Le plus dur, dit-on, est de trouver un titre. C'est ce qui prend le plus de temps paraît-il, il faut le chercher dans les derniers instants de l'écriture. Mais comment faire lorsque c'est lui le premier à émerger, accompagné d'une horde d'images ?
Faut-il l'ignorer ?
Le remettre à plus tard ?
Ce serait dommage, pense le narrateur de cette histoire.
L'enfant, terrorisé, regardait le bâton qu'il brandissait au-dessus de lui. Il n'avait pas le courage de croiser le regard furieux de cet homme. Prenant ses jambes à son cou, il détala.
- Maudit gamin, grommela celui qui faisait la frayeur de tous les petits.
Il avait perdu un temps précieux, il était l'heure de fermer boutique. La nuit était gaspillage, songeait Ebeneezer en refermant sa redingote. Il se coiffa de son chapeau haut de forme avant de sortir affronter la froide nuit d'hiver. Les rues étaient presque désertes en cette heure, mais il perçut quelques rires qu'il balaya de sa canne. La neige se mit à tomber. Enveloppé dans son long manteau noir, il regardait sans les voir, les êtres qui passaient près de lui.
Il ne fut pas spécialement remarqué, sauf par une femme. Elle avait d'abord dévisagé cet homme de loin. Elle avait vu qu'il boitait fortement, et supposa que le long manteau noir avait pour fonction d'atténuer la claudication. Le promeneur pouvait avoir entre quarante et cinquante ans et portait la marque de ceux qui n'ont pas été épargnés par le destin. Il portait un chapeau noir qui libérait des cheveux poivre et sel en bataille réunis dans un semblant de tresse longue jusqu'aux épaules. Le ruban noir qui la terminait la fit sourire. Elle paria silencieusement sur son mode vestimentaire. L'homme avait un visage pâle, un nez aquilin, et des rides s'étaient creusées sur son front. Elle fit un signe de la main. Il rejoignit l'abri et sans doute la chaleur d'un foyer. Lorsqu'il retira son manteau, elle jubila. Elle avait vu juste. L'homme portait une redingote noire, une chemise blanche serrée au cou par un ruban, noir également. Elle s'était intéressée aux récits de Hermann Melville et avait pu voir des illustrations de l'habillement des hommes du XIXe siècle. Celui qui était installé dans le fauteuil semblait s'être échappé de cette époque. Elle le regarda avec plus d'attention. D'autres rides avaient élu domicile au coin des yeux, et des cernes profondes expliquaient clairement qu'il manquait de sommeil. Lorsqu'il lui fut demandé ce qu'il souhaitait boire, il leva des yeux clairs surprenant par l'intensité de son regard celle qui l'observait. Les lèvres fines ne se relevèrent pas dans un sourire quand il parla. Savait-il seulement sourire ? Il paraissait sous le coup d'une tristesse ou d'un fardeau trop lourd à porter. Elle ne ressentit pourtant aucune aménité dans la voix douce, mais autoritaire qui lui parlait. Juste une grande résignation. Il lui manquait peut-être une personne à qui se confier ?
Elle soupira. La question avait brisé sa rêverie et prise de court.
- Mais que lui trouves-tu à la fin ?
Le mécontentement qui perçait dans sa phrase ne lui avait pas échappé. Elle haussa les épaules.
- Non, tu ne t'en tireras pas à si bon compte !
- Il est séduisant...? Dit-elle en espérant intérieurement que la réponse serait satisfaisante. Las, un soupir lui répondit.
Quelle idée aussi d'organiser un pique-nique en pleine nature... Elles avaient bien mangé et certainement trop bu. Adossées contre un chêne séculaire, elles se reposaient sous la chaleur du soleil.
Elle frissonna. C'est qu'il avait réussi à la mettre mal à l'aise. De quel complot s'agissait-il cette fois ? Il était si facile de lui faire confiance... Lorsqu'il avait serré Julia dans ses bras pour la consoler, un soupir lui avait échappé. Non, il ne pouvait être un traître, et pourtant, le voir commettre ces actes barbares l'avait touchée. Et lorsqu'elle avait vu le Docteur Jonas avalé par les flots sanglants, elle avait préféré se tourner vers Charles.
Il est assis dans son fauteuil roulant, et malgré son handicap, il m'impressionne. Bien que la lumière étrange m'occulte de nombreux détails, je sais que sa pâleur révèle des traits nobles. Il est chauve, et pourtant, ce sont ses yeux qui retiennent toute mon attention. J'aurais pu remarquer que, comme à l'accoutumée, il porte un costume d'excellente coupe, noir ; mais ce soir, je pourrais plonger mes yeux dans les siens et sonder son âme. Tout son être respire la bonté et je comprends mieux pourquoi il a été mis au ban de la société.
Elle parlait à voix haute et ne fut guère surprise lorsqu'elle fut raillée par ses compagnons.
- Imagines-tu seulement les répercussions de tes sentiments ? Te rends-tu compte du scandale ? Si le roi l'apprend, tu peux dire adieu à notre cour. Tu iras chez ces mortels que tu vénères et tu goûteras à leur vie de labeur et de souffrance. C'est cela que tu veux ? Renoncer à l'éternité pour un mortel que tu as vu quelques fois sans jamais lui parler ?
- Vous ne le connaissez pas, vous ne pouvez pas comprendre, c'est certainement un grand magicien. Il se cache parmi les hommes, il a leur apparence, mais il ne fait pas partie de leur société, il est différent !
- Mais ma pauvre Elygia, tu ne lui as même jamais parlé !
Elle ne répondit pas. Elles n'avaient pas entièrement tort...
Brusquement découragée, elle renonça à leur expliquer ce qui les dépassait. Elle s'efforça de bannir son visage et ses gestes de son esprit, et revint dans la réalité. La forêt n'avait pas bougé, elle restait cette protection et cette cachette qu'elle avait toujours connue. Elle pensa au soir qui la verrait se séparer de son domaine.
- Tu savais que les forêts sont le cadre préféré des films médiévaux ? C'est Bob Héron qui me l'a dit.
- Ah oui ? C'est vrai qu'il apprécie ce genre d'histoires... dit-elle, déjà sur les sentiers de l'imaginaire.
Il venait de gagner le tournoi dans un grand éclat de rire et avait remporté le privilège de tirer l'épée. Bien entendu, il échoua. Sa force brute ne l'aiderait en rien, mais il aurait l'immense privilège de marier sa fille au roi. Lui qui témoignait bruyamment sa fidélité à ce jeune homme fraîchement couronné, se verrait récompensé de belle façon. Il valait mieux qu'il devienne un autre roi, au coeur noble, dont l'histoire se souviendrait comme d'un homme juste et bon. Mais avant cela, il lui faudrait traverser la forêt en hors-la-loi, devenir la voix des pauvres et des opprimés, et comme Ulysse, libérer celle chère à son coeur d'une union malheureuse avant de regagner son rang.
Elle se sentit brusquement prise en faute et chassa ses pensées d'un petit geste de la main. Ses amies riaient autour d'elle, sans remarquer son trouble. Plus tard, elle irait le voir, encore. Elle avait appris qu'il passait dans ce théâtre qu'elle appréciait tout particulièrement. Tout était si grandiose. Les spectateurs portaient de belles toilettes, et le cadre... Elle aimait voir le rideau pourpre s'ouvrir dans un bruissement harmonieux et solennel qui annonçait une tragédie. Elle le verrait jouer son rôle préféré, celui de cet homme qui s'était écrié :
Qu'on me donne un bâton d'honneur pour ma vieillesse,
Non le sceptre de qui doit gouverner le monde
Il eût mieux valu qu'il le prenne, ce sceptre. Il n'aurait pas vu périr toute sa famille. Il n'aurait pas dû tuer sa fille chérie, et se suicider après avoir assassiné le roi et la reine.
Elle prit conscience des regards curieux qui l'observaient. Une fois encore, elle avait laissé vagabonder ses pensées...
- Il te demande, chuchota Elenwë.
- C'est un grand honneur, renchérit sa soeur.
- Qui ? De qui parlez-vous ?
- De notre roi.
Elle suivit leur regard et remarqua quelqu'un debout à côté d'un arbre. Il n'était pas loin et souriait de leur frayeur, sans doute. Le temps s'arrêta et le silence se fit lorsqu'elle le contempla.
C'était lui.
Oh, bien sûr elle n'ignorait pas qu'elle lui devaitAlf | Sous les tamaris | ||
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