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Naissance

Qu'elle ne fut pas sa joie lorsqu'elle les découvrit. La nuit était tombée depuis quelques heures et l'astre pâle, plein, éclairait la clairière. Du haut des arbres jusque sur la mousse verte et odorante les baignant, des milliers de petites lumières telles les étoiles du firmament dansaient un ballet désordonné mais d'une harmonie presque irréelle. De droite à gauche, de haut en bas, ce n'était que tourbillons. Les minuscules elfes, les gracieuses fées se mêlaient de telle sorte qu'il était pratiquement impossible de les distinguer. Leurs robes reflétaient la pâle lumière pour éclabousser, de centaines de petits diamants, les simples. Les elfes chantonnaient. Une musique douce et apaisante résonnait et des dizaines de petites voix flûtées psalmodiaient un chant que seule les oreilles averties pouvaient reconnaître.

Le printemps naissait et c'était sous la lune que la rivière, serpentant entre les arbres, était la plus éclatante. En cette nuit, la brume et les vapeurs la rendaient encore plus belle. L'air était saturé de fumées vertes et de brouillards, les chants vibraient comme le vent, les herbes ruisselaient de rosée, c'était somptueux. La rivière se teintait de son éclat vert végétal, la brune colorait les sous-bois avec le soin le plus exquis pour que cette beauté soit plus intense. La face cachée des fleurs et des arbres, l'humeur secrète des monts et des eaux, rivalisaient de séduction.

Elle écoutait avec ravissement le chant qui montait et descendait, atteignant la perfection. Elle en comprenait les paroles. Jamais, le moindre son humain n'avait atteint son oreille et seuls les bruits de la forêt la touchaient. Aucun animal, aucun elfe, farfadet ou fées, aucune plante et arbre ne savaient d'où elle venait, elle n'avait jamais dit son nom. Elle se promenait toute l'année du sud au nord et de l'est à l'ouest de la forêt et des montagnes, arpentant des lieues entières par jour. Elle se leva et quitta avec regret la clairière, jetant un dernier regard au monde féerique. Une tâche importante l'attendait.

Elle montait, par un sentier vertigineux, entre les falaises noires et les vallées sans fond vers les stèles brisées. De l'ouate collait à ses pieds, c'étaient les nuages. Elle entendait le chant de l'eau et du vent. Pour accéder aux stèles, un roc solitaire faisait office de passerelle. Des sentes serpentaient parmi les entrelacs de verts et de bleus. Orgueilleusement dressés comme des chevaliers s'affrontant et s'effrayant, les deux Pics des Dieux la couvaient. Elle se pencha doucement vers une source, enroula une feuille pour y puiser de l'eau et bu avec délectation ce nectar pur et frais. Une fois passé les deux pics, elle aperçut les stèles. Les sources faisaient écho au murmure des arbres. Le jour allait bientôt se lever. Elle franchit les derniers mètres la séparant de son arbre.

Un immense orme recouvrait de ses feuilles naissantes la terrasse formée, étrange, semblant avoir poussé sur les pierres sans avoir besoin de terre, biscornu mais solide, accueillant. Ses branches frémirent lorsqu'il la vit, les plus hautes se penchèrent pour la saluer. Deux des immenses branches s'abaissèrent jusqu'à former deux mains entrelacées. Elle s'approcha, s'allongea sur cet étrange support. Les mains se levèrent et la portèrent vers le sommet où le souffle du vent tel celui de dragon en colère la salua. Elle dominait la Terre. Le faîte de tous les arbres semblaient se tourner vers elle. Là-bas, dans la clairière, qu'elle distinguait à peine, les petits êtres levèrent leurs têtes et leurs chants s'arrêtèrent. Les sources et rivières interrompirent leur cours dans l'attente. Les dernières étoilent s'éteignirent. Les deux premiers rayons du soleil, avant d'apparaître, l'attendait. Elle se leva, tourna la paume de ses mains vers le ciel et poussant un étrange cri cristallin, elle s'élança.

Au fur et à mesure de son vol, le jour se levait. Les deux premiers rayons du soleil percèrent la nuit finissante, les étoiles regagnèrent leur antre, la lune céda sa place. La nature éclata en un chant assourdissant. La moindre fleur se tourna vers elle et suivit son vol, les rivières reprirent leur cours en frémissant, les sources redoublèrent de force, les torrents grondèrent, le vent emportait dans son souffle les restes de la nuit.

Les animaux reprirent courage et les plantes et mousses exhalaient leur plus doux parfum. Les elfes et les fées regagnèrent, en un frémissement, leur abris. La lumière gagnait sur le monde des humains qui la regardaient sans la voir. Eux seuls savaient son nom et chaque jour la saluait, ce nom que maints de leurs poètes avaient célébré, que maints chants avaient proclamé, ce nom éternel et immuable. Ce nom qui, s'il venait à disparaître, verrait la fin des temps.

Sa tâche accomplie, elle rejoignit le vieil arbre qui, à nouveau, la recueillit. Elle lui murmura les mots que seuls deux amants peuvent comprendre. Qu'eux seuls comprenaient. Il l'enlaça. Elle se blottit dans l'entrelacs qu'il avait formé pour la protéger. Quelques heures de repos lui étaient nécessaires avant de reprendre sa marche. C'était le seul lieu où elle trouvait sa paix où la souffrance venait à disparaître.

En ce monde, il n'y avait pas un seul être qui ne vive dans la souffrance. Le sort de toute chose évolue au fur et à mesure du temps passé, change d'un instant à l'autre mais la souffrance est toujours là. Elle compensait quelque peu cette souffrance des êtres en faisant naître les couleurs sur une montagne, la saveur d'une eau, l'éclat des fleurs, par lumière du jour mais elle... que pouvait-elle ressentir ?

Il veillait sur elle. Seul le vieil arbre pouvait l'aider, seul, il comprenait sa propre souffrance, une souffrance d'enfantement, une souffrance de naissance. Car aube elle faisait naître.

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© Mathilde



Publication : Concours "L'Adieu à la Forêt Dorée" (Mars 2001)
Dernière modification : 07 novembre 2006


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