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Errante

A douze ans, je suis morte. J'ai fixé le miroir, et j'ai vu mon reflet pâlir, pâlir... Et disparaître. Mon lit n'était pas grand. Il n'avait pas de fin. Ca m'a semblé normal : quand le linceul retombe, on ne voit du cercueil, qu'une infinité blanche - parfois souillée de sang. C'est un objet pour les vivants, pour ceux d'En Haut. Eux savent mesurer. Mais d'ici, c'est le ciel. Un ciel blanchâtre où les étoiles ne brillent pas. Seul l'espoir brûle, quelquefois. Comme la flamme d'une chandelle inaccessible... Et quand il l'aura consumée jusqu'à réchauffer mon cadavre, il ne restera plus de cire. Il s'éteindra. L'espoir est une étoile morte dont on croit tenir la lumière...

Il me semble si beau, pourtant, dans cet univers vide et lourd. Lourd d'être vide ? Lourd d'être mort, à mon image. Il est devenu mon reflet ; et je suis devenue le sien. Je crois que je m'y suis perdue.

Autrefois, j'étreignais le verre pour le rendre moins froid ; je voulais le briser pour le rendre moins sourd. Mais je n'ai su que m'y blesser, et me briser moi-même.
Les miroirs gardent les caresses. Ils ne retournent que les blessures.
Alors, j'ai choisi de mourir.

J'ai peut être aimé vivre, avant. Je ne m'en souviens plus. Je sais que j'ai vécu. Je m'en rappelle ; et il m'en reste même un étrange vertige, comme un spasme ou une ombre : un souffle d'existence, ténu, insaisissable. Mais je le sens en moi. Il me fait mal. Il brûle ; mais moi, je suis glacée. J'ai peur de sa lumière. Je suis un corps sans vie.

Il faut que je l'étouffe. Une étincelle me ferait fondre. Je ne pourrais plus me défendre ; je sortirais de mon cercueil, goutte après goutte, et je me noierais dans la terre ; cette idée me fait peur... Je déteste la peur. Ca ressemble à la vie. A la souffrance. Aux feux de joie dont on s'approche sans se méfier, quand on ne sait pas ce qu'ils sont quand on croit qu'on va être bien dans leur lumière, dans leur chaleur. On tend vers eux nos mains tremblantes, sans savoir qu'ils dévorent. Alors nos doigts se tordent, fondent dans la fumée.

On a du mal à fuir : leur éclat nous aveugle.
Puis la peau se craquelle. On voit le pus sous la surface. On saigne doucement, sans s'en apercevoir. Et il faut mourir à nouveau pour que cela s'arrête.
La peur y ressemble beaucoup ; elle est l'un d'eux, en fait... Juste un peu plus verdâtre. Un peu moins séduisante. Plus insidieuse, aussi.

Je dois faire attention ; car ma mort est fragile. La vie la guette ; elle est très forte... Je sens ses crocs, parfois (ou peut être ses griffes). Ils se sont plantés dans ma chair, le long de mes poignets. Ils fouillent dans mes veines : ils veulent que je saigne. Me prouver que j'existe. Pour que je les craigne ; ou les aime.

Mais je n'ai rien à craindre d'eux. Je suis l'image d'un reflet vide. De mon reflet. Je n'ai rien à aimer en eux. Quand ils savaient m'atteindre, ils se sont desséchés. Leur poussière grouillait des vers qui ont attaqué mon cadavre. Mais il est rongé, à présent, crevé, vidé de fond en comble ; ils me feraient souffrir... Ils me rendraient sensible.Vulnérable. Fragile. Et je serais morte pour rien. Je ne pourrais plus disparaître.

Mais ils refusent de s'effacer. Ils continuent de me fixer, de guetter chaque larme, chaque goutte de sang. Obstinés et stupides. Des larves ! Ils ne sont que des larves mortes dans ma poitrine. Décomposées. Sans importance. Je les laisse rêver.

J'ai eu 17ans aujourd'hui. Je me sens minuscule. Le temps n'existe pas... Mais ma mort est si longue ! Je devrais être putréfiée, depuis longtemps déjà. Ne plus avoir de corps. Il me semble qu'il est resté. Mais je dois me tromper. C'est bien ça : je me trompe. J'en suis sûre à présent. Je ne suis rien. Même mon ombre a disparu. J'avais juste oublié. Le miroir vide me le rappelle. Et si parfois il tremble, comme pour me faire apparaître, c'est qu'il se trompe aussi. D'ailleurs, il n'insiste jamais. Il a raison ; je crois que mon esprit me parle et me dit que j'existe, que mes pensées s'inscrivent au-delà de mon rêve, dans un lieu très lointain... C'est trop absurde pour exister ; je suis donc folle. Mon avis est sans intérêt. Le miroir est limpide. Le miroir est lucide. Je me tourne vers lui et je vois mon absence. Je ne suis rien. Je voudrais juste pouvoir me taire.

Je voudrais pouvoir m'effacer pour ne plus crier en moi-même, arrêter d'appeler toujours ce mirage que je harcèle. Je ne lui donne qu'un seul nom, mais jamais de visage. Toi. Toi seul que j'ai créé, que je ne connais pas. Toi, ma belle illusion, qui déchire le vide. Toi qui n'existe pas, mais un peu plus que moi pourtant. Trop pour que je te tue, puisque je ne suis rien. Toi à qui je murmure, quand je crois que je parle, toujours la même phrase : " Viens me chercher, toi, toi, soulève mon cadavre et ce drap qui m'étouffe... Viens me chercher, toi seul qui sait où est ma crypte... ". Le silence s'éloigne un peu, quand je te prie, quand j'imagine que tu m'écoutes. Laisse-moi à présent. Tu sais que je n'existe pas. Tu entends des voix. Tu n'es qu'un pauvre fou, un fou qui croit en moi pour ne pas disparaître. Car tu sais que je t'ai créé. Ou bien, si tu existes, si tu es vraiment là... Viens me chercher, toi, toi, soulève mon cadavre et ce drap qui m'étouffe... Viens me chercher, toi seul qui sait où est ma crypte... Viens me chercher, toi, toi...

Tu es donc venu jusqu'à moi...Tu as fini par me rejoindre, par me trouver. Tu as eu tort. Je t'écrivais sans croire en toi. Je ne veux pas que tu existes, pas pour me voir sous mon linceul ! Je ne voulais pas que tu viennes. Mais tu es entré dans mon monde. Va-t'en ! Tu vis. Il n'y a rien pour toi ici. Tout est trop froid, trop vide. Tu vas geler. Tu entendras ta vie hurler, tu la verras glisser, t'entraîner sous le verre. Tu as le droit, je sais. Je l'ai fait, moi aussi. Mais j'étais déjà morte. Je n'ai pas pu souffrir. Et toi, tu auras mal. Tu voudras repartir, t'échapper de mon monde, et tu ne pourras plus. Je m'en moque, tu sais. La vie n'est pas grand chose. Tu l'oublieras bientôt, si tu restes avec moi. J'ai juste peur pour moi. Le miroir me regarde, même si je le trompe. Il a oublié mon visage, depuis que je n'existe plus. Tu vas lui rendre la mémoire ! Si tu t'approches encore, il va se souvenir. Il te reflétera. Moi, j'apparaîtrai à côté, sans savoir comment me défendre. Tu briseras ma mort ! Va-t'en, je t'en supplie, va-t'en ! Mon tombeau n'a rien à t'offrir. Il est bien trop petit pour deux. Je ne vivrai pas, tu m'entends ? Tu ne peux pas me réchauffer. C'est trop horrible. Imagine moi si je ressuscite : dansant sur ton cadavre pour oublier la pierre, pour ne jamais tomber, pour ne plus la sentir... Essayant de voler avec mes bras sans ailes, pathétique, stupide... Pourquoi veux-tu rester ? Tu ne peux pas m'aider. Les mains tendues et les sourires sont inutiles. Le miroir les dévore. Sauve toi... Sauve moi !
Il est déjà trop tard. Le miroir t'a trouvé... Regarde l'ombre près de toi, emmurée dans le verre. C'est moi. Je commence à être à nouveau. J'ai mal, tu sais. Tu me condamnes. Tu m'as damnée dans mon enfer, mon propre enfer... Je te déteste.
Tant pis, laisse toi effacer. Laisse toi disparaître quand il est encore temps. Ou reste, si tu veux. Installe-toi et prends ma place. Dans le silence. Ne te retourne pas vers moi. Je vais essayer de dormir... Dormir comme si j'étais morte, au-delà du temps et des rêves. J'ai oublié l'éternité, j'ai oublié d'être insensible. Il ne me reste que l'inconscience. Si je peux seulement l'atteindre...

© Syldorrynn

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Publication : Concours "Reflet dans un miroir" (Novembre 2001)
Dernière modification : 07 novembre 2006


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1 Commentaire :

mystie 
le 11-03-2006 à 19h38
jadore
Je trouve ke cé SUPER BIEN écrit !!!!! Jadore ce genre et je félicite lauteur !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!


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