentiment d'horreur l'envahit, troublant sa pensée, l'amenant au bord de la syncope... Elle lutta de toutes ses forces contre la chaleur trompeuse qui l'engourdissait, elle manquait d'air... Et puis il y eut un cri terrible, comme un feulement de monstre; un choc violent la projeta avec force contre la paroi, puis elle se sentit tomber sans fin, puis un autre choc, un appel d'air, et elle s'envola tant bien que mal, étourdie, désorientée, mais libre...
En fin stratège confronté plus d'une fois à des situations délicates lors de la guerre victorieuse qu'il avait autrefois menée contre les Géants de l'Est, Iriador savait que plus la conjoncture était critique, plus il fallait prendre le temps de l'analyse.
Il regarda à nouveau la grande cour de la prison. C'était l'heure de la promenade. Les détenus déambulaient la tête basse, comme des fantômes fatigués. Autant les gardiens se pavanaient fièrement en échangeant entre collègues plaisanteries et tapes amicales dans le dos, autant les prisonniers ressemblaient plus à des morts vivants qu'à de dangereux criminels.
Soudain la lumière jaillit dans son esprit. Il tira d'une autre poche un autre petit appareil qu'il leva bien haut, puis regarda les courbes qui s'affichaient sur le cadran : un rayonnement kappa intense recouvrait toute l'enceinte. Voilà pourquoi les gardiens portaient une combinaison étanche avec casque intégré ! Les rayons kappa, découverts par le dernier prix Sobel en date, le professeur Klaus Kiffer, de Speedyville, avaient le pouvoir de provoquer une intense sensation de fatigue. Son organisme de sorcier était moins affecté qu'un humain, mais assez cependant pour ne pouvoir affronter une téléportation... Il lui fallait trouver une autre solution. Il fouilla dans ses poches. Du bout des doigts il reconnut son prototype de clé USB(6) qui pouvait le faire voyager dans le temps. Fébrilement il composa la programmation. La découverte des kappa était récente, un an plus tôt devrait suffire ; cela lui coûterait peu d'énergie, et ensuite il pourrait se téléporter devant la grotte, puis revenir au présent. Il pensa très fort à Mélamine qui l'attendait et appuya sur le bouton rouge. Un tournis familier le fit vaciller... Il était parti !
Son coeur sauta dans sa poitrine quand il découvrit le sorcier criminel à genoux, la main droite vissée à son oreille... et pas de trace de Mélamine ! Il poussa un hurlement sauvage et son pied frappa la tête de l'homme de toutes ses forces, au mépris de tout le savoir de combat magique dans lequel il avait toujours excellé... Lièvrefol fut assommé sur le coup. A deux mètres de lui, avant qu'il ait eu le temps de l'appeler, réapparut Mélamine, pâle, haletante et suffocante, mais bien en vie ! Il se précipita vers elle, s'agenouilla, la prit dans ses bras, couvrit son visage éprouvé de mille caresses et de mille baisers...
La FBI arriva moins d'une minute plus tard, constituée de deux hommes cagoulés et armés jusqu'aux dents ; ils jetèrent un puissant sort d'inhibition magique au criminel encore évanoui, et se téléportèrent aussitôt vers la prison de la Malaguette, à Calidysme. Leur intervention avait duré moins de cinq minutes. Mélamine et Iriador étaient suffisamment connus pour que leur bonne foi ne puisse être mise en doute. La FBI n'était pas réputée pour perdre son temps en palabres inutiles. Le chef coupa court aux explications d'Iriador.
" Merci de votre aide. Vous serez aimables de passer à la Brigade de Calidysme dès votre retour pour faire votre déposition. Un commando viendra dans une heure pour condamner la porte. Bonne fin de séjour. "
" Bon ", soupira Iriador. " Il nous reste trois jours et demi. Tu as faim ?
- Un peu. Mais j'aimerais bien aller voir la Source, avant que nous ne redescendions au village. "
Ils se rapprochèrent donc du point d'eau, qui gazouillait imperturbablement comme une source banale. Les deux sorciers joignirent leurs mains pour rassembler leur énergie quelque peu mise à mal par cette matinée mouvementée. Puis Mélamine ferma les yeux et s'adressa à la Source.
" O Source d'Odpeg, neuvième merveille du Monde, toi dont le chant est si pur qu'il comble de joie celui qui l'écoute, nous sommes venus de loin pour t'entendre. Sans doute le sang, la peur et la violence qui t'ont entourée pendant ces derniers jours ont-ils troublé ton coeur et éteint ta voix d'or. Mais tout est rentré dans l'ordre, les étrangers sont partis, et le sorcier traître à notre Monde a été arrêté. Tu n'as plus rien à craindre. "
Le silence dura une longue minute d'éternité. Puis une frêle naïade aux longs cheveux d'or se matérialisa devant eux. Encore un peu effrayée, elle demanda timidement :
" Vous êtes sûrs ? "
Elle avait l'aspect d'une toute jeune fille. Son teint pâle, presque diaphane, évoquait la fraîcheur de l'aube ; ses yeux verts presque transparents, la couleur de l'eau sur la mousse. Elle était vêtue de feuilles de nénuphar entrelacées, et un diadème d'argent retenait sa chevelure tressée de feuilles de saule. Sa voix unique, vibrante, lumineuse, fit frissonner les deux sorciers quand elle déclara :
" J'ai eu si peur ! J'ai cru que je ne pourrais plus jamais chanter... Il y avait tant de souffrance... "
Devant leurs yeux émerveillés, elle reprit confiance, leva les bras au ciel et s'étira comme un enfant qui s'éveille après une longue nuit de sommeil. Puis de sa gorge fine, si gracieuse, si fragile, s'éleva le chant le plus beau que le Monde V eût jamais entendu. Il n'y avait pas de paroles, il n'en était pas besoin. Une mélodie douce et puissante à la fois, qui semblait être issue de la vie même, ruisselait lascivement, bondissait, se prélassait, s'enroulait sur elle-même pour mieux se dénouer librement, et toujours coulait, inéluctable et définitive, toujours renouvelée et toujours semblable à elle-même dans son essence profonde, comme le fleuve qui va. Une voix divine la portait, de la modulation frémissante à l'immuabilité du rocher, radieuse, inaltérable, charmeuse, luxuriante, dont toutes les harmoniques étaient perceptibles, enchevêtrées et pourtant distinctes, jusqu'à l'infini...
Le soir tombait quand Paprika Fincordon vint tirer les sorciers de leur extase.
" Pardonnez-moi... Il va faire nuit... Je vous ai préparé un bon repas... "
Iriador se frotta les yeux, Mélamine s'étira comme un chat, puis tous deux, un sourire béat aux lèvres, suivirent docilement l'aubergiste, la tête encore dans les nuages.
Un dîner somptueux les attendait. La grande salle avait été entièrement décorée de banderoles " Merci à nos héros " ; Fincordon avait invité quelques uns de ses amis, juste une vingtaine de personnes, qui les accueillirent par une salve d'applaudissements. Puis sur la table recouverte d'une magnifique nappe vert pomme brodée de fleurs et de feuilles, furent posés pâtés, terrines, saucissons, andouillettes et salamis, accompagnés par cinq sortes de pains différents et par la Cuvée Spéciale du patron. Leur succéda un gigantesque gratin d'écrevisses aux dix-huit épices, puis un civet de biche aux senteurs profondes de sous-bois, entouré de morilles et de girolles... Après la ronde des fromages, la pièce montée en forme de chat fit une entrée triomphale...
" Cet homme est vraiment adorable ", soupira Mélamine en s'asseyant enfin au bord du lit. " Invités à vie ! Tu te rends compte ! Nous pourrons revenir souvent, et même avec Emeraude... "
Elle étouffa un bâillement.
" Que veux-tu faire demain ?
- Je pense que dans ton état, il serait plus raisonnable que tu te reposes...
- Mon état ? Quel état ? Je ne suis pas enceinte ! "
Iriador, l'oeil malicieux, l'enlaça tendrement.
" Non... Pas encore... "
Eltanïn | Dianun | ||
Maedhros | Le murmure du rocher | ||
Narwa Roquen | La porte du pénitencier | ||
Le Pacte | |||
Netra | L'adieu aux Loups | ||
shaana | La Parque |
le 18-04-2008 à 17h02 | Quelques grammes de finesse… | |
Le petit côté Harry Potter de ces histoires reste rafraîchissant. Mais le ton est plus joyeux tout de même que les derniers opus de Rowling. Les noms propres sont toujours aussi savoureux. Le côté romantique est un tout petit peu trop pour moi qui suis « true evil ». Plusieurs choses m’ont gênée dans ce récit, qui est au demeurant, très agréable à lire. J’ai trouvé un peu curieuse la façon dont... | ||
le 24-11-2007 à 19h56 | Quand Mélamine use du taser magique... | |
... ça me fait quand-même un drôle d'effet. Je trouvais Mélamine plus "bisounours" que Roquen, je commence à me dire qu'elle ne l'est pas tant que ça. Bon épisode cela dit! Une toute petite erreur: dans le dialogue mental quand ils découvrent la porte, Mélamine commence. Puis, ils alternent, logique, sauf que la phrase "Et il faut faire vite, Iriador", est prononcée, si on suit l'alternance, pa... |