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Le passeur des Temps

Le vent faisait frissonner les feuilles de la forêt d'Huelgoat, c'était le mois de juillet. Cela faisait vingt minutes que Fañch suivait l'homme. Il n'en croyait pas ses yeux, de mémoire de korrigan on n'avait plus vu chose pareille depuis le temps d'Avalon.

Cet homme avait été annoncé, tout le Petit peuple de la région était en émoi. Depuis les Monts d'Arrée il avait été épié, ses moindres faits et gestes surveillés par trois ou quatre paires d'yeux cachés derrière les rochers et les hautes herbes.

Fañch le regardait sans comprendre, après tout ce n'était qu'un homme... Assez grand, mais sans puissance apparente, vêtu d'une veste boutonnée et d'une culotte sombres, guêtres et sabots, sans rien qui le distingue des autres gens du pays. Et pourtant il était différent.

Il avait été repéré en premier sur les hautes landes des Monts, par des poulpikans. Il était passé sans sourciller au milieu des sombres fondrières et mares périlleuses où pourtant ces petits êtres des marais avaient allumé leurs lumières traîtresses, des flammes vacillantes qui terrorisent et égarent les voyageurs, les conduisant à tomber dans les eaux glauques et noires. Les petites créatures s'étaient même jetées devant lui au milieu du sentier, agitant leurs feux blêmes et montés sur d'énormes rats. Mais il n'avait pas reculé d'un pas et repris son chemin tranquillement.

Ensuite au sortir des montagnes, un soir il s'était trouvé près d'un menhir isolé, point de rencontre des kourrils qui, prévenus par leurs congénères, attendaient le voyageur de pied ferme. Mais quand ils voulurent tisser autour de lui une magie d'effroi et le faire danser jusqu'à l'épuisement autour de la pierre levée, il avait tiré un objet de sa poche et les kourrils s'étaient trouvés comme figés, incapables de faire un pas de plus.

De puis cet endroit, les korrigans se mirent à douter. Alors ils le suivirent, sans oser approcher de trop près. C'était la première fois depuis des éternités qu'un homme ne montrait aucune peur à la vue du Petit Peuple.

Dans des temps lointains noyés sous le poids des années innombrables, le Petit Peuple était maître d'un vaste royaume dont Carnac était le centre. Il s'était établi partout près des premières pierres dressées par les Hommes, encore faibles et peu nombreux mais grands édificateurs de mégalithes. Ils craignaient et respectaient les êtres des forêts, comme les fées et les esprits des arbres et des sources.

A présent ces temps étaient perdus et les croyances commençaient à s'émousser, mais jamais encore un humain n'était resté stoïque face à un korrigan. Et maintenant il entrait dans Huelgoat un homme qui les regardait en face, sans même cligner des yeux.

Fañch resta derrière le rideau d'arbres au bord du sentier. Le bout de son petit bonnet de velours atteignait à peine les fleurs de mille-pertuis perchées sur leurs minces tiges. En silence, sans le moindre bruissement d'herbe il suivait l'étranger tout en l'examinant. Sa taille, sa tournure, son pas tranquille, rien ne le plaçait à part des autres humains Mais Fañch n'avait pas encore vu son visage masqué par les larges bords de son feutre.

A la croisée des chemins marquée par un gros rocher rond il s'assit sur le talus herbeux, le soleil filtrait à travers les feuilles murmurantes, il ôta son chapeau. Alors Fañch put le voir en entier, ses cheveux étaient bruns et tombaient en boucles sur ses épaules, il paraissait jeune mais ce qui frappait le plus était la claire flamme qui brillait au fond de ses yeux noisette. Il souriait avec douceur, les yeux fixés sur la souche derrière laquelle se tenait le korrigan. Sentant son regard sur lui, il se sentit tout petit, bien plus petit que sa taille déjà courte et fluette.

La voix de l'étranger s'éleva, claire et chantante :

-Approche, n'aie pas peur. Cela m'étonne même que tu n'aie essayé aucun tour sur moi comme les autres.

Les autres ? Le petit être se sentit vexé pour eux, l'antique peuple des bois est fier et n'admet pas la moquerie.

Cependant il avança tout de même et se plaça au milieu du chemin.

-Tu es un kornikaned ? demanda le voyageur, remarquant le petite corne passée à son côté dans une sangle de clématite.

Fañch fit un signe de tête mais ne parla pas.

-Viens t'asseoir reprit l'homme, j'ai à te parler.

Timidement il vint se placer à côté de lui mais sans un mot.

-Quel est ton nom ? dit l'inconnu.

-Fañch ar Coat, répondit-il, Fañch de la forêt. Et toi grand fils des Hommes, quel est le tien ?

-J'en ai porté beaucoup qui ne te renseigneraient guère mais on m'appelle le passeur des Temps. Le premier fus-je au temps des pères des Hommes et le dernier serai-je à la fin.

Le korrigan comprit que ses paroles étaient lourdes de sens, mais il ne saisissait pas bien.

-Quelle folle étoile a mené tes pas jusqu'ici étranger ? demanda-t-il.

Alors l'inconnu tira de sa poche un miroir d'argent, parfaitement rond et lisse, baigné d'une lumière mouvante. Son contour était sculpté en un serpent se mordant la queue, le symbole du cycle sans fin.

-Maintenant regarde, dit-il en le tenant face à lui-même, que vois-tu ?

-Mais, je vois ton reflet ...

Alors il lui tendit et continua :

-Dis-moi ce que tu vois à présent.

Fañch se pencha sur le miroir, à la surface, son propre reflet était mince et ténu, comme effacé dans la brume, au contraire de celui de l'étranger. A la vue de cette image son coeur se troubla, il leva vers l'homme un regard interrogateur et lui rendit son miroir.

-Ceci est le miroir des Temps, dit-il. Peu à peu le Monde Caché s'éloigne du monde des Hommes, ainsi ton reflet devient moins visible. Voilà la raison de ma venue.

-Il est temps de passer les pouvoir, reprit-il. Quand le monde était jeune les hommes ont peiné dans l'obscurité et ton peuple était grand. Riches furent vos demeures de pierre mais à présent l'aube des hommes est là. Depuis bien des siècles le monde se transforme et l'île d'Avalon dérive dans les brumes.

Le coeur de Fañch se serrait à ces mots, mais il n'interrompit pas.

-Peu à peu les humains cesseront de croire et ils ne verront plus le Petit Peuple, car la terre va être dominée par eux maintenant. Mais jamais la lumière ne s'éteindra, fils de la forêt, et il restera toujours des hommes pour croire, si peu nombreux soient-ils. Et l'âge des humains passera lui aussi, mais ce qui vient après, je ne puis le dire.

-Mais qu'adviendra-t-il à la fin ? demanda le korrigan d'une voix tremblante.

-Je ne sais, car ce n'est pas moi qui tiens les fils du Monde. Pas du mal il me semble... nous sommes tous issus de la Lumière originelle et elle brille pour toujours.

Le Passeur se leva.

-Va, enfant de la terre, et annonce cela au Petit Peuple. Car j'ai encore bien des pas à faire sous les arbres et je dois me rendre en maints royaumes. Mais peut-être nous reverrons nous un jour qui sait.

Fañch se leva à son tour, rempli des paroles mystérieuses mais il répondit :

-Que cela soit, au revoir Passeur des Temps, le Petit Peuple se souviendra du jour de votre venue.

L'étranger sourit et tout en s'éloignant il s'évanouit dans les feuilles.

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© Kendra



Publication : Concours "Reflet dans un miroir" (Novembre 2001)
Dernière modification : 07 novembre 2006


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