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La Maison sous la Montagne

Elle était faite de pierres rudimentaires, accolée contre la falaise. De grosses gouttes de pluie tapaient violemment le toit de bois muni d'une cheminée d'où sortait une mince fumée.

Je frappais trois coups à la porte. Bientôt, un être étrange vint m'ouvrir.

"Oui ? Que me voulez-vous ?"

Son regard méfiant me scrutait par l'entrebâillement qu'il avait ménagé. Il me semblait qu'il regardait à travers moi, s'apprêtant à tout instant à me voir disparaître tel une hallucination.

"Le bonheur sur votre maison", dis-je. "Je ne cherche qu'un endroit sec pour la nuit avant de reprendre ma route. Je pourrai payer le gîte et le couvert et..."

Au mot 'payer' la porte était déjà grand ouverte.

"Ne restez donc pas sous cette pluie ! Venez vous réchauffer près du feu.
- Merci, je me nomme Roland.
- Et moi, c'est..."

Il s'arrêta, contrarié d'avoir pu oublier son nom, où alors une idée incongrue lui traversa l'esprit. Puis il sembla reprendre conscience de ma présence.

"Fortune ! Mon nom est Fortune !"

Je passais la porte et posais mes maigres affaires par terre. L'homme était plus vieux que je n'avais cru tout d'abord. Il se déplaçait courbé et il sembla souffrir lorsqu'il souleva une autre bûche pour alimenter le feu.

La maison aussi était trompeuse de l'extérieur. Elle était vaste car elle se prolongeait dans la falaise, taillée dans le roc. Une lourde porte de bois m'empêchait de voir jusqu'où la grotte s'étendait.

Je m'approchais du feu et me laissais tomber à coté. Fortune ne disait rien et quand je me tournais vers lui, il s'était endormi. Je me couchais alors à même le sol, réchauffé par le feu apaisant.

"Ting ! Ting ! Ting ! Ting !"

Ce fut le bruit qui me réveilla. Celui d'un objet en métal contre la pierre. Fortune était invisible, et les bruits venaient de la porte au fond, enchâssée dans la montagne. Je sortis de la maison pour voir si je pourrais bientôt reprendre ma route. La maison était située dans une clairière, et la forêt s'étendait tout autour. Derrière moi, la falaise à pic paraissait presque accueillante. Le soleil était juste au-dessus de moi, et je profitais de sa chaleur sur mon visage.

"Fermez cette porte ! Des loups pourraient rentrer !"

Fortune se tenait dans mon dos, une pioche sur l'épaule, la porte du fond encore ouverte.

"Les loups ne viendront pas, nous sommes en plein jour.
-Oh... oui... peut-être, mais ce n'est pas prudent de sortir. Fermez cette porte."

Je rentrais enfin et scrutais les profondes ténèbres de la grotte. Le boyau semblait s'étendre sur une grande longueur.

Fortune vit mon regard et couru fermer la porte. Le vieillard se retourna vers moi et hurla :

"NON ! TU N'AURAS JAMAIS RIEN ! JE LE SAVAIS ! TU VEUX ME VOLER TOI AUSSI !"

Ses yeux fatigués luisaient d'une nouvelle force. Il étreignait toujours sa pioche. Lentement, ma main descendit vers ma bourse.

"Ola, mon ami ! Je ne veux pas te voler. Même pas savoir ce que je pourrais te voler. Tiens, il me semble qu'une pièce d'or devrait suffire à payer mon logis de cette nuit"

Alors le vieil homme s'écroula, et je vis combien il avait eu peur. La lune seule savait combien de temps il était resté seul ici.

"Pardon... pardon... restez ici encore une nuit s'il vous plaît... Je n'ai plus de visite depuis si longtemps. Ma femme et ma fille m'ont quittées depuis des années et personne ne se préoccupe de moi."

J'acceptais et le vieillard se montra tout de suite amical et reconnaissant. Nous partageâmes un repas, à base d'herbes, de plantes et de poisson. Devant mon air intrigué face à l'animal aquatique, il eut un clin d'oeil complice :

"Après, je vous montrerai"

Quand il eut le dos tourné, j'échangeais nos deux assiettes, et ne commença à manger qu'après lui, mais rien ne se passa. Puis il se leva et m'amena au fond de la maisonnée. Il me fit promettre de ne jamais révéler ce que je verrai. Je jura et il ouvrit la porte. Il s'engagea dans l'obscurité mais il me fallut quelques minutes d'adaptation. Il s'arrêta devant une première porte à gauche. Je le rejoignis et nous entrâmes.

Au milieu de la pièce, une rivière souterraine coulait lentement. Des poissons remontaient le courant sans difficulté. Je me cognais dans le plafond et lui, plus petit que moi, pouffa de rire. Il semblait étrangement joyeux. Puis il m'invita à sortir de la pièce et continua le long du boyau. Une porte à droite apparue et il me fit signe de me pencher vers lui.

"J'ai oublié de vous dire. J'étais un grand magicien à une époque".

Et il éclata de rire, comme si c'était la chose la plus drôle qui soit. Son rire se répercuta sur la paroi, et quand il ne fut plus qu'un murmure, il ajouta gravement : "Voila longtemps que j'ai trouvé cette mine, et voila tout ce que j'en ai extrait".

Il ouvrit la porte. J'entrais et découvrit une pièce... gigantesque. Mais vide. Fortune exultait. Il dansait dans la pénombre, suivant un chemin connu de lui seul.

Tout cet or !
C'est à moi !
C'est mon trésor !
Aucun ne l'volera !

Il répétait cette comptine encore et encore. Son regard errait autour de lui, joyeux, se posant sur des choses que lui seul voyait.

Nous regagnâmes la maison après qu'il m'eut montré le boyau qu'il creusait en ce moment. De la pierre noire et grise.

Assis pas loin de la cheminée, nous parlâmes de tout. Du passé, quand le royaume de l'Amba n'était pas en guerre. De sa vie de magicien dont il était si fier. De ma vie, dont je lui cachais les parties les plus sombres. De sa femme et de sa fille, qui étaient parties avec un voyageur comme moi, lasses de la vie solitaire, et l'avaient laissé là. Il semblait lucide, mais dès que l'on parlait d'argent ou d'or, ses yeux s'illuminaient et il pouffait sans raison apparente. J'aurai voulu être loin.

Le sommeil nous gagna enfin et je m'endormis sur un lit de feuille, de mousse et de bois qu'il m'avait préparé.

Je courais. Je devais échapper à quelque chose ou quelqu'un. Une voix tonnait au-dessus de moi : "IL NE PEUT Y AVOIR QU'UN SEUL MINEUR !". Je trébuchais sur un objet dur et me retournais pour voir ce qui m'avait fait tomber. La pioche à demi enterrée se souleva du sol et monta plus haut que ma tête. Je ne la voyais presque plus, perdue dans les effets d'ombre de la forêt qui m'entourait. Le vieil homme se matérialisa devant moi, saisissant la pioche dressée, et s'apprêtant à m'en assener un coup mortel.

Je me réveilla en plongeant ma main vers la dague à ma ceinture. Le vieil homme et sa pioche étaient au-dessus de moi et je continuais mon geste. La dague vint se planter dans la poitrine de l'homme qui s'écroula lentement.

Je m'accroupis à ses cotés. Mon expérience m'avait fait toucher un point vital. Je ne pouvais rien faire pour lui. Ses yeux se tournèrent vers moi et il semblait me remercier. Sa voix s'éleva, faible mais tout à fait audible :

"Retient bien ces paroles : Kha natf kha saps khali Roland. Nhma ! Nhma ! Kha natf kha saps khali Roland. Nhma ! Nhma !"

Il ne faisait plus nuit, une étrange clarté luisait autour de moi. Venant de nulle part, une lumière dorée. Puis il ferma les yeux et je crus que c'était fini... lorsqu'il les rouvrit brusquement !

"Roland !" Sa voix se faisait plus rauque.

"J'ai oublié ! de... parler... des loups..." Ce n'était plus qu'un murmure...

Fortune mourut.

Je le recouvris et regarda autour de moi. Une puissante lumière filtrait par la porte du fond. Je m'avançais et l'ouvrais. Les parois contenaient des plaques d'or taillées qui illuminaient le boyau. Je courus jusqu'à la pièce que nous avions visitée hier soir et contempla ce que l'homme que je venais de tuer avait vu avant moi. Un centième de ce que j'avais devant moi aurait permis d'acheter de quoi nourrir une petite ville pendant toute une année. Un ultime cadeau... de la part d'un magicien solitaire.

Aussitôt je réalisais que je n'aurais plus à errer. Je ramassais autant d'or que je pouvais en porter et me préparais à partir. Une fois Fortune enterré, plus rien ne me retiendrais ici.

Sur le coté de la maison, je trouvais deux tombes que je n'avais pas vues en arrivant. Probablement sa femme et sa fille. Les tombes étaient vieilles et sales. Avait-il fini par croire à son propre mensonge quand il m'a dit qu'elles étaient parties ? Je l'enterrais à coté de sa femme, et je nettoyais les autres pierres laissées à l'abandon.

Puis je partis, lourdement chargé. Il faisait jour mais le soleil n'arrivais pas encore dans la clairière. Ce fut sans doute le reste d'obscurité qui me permit de voir les deux yeux jaunes d'un loup dans la forêt. Je dégainais ma dague, mais il ne bougeait pas. Je revins vers la maison et tentais de pénétrer dans la forêt au bord opposé. Là aussi, des yeux m'attendaient. Je tentais de passer jusqu'au soir, mais où que j'aille, ils étaient là. Aux derniers rayons du soleil, la meute de loups sortit du bois et me coursa jusqu'à la maison. "Un seul mineur" il avait dit...

J'essaya encore cinq jours de forcer la barrière des loups. Le sixième et le septième jour, je m'attaquais à l'escalade de la montagne. La roche était trop friable en hauteur, et je tombais sur la hanche, ce qui la déboîta. Seuls les loups m'entendirent hurler.

Un mois plus tard, j'abandonnais toute idée d'évasion. Je boitais plus que le vieux lui-même.

Pour tromper l'ennui, un jour, je me munis de la pioche que j'avais laissée près de la tombe, et alla décrocher quelques blocs d'or au fond du boyau. Après tout... j'avais ce que tout le monde désirait... la richesse. Il n'y avait pas de miroir dans la maison accolée à la montagne, mais si j'avais pu observer mon visage, j'aurais vu la même lueur dans mes yeux. La même lueur de l'or que dans les yeux de Fortune. Peu m'importais. Je devais veiller à mon trésor, et me méfier des loups.

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Publication : Concours "Mine de rien" (Novembre 2002)
Dernière modification : 07 novembre 2006


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