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La fontaine de Barenton

Azenor avait du mal à se tenir en selle. La blessure à son côté tachait sa tunique d'une grosse fleur rouge. Pourquoi avait-il refusé de se battre ? Avait-il été lâche ? Pas aussi lâche que ce traître qui l'avait attaqué dans le dos en tout cas. Il serra les dents.

Mais enfin pourquoi n'avait-il pas riposté ?

Les arbres défilaient autour de lui. Enfin il arrivait en bordure de Brékilien .Le sentier était fin, effacé par la nature qui reprenait ses droits. Il avait besoin d'une réponse, pour la première fois de sa vie il doutait. Devant cette brute de Gurvan il aurait dû tirer l'épée, comme tout bon chevalier. Mais pour une fois il s'était senti las de combattre .

Il l'avait provoqué, un prétexte stupide, une insulte, pas de quoi justifier un duel. Mais il voulait se battre, contre lui, Azenor de Lanvollon, vassal du roi Ban, toujours paisible et ne cherchant pas querelle. Il l'avait mis au pied du mur, ce fourbe. Mais il avait répondu comme si les mots ne venaient pas de lui et pourtant c'était bien sa propre voix qu'il avait entendu " je ne veux pas me battre avec toi ". Et il avait tourné les talons.

Mais Gurvan avait dégainé son épée, un coup, un seul, sûr et sans pitié. Alors il s'était retourné regardant le traître dans les yeux. Il avait planté sa lance devant lui sans rien dire et était parti à cheval.

Sa blessure lui faisait mal, il mit pied à terre. L'entaille était douloureuse mais la lame avait glissé sur les côtes. Il guérirait. Oui il guérirait, une fois de plus, et un jour prochain il recevrait une autre blessure, et bien d'autres à venir encore... Pourquoi ? Il avait une femme, un fils et une fille, à quoi lui servait-il encore de se battre alors qu'il aurait voulu prendre soin d'eux, regarder enfin sa terre et la faire prospérer ?

Et maintenant il était blessé pour avoir refusé de tirer l'épée. Il se sentait troublé , était-ce de la lâcheté ? Non, il aurait très bien pu vaincre cet homme là.... Mais alors qu'est-ce qui l'avait retenu alors ?

Quelques gouttes de sang tombèrent de sa main. Il fallait qu'il sache. Il remonta à cheval, écartant les branches basses des jeunes chênes qui lui barraient la route. La forêt était paisible, verte et dorée, pleine de lumière et de chants d'oiseaux. Il arriva à la petite clairière toute ronde d'où partaient d'autres sentiers. Au centre était la source, la même source bouillonnante dont Yvain avait versé l'eau sur le perron de marbre, ce qui avait eu pour effet de déclencher une tempête. Mais c'était au temps d'Arthur et il était bien jeune à cette époque. Le perron avait disparu.

A chaque fois que le doute l'avait submergé il était venu ici, contempler son image dans le miroir liquide. Aujourd'hui l'eau était calme, coulant entre les pierres.

Il se pencha sur l'eau, son reflet lui apparu parfaitement identique. Il tourna sa volonté vers les puissances qui habitaient cette fontaine. L'eau se troubla et devint d'un rouge épais, il eut peur et recula d'un pas mais son reflet réapparut, il avait les yeux fermés, un sourire sur les lèvres, comme plongé dans le sommeil .

Alors le murmure du vent et de la source se confondirent comme un souffle une voix qui s'adressait à lui.

-Selaou .... (écoute)

Dans le sentier se fit entendre le bruit des sabots d'un cheval. Il se retourna. C'était Gurvan qui l'avait suivi. Azenor sentit la colère monter en lui, ce traître ne profanerait pas un lieu sacré !

-Pose ton épée Gurvan, car je ne me battrai pas !

Le traître eut un sourire cruel.

-Oh si tu te battras.....

Azenor sentit le fer acéré sous sa gorge, l'espace d'un éclair il vit sa femme veuve. Non il ne voulait pas cela. Gurvan n'avait pas d'enfants, il ne pouvait pas le comprendre.

Il tira l'épée.

Son ennemi se jeta sur lui. Les lames se rencontrèrent, le choc tira des étincelles des fers croisés. Azenor parait les coups, essayant lui même d'en porter le moins possible, il lui répugnait de se battre en ce lieu, si près du miroir de ses pensées. Il sentit à nouveau le fer de son ennemi lui traverser l'épaule. Il tomba à genoux tant le coup avait été brutal. Dans sa chute il éclaboussa un peu d'eau de la source.

La source... son regard se porta sur l'onde limpide, il y vit le reflet de Gurvan qui se ruait sur lui. Alors d'un seul coup il jeta son épée en avant, avec une force qu'il n'aurait pas soupçonné d'exister en lui. Il la sentit traverser la chair. Gurvan s'arrêta net, la pointe de l'épée dépassait dans son dos. Il s'écroula sur le sol.

Péniblement Azenor se releva. Ses compagnons arrivaient. Quand il fut debout sa vue se troubla et il perdit l'équilibre. Il s'adossa à la pierre de la source et attendit. Quelqu'un se penchait sur lui, défaisait les lacet de sa tunique ; on s'agitait. Il ne comprenait pas pourquoi. Il ferma les yeux, sentant la pierre derrière lui, la fraîcheur de l'eau, la douceur du soleil sur son visage. Il lâcha son épée et sourit. Il pensa à son fils, à sa fille. Doucement le monde bascula autour de lui et la douleur disparut. Sa tête retomba sur son épaule et son visage s'illumina, emprunt de sagesse et de paix .

Dans l'eau claire de la source son reflet était net et sans défaut.

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Publication : Concours "Reflet dans un miroir" (Novembre 2001)
Dernière modification : 07 novembre 2006


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1 Commentaire :

eiram 
le 06-04-2004 à 18h40
merci
il faudra me pardonner si mes mots ne sont pas très correctes mais je viens de me réveiller d'un endroit où le retour se fait difficilement ... je ne vois dans le miroir qu'une ombre ébahi, surprise mais étrangement calme ... cette ombre ? la mienne ... oui, la mienne après avoir lu ce texte ... mais on peut me comprendre ... c'est ... trop ... trop ... trop quelque chose ... non, je ne trouverai...

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