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La Parque

La petite fille vêtue d'une combinaison blanche aspetisée s'en vint enfin toquer à la porte de la Parque. Ce vieux bout désséché de femmeavait commandé à son père un verre de son meilleur vin et l'aurait demandé, elle aussi, expressément.Après avoir reçu un " oui " qui lui avait semblé sonner comme un coup de fouet, Luce entra avec précaution : elle ne voulait pas renverser le précieux liquide et avoir l'occasion de revenir dans ce lieu maudit. Elle posa délicatement le breuvage sur la table en jetant furtivement un coup d'oeil effrayé au visage noueux qui se reflétait dans le verre de la table.Il est clair qu'elle n'était pas préparée lorsque la Parque lui passa le doigt le long de la mâchoire en susurrant : " Chère petite fille ... ",

Luce reçut un frisson d'horreur dans sa colonne vertébrale, ce genre de réflexe animal que n'importe quel humain peut ressentir à l'approche de la mort. Elle osa lever les yeux, surtout pour être prête cette fois-ci, à ce qui se passerait par la suite.

" Chère petite fille ", continua la vieille sur un ton qui voulait amadouer Luce, " sais-tu pourquoi je t'ai fait demander? "
Luce secoua la tête lentement, sentant quelque piège dans cette question.
" Oui, bien sûr, comment pourrais-tu savoir chère enfant ... ".

La parque l'observa un moment, se disant qu'enfin son choix avait été le bon.
" Aujourd'hui est un grand jour pour moi : il me faut enfin, après tant de labeur, quitter ce monde. "

La parque prit le verre de vin. Chacun de ses gestes semblait mesurer le temps qui lui restait. Elle leva péniblement le vin à la lumière et en admira les reflets moirés. Oui, c'était bien le meilleurdu moment.Elle en avait tellement connu des moments et des âges!

" Le meilleur vin de Phrygie!Quelle chance par ces temps de pénurie, n'est-ce pas? " Luce ne répondit rien : la pénurie, elle connaissait, et son estomac la lui rappelait trop souvent à son goût. Que pouvait-elle savoir, elle, la vieille, la Parque, cette femme si détestée et si crainte, du manque de tout!Luce voulait s'en aller. Etre là la dégoûtait.

Mais la Parque reprit : " Tu ne peux pas refuser de partager mon repas avec moi.Le vin de ton père ira à merveille, j'en suis sûre.Alors? "
Luce ne dit mot mais les besoins vitaux de son petit corps fit taire son autre instinct de survie qui exigeait, lui, qu'elle s'enfuit. La trop frêle petite fille acquiesça. La Parque sourit et pensa : " Bien sûr, tu ne pouvais pas refuser! "

Agrippée au verre de vin telle une naufragée à sa planche de bois, la Parque se leva lentement et fit signe à Luce de la suivre dans la pièce d'à côté.

Il n'y avait guère de lumière dans celle-ci aussi mais à quoi bon, tout le monde le savait, il y avait une éternité que les yeux de la Parque s'étaient éteints, ce qui ne l'empêchait pas de savoir ce qui se passait clairement dans les coeurs et dans les esprits. Luce fut invitée à s'asseoir à une lourde table de bois. " Du chêne ? ", se demanda la petite fille.Elle n'en avait, bien sûr, jamais vu : seuls les livres mentionnaient encore ce bois de légende d'avant la Grande Réforme.

D'une armoire, qui paraissait être faite du même bois, la Parque sortit un plat rempli de viande fumante et de légumes croquants. " Où avait-elle pu avoir tout cela ? ", se demanda furtivement Luce. Pour l'instant, elle ne préférait pas trop y penser.Son estomac lui interdisait d'y penser!

Elle dévora comme un animal le premier plat, puis un second. Quand Luce eut terminé de manger, ses yeux se posèrent sur le verre de vin. La Parque, qui l'avait observée pendant tout ce temps sans manger elle-même, fit un geste pour lui indiquer qu'elle pouvait commencer à boire sans elle. Elle semblait ne pas avoir faim, ni même soif d'ailleurs et paraissait se satisfaire d'observer Luce, comme un nouvel animal de compagnie.

Luce prit le verre et fit glisser le vin dans sa bouche, le faisant passer de gauche à droite comme elle avait vu faire son père si souvent, puis l'avala dans un soupir de plaisir. Le vin de Phrygie était vraiment le meilleur qui soit.

-- " Comme je te le disais, aujourd'hui est un grand jour pour moi car un cycle vient de se terminer et il est temps que la Transmission s'opère.
-- La Transmission ? ", répéta Luce, en reprenant une gorgée de bonheur.

La Parque sourit cette fois franchement.

" Tout le monde croit la Parque intemporelle, ce qui est vrai d'une certaine manière, mais il est indispensable que son don se regénère tous les cinq mille ans. "

La vieille fit une pause et regarda intensément Luce. La chaleur du vin se répandait dans le corps de la fillette, anéantissant toute volonté de partir.

" Le temps est venu pour la Transmission et avec lui, celui de te faire passer le Fleuve de la Connaissance. "

Luce partait, s'endormait dans les bras de ce fauteuil de chêne. Ou était-ce dans les bras de la vieille femme ? La Parque était là mais elle n'avait plus peur, sa voix, tel un phare, la guidait dans le rêve qui venait à sa rencontre, un songe qui paraissait vouloir être un souvenir qui n'était pas le sien.

Luce était accroupie auprès d'un fleuve au débit rapide et aux flots boueux. Il charriait un lourd mélange d'argile blanche et de poussière rougeâtre qu'elle ne reconnaissait pas.A côté d'elle, une longue barque de roseaux tressés, poussée le long de la rive par le courant, était arrimée par un cordage usé, d'un noeud qu'on avait maintes et maintes fois défait.

Luce avait chaud et sans avoir aucune idée de l'endroit où elle se trouvait, ce lieu, les courbes du fleuve, lui étaient familiers. Elle savait aussi qu'elle était celle qui faisait passer.

Sans se relever, elle regarda tranquillement tout ce qui était autour d'elle. A droite comme à gauche, il n'y avait rien d'autre que des berges à la terre ocre.

L'autre rive était plus intéressante parce que plus animée. Sans parvenir à les distinguer clairement, Luce pouvait voir des silhouettes se balancer confusément dans cet air si chaud.Toutes vêtues de blanc, certaines semblaient se hisser sur la pointe des pieds, d'autres mettaient la main au-dessus de leurs yeux, comme pour essayer de voir quelque chose sur l'autre berge. Alors qu'elle contemplait ces étranges petites flammes blanches, quelqu'un la héla d'un ton agacé :
-- " Hé, toi! C'est toi qui fait passer?
-- Oui, c'est moi ", dit Luce en se levant péniblement. Elle ne reconnut ni sa voix, ni ses mains poussiéreuses qui défirent le cordage de la barque.Il lui semblait qu'elle répétait ces gestes depuis une éternité.

Luce fit monter le passager à bord et dégagea l'embarcation de la rive à l'aide d'une perche. En dépit des remous du fleuve, la barque semblait glisser d'elle-même en direction de l'autre rive. Luce savait qu'elle était seulement là pour accompagner ceux qui devaient traverser.

Elle prit alors son temps pour regarder son passager, un homme d'environ quarante ans, le visage marqué par la maladie.Lui aussi la regardait. Elle le reconnut et comprit : c'était son père qu'elle conduisait ainsi en d'autres temps et en d'autres lieux.

La Parque apparut à ses côtés et lui dit doucement, presque sur le ton du regret :
" J'ai dû moi aussi accompagner mon père sur l'autre rive pour devenir la puissante Parque que tout le monde redoute. C'est le prix à payer : une Parque ne peut être reliée à la terre, de quelque façon que ce soit. "

Luce sentit sur son front perler des gouttes de terreur : elle commençait à comprendre magré elle.

" Qui suis-je? Est-ce que je suis " vous "? "
La Parque sourit d'un gouffre édenté.
" Quelle importance! On ne peut pas arrêter la Transmission.Elle est telle ce fleuve qui ne pourra jamais être détourné de son but. "

Pendant que la Parque parlait, le père de Luce se dévêtit sans un mot, jeta ses vêtements d'homme au fleuve qui les avala goulûment et se couvrit d'un long vêtement blanc. Luce se retourna pour juger de la distance qui restait à parcourir. Pourrait-elle l'éviter après tout? Voulait-elle vraiment l'arrêter?

A ses côtés, la Parque souriait toujours. La Transmission était bientôt achevée et elle pourrait enfin mourir.

Luce, prise de panique, chercha des rames, n'en trouva pas, prit la perche et essaya de toutes ses forces fragiles d'inverser la course de la barque. Mais plus Luce luttait, plus l'embarcation prenait de la vitesse. Rien n'y faisait et la Parque souriait toujours.

Désespérée, Luce tourna son petit visage vers celui de son père, devenu à présent si pâle. N'y avait-il pas d'autre solution? Comme s'il avait entendu son désespoir intérieur, le père de Luce secoua la tête d'un air apaisant.

Au moment où la barque choquait contre la rive des Morts, il la prit tendrement dans ses bras et lui souffla dans l'oreille : " Va et vis! "

Des membres de la famille, parmi lesquels Luce reconnut sa mère, vinrent accueillir son père dans sa nouvelle demeure. La Parque, quant à elle, disparut dans une brume de vapeur grise qui fit entendre l'écho de son rire triomphant.

Le cauchemar se termina enfin. Le chêne se mit à gémir au réveil de la Parque renouvelée. La petite gisait au pied de la table, le visage bleu : le vin qu'elle lui avait servi avait fait son effet. Un de ses serviteurs viendrait la débarrasser tôt ou tard de ces déchets. Quelle importance! Elle avait plus urgent à s'occuper à présent.

En faisant souffrir une nouvelle fois le bois légendaire, la Parque se leva et se dirigea vers une salle obscure où un programme sophistiqué de sélections aléatoires lui avait été confié il y avait maintenant une bonne centaine d'années, à l'époque de la Grande Réforme.

En effet, dès qu'on les avait découvertes, les Parques et leur talent avaient été appréciés à leur juste valeur. Les guerres, les famines et les épidémies avaient trouvées leur justification ignoble en leurs personnes. On se rendit compte que quelqu'un devait, de toute façon, jouer ce rôle de régulateur de la population, que l'on veuille ou non.Alors, les hommes avaient décidé de s'implanter une puce, dès la naissance, à la base du cerveau, branché sur les circuits vitaux de leurs corps. Les Parques étaient juste là pour les tirer au sort puisqu'elles étaient indéniablement talentueuses pour choisir ...

Et comme elle était, elle, la plus jeune, n'avait-elle pas été toujours la plus douée? Sans aucun doute. C'est pour cette raison, et aussi parce qu'elle voulait enfin délester ses chères soeurs aînées de cette pénible besogne, qu'elle décida de les choisir en premier, mais selon la tradition, avec le bon vieux fil à couper. Devenues inutiles, elles ne purent que remercier leur cadette de s'acquitter en solitaire du " sale boulot ".

La vieille s'approcha de la performante machine que les hommes lui avaient confiée et laissa sa main effleurer le clavier. Quel jeu excitant et nouveau!

" Qui vais-je choisir? ", se demanda Luce.

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© shaana



Publication : 05 novembre 2007
Dernière modification : 05 novembre 2007


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4 Commentaires :

Estellanara Ecrire à Estellanara 
le 12-12-2007 à 12h43
Histoire en devenir
Le début in medias res est un petit peu abrupt, je trouve. Le style est un tantinet maladroit, avec une surcharge d’adjectifs par endroits et des répétitions du mot « parque ». Rien de grave, cependant, un peu de pratique et il n’y paraîtra plus. Certaines phrases, un peu confuses, sont à retravailler, comme par exemple « un songe qui paraissait vouloir être un souvenir qui n'était pas le sien »....

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Narwa Roquen Ecrire à Narwa Roquen 
le 12-11-2007 à 18h13
Un bon début!
Bienvenue à toi ! Le Cercle est ravi de t’accueillir pour une première participation tout à fait intéressante ; c’est une histoire bien sympathique, qui comme celle de Maedhros, mêle habilement mythologie et SF. C’est joliment écrit, et le personnage de la petite fille est très attachant. Le style est fluide, les dialogues le rendent vivant et dynamique.
J’ai relevé quelques fautes d’orthograph...

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shaana Ecrire à shaana 
le 11-11-2007 à 21h00
Réponse à Maedhros
Merci de tes encouragements : cela me va droit au coeur! Sinon, oui, tu as parfaitement raison sur le fait que j'ai laissé le lecteur "sur sa faim". A vrai dire, j'ai eu peur de m'attarder -- et donc de délayer -- sur certains pans de l'histoire, en particulier tous les aspects concernant le programme de sélection, et de façon générale, tout ce qui touche à l'origine d'une telle situation, car il...

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Maedhros Ecrire à Maedhros 
le 07-11-2007 à 16h49
La plus "sioux" des Parques...
L'histoire est astucieuse.

Au début, connaissant la légende, je guettais le détail détonant... mais tu as déjoué mon attente en détournant malicieusement le cours du destin de ces échevelées bêtes à couper du...fil! De là, l'expression, ma vie ne tient qu'à un fil...

Le texte est assez court ce qui lui permet de conserver une belle dynamique de bout en bout. Les descriptions sont agréables...

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