LE PREMIER JOUR
Tapis parmi les hautes herbes du champ qui jouxtait la forêt, Titou fit une tentative pour apercevoir le chemin qui serpentait en direction de la cité. Un groupe de soldats arrivait au galop, leurs armures étincelantes au soleil de l'après-midi. Sa cachette était peu sure aussi décida-t-il, à contre coeur, de pénétrer dans la " forêt sans retour ". Il n'avait pas peur de ce bois maudit. La chose qui l'effrayait le plus, en ce moment, était de se faire prendre car les petits voleurs à la tire dans son genre finissaient invariablement au cachot dans le meilleur des cas, mais la plupart du temps par se balancer au bout d'une corde. Alors, de deux choses l'une, où il tentait sa chance dans les bois avec tous les risques que cela comportait, où il filait au nez et à la barbe de ses poursuivants, sachant pertinemment que cette seconde solution avait peu de chance de réussir.
Il prit la première option lorsqu'il entendit se rapprocher la galopade. Il se coula délicatement dans le profond fossé qui longeait le bois et pénétra sous les frondaisons. Il fut alors saisi par la fraîcheur qui régnait sous les grands arbres et dût attendre quelques instants pour que ses yeux se fassent à l'obscurité ambiante. Boqueteaux, rochers, branches mortes étaient autant d'obstacles qu'il fallait éviter dans sa course éperdue. Le sol était couvert d'un épais tapis de mousse et d'aiguilles de pin, de feuilles en décomposition qui amortissaient les sons. Titou jeta rapidement un regard en arrière et vit plusieurs cavaliers hésiter. Il est vrai que ce lieu avait fâcheuse réputation. Certains prétendaient que des monstres y avaient élu domicile, d'autres le disaient hanté par des créatures mystérieuses ou par des bêtes féroces. Il fallait bien reconnaître qu'aucun de ceux qui avaient osé y pénétrer n'en était ressorti, la forêt était si vaste. Mais tout ceci n'était que contes et fariboles, des histoires pour faire peur aux enfants et Titou ne croyait pas aux contes, il n'avait pas peur et n'était plus un enfant.
Il continua donc sur sa lancée, ignorant les griffures que lui infligeaient les basses branches et les bouquets de ronces qui s'obstinaient à ralentir sa course. Il n'avait plus trop la notion de temps et quand il lui parut raisonnable de faire le point de la situation, il constata avec bonheur qu'il avait bel et bien échappé à ses poursuivants. Sa joie fut cependant de courte durée lorsqu'il réalisa qu'il se trouvait perdu au milieu de nul part, à cent lieues semblait-il de toute vie. Il lui était impossible de revenir sur ses pas, il ne retrouverait jamais son chemin et même si cela était possible, on l'attendait peut-être à l'orée de la forêt. Pour la première fois de sa courte vie, Titou paniqua. Il s'assit derrière l'énorme tronc d'un immense hêtre et, posant sa tête contre le tronc rugueux, se mit à pleurer doucement.
Soudain, quelque part, un oiseau chanta. Ce n'était, au début, que quelques notes lointaines mais qui se rapprochaient rapidement pour finalement s'arrêter juste au-dessus de lui. Il leva la tête pour tenter d'apercevoir d'où cela pouvait provenir. Il distingua, dans la ramure d'un grand chêne, un volatile de belle envergure, paré de couleurs merveilleuses. Titou n'en avait jamais vu de semblable. L'oiseau l'observait. Il battit des ailes et prit son envol. Il alla se poser dans la ramure d'un bouleau et regarda à nouveau Titou. Intrigué celui-ci s'approcha.
Ce petit jeu dura pendant un moment. Puis, aussi subitement qu'il était apparu, l'oiseau disparu et avec lui son chant. Tout à sa déception, Titou ne réalisa pas immédiatement qu'il était arrivé à l'orée d'une minuscule clairière où coulait une rivière d'eau claire bordée de touffes de cresson, de lys d'eau et de fougères naines. Un voile de brume bleutée venait lécher l'autre rive qui se distinguait à peine. Par moments, il entrapercevait une fantomatique forme plus sombre qui se rapprochait. Le coeur battant la chamade, paralysé par cette vision, il ne put faire un geste. Il regarda avancer le spectre grisâtre qui venait à sa rencontre.
S'en était fini de lui. Les contes disaient vrai. Il y avait bel et bien des monstres dans la forêt. Il était sur le point de regretter les bastonnades et les cachots du roi, quand un homme émergea lentement de la brume. Il tenait dans sa main gauche un bâton dont le bout s'ornait d'entrelacs soigneusement sculptés. Sa chevelure, ainsi que sa courte barbe, avaient la couleur de la neige. Grand et mince, enveloppé dans un large manteau noir à capuche, il fixait intensément, d'un fascinant regard vert, l'enfant qui lui faisait face. Ils s'examinèrent ainsi pendant quelques minutes qui furent un siècle. L'homme sourit.
- Bonsoir mon garçon
- .........
La voix était chaude et agréable. Titou fut incapable d'émettre un son malgré l'accueil bienveillant du vieillard. Il se dégageait de cet être surgit de nulle part quelque chose d'indéfinissable qui intimidait et rassurait tout à la fois.
- Te voilà enfin
- ...??
- Aurais-tu perdu ta langue par hasard ?
Titou fit non de la tête.
- Voilà une bonne nouvelle. Tu n'as rien à craindre de moi, je ne te veux aucun mal. Je sais que tu es perdu, que tu as faim et que tu as soif. Je sais aussi que les soldats du Roi sont à ta recherche et ceci pour avoir soulagé un influent et ventripotent bourgeois, de quelques écus d'argent, pas plus tard que ce matin sur la place du marché et avec grande dextérité, je dois le reconnaître !
Titou en resta bouche bée. L'homme lui tendit la main :
- Viens Titou, tu peux traverser maintenant.
- Comment connaissez-vous mon nom ?
- A la bonne heure ! Je te croyais muet.
- Qui êtes-vous Messire ? Je ne vous connais pas !
- Messire.... Voilà qui est fort obligeant de ta part. Mais noble seigneur je ne suis point. Je ne suis que l'hôte de cette forêt et depuis de bien longues années maintenant. Je ne règne que sur les bruyères de la lande, les arbres séculaires et le petit peuple qui l'habite.
Titou ne comprenait rien à l'énigmatique discours. Il se surprit cependant à saisir la main tendue et se trouva ainsi sur l'autre rive.
- Ils ne te retrouveront pas de sitôt
- Comment savez-vous cela ?
- Je sais beaucoup de choses, tu auras l'occasion de t'en rendre compte si tu reste quelques temps avec moi.
- Je suis un voleur messire. Allez vous me dénoncer ?
- Que dois-je faire à ton avis ?
- J'avais faim messire
L'homme en noir soupira puis regarda Titou d'un air sévère
- Oui, je sais.
- Puis-je vous poser une question, messire ?
- Pas Messire .... Tu peux m'appeler Maître, si tu le désires.
- Oui Mess... Maître. Quel est ce phénomène, cette brume je veux dire. Elle ne semble pas naturelle. Pas à cette saison ni à ce moment de la journée. Qu'est-ce exactement ?
- Eh bien vois-tu, tu te trouve actuellement dans une partie de la forêt qui doit demeurer cachée aux yeux de tous. Les brumes me protègent.
- Vous ne voulez donc pas être vu ?
- Certaines personnes ne doivent pas me voir, d'autres ne peuvent me voir. Seuls y sont autorisés ceux que j'ai choisis
- Vous m'avez donc choisi ! conclu Titou étonné
Le vieil homme entraîna l'enfant à sa suite. Ils traversèrent les volutes de brume et débouchèrent sur un sentier de terre. Ils marchèrent longtemps et finirent par arriver, à la nuit tombante, devant une chaumière parfaitement dissimulée dans la verdure. Une lueur dorée filtrait à travers la porte et de la fumée sortait par la cheminée. L'intérieur, s'il semblait rudimentaire, n'en était pas moins confortable à ce que pu juger Titou : Une grande cheminée où brûlait un bon feu, un chaudron pendu à la crémaillère d'où se dégageait un fumet odorant, une table, plusieurs chaises, quelques coussins, un fauteuil posés sur la terre battue. Aux poutres du plafond étaient accrochés des bouquets de diverses plantes et de fleurs séchées, sur les étagères étaient posés des pots de terre cuite de toutes tailles et de toutes formes. Dans un coin sombre, on apercevait une volée de marches montant à l'étage supérieur.
- Voici ma demeure. Tu es ici le bienvenu. Je pense qu'il serait bon que tu te caches pendant un certain temps. Qu'en penses-tu ?
- Oui maître.
- Bien. Il sera temps d'en parler demain, après un bon repas et une nuit de repos. Mais, auparavant, un bain me semble tout indiqué car tu dégage un fumet, comment dire... assez particulier.
LE DEUXIEME JOUR
Est-ce le soleil entrant à flot par la petite ouverture de la mansarde qui lui servait de chambre ou bien les senteurs boisées qui parfumaient agréablement l'atmosphère qui l'éveillèrent ? En tout cas Titou fut rapidement debout, et passant la main dans sa tignasse ébouriffée, dévala l'escalier. L'homme de la veille au soir était bien là, assis devant une imposante table où étaient amoncelés des rouleaux de parchemins et une pile impressionnante de grimoires.
- Bien dormi j'espère, car aujourd'hui nous avons du pain sur la planche. Voyons voir....Nous commencerons peut-être par les potions, ensuite nous verrons les lettres, puis nous étudierons les chiffres puis..... Au fait ton repas attend là, dit-il en montrant du doigt. Dès que tu as terminé, viens me rejoindre.
- Je vais travailler avec vous Maître ?
- Tu vas apprendre de moi certaines choses. Beaucoup de choses si tu es un bon élève
Le nez dans son écuelle Titou ne dit rien. Ce Maître parlait vraiment bizarrement. Il ne savait pas ce qu'étaient des lettres, ni des... il ne savait plus quoi au juste. Il était certain d'être un bon voleur mais un bon élève ?.... Bah, il verrait bien. De toute façon il fallait qu'il occupe sa journée. D'ici peu, il partirait et ne verrait plus l'homme étrange dont il ne connaissait même pas le nom alors que lui connaissait le sien.
- J'ai terminé Maître.
- Parfait, viens ici maintenant, car nous n'avons pas de temps à perdre.
Le Maître se saisi du gros sablier qui trônait au centre de la table et le retourna.
Docile, l'enfant fit ce qui lui était demandé et c'est ainsi que le Maître commença son éducation. Titou apprit à reconnaître les plantes que prodiguait abondamment la nature et à préparer des onguents et des potions. Il apprit les lettres pour connaître la magie des mots, les chiffres et leurs mystères, l'alchimie et ses secrets. Il étudia la course prodigieuse des astres dans le ciel. Il comprit pourquoi, l'hiver venu, la nature mourrait et comment au printemps, soudain elle renaissait. Il vogua sur les mers immenses et se perdit dans l'ocre des déserts de la terre. Il pénétra dans les demeures des rois, et fut convié à la table du simple hère. Il connut des couchers de soleil flamboyants et des aurores dorées, des nuits sans étoiles et des matins blafards. Il vécut une vie et il en vécut cent.
Oui, il fut un bon élève et le Maître fut content. Alors le Maître lui dit :
- Tu sais maintenant tout ce que tu dois savoir. Je crois que nous allons devoir nous quitter, n'est-ce-pas mon garçon ?
Titou regarda le sablier, le dernier grain venait de tomber.
- Déjà Maître ? Je ne suis ici que depuis un jour. Les soldats du roi doivent encore être à ma recherche. Dès que je sortirai du bois je risque fort de me faire prendre. Il se pourrait bien que votre bonté n'ait, dans ce cas, servit à rien.
- N'en soit pas si sur. Il te faut reprendre la route car ton chemin est encore long.
Triste, Titou ne sut quoi dire. Il avait envie de rester quelques jours encore.
- Vous allez vous ennuyer sans moi !
Cette affirmation fit sourire le Maître.
- Ne t'inquiète pas pour cela. Je vais avoir beaucoup de travail. Je dois me préparer pour mon prochain élève.
- Attendez-vous un autre voleur ?
Cette dernière remarque fit rire le Maître à gorge déployée.
- As-tu pris plaisir aux leçons ?
- Oui Maître, beaucoup
- Que vas-tu faire maintenant ?
- Je ne sais pas. Je vais réfléchir. Il y a de nombreuses possibilités je crois
- Oui, je le crois également. Allons viens maintenant. Il est temps.
Comme il était arrivé la veille au soir, Titou s'en repartit par le même chemin, en tenant, une fois encore, la main de l'homme. Il était toujours aussi grand, toujours aussi impressionnant et lui encore si petit.
Arrivé dans la clairière près de la petite rivière, Titou constata qu'il n'y avait plus de brume et l'autre rive semblait bien obscure. Il regarda son Maître qui comprit son désarroi.
- Tu vas traverser le ruisseau et tu suivras mon guide. Il t'attend de l'autre côté.
- Je ne vois personne.
- Lui te verra et tu l'entendras.
Titou ne savait comment manifester sa gratitude. Il n'avait jamais été obligé de dire merci car on ne lui avait jamais rien donné, on lui avait toujours prit.
- Je sais ce que tu penses. Tu es un bon garçon et n'as pas à me remercier. Je t'ai enseigné suffisamment de choses pour que, de ta vie, tu fasses quelque chose de bien. Tu n'auras plus à voler ou à mendier. Vas par le monde et penses de temps en temps à moi.
- Oui, Maître je vous le promets.
- Bien, traverses maintenant.
Titou obéit sans discuter. Une fois sur l'autre rive, il se tourna une dernière fois vers l'homme.
- "Telle l'eau du ruisseau, le temps s'écoule et comme elle, il nous emporte au gré de son courant. Parfois très lent et parfois torrent mais toujours dans la même direction. Va de l'avant, suis son cours, il peut te mener loin. Ne reviens pas en arrière, cela ne sert à rien. Tu vas retrouver le monde des hommes, ton monde.. Tout semblera étrange mais ne crains pas ce que tu vas découvrir.. Surtout ne dis rien, d'ailleurs personne ne te croirait. Il est un côté de la barrière où le fleuve coule lentement et de l'autre où il est torrent."
- Je ne comprends pas Maître.
- Lorsque tu sortiras de la forêt, tu comprendras.
- Maître....
- Oui
- Ne connaîtrais-je jamais votre nom ?
- Tu peux le connaître à présent. Les hommes me disent enchanteur et Merlin est mon nom. Souviens-t'en !
- Je n'oublierai pas. Adieu Maître
- Adieu
Merlin se retourna puis disparu, avalé par le sous-bois. Titou se retrouva à nouveau seul, le coeur gros. C'est à ce moment là qu'il entendit le chant d'un oiseau. Ce n'était, au début, que quelques notes lointaines mais qui se rapprochaient rapidement pour s'arrêter juste au-dessus de lui. Il leva la tête pour tenter d'apercevoir d'où cela pouvait provenir. Il distingua, dans la ramure d'un grand chêne, un volatile de belle envergure, paré de couleurs merveilleuses. Titou sourit et comprit. Il suivit le volatile qui le mena jusqu'à l'orée de la forêt, puis soudain disparu.
Titou sortit du bois.
C'était une belle soirée d'été, mais il ne reconnut pas le paysage. L'herbe était moins haute que la veille et le fossé bien moins profond. Les champs qui s'étendaient hier encore, à perte de vue, avaient laissé la place à des constructions bizarres et le chemin qui menait à la ville était un large ruban gris où circulaient de drôles d'engins bruyants. Il se passa la main dans les cheveux, et se gratta le menton, perplexe. Bon sang, il avait de la barbe !!! Quel était encore ce nouveau sortilège ? - Tout semblera étrange mais ne crains pas ce que tu vas découvrir - certainement une de ces étrangetés dont parlait Merlin.
Très bas à l'horizon, le soleil rougeoyait.
Il tourna son regard vers le sud. Une étoile très brillante scintillait de mille feux. Alors il se mit en route, tout était normal, il n'avait pas peur.
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le 16-06-2005 à 19h06 | Le petit monde de Lindorië | |
Aux confins de la Bordure Extérieure, volontairement effacée des cartes spatiales pour éviter les visiteurs indésirables, la planète Lindorië se protège derrière un écran inaltérable: seul peut le franchir celui qui a le coeur pur. Il y a peu de gravité dans cette atmosphère: tout y est facile et léger. C'est un petit paradis où quand les héros vivent des aventures, elles sont régies par la Loi Un... |